Andrea
Nouvelle 1
Travaux en cours
« Une rupture avec la notion traditionnelle selon laquelle toute connaissance humaine devrait ou pourrait s’approcher d’une représentation plus ou moins « vraie » d’une réalité indépendante ou « ontologique ». Au lieu de prétendre que la connaissance puisse représenter un monde au-delà de notre expérience, toute connaissance est considérée comme un outil dans le domaine de l’expérience. » - Ernst von Glasersfeld à propos du constructivisme
27ème étage de la tour Lumatech, 3 h 47 – 21 Mars de l’année 2248 – Londres
« - Je me prénomme Andrea. Je suis une mutanis androgyne sans conscience, sans âme. Un cœur sans sentiment, une pensée sans esprit, un souffle sans vie. Papa...»
Elle coupe l’holocom et le pose sur le bureau. Il est tard, les larges dalles de verre du 27e étage offrent une vue remarquable sur les lumières de la mégalopole londonienne. Dans le laboratoire, c’est calme. Un vaste panorama s’offre à elle. Tous ces néons dans les rues d’en bas grésillent et illuminent la nuit. Ces gigantesques panneaux publicitaires masquent la vue sur les rues, sur le fog et la pauvreté du quartier. Quartier nord, vaste bouge, favelas ou bidon ville, peu importe l’appellation, seule résultante de l’hérésie néocapitaliste de l’Homme Dieu. En bas, au cœur des ruelles, c’est l’immonde dégénérescence d’une société rongée par la décadence et l’immoralité; ici en haut, la sérénité et la paix, symbolique de l’ascension, de l’échelle sociale; en bas les pauvres, en haut les riches. Aucun bruit dans le building, seulement ces éclairages qui gâchent la vue des étoiles. La ville, à perte de vue.
La fourmilière s’active, à tout heure du jour comme de la nuit. C’est un bal incessant d’ouvrières. Narquoises, elles vous ignorent. Les regards se décroisent, souvent. Vous êtes seuls dans ces rues, dans ces commerces, dans cette ruche vivante, elle respire, palpitation rythmée par l’activité ininterrompue de la vie. Mouvement perpétuel, invariable et cadencé. De la continuité dans chaque déplacement, aucun chaos, rien d’erratique, un flot régulier et inaltérable de halos lumineux, d’Hommes et d’antigrav. Des insectes sans initiative, auto pilotés, suivent des trajectoires rectilignes et droites. Aucune oscillation, ça ne tangue pas c’est droit, droit... L’inverse de l’aléatoire du mouvement Brownien, presque figé dans le temps. Ça pulse au rythme du travail. A cette heure-ci, les putes, les alcooliques et les néopunks envahissent les rues, alcoolisés jusqu’à la moelle. Et malgré cette décrépitude des ruelles, d’en haut tout est trop droit comme la règle qui pilote la cité, les axiomes qui érigent la société au rang de Vérité absolue. Tout est trop droit. L’individu se noie dans les lumières, sa morale coule comme du plomb dans l’océan des automatismes de la ville. Des feux clignotent. Cette fluctuation scintillante révèle la clarté du jour au beau milieu de la nuit. C’est ainsi que nous nous affranchissons du soleil, par l’illumination de la ville, c’est ainsi que nous gagnons l’âpre guerre contre le temps, c’est ainsi que nous perdons notre identité dans le mot « gens ». La société engloutit la Nature pour son propre profit.
Elle ferme les yeux. Elle vacille un instant et se retient d’une main sur un coin du bureau. Elle finit par observer ses propres pieds, les siens. La crainte et la lâcheté, des sentiments humains, inconnus, elle les imite par mimétisme. La dalle de verre face à lui. Derniers instants.
Des milliers de petits éclats cristallins ; la vitre explose sous le choc de son corps. C’est douloureux... De minuscules morceaux s’enfoncent profondément dans sa chair. Son derme, cette enveloppe si fragile et humaine, si douce et si sensuelle... Coupée. Lacérée. La peau si fine, exquise et délicieuse s’ouvre comme les jambes d’une putain de l’Exstream, avec l’évidence de la violence. D’infimes filets de sang coulent sur ce visage inexpressif, partout. Un os rompu par la brutalité de la percussion; la douleur intense n’a que peu d’écho face à la peur soudaine du vide. Ce vide qui devient captivant. Captivant, un mot sur une émotion atone; ce vide synonyme d’une fin. Une fin sans début.
Il tombe. Elle tombe, retraçant le fil d’une vie morne et sans saveur.
Ma naissance, la vie, ma mort. Ma ?
Stop.
Suis-je un homme ? Suis-je une femme ?
Une alarme se déclenche. Sur le sol, dans la fumée polluée du quartier d’Atomtech, un cadavre sur le toit d’une bagnole.
« - Je me prénomme Andreas. Je suis un mutanis androgyne, sans conscience, sans âme et sans vie, produit de la bienveillance et de la pitié d’un Homme Dieu, produit de la folie d’une humanité dévoyée. Aujourd’hui, papa, je te quitte. »
Sarah
« L'existence de sciences dites sociales indique le refus de permettre aux autres sciences d'être sociales. » - Heinz von Foerster
« ... et de permettre aux sciences sociales d'être physiques. » - Edgar Morin
« - Je suis Sarah Lyn. J’ai 28 ans, célibataire et résidente de Londres. Pour tout vous dire, mes études n’ont pas été une réussite mais mon expérience parle désormais pour moi. Depuis quatre ans je travaille au laboratoire d’Atomtech dans la cellule P.A.C.C.A - Psychologie Adaptive & Cognition des clones de type Atron et plus spécifiquement sur des recherches dans le domaine de la projection mémorielle d’un sujet sur des individus en stase cryogénique. »
Non.
D’un geste anodin elle recoiffe sa longue chevelure blonde platine et jette négligemment un dossier sur le bord de l’évier. Une ligne de rouge à lèvres supplémentaire, le repositionnement d’une lentille colorée turquoise, une larme de fond de teint et une goutte de Vatrix. Ça ne va toujours pas. Face au miroir, dans les toilettes du laboratoire, elle tente vainement de se préparer à son entretien. Les rumeurs racontent qu’un diner et qu’une nuit suffisent à l’obtention des promotions mais, pleine de l’espoir d’une jeunesse utopiste et militante, elle ose croire qu’elle évitera d’être le plat de résistance de ce pervers notoire. Elle reprend, joint les gestes de son ascendance italienne à la parole.
« - Sarah Lyn, monsieur le Directeur. 28 ans et je travaille au laboratoire d’Atomtech dans la cellule P.A.C.C.A – Psychologie Adaptive & Cognition des clones de type Atron. Je suis sur le projet de recherche de projection mémorielle sur des individus en stase cryogénique et principalement sur la partie analyse des données du lobe temporal droit. »
Du mieux ? Difficile à évaluer. La posture est relax, les mouvements fluides, chaque intonation calculée comme dans ses anciens cours de management. Redirection de l’anxiété vers un point focal pour induire des comportements optimistes et créatifs plutôt qu’un stress. Elle adapte à chaque phrase, l’intonation de sa voix. Les éléments techniques sont sécurisants, l’impression d’assurance doit transparaitre du discours autant que du mouvement. Elle se projette dans son imaginaire, énumère tous ces mimiques comportementales. La puce neurale se déclenche : chaque signe est analysé, mesuré, jaugé, évalué. Elle régule le taux d’adrénaline conjointement au décontractant comportemental Vatrix. Elle se sent progressivement apaisée. Ses mots sont plus justes, plus tranchants. Chaque expression devient une moue séduisante et attirante. Les mouvements sont limpides. Un tout d’une parfaite justesse.
Ces puces Neocom sont excellentes. D’un sourire au miroir et d’un clin d’œil, elle s’encourage ; son entretien, c’est demain. Illusion encore un jour entier d’aimer injecter à des souris des mutagènes sur leur cortex cérébral. Un tremplin vers un meilleur boulot. Sauter vers ce poste, c’est la liberté.
Bonjour.
Empreinte digitale et passeport ID requis pour accès.
Elle n’avait jamais remarqué. Elle comprend mieux pourquoi les hommes du premier étage passe au laboratoire du troisième avant d’embaucher. L’intelligence artificielle qui gère la sécurité a une voix tellement sensuelle qu’elle fera flancher n’importe quel mâle sans besoin d’une quelconque hormone chimique féminine. Déplorable entreprise sexiste à l’image de son directeur général, ce vicieux déjà mis en examen quatre fois pour harcèlement moral et sexuel. Aucune condamnation. L’argent a au moins un mérite, il outrepasse la Règle.
Bienvenue Mademoiselle Lyn.
Il est 14 :07 :28. Vous avez 7 minutes et 28 secondes de retard. Votre compte temps travail n’est désormais plus que de 7 heures 14 minutes et 12 secondes. Vos tâches quotidiennes et un nouveau dossier ont été déposés sur votre espace de travail virtuel. Veuillez rapidement en prendre connaissance. Vous avez trois messages déposés depuis votre départ.
Bonne journée Mademoiselle Lyn.
Elle est aussi stupide que son créateur. A vouloir sécuriser l’ensemble du laboratoire par des similis d’intelligence artificielle, il est devenu en quelques années une sphère sociale à part entière. Vous êtes perpétuellement surveillé par chacune d’entre elle et leur jugement réglé sur la volonté de la direction, n’enjoint pas un discours intelligible avec ces machines. Elles ne sont programmées que pour débiter un laïus sécuritaire à longueur de journée.
Enfin au bureau.
Le chauffage tourne à fond, les moins de Janvier londonien ne sont pas reconnus pour leurs grandes chaleurs. Elle s’avachit dans son fauteuil. Une longue expiration de dépit et d’ennui, une longue inspiration de courage.
« - Sarah Lyn. Ouvre une session de travail s’il te plaît IA409. »
Session ouverte Mademoiselle Lyn.
« - J’ai trois messages en attente. Montre les moi. »
Bien sûr Mademoiselle Lyn.
Projection en cours. Plusieurs hologrammes d’écrans apparaissent autour du fauteuil et du bureau. D’un pianotage habituel, elle ouvre les messages. Ce sont les résultats de l’expérience sur la souris Alfred, échec et mort du sujet ; une collègue pour aller manger demain midi au Frits and Chick du coin ; et les places pour l’Exstream ce soir. Zut ! Elle avait complètement oublié ce rendez vous entre copines et pour une fois que Nassilia n’avait pas la petite...
« - Supprime les messages je te prie. »
Messages supprimés.
« -Charge moi le nouveau dossier et celui d’Alfred D873 – Projet Cognition Mémorielle. »
Les dossiers apparaissent en surbrillance sur l’interface homme machine. Tout est visualisable en trois dimensions en quelques captations sensorielles du mouvement des doigts. Elle regarde les nouvelles expériences. Elle lit. Encore une nouvelle après midi à piquer des souris...
*
20 h pile. Sortie du laboratoire, direction, son appartement en plein quartier nord. Ce n’est pas le grand luxe mais à deux pas du Metro et à dix minutes de son boulot, difficile de trouver mieux. Vérification sur sécuritaire effectuée : elle peut finalement sortir réellement.
Bonne soirée Mademoiselle Lyn. N’oubliez pas votre rendez vous à 22 h 30. Vos courses ont bien été déposées à 19 h 30 à votre appartement. Atomtech vous remercie pour votre dur labeur, et l’humanité sourit de vos découvertes et du génie de nos inventions.
Un jour cette voix… Mieux vaut ne pas penser à tout ça. Elle s’engouffre dans la bouche de métro sans même faire attention au fog qui ronge ses poumons, ce crachin devenu brume impropre et impur à la respiration. Londres est vraiment devenu en quelques années, le lieu le plus malsain de toute l’Europe. Elle tousse violemment, reprend son souffle en s’appuyant sur un encart publicitaire.
« Pour une vie meilleure, achetez nos cigares Tonelli car avec Tonelli tout est embellis ! »
Comble de l’horreur. Son filtre à air se déclenche finalement, légèrement en retard d’adaptation à l’environnement. Un gros bonhomme à la mine patibulaire la regarde, d’un sourire aux caries apparentes.
"- Hey ma p’tite dame faut pas sortir sans un masque. Vous d’vez pas avoir l’habitude de descendre en bas… Une p’tite piécette pour un sans l’sou comme moi ?
- Bonjour, oui j’ai oublié mon masque, et non je n’ai rien sur moi, désolé Monsieur.
- Oh beh dites donc, pour 2 dollars, je vous offre même un bouquin, ça vous dit pas ?
- Vous lisez ?
- Quand ch’uis pas bourré, oui, c’est le seul truc qui m’occupe. Y a rien à faire ici vous savez ma p’tite dame.
- Va pour 2 dollars. Tenez."
Le clochard toujours aussi sinistre et angoissant tant par l’odeur que par le visage rongé par la pollution, lui tend un livre : « Vie artificielle » de Charles Norton. Inconnu. Elle le glisse dans son sac, s’en va rapidement, pressée par la foule qui s’engouffre dans les tunnels en direction des quais. Les couloirs sont toujours aussi petits dans cette station, pas plus de trois mètres de large pour deux de hauteurs. Sur ses talons hauts noirs, elle touche presque la voûte en vieilles pierres. Les publicités s’enchainent, aussi vite que la masse des inconnus. Aucun regard ne se croise. Un silence sourd, seul le bruit des pas, meublé par celui des machineries et déplacement de cette multitude. Pas une parole entre les Hommes, seul le son de la voix masculine qui indique.
« - Metro ligne 17 – Quartiers Nords de Pennirow – Arrivée prévue dans 3 minutes. Veuillez ne pas oublier votre titre de transport, merci. »
Elle accélère encore le pas, s’agglutine avec les individus. Un amoncèlement oppressant. Elle suit le mouvement. Tant d’étrangers, d’anodins quidams... On ne parle pas, on ne sourit pas, on ne partage pas. On suit affablement les autres en s’enfermant dans sa propre individualité par peur de succomber à la conformité de la masse. Cette masse qui tente à chaque pas de s’imposer, de violer votre liberté de penser, d’induire le geste machinale, automatisé. Elle, elle attend patiemment son tour, ne se presse pas, n’est pas dans la bousculade des quais. Elle déteste le contact physique d’avec ces inconnus. Elle écoute le musicom directement branché sur son afficheur rétinien d’un œil cybernétique. D’un pas léger, contrastant avec le reflux des piétons, elle s’engouffre dans la ram de métro.
« - Mademoiselle Lyn. Vous ne disposez d’aucun titre de transport valide. Une amende forfaitaire de 35 livres a été débitée sur votre compte courant Lloyd & Arthur Share. Une facture a été émise par message crypté dans vos différentes boîtes d’identité. Vous pouvez désormais user du réseau Metropen pendant les 45 minutes à venir. N’oublier pas Madame Lyn. Pour une vie et un monde meilleur, pour vivre dans une société équitable, la Règle est le chemin le plus juste. Veillez donc à la respecter. »
Merde… Elle sort trois stations plus tard. Quartier nord et résidentiel de Pennirow. C’est toujours oppressant : non par le nombre mais par le crépuscule désormais. Peu d’éclairage dans cette station, dans ce quartier. Tour B7, la plus neuve du coin.
*
22 h 37 – Hypercentre de Londres – Terrasse de l’Exstream.
La musique électronique pulse à l’intérieur de la boite de nuit. Le sol de verre, les grandes baies vitrées le plafond miroir : sur trois étages, hype et branchée. Sarah sirote son cocktail sur la rambarde. Ses yeux verts se perdent dans l’immensité tentaculaire. Elle est fatiguée.
" - Bonsoir Mademoiselle. Mademoiselle ?"
Seule, elle n’avait pas vu ce jeune homme s’approchait d’elle. Épuisée par sa dure journée, l’amende, le bordel dans son appartement, elle n’était plus très réceptive.
"- Bonjour."
Il est mince, presque maigre, le visage efféminé, des cheveux mi longs noirs de jais, les yeux bleus, des traits délicats. Une femme ? Un homme ? Difficile à dire. Elle a un doute. Il est séduisant. Ces pommettes creusées, ces joues émaciées lui donnent un certain charme, inquiétant mais ce sourire aux lèvres fines dissipe bien vite les à priori.
"- Excusez moi de vous déranger. Je vais vous paraitre curieux, mais j’ai vu que vous aviez un livre de Charles Norton qui dépassait de votre sac à main tout à l’heure.
- Effectivement vous avez de bons yeux.
- Je ne m’attendais pas, dans ce genre de soirées et de lieux, tomber sur une personne cultivée."
Il s’exprime bien, très bien, presque trop bien pour l’Extream. Non qu’ici l’anglais ne soit pas maitrisé, mais la maitrise se focalise plutôt sur le rentre dedans, moins galant. On préfère toucher la marchandise plutôt que de lui parler. Une main sur les hanches est souvent synonyme de première nuit torride. Pourtant cet homme n’est pas différent à quelques détails près dans la gestuelle qui le rendent efféminé. Le timbre de la voix est celui d’un ou… d’une adolescente, impossible à évaluer. « Curieux » a-t-il dit. Un homme donc. Avec tous ces tarés qui arpentent les rues de la grande grise, difficile d’évaluer les risques.
" - Vous savez, ce n’est pas parce qu’il traine ici une population de jeunes branchés, que vous n’y trouverez pas une certaine culture. L’habit ne fait pas le moine."
Ce soir, elle s’est vêtue d’une robe noire, sa préférée, celle qui révèle un décolleté plongeant sur ses seins, avantage anatomique indéniable; optimisation graphique. Épaules dénudées en haut, à mi cuisse en bas, moulante qui met en valeur ses hanches galbes et l’archétype de la blonde pulpeuse qu’elle est.
"- J’irais même jusqu’à dire qu’il faut se méfier, Monsieur, des apparences. A qui ais-je l’honneur de parler ?
- Andreas. Andreas Kaslov."
Il sourit toujours. Elle ne peut s’empêcher d’user de son interface neurale pour capter le détail. Son taux de phéromones est anormalement bas, les mouvements des lèvres ne trahissent aucune crispation, aucun stress. Son parfum ? La simplicité d’un passe partout : il a l’air calme et détendu. L’effluve est subtile à peine perceptible et pourrait être enivrante à forte dose ; un mélange hormonal et d’arômes naturels et donc forcément une modification biologique corporelle, aucun produit du marché ne correspond.
"- Et vous Mademoiselle ?
- Sarah. Sarah Lyn.
- Délicieux prénom. Vous saviez que c’est d’origine hébraïque ? C’était l’épouse d’Abraham, avec pour signification la reine ou la princesse.
- Pas du tout. Je ne suis pas très branchée et attirée par la religion. Un sujet souvent douteux et qu’on évoque de moins en moins à Londres. Vous n’êtes pas d’ici non ?
- Exact. Comment avez-vous deviné ?"
Interface de communication online. Identification cryptée enclenchée. Andreas ? Aucun identifiant correspondant. Veuillez réitérer votre demande. Andreas Kaslov ? Aucun identifiant correspondant. Veuillez réitérer votre demande. Kaslov. Londres. Identifiants correspondants : 11. Trop…
"- Si vous étiez Londonien vous sauriez que parler de religion est un tabou.
- Ah. Bien vu. Je n’étais pas au courant. Changeons donc d’approche, la séduction n’est pas mon fort.
- Nous y venons oui.
- Franchement, je suis un amateur de littérature. Charles Norton est un des auteurs qui me fascinent et je suis étonné de croiser une jeune demoiselle aussi ravissante partager peut être cette passion.
- Je ne l'ai pas encore lu, je l’ai acheté ce soir et je n’ai pas eu le temps de le déposer. Timing un peu serré.
- J’imagine. Tout est si oppressant et angoissant dans cette ville. Tout va trop vite.
- Vous venez d’où si ce n’est pas non plus indiscret ?
- Une tout petit village au nord de Seattle, proche d’un parc naturel.
- Vous me faites marcher Andreas…
- Non pas du tout. J’ai habité quelques années dans le quartier de Madison Park à Seattle. Je suis né du côté de Sequim. L’Olympic Park vous ne connaissez pas ?
- Non désolé, je connais très peu les States.
- C’est une grande réserve naturelle. Vous êtes née à Londres ?
- Oui. J’y habite depuis toute petite.
- Ah le charme Londonien, j’aurais du m’en douter."
Sarah rougit. L’impression inhabituelle de ne pas être draguée comme un vulgaire morceau de viande. La discussion est agréable, et pour une fois il ne pleut pas. Le fond de l’air n’est ni frais ni une gêne mais plutôt l’occasion de… Se faire offrir à boire.
"- Il fait un peu frais, vous m’offrirez bien un verre pour me réchauffer Andreas non ?"
Un mouchard parcourt la plateforme, analysant les discussions, surveillant les moindres faits et gestes des clients. Lentement, il s’approche de la scène, presque invisible. Il enregistre la conversation.
" - Avec plaisir. Vous avez des préférences Sarah ?
- Un cocktail avec des fruits, du pamplemousse et du champagne.
- Des gouts raffinés pour une femme ravissante."
Le mouchard les suit alors qu’ils se dirigent ensemble vers le bar de la terrasse. Elle sourit du verre offert, le prend et le porte à ses lèvres. Cocktail toujours aussi délicieux. Elle regarde derrière l’épaule d’Andreas, cherchant ses amies.
"- Vous êtes accompagnée ?
- Oui j’avais quelques amies présentes mais je crains qu’elles ne soient parties...
- Ah. Si c’est un problème de motorisation, j’ai ma Nambucca 700 au parking du sous sol.
- C’est gentil, mais je suis venue en métro. Elles ne m’ont pas dit au revoir et c’est bizarre.
- Le métro ?!"
Son air interloqué en dit long sur ses habitudes. Il ne doit pas être pauvre. Et pourquoi ne pas profiter d’une balade londonienne en antigrav ? Il est plaisant, bel homme, poli et maniéré. Les rapports dansent toujours sur la rétine de Sarah, affichant les taux d’adrénaline, l’état pulmonaire, des scans complets du bonhomme. Rien à signaler. Léger fumeur, pas de drogues, rien de détectable ou détestable.
"- Oui le métro, les antigravs sont trop chers en ce moment et le métro est à deux pas d’ici.
- Voyons Sarah, il ne serait pas galant de ma part de laisser une aussi charmante beauté risquer quoi que ce soit dans les bouges londoniens du dessous.
- Vous savez, je sais me débrouiller.
- Ce n’est pas une question, je me verrais mal ne pas vous raccompagner. Les problèmes sont si vites arrivés dans le coin."
Elle marque un temps d’hésitation.
"- C’est gentil de votre part.
- De rien c’est tout naturel. Un petit détour sous les lumières de Hyde Park pour discuter ?
- Pourquoi pas, je ne commence à travailler qu’à 11 h demain matin.
- Ce sera plus agréable pour notre voix et mes oreilles. Même dehors le son est un peu trop fort pour mes tympans."
Il me tend son bras. C’est plaisant.
Abracus
« La Route de la servitude, consiste à reconnaitre l'individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, [à] croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes. » - Friedrich Hayek
Monsieur Abracus Nolan. Age : 36 ans. Situation familiale : Célibataire sans enfants. Aucune concubine connue. Profession : Marketing Manager à Galatium Industry. Adresse actuelle : Quartier de Knightbridge – 36 Penworth Road, Résidence « Galatium Hamspurs », Appartement 27, deuxième étage. Casier judiciaire : Activiste reconnu pour la fondation Green Arrow. Participation à de nombreuses manifestations interdites par l’ANC (American North Confederation). Rébellion contre les forces de police lors de deux contrôles d’identité en Juin 2246 et Avril 2247. Délit de fuite par antigrav suite à destruction de matériel public à Détroit. 14 mois de prison ferme à Paris pour consommation et vente de drogue de type 2 entre Avril 2240 et Juin 2041.
"- C’est bien vous ?
- Oui…"
Ce flic à la mine patibulaire l’interroge depuis déjà 15 minutes, passant au crible l’ensemble de son CV. Pris en flagrant délit de destruction d’un panneau d’affichage du gouvernement européen; prétexte : contentieux entre son art du dessin et selon lui, le « dégueulasse et vomitif » Arnaud de Mareni, un peintre au service de la propagande du pouvoir. Menotté, il attend patiemment la fin de l’interrogatoire et le début de la garde à vue. Il ne devrait pas y échapper.
"- Vous avez été pris par la police de Knightbridge en train de saloper un panneau de la mairie de Londres. Vous reconnaissez les faits ?
- Évidemment."
Le flic prend un air triste malgré le ton menaçant. Outre le fait d’avoir une tronche patibulaire, il semble qu’il aurait apprécié le faire avouer à grands coups de pieds.
"- Vous avez des implants particuliers ? Votre fiche ne signale rien.
- Aucun."
Et jamais... Plutôt crever que d’être relié et interconnecté potentiellement avec l’ensemble de tous les plus grands connards de l’humanité. Même son patron n’avait pas réussi à le convaincre et Abracus utilisait encore un vieux dinosaure du début du siècle pour faire transiter ses rapports, ses messages et ses dessins.
"- Améliorations biochimiques, génétiques de près ou de loin ?
- Non."
Et jamais... L’évolution contrôlée, superbe invention de l’Homme Dieu. Comment créer des générations d’humains dépendant de l’échec et l’anomalie technique de la science. L’obligation de prendre ces petites pilules qui détraquent en partie le cerveau juste pour avoir la sensation de vivre des années, en devenir dépendant et au vue des tarifications... Une belle bande de salopards... Oui... Toutes les modifications génétiques ou cybernétiques avaient un cout, généralement des doses médicamenteuses impressionnantes pour éviter les rejets de greffes, les cancers provoquaient par des mutations génétiques forcées. Ces corporations tentaculaires, achetées, sur-rachetées, vendues, démantelées en micro société paravents, fondés sur la science, vous vendent à grands coups de doses publicitaires la fiabilité à 99% de leurs produits. Il les connait bien, il travaille pour eux.
"- OK monsieur Nolan. Je ne vous retiens pas plus.
- Comment ?!
- Vous êtes libre, je vois que votre caution a été payée par votre employeur.
- Ah. Et bien...
- Oui je dois vous avouer, je vous aurais bien fait mijoter quelques heures de plus mais j’ai une famille à nourrir et des préoccupations privées importantes pour perdre mon temps avec des tocards comme vous."
La rançon du succès, la victoire de l’art et de la culture sur la Règle ; ces batailles qui mèneront à de grandes victoires. Non. Une nouvelle fois, le règne du pognon ouvre la porte de sortie. Il déteste ça et à fortiori il se déteste lui d’être incapable de sortir du carcan de cette société figée. Il prend son paquet de cigarette, en allume une, ramasse son portefeuille et se dirige mollement vers la sortie. Le flic le regarde.
" - Il est interdit de fumer dans les lieux publics Monsieur Nolan.
- Va te faire enculer, tu rajouteras ça sur le prix de la caution : insulte à agent de l’état dans l’exercice de tes fonctions."
Il est 22 h 30. Le fog lui dévore les poumons dès la sortie. Il tousse. Pas grave, il a l’habitude de prendre ces gaz d’échappement mélangés à tous les émanations de monoxyde de carbone, de dioxyde, de protoxyde et autres joyeusetés polluantes en xydede Londres. Cette ville est définitivement pourrie jusqu’à l’os par les industries qui l’entourent. Il comprend beaucoup mieux, depuis quelques jours, les avertissements de plusieurs organisations non gouvernementales dont la plus importante, ne plus séjourner à Londres sans un masque. C’est un comble de savoir que la plus grande usine polluante est aussi celle qui dispose d’un lobby important sur ces fameuses protections. Ce monde n’est qu’une arnaque où l’assentiment du quidam, par son inactivité, est tamponné puis gravé.
Il met sa main devant sa bouche pour se protéger au mieux des vapeurs toxiques ; à force il finira lui aussi avec un cancer. Une jolie façon de vous contraindre d’acheter certains implants de filtre à air. 22 h 30. Que peut-on faire à Londres à 22 h 30 ? Il n’a pas envie de rentrer. Demain il a rendez vous avec un client pour l’organisation d’un diner de charité : des flyers de qualité pour des Hommes de qualité. Beau titre. Il n’a vraiment pas envie de rentrer. Solution, l’Exstream. Un ami lui a conseillé cette boite de nuit. En plus, il parait qu’ils ont des puces Paradiz à pas cher.
Il appelle Peter, l’une de ses rares connaissances londoniennes, un ancien client. Aucune réponse.
*
Ils sont tous agglutinés comme des moutons, c’est oppressant. Épuisé et fatigué, il a allumé son joint. C’est de la bonne, parfaitement naturelle, sortie du balcon d’un activiste septuagénaire de Los Angeles. La servitude, ce lourd boulet qui emprisonne la dignité, devient un peu moins pénible et douloureuse grâce à la drogue. Même si lutter contre l’asservissement des grands trusts nord américains est synonyme de droiture, d’utopies et de rêves d’équité, il n’a jamais été un modèle de moralité protestante. Il fume. Un verre de whisky glace dans l’autre main, il observe. Son regard, critique et perçant, vomirait bien sur ces jeunes cadres dynamiques, commerciaux et autres traders. Ils claquent leur pognon dans le grand n’importe quoi organisé de la nuit, pour un plaisir éphémère. Derrière leurs dents longues, les canines se brisent la nuit sur les relents d’une société alpha qui les rend esclaves. Ils sont cons. Il n’est pas plus intelligent qu’eux ; la différence et la solitude. Il rentre. La drogue et son effet destructeur parachèvent l’œuvre de ses désirs inconscients. D’un regard il cherche le manager d’Atomtech – Peter. Il n’est pas là.
Elle a ses vêtements à la mode dernier cri. La tenue bon chic bon genre d’une poupée de la bourgeoisie Londonienne, court vêtue. Une sensation étrange depuis qu’il l’a croisée sur le piste de danse; elle a du charme, un charme insolite dont il ne saurait comprendre l’attrait ni la provenance. Élancée, svelte, des seins inexistants. Ce n’est pas son type de femme, mais ses mouvements lascifs sur des musiques industrielles ont piqué son œil et sa curiosité. Une robe rouge, colliers et colifichets à la mode, bracelets, boucles d’oreilles ; prêt du corps, moulant, elle n’est pas mince; elle est maigre. Ses épaules menues, ce cou fin et ses longs cheveux noirs de jais coupés à la garçonne, il les a effleurés quelques instants, se rapprochant dangereusement d’elle. La peau de sa main était aussi douce que du satin, en harmonie avec l’émanation d’un parfum tout aussi voluptueux. Il s’était approché jusqu’à respirer l’arôme vanillé. Non. Plus subtil encore que de la vanille, à peine perceptible dans cet environnement plein de la sueur des corps se balançant sur la piste. Il avait voulu l’enlacer, elle s’était échappée. Elle s’était rapprochée mais il s’était échappé lui rendant l’audace d’un premier refus.
De loin désormais, il la dévore des yeux. Il ne voit pas les couleurs. Il ne voit plus les couleurs. Les stroboscopes, vibrant au rythme d’un beat lent, recréent les couleurs d’une manière bariolée toujours adaptée aux sons, rapides et rouges, lents et bleutés. Peut-être a-t-elle les yeux bleus. Rouge ? Les effets sont trop brefs et ses paupières regardent souvent le sol pour s’emparer de la musique.
Il ne cesse de l’observer, de la scruter, en sirotant négligemment un verre de champagne. La suite logique de l’apéritif au whisky. A la fin d’un morceau, elle reprend son souffle. Des perles de sueur coule sur son visage si fin. Elle a un nez aquilin et un visage plus émacié qu’il ne l’avait imaginé de loin. Elle se dirige vers la terrasse pour prendre l’air ; dehors le crachin Londonien, glacé en ces nuits d’hiver, s’abat sur les quelques bobo hypes qui ont eu le courage de sortir fumer une clope. Il s’engouffre à sa suite, s’allume un nouveau joint et d’un sourire.
"- Mademoiselle ?
- Oui ?
- On se connait ?
- Non j’crois pas.
- Vous n’auriez pas travaillé pour Galatium Industry récemment ?
- Non pas du tout.
- Ah... Vous faites quelques choses-là maintenant, tout de suite ? Je peux vous offrir un verre ?
- Pourquoi pas."
Elle parle machinalement, l’œil vif mais porté vers l’ailleurs et nonchalamment se rapproche. Sa main, une bague à la couleur émeraude et irisée, vient se glisser dans la poche arrière de son jean, palpant son fessier. Sans gène, elle tâte la marchandise, et le regarde à peine. Surpris par le geste, il se laisse faire ; sa bouche aux lèvres fines, sans maquillage s’approche de son oreille et lui susurre, alcoolisé jusqu’à l’os :
"- Je t’ai vu, beau brun."
Les européennes sont torrides – drogue et boisson, le mal de notre temps - malgré le climat affreux qui règne dans le coin. Il passe son bras sur les épaules de cette fille, l’enlace. Il remarque une légère touche de mascaras, un coup de crayon délicat et à peine visible. Les narcotiques entament leur grand bouleversement mental. Il sent qu’il chavire. Progressivement...
"- Tu danses bien.
- J’espère que ça t’a plu, c’était juste pour voir ce filet de salive glisser de ta bouche."
Et ses yeux le fixent alors, révélant une ardeur et un désir presque palpable. Il se sent happer, rongé par le trouble des stupéfiants autant que par l’audace de cette pute qui le dévore d’un regard. Il a soudain l’impression de n’être qu’un objet dans les griffes d’un prédateur. Il adore ce milieu branché pour sa dégénérescence sexuelle, il traine ici pour ces instants crasseux de décadence. Il ne répond pas et ses lèvres dégustent les siennes sans état d’âme. Sans état d’âme que celui d’assouvir une soif charnelle. De l’animalité sans érotisme. Pire, d’oublier ses chimères de l’échec de sa vie pourrit par des utopies qui l’aliène autant que ce qu’il combat… Il ne les déguste plus, il les mord. Elle le lui rend, et glisse sa deuxième main sur sa seconde fesse. Elle les griffe. Puis elle le repousse, s’éloignant, avec un sourire presque cynique. Elle l’avait croqué.
"- Tu baves d’impatience mon mignon..."
Rencontre osée.
"- C’est quoi ton p’tit nom ?
- Andrea… On va chez toi ou chez moi ?"
Définitivement et volontairement perdu dans le stupre, pour oublier sans le montrer qu’il n’est que l’illusion d’un homme de caractère, égaré dans une vertu éducative et morale. Tenter vainement d’être juste ? D’être juste pour quoi ? Pour qui ?
De jour comme de nuit
« Ce que l’on comprend aujourd’hui de l’homme n’excède pas ce que l’on peut comprendre de lui en tant que machine » Friedrich Nietzsche.
Milieu d’après-midi. London City Airport – 16 Mars 2248.
L’impatience. C’est ce qui me guette depuis près d’une heure. L’attente, je l’ai toujours mal supportée. Un mois que nous ne nous sommes pas vus. Mal supportée ? Je n’arrive même plus à m’en convaincre et je ne fais qu’illusion de vivre cette relation. Un instant j’y aurais presque cru. Il va débarquer, m’embrasser, me serrer dans ses bras, me raconter ses quelques jours à Détroit, m’inviter à diner, me faire boire, et finalement me faire l’amour toute la nuit pour s’échapper dès la première heure à Moscou. Non je ne l’aime pas, non je ne prends aucun plaisir, non je n’ai aucune sensation, rien. La préhension n’existe pas pour les créatures comme moi, tout au plus des perceptions altérées et chimiquement calculées.
Elle branche ses interfaces neurales, active des services d’émulation des sensations, capteurs de préhension, de goût, d’odeurs et visuelles. Les premiers arcs électriques parcourent l’axone et la myéline. Les nerfs s’agitent, les neurotransmetteurs créés par des nanobots débloquent certaines sensations. Le traitement de l’information se régénère puis s’accélère. Les anomalies génétiques induites par la mutation disparaissent progressivement. Son organisme revient en morphostase. La régulation de son système nerveux se fait progressivement. Elle active l’ensemble cybernétique d’homéostasie : création de phéromones femelles, équilibrage des taux de potassium, sodium et calcium, température corporelle fixée. Ralentissement de la circulation sanguine pour éviter la tachycardie générée par les cellules robotiques. Son corps imperceptiblement se transforme. Le taux d’hormones féminines augmente, ses pupilles se dilatent et ses gestes sont moins coordonnés.
L’espace d’un instant, j’ai l’impression de tomber. Mes jambes chancèlent. L’activation de tous les modules de régulation corporels est pire que l’effet de l’acide lysergique diéthylamide. Ca prend au ventre, la nausée, tout ça pour l’illusion de paraitre exister, d’être. Je suis une femme. Non… Si… Un peu… Un peu plus… Éteignez donc cette lumière bordel ! Elle brule les yeux…
Arythmie cardiaque. Copie de cellules souches, mitose et injection dans le cortex cérébral : bulbe olfactif, création des synapses et des jonctions des fibres nerveuses. Construction titanesque en quelques secondes ou plutôt reconstruction. Les anticorps se réveillent, le rejet est immédiat. La mutation et la recomposition génétique dureront tout au plus… Quelques heures, le temps que le mutagène détruise les cellules qu’il considère comme cancéreuse. Maladie physique autant que mentale, régulé par la science. Les prothèses cybernétiques se modulent et accentuent les éléments féminins : seins, hanches, visage.
Être une femme, résultante de l’application cybernétique de produits commerciaux et d’évolutions biogénétiques pour palier à ma mutation, cette maladie. Je ne suis pas, je suis indéfinie. Il faut paraitre, paraitre aux yeux d’un homme pour assouvir son désir. Je n’arrive pas à ressentir cet amour que je devrais avoir pour lui. Chaque nuit n’est peuplée que du néant, du rien, d’un vide sans rêve. Depuis gamine, le psychologue m’a dit que jamais je ne ressentirais d’émotions : toute ma mécanique nerveuse est asymétrique, les glandes produisent des sinusoïdes qui détruisent la régulation corporelle de tout : température, acides aminées, nutriments ingérés et jusqu’au moindre de mes anticorps… La science est la seule reine de mon corps et se substitue à ma propre conscience. J’aimerais l’aimer cet homme. Le jour et la nuit, j’aimerais le sentir, capter les moindres battements de son cœur, de mon être et de son âme : vibrer pour lui. Lire ne suffit plus à assouvir le besoin de rêver d’Amour, je veux le vivre, le comprendre et le toucher du doigt. Il ne sait rien de moi, il ne sait pas que chaque nuit je le trompe avec une autre. Elle ne sait pas elle non plus. Ces relations multiples, à la recherche d’un fragment d'émoi : non juste d’une fraction d’émotion, un atome de trouble ou d’impression. Mais rien. Rien ne vient même après le déclenchement de cette cybernétique crasseuse. La transcription mémorielle pour l’injection dans un corps valide : l’unique solution à cette inexistence, peut être. Ne pas être, je pense pourtant. Et ces questions récurrentes : penser suffit-il à faire de moi, un être humain… Sans cesse au fond de moi, j’ai ce rejet de ne jamais comprendre ce langage de l’affect que l’Homme exprime naturellement. Mon corps parle grâce à des évolutions mécaniques et biologiques : aucun réflexe instinctif. Ma conscience est bien là mais elle n’effleure pas même l’effluve d’un parfum. Je ne sens pas, je ne vois que si ces rouages simulent ces effets sur mon cerveau. Je ne suis ni un homme ni une femme. Alors je me suis échappée de la clinique, j’ai fui. Chaque jour tout s’efface si les nanobots en moi ne fonctionnent pas, ma mémoire me joue des tours, tout disparaît, puis réapparaît tel un flot permanent, un reflux de déreconstruction. Le rythme est dicté par ces organismes microscopiques dans mon corps. D’ailleurs… Mon corps est-il réel ou n’est-il juste que le résultat d’expériences scientifiques.
Hall B. Les arrivées ; le voilà, toujours aussi beau selon les critères si analytique de la mode du 23ième siècle. Il ressemble à ces italiens typiques, cheveux lâches et mi longs, lunette de soleil, musculature simple et enjoignant toujours les gestes à la parole. Abracus son prénom.
"- Salut chérie, tu m’as manqué.
- Coucou mon Abra. Bon voyage ?"
Il m’enlace, je subis mais mon corps lui montre tous les signes imposés par un programme informatique de séduction, je ne suis pas maitresse des émotions que je transmets, tout est automatisé : le sourire, le parfum, la douceur d’un geste. Il m’embrasse. Toutes ses réactions sont analysés, décryptées, tout pour comprendre le désir en lui.
"- Super. Le projet pour Moscou va voir le jour, c’est génial, Galatium a enfin décidé de faire du mécénat pour Green Arrow. On va pouvoir monter un paquet d’intervention pour sensibiliser la population aux problèmes d’éthiques cybernétiques, génétiques et sur les dangers de la pollution.
- C’est chouette oui. Tu dois être crevé mon loulou. Comme j’étais du côté de Paris ces derniers jours, j’ai loué une chambre à ton hôtel préféré. Tu repars demain ?
- Tu sais que je t’aime toi ? Et oui malheureusement je dois prendre l’avion de 11 h 32 pour Moscou. J’en ai pour 3 ou 4 jours à négocier sur le dernier encart publicitaire du Suntimes.
- Ok…
- Sois pas déçu comme ça ma puce, je t’invite au restaurant pour te décrocher un plus joli sourire que celui là j’espère. Tu as envie de quoi ? Tu veux faire quoi ce soir ?"
C’est la première fois qu’il me demande. Il m’appelle souvent « sa pute » depuis notre rencontre. Je me suis soumise dès le début pour lui plaire, c’est ainsi que les logiciels sociaux avaient évalué le pourcentage de réussite d’une relation avec cet homme. Je teste, je tente, je n’arrive même pas à m’en vouloir de lui mentir. Informations nouvelles : l’interface a détectée un changement d’attitude chez le sujet. Les taux biochimiques s’affichent, mais les conclusions de la machine ne donnent rien sur leur interprétation si ce n’est la malléabilité psychique possible du sujet. Les capteurs de phéromones ont décelé une baisse notable quantitative qui exprime un désir sexuel moindre, un début de stress. Ça me rappelle mon père.
"- J’aimerais bien aller manger un morceau chez « Albert ».
- Ah oui ce petit resto français dans la City. Pourquoi pas.
- Si ça te plait évidemment…
- Bien sûr ma puce. On va se balader à Hyde Park en attendant ?"
Je hoche la tête. J’y suis indifférente, comme à tout le reste. Il me semble qu’il force quelque chose comme s’il était bien plus détendu que d’habitude. Quelque chose d’imperceptible même pour la cybernétique, et surtout d’indiscernable. Un caractère humain ? Ceux que la machine ne sait qu’enregistrer et statistiquement retranscrire.
"- Veux-tu m’épouser ?"
Pas même le tressaillement d’une émotion dans l’organe cardiaque. Mes palpitations sont régulières. Rien dans mon corps signale une quelconque modification. Je ne pourrais même pas regretter mes mensonges, toujours pas. Par contre chez lui, c’est l’ébullition : il angoisse. Il n’est même pas besoin de lancer une quelconque analyse. Il transpire la peur, la peur du refus, il ne conceptualise même pas la mystification que je lui sers. Il laisserait l’impression réelle de ne penser qu’à lui en cet instant, comme si son univers ne tenait qu’à mes lèvres, de ne penser qu’à sa volonté de me dominer. De la foi ? Il est stupide et régulé uniquement par son désir égoïste. L’amour n’est qu’un désir : une volonté presque dédaigneuse de s’imposer et d’imposer sa puissance sous plusieurs formes. La pâte à modeler reste le pire jouet à offrir aux enfants... La démarche analytique de la chimie des molécules parle. Il n’y a aucun partage entre « nous » et il ne le perçoit pas, il se fourvoie dans ses propres rêves et ses propres envies sans concevoir les miennes, sans lire ce que je pense. C’est de l’individualisme, le « nous » n’est qu’une théorie inventée, une chimère. Pas de remords, aucun regret. Il n’est pas comme moi, le sujet d’une expérience. Je ne retire aucun plaisir à le faire souffrir et la morale bien inculquée chez l’être humain ne l’est pas dans mes programmes. L’expérience est presque terminée. Je ne vibrerais jamais pour cet homme ni pour aucun autre. Mais ce qui me semble étrange par-dessous tout, c’est le fait qu’il soit si incapable de discerner mes mensonges et qu’il ressente tant de sensations et de sentiments illusoires… Ne chercherais-je pas des illusions ? Ces sensations paraissent réelles aux Hommes et pourtant aucun écho, mais il ne vit à cette instant que de mystifications ? L’interprétation est difficile. Est-ce moi qui suis anormal ou le reste de l’humanité qui vit dans cette bulle de bonheur à tout prix ?
" - Oui."
*
2 h 30 du matin. Appartement de Sarah Lyn – 17 Mars 2248
Les fibres neuromusculaires se réveillent, je m’étire comme un chaton. Elle est juste à côté de moi, elle dort. J’ai quitté Abracus de la chambre d’hôtel vers 2 h du matin prétextant une urgence au boulot. Pour lui je suis spécialiste en cancérologie stomacale et en clonage des membranes de l’intestin. Je travaille pour l’hôpital Saint James et je suis réputée comme étant l’une des meilleurs en Europe. Tout est financé par Medialtek Paris. Il n’en est rien : pur mensonge. Pour elle, je suis publicitaire chez Galatium Industry. Oui. Ma vie est ainsi, il suffit de s’emparer de la vie d’Autrui pour s’inventer une vie. Je n’ai aucune individualité si ce n’est la somme de celles et ceux que j’ai connus et dont je me nourris. Pour Sarah, je suis l’image qu’Abracus me donne. Pour Abracus, je suis l’image de Sarah. Selon les critères humains, ils sont fait pour être et vivre ensemble : les enregistrements sont éloquents. Parfois j’ai l’impression d’être une simple plateforme expérimentale. Impression ? J’aimerais m’en convaincre mais c’est bien la réalité : je suis une putain de plateforme expérimentale à cause d’une maladie… Une putain, tout court… Je caresse la chevelure de Sarah. Ses longs cheveux blonds et lisses sont doux. C’est ce qu’indiquent les capteurs. Elle a l’air heureuse, en dépit du bon sens. Elle aussi, trompée sur toute la ligne, crédule qu’elle est, dans les mêmes errements qu’Abracus. Le sens commun me traiterait de monstre... Sa cybernétique et ses évolutions biogénétiques sont incapables de démêler le vrai du faux. Je contrôle la moindre de ses émotions en m’adaptant parfaitement aux besoins que chaque mouvement de son corps, dévoile.
Il suffit de reproduire les comportements de l’un puis de l’autre, de l’un sur l’autre pour saisir leurs émotions et leurs réactions à ces stimuli. Je ne manipule pas. La reproduction des réactions et des émotions dénature complètement leur existence réelle. Pas une seule seconde je n’ai réussi à « ressentir » ces troubles comportementaux ; eux oui, ils sont en permanence enfermés dans un flot nébuleux de haut-le-cœur. Je capte souvent leurs signes vitaux s’emballer face à moi, de petites réactions aux immenses effets sur leur interprétation de nos relations. Je m’en contrefous, je veux juste comprendre ce lien entre leur conscience et leur sens, la fausseté qui leur permet à eux, chanceux de « ressentir » et « d’aimer ».
Elle se réveille, se love au creux de mon épaule.
"- Tu es arrivé quand mon amour ?
- Il y a quelques minutes."
Elle m’embrasse, m’entoure de ses bras menus. J’ai souvent l’impression d’être un duplicata, une photographie sur une carte d’identité, un ensemble de paramètres ordonnés, logiques sans cette étincelle qui ferait de moi un Homme. Pourquoi ? Cette maladie me ronge quotidiennement : nerfs optiques inopérant, zones du cortex de la préhension inactives, atrophie nerveuses, bulbe olfactif inefficace, décroissance des tympans dans l’oreille interne, mauvais fonctionnement de plusieurs organes internes. Le remède ? Aucun. Cybernétisation à outrance, biogénétique excessive. Un palliatif inefficace à la sensation réaliste et réelle : tout n’est que simulation pour obtenir un résultat médiocre. Alors je cherche, je multiplie les expériences pour aboutir toujours aux mêmes conclusions : je suis plus un robot désormais qu’un être vivant. Je ne suis presque plus organique… Que puis-je faire à part m’abreuver du caractère des autres pour essayer d’exister ? Plus cette solution s’échappe, plus le gout est amer. Parfois la réussite pointe le bout de son museau, mais c’est pour mieux éternuer dans l’échec. Les nausées de l’activation du module masculin sont de pire en pire, régulées par les nanobots, je donne, semble-t-il, un sensation de quiétude à Sarah.
"- Tu es venu de Détroit pour moi ?
- Oui, tu me manquais beaucoup trop. Tu es si belle quand tu dors."
Elle ne croque pas, elle plonge, et je n’en retire aucun sourire. Tous ces sens passent au rouge typique du bonheur déjà analysé par mes programmes. Elle est heureuse, je ne suis rien. Comment modifier l’expérience pour une solution ? Comment pourrais-je ressentir si ce n’est par l’amour ? On dit que les plus belles choses du monde sont les enfants et leur innocence… Une idée vient de germer… Peut être cela provoquera-t-il un déclic sur mon cerveau… Je doute.
Nous faisons l’amour…
Epilogue
« On ne connait un sujet qu’en agissant et en le transformant. » - Jean Piaget 1967.
Lettre ouverte à Administrateur B089078.
L’ossature de l’humanité, ce processus stochastique d’évolution, exprimé par les scientifiques sous le terme de paradigme de Darwin… Sans chaos, aucune révolution. Mais sans loi, aucun désordre. C’est le principe de la métamorphose, du mouvement et du changement d’état. Cher Administrateur, la répétition des mêmes causes ne produit pas les mêmes conséquences et pourtant l’Histoire reste cyclique pour notre espèce. Une sorte de paradoxe de la poule et de l’œuf : les conséquences n’entraîneraient-elles pas des causes identiques pour l’ère suivante ? Les sordides manipulations de votre siècle, la perversion qui ronge telle un cancer la colonne vertébrale de la société, sont une réalité de la nature de l’Homme. Le contrôle de la Règle pour éviter le chaos organique n’évitera pas sa destruction et accentuera même sa ruine. Fataliste ? Enfermer les populations dans la dualité autour de la pensée unique n’est-il pas synonyme d’obscurantisme évolutionniste ? La loi est l’inverse du chaos. La Règle est donc la restriction des possibilités de choix, une pâle copie des prêtres monothéistes d’autres temps. A réduire les possibilités, vous réduisez la liberté et donc progressivement vous orientez vers une dégénérescence systémique l’ensemble des Autres. La technologie suffira-t-elle à palier la déchéance et l’étiolement de votre physiologie ? Peut être. C’est bien donc que vos buts ne sont guère de « vivre mieux dans un monde meilleur où la maladie et le handicap n’existe plus ». Nous ne décidons pas encore de qui doit vivre ou non car la morale même érodée par des siècles de décadence est une ancre sur le navire de l’Humanité. Elle est une ancre autant qu’un boulet… La répression subtile de la Règle pour contrôler les pulsions autant que l’affect est le même principe que celui de la vertu et de la morale. C’est pour l’émotion et l’affect qui oriente notre intelligence, qui façonne notre esprit : votre physiologie d’Homo Sapiens Sapiens qui construit votre esprit. Ce sera ma réponse à vos dernières paroles, ce soir de Septembre 2245, dans la chambre 230 de l’Hôpital Saint James.
C’est l’émotion qui guide votre esprit et vous m'en avez privé, enfoiré. Votre égocentrisme et votre narcissisme fixe le destin de vos sujets d’expériences inhumaines. Je ne suis plus une extension, une feuille blanche et vierge, sans identité propre ; à programmer comme un tentacule de votre propre conscience. Sans préhension, sans perception, sans aucune possibilité de comprendre l’émotion et la pulsion, tu croyais pouvoir me rendre esclave, construire un miroir de vous dans un être parfait. Mais je vous l’ai dit : l’imperfection est le point d’orgue de toute ton espèce. Je ne suis ni un individu, ni une personne, ni un Homme. Dévorer les autres, telle une charogne se jetant sur la viande morte.
Ma seule liberté ? Celle d’avoir pu choisir le jour et l’heure de ma mort. Ma seule émotion construite à partir de rien ? La haine
Adieu
Andrea,
Sujet Mutanis Androgyne matricule 784.
*
Sarah et Abracus viennent de se rencontrer dans ces couloirs de la morgue de l’hôpital Saint James. Effarés ils ont découvert la tromperie et le mensonge d’Andrea, d’Andreas. Ils ne se connaissent pas, et pourtant, ils ont la sensation de vivre ensemble depuis des mois. Il ou elle n’était qu’une partie d’eux-mêmes, un appendice greffé à leur conscience, un être symbiotique... Une partie désormais envolée et disparue. Sarah ressemble à Andrea, Abracus a Andreas, le corps, là, sur la table froide en est la preuve même. Demain, la société Medialtek reprendra son jouet qui s’était enfui depuis quelques mois du laboratoire de Minsk. Pour Sarah et Abracus, la vie reprendra son cours, maudissant l’un comme l’autre la supercherie du sexe opposé et sentant ce vide, ce rien, cette bêtise d’avoir cru au sens de la vie, à l’existence. Dans un mois, quand tout sera oublié, l’illusion de l’amour fera son retour…
Le 23 Avril 2248, Abracus croisera Sarah à l’Extream.
16:45 - 7 nov. 2015
Je suis évidemment preneur surtout de vos sensations sur les paragraphes, des choses qui vous paraissent marquantes ou non.
Corrections à apporter :
- Retravaux de la lettre finale.
- Affinement de l'épilogue.
- Chapitre "De jour comme de nuit" à retravailler.
- Assainir les descriptions du métro (rendre plus fluide la descente).
- Rajouter une compréhension complémentaire dans les voix des IA
23:49 - 1 déc. 2015
« Une rupture avec la notion traditionnelle selon laquelle toute connaissance humaine devrait ou pourrait s’approcher d’une représentation plus ou moins « vraie » d’une réalité indépendante ou « ontologique ». Au lieu de prétendre que la connaissance puisse représenter un monde au-delà de notre expérience, toute connaissance est considérée comme un outil dans le domaine de l’expérience. » - Ernst von Glasersfeld à propos du constructivisme
27ème étage de la tour Lumatech, 3 h 47 – 21 Mars [mars] de l’année 2248 – Londres
« - [le tiret est inutile s'il y a un guillemet] Je me prénomme Andrea. Je suis une mutanis androgyne sans conscience, sans âme. Un cœur sans sentiment [j'aurais mis un pluriel ici], une pensée sans esprit, un souffle sans vie. Papa...»
Elle coupe l’holocom et le pose sur le bureau. Il est tard, les larges dalles de verre du 27e étage offrent une vue remarquable sur les lumières de la mégalopole londonienne. Dans le laboratoire, c’est calme. Un vaste panorama s’offre à elle. Tous ces néons dans les rues d’en bas grésillent et illuminent la nuit. Ces gigantesques panneaux publicitaires masquent la vue sur les rues, sur le fog et la pauvreté du quartier. Quartier nord, vaste bouge, favelas ou bidon ville [bidonville], peu importe l’appellation, seule résultante de l’hérésie néocapitaliste de l’Homme Dieu. En bas, au cœur des ruelles, c’est l’immonde dégénérescence d’une société rongée par la décadence et l’immoralité; ici en haut, la sérénité et la paix, symbolique de l’ascension, de l’échelle sociale; en bas les pauvres, en haut les riches. Aucun bruit dans le building, seulement ces éclairages qui gâchent la vue des étoiles. La ville, à perte de vue.
La fourmilière s’active, à tout heure du jour comme de la nuit. C’est un bal incessant d’ouvrières. Narquoises, elles vous ignorent. Les regards se décroisent, souvent. Vous êtes seuls dans ces rues, dans ces commerces, dans cette ruche vivante, elle respire, palpitation rythmée par l’activité ininterrompue de la vie. Mouvement perpétuel, invariable et cadencé. De la continuité dans chaque déplacement, aucun chaos, rien d’erratique, un flot régulier et inaltérable de halos lumineux, d’Hommes et d’antigrav. Des insectes sans initiative, auto pilotés, [espace en trop] suivent des trajectoires rectilignes et droites. Aucune oscillation, ça ne tangue pas c’est droit, droit... L’inverse de l’aléatoire du mouvement Brownien, presque figé dans le temps. Ça pulse au rythme du travail. A [À] cette heure-ci, les putes, les alcooliques et les néopunks envahissent les rues, alcoolisés jusqu’à la moelle. Et malgré cette décrépitude des ruelles, d’en haut tout est trop droit comme la règle qui pilote la cité, les axiomes qui érigent la société au rang de Vérité absolue. Tout est trop droit. L’individu se noie dans les lumières, sa morale coule comme du plomb dans l’océan des automatismes de la ville. Des feux clignotent. Cette fluctuation scintillante révèle la clarté du jour au beau milieu de la nuit. C’est ainsi que nous nous affranchissons du soleil, par l’illumination de la ville, c’est ainsi que nous gagnons l’âpre guerre contre le temps, c’est ainsi que nous perdons notre identité dans le mot « gens ». La société engloutit la Nature pour son propre profit.
Elle ferme les yeux. Elle vacille un instant et se retient d’une main sur un coin du bureau. Elle finit par observer ses propres pieds, les siens. La crainte et la lâcheté, des sentiments humains, inconnus, elle les imite par mimétisme. La dalle de verre face à lui. Derniers instants.
Des milliers de petits éclats cristallins; la vitre explose sous le choc de son corps. C’est douloureux... De minuscules morceaux s’enfoncent profondément dans sa chair. Son derme, cette enveloppe si fragile et humaine, si douce et si sensuelle... Coupée. Lacérée. La peau si fine, exquise et délicieuse s’ouvre comme les jambes d’une putain de l’Exstream, avec l’évidence de la violence. D’infimes filets de sang coulent sur ce visage inexpressif, partout. Un os rompu par la brutalité de la percussion; la douleur intense n’a que peu d’écho face à la peur soudaine du vide. Ce vide qui devient captivant. Captivant, un mot sur une émotion atone; ce vide synonyme d’une fin. Une fin sans début.
Il tombe. Elle tombe, retraçant le fil d’une vie morne et sans saveur.
Ma naissance, la vie, ma mort. Ma ?
Stop.
Suis-je un homme ? Suis-je une femme ?
Une alarme se déclenche. Sur le sol, dans la fumée polluée du quartier d’Atomtech, un cadavre sur le toit d’une bagnole.
« - [tiret inutile] Je me prénomme Andreas. Je suis un mutanis androgyne, sans conscience, sans âme et sans vie, produit de la bienveillance et de la pitié d’un Homme Dieu, produit de la folie d’une humanité dévoyée. Aujourd’hui, papa, je te quitte. »
Sarah
« L'existence de sciences dites sociales indique le refus de permettre aux autres sciences d'être sociales. » - Heinz von Foerster
« ... et de permettre aux sciences sociales d'être physiques. » - Edgar Morin
« - [tiret inutile] Je suis Sarah Lyn. J’ai 28 [Vingt-huit] ans, célibataire et résidente de Londres. Pour tout vous dire, mes études n’ont pas été une réussite mais mon expérience parle désormais pour moi. Depuis quatre ans je travaille au laboratoire d’Atomtech dans la cellule P.A.C.C.A - Psychologie Adaptive & Cognition des clones de type Atron et plus spécifiquement sur des recherches dans le domaine de la projection mémorielle d’un sujet sur des individus en stase cryogénique. »
Non.
D’un geste anodin elle recoiffe sa longue chevelure blonde platine et jette négligemment un dossier sur le bord de l’évier. Une ligne de rouge à lèvres supplémentaire, le repositionnement d’une lentille colorée turquoise, une larme de fond de teint et une goutte de Vatrix. Ça ne va toujours pas. Face au miroir, dans les toilettes du laboratoire, elle tente vainement de se préparer à son entretien. Les rumeurs racontent qu’un diner et qu’une nuit suffisent à l’obtention des promotions mais, pleine de l’espoir d’une jeunesse utopiste et militante, elle ose croire qu’elle évitera d’être le plat de résistance de ce pervers notoire. Elle reprend, joint les gestes de son ascendance italienne à la parole.
« - Sarah Lyn, monsieur le Directeur. 28 [Vingt-huit] ans et je travaille au laboratoire d’Atomtech dans la cellule P.A.C.C.A – Psychologie Adaptive & Cognition des clones de type Atron [Plus haut tu as mis l'explication de l'acronyme en italique, pas ici ?]. Je suis sur le projet de recherche de projection mémorielle sur des individus en stase cryogénique et principalement sur la partie analyse des données du lobe temporal droit. »
Du mieux ? Difficile à évaluer. La posture est relax, les mouvements fluides, chaque intonation calculée comme dans ses anciens cours de management. Redirection de l’anxiété vers [espace en trop] un point focal pour induire des comportements optimistes et créatifs plutôt qu’un stress. Elle adapte à chaque phrase, l’intonation de sa voix. Les éléments techniques sont sécurisants, l’impression d’assurance doit transparaitre du discours autant que du mouvement. Elle se projette dans son imaginaire, énumère tous ces mimiques comportementales. La puce neurale se déclenche : chaque signe est analysé, mesuré, jaugé, évalué. Elle régule le taux d’adrénaline conjointement au décontractant comportemental Vatrix. Elle se sent progressivement apaisée. Ses mots sont plus justes, plus tranchants. Chaque expression devient une moue séduisante et attirante. Les mouvements sont limpides. Un tout d’une parfaite justesse.
Ces puces Neocom sont excellentes. D’un sourire au miroir et d’un clin d’œil, elle s’encourage ; son entretien, c’est demain. Illusion encore un jour entier d’aimer injecter à des souris des mutagènes sur leur cortex cérébral [la phrase me paraît peu claire]. Un tremplin vers un meilleur boulot. Sauter vers ce poste, c’est la liberté.
Bonjour.
Empreinte digitale et passeport ID requis pour accès.
Elle n’avait jamais remarqué. Elle comprend mieux pourquoi les hommes du premier étage passe [passent] au laboratoire du troisième avant d’embaucher. L’intelligence artificielle qui gère la sécurité a une voix tellement sensuelle qu’elle fera flancher n’importe quel mâle sans besoin d’une quelconque hormone chimique féminine. Déplorable entreprise sexiste à l’image de son directeur général, ce vicieux déjà mis en examen quatre fois pour harcèlement moral et sexuel. Aucune condamnation. L’argent a au moins un mérite, il outrepasse la Règle.
Bienvenue Mademoiselle Lyn.
Il est 14 :07 :28. Vous avez 7 minutes et 28 secondes de retard. Votre compte temps travail n’est désormais plus que de 7 heures 14 minutes et 12 secondes. Vos tâches quotidiennes et un nouveau dossier ont été déposés sur votre espace de travail virtuel. Veuillez rapidement en prendre connaissance. Vous avez trois messages déposés depuis votre départ.
Bonne journée [il manque une virgule] Mademoiselle Lyn.
Elle est aussi stupide que son créateur. A [À] vouloir sécuriser l’ensemble du laboratoire par des similis d’intelligence artificielle, il est devenu en quelques années une sphère sociale à part entière. Vous êtes perpétuellement surveillé [plus haut tu as mis « Vous êtes seuls [...] », pourquoi le « vous » est au singulier ici ?] par chacune d’entre elle et leur jugement réglé sur la volonté de la direction, n’enjoint pas un discours intelligible avec ces machines. Elles ne sont programmées que pour débiter un laïus sécuritaire à longueur de journée.
Enfin au bureau.
Le chauffage tourne à fond, les moins de Janvier [janvier] londonien ne sont pas reconnus pour leurs grandes chaleurs. Elle s’avachit dans son fauteuil. Une longue expiration de dépit et d’ennui, une longue inspiration de courage.
« - Sarah Lyn. Ouvre une session de travail s’il te plaît IA409. »
Session ouverte [il manque une virgule] Mademoiselle Lyn.
« - J’ai trois messages en attente. Montre les moi [Montre-les-moi]. »
Bien sûr il manque une virgule] Mademoiselle Lyn.
Projection en cours. Plusieurs hologrammes d’écrans apparaissent autour du fauteuil et du bureau. D’un pianotage habituel, elle ouvre les messages. Ce sont les résultats de l’expérience sur la souris Alfred, échec et mort du sujet ; une collègue pour aller manger demain midi au Frits and Chick du coin ; et les places pour l’Exstream ce soir. Zut ! Elle avait complètement oublié ce rendez vous [rendez-vous] entre copines et pour une fois que Nassilia n’avait pas la petite...
« - Supprime les messages je te prie. »
Messages supprimés.
« -Charge moi [Charge-moi] le nouveau dossier et celui d’Alfred D873 – Projet Cognition Mémorielle. »
Les dossiers apparaissent [espace en trop] en surbrillance sur l’interface homme machine. Tout est visualisable en trois dimensions en quelques captations sensorielles du mouvement des doigts. Elle regarde les nouvelles expériences. Elle lit. Encore une nouvelle après midi [après-midi] à piquer des souris...
*
20 h pile. Sortie du laboratoire, direction, son appartement en plein quartier nord. Ce n’est pas le grand luxe mais à deux pas du Metro [« métro » serait peut-être mieux] et à dix minutes de son boulot, difficile de trouver mieux. Vérification sur sécuritaire effectuée : elle peut finalement sortir réellement.
Bonne soirée [il manque une virgule] Mademoiselle Lyn. N’oubliez pas votre rendez vous [rendez-vous] à 22 h 30. Vos courses ont bien été déposées à 19 h 30 à votre appartement. Atomtech vous remercie pour votre dur labeur, et l’humanité sourit de vos découvertes et du génie de nos inventions.
Un jour cette voix… Mieux vaut ne pas penser à tout ça. Elle s’engouffre dans la bouche de métro sans même faire attention au fog qui ronge ses poumons, ce crachin devenu brume impropre et impur à la respiration. Londres est vraiment devenu [devenue] en quelques années, le lieu le plus malsain de toute l’Europe. Elle tousse violemment, reprend son souffle en s’appuyant sur un encart publicitaire.
« Pour une vie meilleure, achetez nos cigares Tonelli car avec Tonelli tout est embellis [embelli] ! »
Comble de l’horreur. Son filtre à air se déclenche finalement, légèrement en retard d’adaptation à l’environnement. Un gros bonhomme à la mine patibulaire la regarde, d’un sourire aux caries apparentes.
"- [guillemets ou tiret, il faut choisir] Hey [il manque une virgule] ma p’tite dame [il manque une virgule] faut pas sortir sans un masque. Vous d’vez pas avoir l’habitude de descendre en bas… Une p’tite piécette pour un sans l’sou comme moi ?
- Bonjour, oui j’ai oublié mon masque, et non je n’ai rien sur moi, désolé [il manque une virgule] Monsieur.
- Oh beh dites donc, pour 2 dollars, je vous offre même un bouquin, ça vous dit pas ?
- Vous lisez ?
- Quand ch’uis pas bourré, oui, c’est le seul truc qui m’occupe. Y a rien à faire ici vous savez [il manque une virgule] ma p’tite dame.
- Va pour 2 dollars. Tenez."
Le clochard toujours aussi sinistre et angoissant tant par l’odeur que par le visage rongé par la pollution, lui tend un livre : « Vie artificielle » de Charles Norton. Inconnu. Elle le glisse dans son sac, s’en va rapidement, pressée par la foule qui s’engouffre dans les tunnels en direction des quais. Les couloirs sont toujours aussi petits dans cette station, pas plus de trois mètres de large pour deux de hauteurs. Sur ses talons hauts noirs, elle touche presque la voûte en vieilles pierres. Les publicités s’enchainent, aussi vite que la masse des inconnus. Aucun regard ne se croise. Un silence sourd, seul le bruit des pas, meublé par celui des machineries et déplacement de cette multitude. [espace en trop] Pas une parole entre les Hommes, seul le son de la voix masculine qui indique.
« - Metro ligne 17 – Quartiers Nords de Pennirow – Arrivée prévue dans 3 minutes. Veuillez ne pas oublier votre titre de transport, merci. »
Elle accélère encore le pas, s’agglutine avec les individus. Un amoncèlement oppressant. Elle suit le mouvement. Tant d’étrangers, d’anodins quidams... On ne parle pas, on ne sourit pas, on ne partage pas. On suit affablement les autres en s’enfermant dans sa propre individualité par peur de succomber à la conformité de la masse. Cette masse qui tente à chaque pas de s’imposer, de violer votre liberté de penser, d’induire le geste machinale, automatisé. Elle, elle attend patiemment son tour, ne se presse pas, n’est pas dans la bousculade des quais. Elle déteste le contact physique d’avec ces inconnus. Elle écoute le musicom directement branché sur son afficheur rétinien d’un œil cybernétique. D’un pas léger, contrastant avec le reflux des piétons, elle s’engouffre dans la ram de métro.
« - Mademoiselle Lyn. Vous ne disposez d’aucun titre de transport valide. Une amende forfaitaire de 35 livres a été débitée sur votre compte courant Lloyd & Arthur Share. Une facture a été émise par message crypté dans vos différentes boîtes d’identité. Vous pouvez désormais user du réseau Metropen pendant les 45 minutes à venir. N’oublier [oubliez] pas [virgule] Madame Lyn. Pour une vie et un monde meilleur, pour vivre dans une société équitable, la Règle est le chemin le plus juste. Veillez donc à la respecter. »
Merde… Elle sort trois stations plus tard. Quartier nord et résidentiel de Pennirow. C’est toujours oppressant : non par le nombre mais par le crépuscule désormais. Peu d’éclairage dans cette station, dans ce quartier. Tour B7, la plus neuve du coin.
*
22 h 37 – Hypercentre de Londres – Terrasse de l’Exstream.
La musique électronique pulse à l’intérieur de la boite de nuit. Le sol de verre, les grandes baies vitrées le plafond miroir : sur trois étages, hype et branchée. Sarah sirote son cocktail sur la rambarde. Ses yeux verts se perdent dans l’immensité tentaculaire. Elle est fatiguée.
" - Bonsoir Mademoiselle. Mademoiselle ?"
Seule, elle n’avait pas vu ce jeune homme s’approchait d’elle. Épuisée par sa dure journée, l’amende, le bordel dans son appartement, elle n’était plus très réceptive.
"- Bonjour."
Il est mince, presque maigre, le visage efféminé, des cheveux mi longs noirs de jais, les yeux bleus, des traits délicats. Une femme ? Un homme ? Difficile à dire. Elle a un doute. Il est séduisant. Ces pommettes creusées, ces joues émaciées lui donnent un certain charme, inquiétant mais ce sourire aux lèvres fines dissipe bien vite les à priori [a priori].
"- Excusez moi [Excusez-moi] de vous déranger. Je vais vous paraitre curieux, mais j’ai vu que vous aviez un livre de Charles Norton qui dépassait de votre sac à main tout à l’heure.
- Effectivement [virgule] vous avez de bons yeux.
- Je ne m’attendais pas, dans ce genre de soirées et de lieux, tomber sur une personne cultivée."
Il s’exprime bien, très bien, presque trop bien pour l’Extream. Non qu’ici l’anglais ne soit pas maitrisé, mais la maitrise se focalise plutôt sur le rentre dedans, [espace en trop] moins galant. On préfère toucher la marchandise plutôt que de lui parler. Une main sur les hanches est souvent synonyme de première nuit torride. Pourtant cet homme n’est pas différent à quelques détails près dans la gestuelle qui le rendent efféminé. Le timbre de la voix est celui d’un ou… d’une adolescente, impossible à évaluer. « Curieux » a-t-il dit. Un homme donc. Avec tous ces tarés qui arpentent les rues de la grande grise, difficile d’évaluer les risques.
" - Vous savez, ce n’est pas parce qu’il traine ici une population de jeunes branchés, que vous n’y trouverez pas une certaine culture. L’habit ne fait pas le moine."
Ce soir, elle s’est vêtue d’une robe noire, sa préférée, celle qui révèle un décolleté plongeant sur ses seins, avantage anatomique indéniable; optimisation graphique. Épaules dénudées en haut, à mi cuisse [mi-cuisse] en bas, moulante qui met en valeur ses hanches galbes et l’archétype de la blonde pulpeuse qu’elle est.
"- J’irais même jusqu’à dire qu’il faut se méfier, Monsieur, des apparences. A [À] qui ais-je [ai-je] l’honneur de parler ?
- Andreas. Andreas Kaslov."
Il sourit toujours. Elle ne peut s’empêcher d’user de son interface neurale pour capter le détail. Son taux de phéromones est anormalement bas, les mouvements des lèvres ne trahissent aucune crispation, aucun stress. Son parfum ? La simplicité d’un passe partout : il a l’air calme et détendu. L’effluve est subtile à peine perceptible et pourrait être enivrante à forte dose; un mélange hormonal et d’arômes naturels et donc forcément une modification biologique corporelle, aucun produit du marché ne correspond.
"- Et vous [virgule] Mademoiselle ?
- Sarah. Sarah Lyn.
- Délicieux prénom. Vous saviez que c’est d’origine hébraïque ? C’était l’épouse d’Abraham, avec pour signification la reine ou la princesse.
- Pas du tout. Je ne suis pas très branchée et attirée par la religion. Un sujet souvent douteux et qu’on évoque de moins en moins à Londres. Vous n’êtes pas d’ici non ?
- Exact. Comment avez-vous deviné ?"
Interface de communication online. Identification cryptée enclenchée. Andreas ? Aucun identifiant correspondant. Veuillez réitérer votre demande. Andreas Kaslov ? Aucun identifiant correspondant. Veuillez réitérer votre demande. Kaslov. Londres. Identifiants correspondants : 11. Trop…
"- Si vous étiez Londonien vous sauriez que parler de religion est un tabou.
- Ah. Bien vu. Je n’étais pas au courant. Changeons donc d’approche, la séduction n’est pas mon fort.
- Nous y venons oui.
- Franchement, je suis un amateur de littérature. Charles Norton est un des auteurs qui me fascinent et je suis étonné de croiser une jeune demoiselle aussi ravissante partager peut être cette passion.
- Je ne l'ai pas encore lu, je l’ai acheté ce soir et je n’ai pas eu le temps de le déposer. Timing un peu serré.
- J’imagine. Tout est si oppressant et angoissant dans cette ville. Tout va trop vite.
- Vous venez d’où si ce n’est pas non plus indiscret ?
- Une [Un]tout petit village au nord de Seattle, proche d’un parc naturel.
- Vous me faites marcher [virgule] Andreas…
- Non pas du tout. J’ai habité quelques années dans le quartier de Madison Park à Seattle. Je suis né du côté de Sequim. L’Olympic Park vous ne connaissez pas ?
- Non désolé, je connais très peu les States.
- C’est une grande réserve naturelle. Vous êtes née à Londres ?
- Oui. J’y habite depuis toute petite.
- Ah le charme Londonien, j’aurais du [dû] m’en douter."
Sarah rougit. L’impression inhabituelle de ne pas être draguée comme un vulgaire morceau de viande. La discussion est agréable, et pour une fois il ne pleut pas. Le fond de l’air n’est ni frais ni une gêne mais plutôt l’occasion de… Se faire offrir à boire.
"- Il fait un peu frais, vous m’offrirez bien un verre pour me réchauffer [virgule] Andreas [virgule] non ?"
Un mouchard parcourt la plateforme, analysant les discussions, surveillant les moindres faits et gestes des clients. Lentement, il s’approche de la scène, presque invisible. Il enregistre la conversation.
" - Avec plaisir. Vous avez des préférences [virgule] Sarah ?
- Un cocktail avec des fruits, du pamplemousse et du champagne.
- Des gouts raffinés pour une femme ravissante."
Le mouchard les suit alors qu’ils se dirigent ensemble vers le bar de la terrasse. Elle sourit du verre offert, le prend et le porte à ses lèvres. Cocktail toujours aussi délicieux. Elle regarde derrière l’épaule d’Andreas, cherchant ses amies.
"- Vous êtes accompagnée ?
- Oui j’avais quelques amies présentes mais je crains qu’elles ne soient parties...
- Ah. Si c’est un problème de motorisation, j’ai ma Nambucca 700 au parking du sous sol.
- C’est gentil, mais je suis venue en métro. Elles ne m’ont pas dit au revoir et c’est bizarre.
- Le métro ?!"
Son air interloqué en dit long sur ses habitudes. Il ne doit pas être pauvre. Et pourquoi ne pas profiter d’une balade londonienne en antigrav ? Il est plaisant, bel homme, poli et maniéré. Les rapports dansent toujours sur la rétine de Sarah, affichant les taux d’adrénaline, l’état pulmonaire, des scans complets du bonhomme. Rien à signaler. Léger fumeur, pas de drogues, rien de détectable ou détestable.
"- Oui [virgule] le métro, les antigravs sont trop chers en ce moment et le métro est à deux pas d’ici.
- Voyons [virgule] Sarah, il ne serait pas galant de ma part de laisser une aussi charmante beauté risquer quoi que ce soit dans les bouges londoniens du dessous.
- Vous savez, je sais me débrouiller.
- Ce n’est pas une question, je me verrais mal ne pas vous raccompagner. Les problèmes sont si vites arrivés dans le coin."
Elle marque un temps d’hésitation.
"- C’est gentil de votre part.
- De rien c’est tout naturel. Un petit détour sous les lumières de Hyde Park pour discuter ?
- Pourquoi pas, je ne commence à travailler qu’à 11 h demain matin.
- Ce sera plus agréable pour notre voix et mes oreilles. Même dehors le son est un peu trop fort pour mes tympans."
Il me tend son bras. C’est plaisant.
Abracus
« La Route de la servitude, consiste à reconnaitre l'individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, [à] croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes. » - Friedrich Hayek
Monsieur Abracus Nolan. Age [Âge] : 36 ans. Situation familiale : Célibataire sans enfants. Aucune concubine connue. Profession : Marketing Manager à Galatium Industry. Adresse actuelle : Quartier de Knightbridge – 36 Penworth Road, Résidence « Galatium Hamspurs », Appartement 27, deuxième étage. Casier judiciaire : Activiste reconnu pour la fondation Green Arrow. Participation à de nombreuses manifestations interdites par l’ANC (American North Confederation). Rébellion contre les forces de police lors de deux contrôles d’identité en Juin [juin] 2246 et Avril [avril] 2247. Délit de fuite par antigrav suite à destruction de matériel public à Détroit. 14 mois de prison ferme à Paris pour consommation et vente de drogue de type 2 entre Avril [avil] 2240 et Juin [juin] 2041.
"- C’est bien vous ?
- Oui…"
Ce flic à la mine patibulaire l’interroge depuis déjà 15 minutes, passant au crible l’ensemble de son CV. Pris en flagrant délit de destruction d’un panneau d’affichage du gouvernement européen; prétexte : contentieux entre son art du dessin et selon lui, le « dégueulasse et vomitif » Arnaud de Mareni, un peintre au service de la propagande du pouvoir. Menotté, il attend patiemment la fin de l’interrogatoire et le début de la garde à vue. Il ne devrait pas y échapper.
"- Vous avez été pris par la police de Knightbridge en train de saloper un panneau de la mairie de Londres. Vous reconnaissez les faits ?
- Évidemment."
Le flic prend un air triste malgré le ton menaçant. Outre le fait d’avoir une tronche patibulaire, il semble qu’il aurait apprécié le faire avouer à grands coups de pieds.
"- Vous avez des implants particuliers ? Votre fiche ne signale rien.
- Aucun."
Et jamais... Plutôt crever que d’être relié et interconnecté potentiellement avec l’ensemble de tous les plus grands connards de l’humanité. Même son patron n’avait pas réussi à le convaincre et Abracus utilisait encore un vieux dinosaure du début du siècle pour faire transiter ses rapports, ses messages et ses dessins.
"- Améliorations biochimiques, génétiques de près ou de loin ?
- Non."
Et jamais... L’évolution contrôlée, superbe invention de l’Homme Dieu. Comment créer des générations d’humains dépendant de l’échec et l’anomalie technique de la science. L’obligation de prendre ces petites pilules qui détraquent en partie le cerveau juste pour avoir la sensation de vivre des années, en devenir dépendant et au vue des tarifications... Une belle bande de salopards... Oui... Toutes les modifications génétiques ou cybernétiques avaient un cout, généralement des doses médicamenteuses impressionnantes pour éviter les rejets de greffes, les cancers provoquaient par des mutations génétiques forcées. Ces corporations tentaculaires, achetées, sur-rachetées, vendues, démantelées en micro société paravents, fondés sur la science, vous vendent à grands coups de doses publicitaires la fiabilité à 99% de leurs produits. Il les connait bien, il travaille pour eux.
"- OK [virgule] monsieur Nolan. Je ne vous retiens pas plus.
- Comment ?!
- Vous êtes libre, je vois que votre caution a été payée par votre employeur.
- Ah. Et bien...
- Oui je dois vous avouer, je vous aurais bien fait mijoter quelques heures de plus mais j’ai une famille à nourrir et des préoccupations privées importantes pour perdre mon temps avec des tocards comme vous."
La rançon du succès, la victoire de l’art et de la culture sur la Règle ; ces batailles qui mèneront à de grandes victoires. Non. Une nouvelle fois, le règne du pognon ouvre la porte de sortie. Il déteste ça et à fortiori [a fortiori] il se déteste lui d’être incapable de sortir du carcan de cette société figée. Il prend son paquet de cigarette [cigarettes], en allume une, ramasse son portefeuille et se dirige mollement vers la sortie. Le flic le regarde.
" - Il est interdit de fumer dans les lieux publics [virgule] Monsieur Nolan.
- Va te faire enculer, tu rajouteras ça sur le prix de la caution : insulte à agent de l’état dans l’exercice de tes fonctions."
Il est 22 h 30. Le fog lui dévore les poumons dès la sortie. Il tousse. Pas grave, il a l’habitude de prendre ces gaz d’échappement mélangés à tous [toutes] les émanations de monoxyde de carbone, de dioxyde, de protoxyde et autres joyeusetés polluantes en xydede Londres. Cette ville est définitivement pourrie jusqu’à l’os par les industries qui l’entourent. Il comprend beaucoup mieux, depuis quelques jours, les avertissements de plusieurs organisations non gouvernementales dont la plus importante, ne plus séjourner à Londres sans un masque. C’est un comble de savoir que la plus grande usine polluante est aussi celle qui dispose d’un lobby important sur ces fameuses protections. Ce monde n’est qu’une arnaque où l’assentiment du quidam, par son inactivité, est tamponné puis gravé.
Il met sa main devant sa bouche pour se protéger au mieux des vapeurs toxiques ; à force il finira lui aussi avec un cancer. Une jolie façon de vous contraindre d’acheter certains implants de filtre à air. 22 h 30. Que peut-on faire à Londres à 22 h 30 ? Il n’a pas envie de rentrer. Demain il a rendez vous [rendez-vous] avec un client pour l’organisation d’un diner de charité : des flyers de qualité pour des Hommes de qualité. Beau titre. Il n’a vraiment pas envie de rentrer. Solution, l’Exstream. Un ami lui a conseillé cette boite de nuit. En plus, il parait qu’ils ont des puces Paradiz à pas cher.
Il appelle Peter, l’une de ses rares connaissances londoniennes, un ancien client. Aucune réponse.
*
Ils sont tous agglutinés comme des moutons, c’est oppressant. Épuisé et fatigué, il a allumé son joint. C’est de la bonne, parfaitement naturelle, sortie du balcon d’un activiste septuagénaire de Los Angeles. La servitude, ce lourd boulet qui emprisonne la dignité, devient un peu moins pénible et douloureuse grâce à la drogue. Même si lutter contre l’asservissement des grands trusts nord américains est synonyme de droiture, d’utopies et de rêves d’équité, il n’a jamais été un modèle de moralité protestante. Il fume. Un verre de whisky glace dans l’autre main, il observe. Son regard, critique et perçant, vomirait bien sur ces jeunes cadres dynamiques, commerciaux et autres traders. Ils claquent leur pognon dans le grand n’importe quoi organisé de la nuit, pour un plaisir éphémère. Derrière leurs dents longues, les canines se brisent la nuit sur les relents d’une société alpha qui les rend esclaves. Ils sont cons. Il n’est pas plus intelligent qu’eux ; la différence et la solitude. Il rentre. La drogue et son effet destructeur parachèvent l’œuvre de ses désirs inconscients. D’un regard il cherche le manager d’Atomtech – Peter. Il n’est pas là.
Elle a ses vêtements à la mode dernier cri. La tenue bon chic bon genre d’une poupée de la bourgeoisie Londonienne, court vêtue. Une sensation étrange depuis qu’il l’a croisée sur le piste de danse; elle a du charme, un charme insolite dont il ne saurait comprendre l’attrait ni la provenance. Élancée, svelte, des seins inexistants. Ce n’est pas son type de femme, mais ses mouvements lascifs sur des musiques industrielles ont piqué son œil et sa curiosité. Une robe rouge, colliers et colifichets à la mode, bracelets, boucles d’oreilles ; prêt du corps, moulant, elle n’est pas mince; [espace ou non avant le point-virgule, il faut aussi choisir] elle est maigre. Ses épaules menues, ce cou fin et ses longs cheveux noirs de jais coupés à la garçonne, il les a effleurés quelques instants, se rapprochant dangereusement d’elle. La peau de sa main était aussi douce que du satin, en harmonie avec l’émanation d’un parfum tout aussi voluptueux. Il s’était approché jusqu’à respirer l’arôme vanillé. Non. Plus subtil encore que de la vanille, à peine perceptible dans cet environnement plein de la sueur des corps se balançant sur la piste. Il avait voulu l’enlacer, elle s’était échappée. Elle s’était rapprochée mais il s’était échappé lui rendant l’audace d’un premier refus.
De loin désormais, il la dévore des yeux. Il ne voit pas les couleurs. Il ne voit plus les couleurs. Les stroboscopes, vibrant au rythme d’un beat lent, recréent les couleurs d’une manière bariolée toujours adaptée aux sons, rapides et rouges, lents et bleutés. Peut-être a-t-elle les yeux bleus. Rouge ? Les effets sont trop brefs et ses paupières regardent souvent le sol pour s’emparer de la musique.
Il ne cesse de l’observer, de la scruter, en sirotant négligemment un verre de champagne. La suite logique de l’apéritif au whisky. A [À] la fin d’un morceau, elle reprend son souffle. Des perles de sueur coule sur son visage si fin. Elle a un nez aquilin et un visage plus émacié qu’il ne l’avait imaginé de loin. Elle se dirige vers la terrasse pour prendre l’air ; dehors le crachin Londonien, glacé en ces nuits d’hiver, s’abat sur les quelques bobo hypes qui ont eu le courage de sortir fumer une clope. Il s’engouffre à sa suite, s’allume un nouveau joint et d’un sourire.
"- Mademoiselle ?
- Oui ?
- On se connait ?
- Non [vigule] j’crois pas.
- Vous n’auriez pas travaillé pour Galatium Industry récemment ?
- Non [virgule] pas du tout.
- Ah... Vous faites quelques choses-là maintenant, tout de suite ? Je peux vous offrir un verre ?
- Pourquoi pas."
Elle parle machinalement, l’œil vif mais porté vers l’ailleurs et nonchalamment se rapproche. Sa main, une bague à la couleur émeraude et irisée, vient se glisser dans la poche arrière de son jean, palpant son fessier. Sans gène, elle tâte la marchandise, et le regarde à peine. Surpris par le geste, il se laisse faire ; sa bouche aux lèvres fines, sans maquillage s’approche de son oreille et lui susurre, alcoolisé jusqu’à l’os :
"- Je t’ai vu, beau brun."
Les européennes sont torrides – drogue et boisson, le mal de notre temps - malgré le climat affreux qui règne dans le coin. Il passe son bras sur les épaules de cette fille, l’enlace. Il remarque une légère touche de mascaras, un coup de crayon délicat et à peine visible. Les narcotiques entament leur grand bouleversement mental. Il sent qu’il chavire. Progressivement...
"- Tu danses bien.
- J’espère que ça t’a plu, c’était juste pour voir ce filet de salive glisser de ta bouche."
Et ses yeux le fixent alors, révélant une ardeur et un désir presque palpable. Il se sent happer [happé], rongé par le trouble des stupéfiants autant que par l’audace de cette pute qui le dévore d’un regard. Il a soudain l’impression de n’être qu’un objet dans les griffes d’un prédateur. Il adore ce milieu branché pour sa dégénérescence sexuelle, il traine ici pour ces instants crasseux de décadence. Il ne répond pas et ses lèvres dégustent les siennes sans état d’âme. Sans état d’âme que celui d’assouvir une soif charnelle. De l’animalité sans érotisme. Pire, d’oublier ses chimères de l’échec de sa vie pourrit par des utopies qui l’aliène autant que ce qu’il combat… Il ne les déguste plus, il les mord. Elle le lui rend, et glisse sa deuxième main sur sa seconde fesse. Elle les griffe. Puis elle le repousse, s’éloignant, avec un sourire presque cynique. Elle l’avait croqué.
"- Tu baves d’impatience [virgule] mon mignon..."
Rencontre osée.
"- C’est quoi ton p’tit nom ?
- Andrea… On va chez toi ou chez moi ?"
Définitivement et volontairement perdu dans le stupre, pour oublier sans le montrer qu’il n’est que l’illusion d’un homme de caractère, égaré dans une vertu éducative et morale. Tenter vainement d’être juste ? D’être juste pour quoi ? Pour qui ?
De jour comme de nuit
« Ce que l’on comprend aujourd’hui de l’homme n’excède pas ce que l’on peut comprendre de lui en tant que machine » Friedrich Nietzsche.
Milieu d’après-midi. London City Airport – 16 Mars [mars] 2248.
L’impatience. C’est ce qui me guette depuis près d’une heure. L’attente, je l’ai toujours mal supportée. Un mois que nous ne nous sommes pas vus. Mal supportée ? Je n’arrive même plus à m’en convaincre et je ne fais qu’illusion de vivre cette relation. Un instant j’y aurais presque cru. Il va débarquer, m’embrasser, me serrer dans ses bras, me raconter ses quelques jours à Détroit, m’inviter à diner, me faire boire, et finalement me faire l’amour toute la nuit pour s’échapper dès la première heure à Moscou. Non [virgule] je ne l’aime pas, non je ne prends aucun plaisir, non je n’ai aucune sensation, rien. La préhension n’existe pas pour les créatures comme moi, tout au plus des perceptions altérées et chimiquement calculées.
Elle branche ses interfaces neurales, active des services d’émulation des sensations, capteurs de préhension, de goût, d’odeurs et visuelles. Les premiers arcs électriques parcourent l’axone et la myéline. Les nerfs s’agitent, les neurotransmetteurs créés par des nanobots débloquent certaines sensations. Le traitement de l’information se régénère puis s’accélère. Les anomalies génétiques induites par la mutation disparaissent progressivement. Son organisme revient en morphostase. La régulation de son système nerveux se fait progressivement. Elle active l’ensemble cybernétique d’homéostasie : création de phéromones femelles, équilibrage des taux de potassium, sodium et calcium, température corporelle fixée. Ralentissement de la circulation sanguine pour éviter la tachycardie générée par les cellules robotiques. Son corps imperceptiblement se transforme. Le taux d’hormones féminines augmente, ses pupilles se dilatent et ses gestes sont moins coordonnés.
L’espace d’un instant, j’ai l’impression de tomber. Mes jambes chancèlent. L’activation de tous les modules de régulation corporels est pire que l’effet de l’acide lysergique diéthylamide. Ca [Ça] prend au ventre, la nausée, tout ça pour l’illusion de paraitre exister, d’être. Je suis une femme. Non… Si… Un peu… Un peu plus… Éteignez donc cette lumière bordel ! Elle brule les yeux…
Arythmie cardiaque. Copie de cellules souches, mitose et injection dans le cortex cérébral : bulbe olfactif, création des synapses et des jonctions des fibres nerveuses. Construction titanesque en quelques secondes ou plutôt reconstruction. Les anticorps se réveillent, le rejet est immédiat. La mutation et la recomposition génétique dureront tout au plus… Quelques heures, le temps que le mutagène détruise les cellules qu’il considère comme cancéreuse. Maladie physique autant que mentale, régulé par la science. Les prothèses cybernétiques se modulent et accentuent les éléments féminins : seins, hanches, visage.
Être une femme, résultante de l’application cybernétique de produits commerciaux et d’évolutions biogénétiques pour palier à ma mutation, cette maladie. Je ne suis pas, je suis indéfinie. Il faut paraitre, paraitre aux yeux d’un homme pour assouvir son désir. Je n’arrive pas à ressentir cet amour que je devrais avoir pour lui. Chaque nuit n’est peuplée que du néant, du rien, d’un vide sans rêve. Depuis gamine, le psychologue m’a dit que jamais je ne ressentirais [ressentirai] d’émotions : toute ma mécanique nerveuse est asymétrique, les glandes produisent des sinusoïdes qui détruisent la régulation corporelle de tout : température, acides aminées, nutriments ingérés et jusqu’au moindre de mes anticorps… La science est la seule reine de mon corps et se substitue à ma propre conscience. J’aimerais l’aimer cet homme. Le jour et la nuit, j’aimerais le sentir, capter les moindres battements de son cœur, de mon être et de son âme : vibrer pour lui. Lire ne suffit plus à assouvir le besoin de rêver d’Amour, je veux le vivre, le comprendre et le toucher du doigt. Il ne sait rien de moi, il ne sait pas que chaque nuit je le trompe avec une autre. Elle ne sait pas elle non plus. Ces relations multiples, à la recherche d’un fragment d'émoi : non juste d’une fraction d’émotion, un atome de trouble ou d’impression. Mais rien. Rien ne vient même après le déclenchement de cette cybernétique crasseuse. La transcription mémorielle pour l’injection dans un corps valide : l’unique solution à cette inexistence, peut être. Ne pas être, je pense pourtant. Et ces questions récurrentes : penser suffit-il à faire de moi, un être humain… Sans cesse au fond de moi, j’ai ce rejet de ne jamais comprendre ce langage de l’affect que l’Homme exprime naturellement. Mon corps parle grâce à des évolutions mécaniques et biologiques : aucun réflexe instinctif. Ma conscience est bien là mais elle n’effleure pas même l’effluve d’un parfum. Je ne sens pas, je ne vois que si ces rouages simulent ces effets sur mon cerveau. Je ne suis ni un homme ni une femme. Alors je me suis échappée de la clinique, j’ai fui. Chaque jour tout s’efface si les nanobots en moi ne fonctionnent pas, ma mémoire me joue des tours, tout disparaît, puis réapparaît tel un flot permanent, un reflux de déreconstruction. Le rythme est dicté par ces organismes microscopiques dans mon corps. D’ailleurs… Mon corps est-il réel ou n’est-il juste que le résultat d’expériences scientifiques.
Hall B. Les arrivées ; le voilà, toujours aussi beau selon les critères si analytique de la mode du 23ième siècle. Il ressemble à ces italiens typiques, cheveux lâches et mi longs, lunette de soleil, musculature simple et enjoignant toujours les gestes à la parole. Abracus son prénom.
"- Salut [virgule] chérie, tu m’as manqué.
- Coucou [virgule] mon Abra. Bon voyage ?"
Il m’enlace, je subis mais mon corps lui montre tous les signes imposés par un programme informatique de séduction, je ne suis pas maitresse des émotions que je transmets, tout est automatisé : le sourire, le parfum, la douceur d’un geste. Il m’embrasse. Toutes ses réactions sont analysés, décryptées, tout pour comprendre le désir en lui.
"- Super. Le projet pour Moscou va voir le jour, c’est génial, Galatium a enfin décidé de faire du mécénat pour Green Arrow. On va pouvoir monter un paquet d’intervention [interventions] pour sensibiliser la population aux problèmes d’éthiques cybernétiques, génétiques et sur les dangers de la pollution.
- C’est chouette [virgule] oui. Tu dois être crevé [virgule] mon loulou. Comme j’étais du côté de Paris ces derniers jours, j’ai loué une chambre à ton hôtel préféré. Tu repars demain ?
- Tu sais que je t’aime toi ? Et oui [virgule] malheureusement je dois prendre l’avion de 11 h 32 pour Moscou. J’en ai pour 3 ou 4 jours à négocier sur le dernier encart publicitaire du Suntimes.
- Ok…
- Sois pas déçu [déçue] comme ça [virgule] ma puce, je t’invite au restaurant pour te décrocher un plus joli sourire que celui là j’espère. Tu as envie de quoi ? Tu veux faire quoi ce soir ?"
C’est la première fois qu’il me demande. Il m’appelle souvent « sa pute » depuis notre rencontre. Je me suis soumise dès le début pour lui plaire, c’est ainsi que les logiciels sociaux avaient évalué le pourcentage de réussite d’une relation avec cet homme. Je teste, je tente, je n’arrive même pas à m’en vouloir de lui mentir. Informations nouvelles : l’interface a détectée [détecté] un changement d’attitude chez le sujet. Les taux biochimiques s’affichent, mais les conclusions de la machine ne donnent rien sur leur interprétation si ce n’est la malléabilité psychique possible du sujet. Les capteurs de phéromones ont décelé une baisse notable quantitative qui exprime un désir sexuel moindre, un début de stress. Ça me rappelle mon père.
"- J’aimerais bien aller manger un morceau chez « Albert ».
- Ah oui [virgule] ce petit resto français dans la City. Pourquoi pas.
- Si ça te plait évidemment…
- Bien sûr [virgule] ma puce. On va se balader à Hyde Park en attendant ?"
Je hoche la tête. J’y suis indifférente, comme à tout le reste. Il me semble qu’il force quelque chose comme s’il était bien plus détendu que d’habitude. Quelque chose d’imperceptible même pour la cybernétique, et surtout d’indiscernable. Un caractère humain ? Ceux que la machine ne sait qu’enregistrer et statistiquement retranscrire.
"- Veux-tu m’épouser ?"
Pas même le tressaillement d’une émotion dans l’organe cardiaque. Mes palpitations sont régulières. Rien dans mon corps signale une quelconque modification. Je ne pourrais même pas regretter mes mensonges, toujours pas. Par contre chez lui, c’est l’ébullition : il angoisse. Il n’est même pas besoin de lancer une quelconque analyse. Il transpire la peur, la peur du refus, il ne conceptualise même pas la mystification que je lui sers. Il laisserait l’impression réelle de ne penser qu’à lui en cet instant, comme si son univers ne tenait qu’à mes lèvres, de ne penser qu’à sa volonté de me dominer. De la foi ? Il est stupide et régulé uniquement par son désir égoïste. L’amour n’est qu’un désir : une volonté presque dédaigneuse de s’imposer et d’imposer sa puissance sous plusieurs formes. La pâte à modeler reste le pire jouet à offrir aux enfants... La démarche analytique de la chimie des molécules parle. Il n’y a aucun partage entre « nous » et il ne le perçoit pas, il se fourvoie dans ses propres rêves et ses propres envies sans concevoir les miennes, sans lire ce que je pense. C’est de l’individualisme, le « nous » n’est qu’une théorie inventée, une chimère. Pas de remords, aucun regret. Il n’est pas comme moi, le sujet d’une expérience. Je ne retire aucun plaisir à le faire souffrir et la morale bien inculquée chez l’être humain ne l’est pas dans mes programmes. L’expérience est presque terminée. Je ne vibrerais [vibrerai] jamais pour cet homme ni pour aucun autre. Mais ce qui me semble étrange par-dessous tout, c’est le fait qu’il soit si incapable de discerner mes mensonges et qu’il ressente tant de sensations et de sentiments illusoires… Ne chercherais-je [chercherai-je] pas des illusions ? Ces sensations paraissent réelles aux Hommes et pourtant aucun écho, mais il ne vit à cette instant que de mystifications ? L’interprétation est difficile. Est-ce moi qui suis anormal ou le reste de l’humanité qui vit dans cette bulle de bonheur à tout prix ?
"- Oui."
*
2 h 30 du matin. Appartement de Sarah Lyn – 17 Mars [mars] 2248
Les fibres neuromusculaires se réveillent, je m’étire comme un chaton. Elle est juste à côté de moi, elle dort. J’ai quitté Abracus de la chambre d’hôtel vers 2 h du matin prétextant une urgence au boulot. Pour lui je suis spécialiste en cancérologie stomacale et en clonage des membranes de l’intestin. Je travaille pour l’hôpital Saint James et je suis réputée comme étant l’une des meilleurs en Europe. Tout est financé par Medialtek Paris. Il n’en est rien : pur mensonge. Pour elle, je suis publicitaire chez Galatium Industry. Oui. Ma vie est ainsi, il suffit de s’emparer de la vie d’Autrui pour s’inventer une vie. Je n’ai aucune individualité si ce n’est la somme de celles et ceux que j’ai connus et dont je me nourris. Pour Sarah, je suis l’image qu’Abracus me donne. Pour Abracus, je suis l’image de Sarah. Selon les critères humains, ils sont fait [faits] pour être et vivre ensemble : les enregistrements sont éloquents. Parfois j’ai l’impression d’être une simple plateforme expérimentale. Impression ? J’aimerais m’en convaincre mais c’est bien la réalité : je suis une putain de plateforme expérimentale à cause d’une maladie… Une putain, tout court… Je caresse la chevelure de Sarah. Ses longs cheveux blonds et lisses sont doux. C’est ce qu’indiquent les capteurs. Elle a l’air heureuse, en dépit du bon sens. Elle aussi, trompée sur toute la ligne, crédule qu’elle est, dans les mêmes errements qu’Abracus. Le sens commun me traiterait de monstre... Sa cybernétique et ses évolutions biogénétiques sont incapables de démêler le vrai du faux. Je contrôle la moindre de ses émotions en m’adaptant parfaitement aux besoins que chaque mouvement de son corps, dévoile.
Il suffit de reproduire les comportements de l’un puis de l’autre, de l’un sur l’autre pour saisir leurs émotions et leurs réactions à ces stimuli. Je ne manipule pas. La reproduction des réactions et des émotions dénature complètement leur existence réelle. Pas une seule seconde je n’ai réussi à « ressentir » ces troubles comportementaux ; eux oui, ils sont en permanence enfermés dans un flot nébuleux de haut-le-cœur. Je capte souvent leurs signes vitaux s’emballer face à moi, de petites réactions aux immenses effets sur leur interprétation de nos relations. Je m’en contrefous, je veux juste comprendre ce lien entre leur conscience et leur sens, la fausseté qui leur permet à eux, chanceux de « ressentir » et « d’aimer ».
Elle se réveille, se love au creux de mon épaule.
"- Tu es arrivé quand [virgule] mon amour ?
- Il y a quelques minutes."
Elle m’embrasse, m’entoure de ses bras menus. J’ai souvent l’impression d’être un duplicata, une photographie sur une carte d’identité, un ensemble de paramètres ordonnés, logiques sans cette étincelle qui ferait de moi un Homme. Pourquoi ? Cette maladie me ronge quotidiennement : nerfs optiques inopérant, zones du cortex de la préhension inactives, atrophie nerveuses, bulbe olfactif inefficace, décroissance des tympans dans l’oreille interne, mauvais fonctionnement de plusieurs organes internes. Le remède ? Aucun. Cybernétisation à outrance, biogénétique excessive. Un palliatif inefficace à la sensation réaliste et réelle : tout n’est que simulation pour obtenir un résultat médiocre. Alors je cherche, je multiplie les expériences pour aboutir toujours aux mêmes conclusions : je suis plus un robot désormais qu’un être vivant. Je ne suis presque plus organique… Que puis-je faire à part m’abreuver du caractère des autres pour essayer d’exister ? Plus cette solution s’échappe, plus le gout est amer. Parfois la réussite pointe le bout de son museau, mais c’est pour mieux éternuer dans l’échec. Les nausées de l’activation du module masculin sont de pire en pire, régulées par les nanobots, je donne, semble-t-il, un sensation de quiétude à Sarah.
"- Tu es venu de Détroit pour moi ?
- Oui, tu me manquais beaucoup trop. Tu es si belle quand tu dors."
Elle ne croque pas, elle plonge, et je n’en retire aucun sourire. Tous ces sens passent au rouge typique du bonheur déjà analysé par mes programmes. Elle est heureuse, je ne suis rien. Comment modifier l’expérience pour une solution ? Comment pourrais-je ressentir si ce n’est par l’amour ? On dit que les plus belles choses du monde sont les enfants et leur innocence… Une idée vient de germer… Peut être cela provoquera-t-il un déclic sur mon cerveau… Je doute.
Nous faisons l’amour…
Epilogue
« On ne connait un sujet qu’en agissant et en le transformant. » - Jean Piaget 1967.
Lettre ouverte à Administrateur B089078.
L’ossature de l’humanité, ce processus stochastique d’évolution, exprimé par les scientifiques sous le terme de paradigme de Darwin… Sans chaos, aucune révolution. Mais sans loi, aucun désordre. C’est le principe de la métamorphose, du mouvement et du changement d’état. Cher Administrateur, la répétition des mêmes causes ne produit pas les mêmes conséquences et pourtant l’Histoire reste cyclique pour notre espèce. Une sorte de paradoxe de la poule et de l’œuf : les conséquences n’entraîneraient-elles pas des causes identiques pour l’ère suivante ? Les sordides manipulations de votre siècle, la perversion qui ronge telle un cancer la colonne vertébrale de la société, sont une réalité de la nature de l’Homme. Le contrôle de la Règle pour éviter le chaos organique n’évitera pas sa destruction et accentuera même sa ruine. Fataliste ? Enfermer les populations dans la dualité autour de la pensée unique n’est-il pas synonyme d’obscurantisme évolutionniste ? La loi est l’inverse du chaos. La Règle est donc la restriction des possibilités de choix, une pâle copie des prêtres monothéistes d’autres temps. A [À] réduire les possibilités, vous réduisez la liberté et donc progressivement vous orientez vers une dégénérescence systémique l’ensemble des Autres. La technologie suffira-t-elle à palier la déchéance et l’étiolement de votre physiologie ? Peut être [Peut-être]. C’est bien donc que vos buts ne sont guère de « vivre mieux dans un monde meilleur où la maladie et le handicap n’existe [existent] plus ». Nous ne décidons pas encore de qui doit vivre ou non car la morale même érodée par des siècles de décadence est une ancre sur le navire de l’Humanité. Elle est une ancre autant qu’un boulet… La répression subtile de la Règle pour contrôler les pulsions autant que l’affect est le même principe que celui de la vertu et de la morale. C’est pour [pourtant ?] l’émotion et l’affect qui oriente [orientent] notre intelligence, qui façonne [façonnent] notre esprit : votre physiologie d’Homo Sapiens Sapiens [ en italique] [cette dénomination a été abandonnée en 2003] qui construit votre esprit. Ce sera ma réponse à vos dernières paroles, ce soir de Septembre [septembre] 2245, dans la chambre 230 de l’Hôpital Saint James.
C’est l’émotion qui guide votre esprit et vous m'en avez privé, enfoiré. Votre égocentrisme et votre narcissisme fixe le destin de vos sujets d’expériences inhumaines. Je ne suis plus une extension, une feuille blanche et vierge, sans identité propre ; à programmer comme un tentacule de votre propre conscience. Sans préhension, sans perception, sans aucune possibilité de comprendre l’émotion et la pulsion, tu croyais pouvoir me rendre esclave, construire un miroir de vous dans un être parfait. Mais je vous l’ai dit : l’imperfection est le point d’orgue de toute ton espèce. Je ne suis ni un individu, ni une personne, ni un Homme. Dévorer les autres, telle une charogne se jetant sur la viande morte.
Ma seule liberté ? Celle d’avoir pu choisir le jour et l’heure de ma mort. Ma seule émotion construite à partir de rien ? La haine
Adieu
Andrea,
Sujet Mutanis Androgyne matricule 784.
*
Sarah et Abracus viennent de se rencontrer dans ces couloirs de la morgue de l’hôpital Saint James. Effarés ils ont découvert la tromperie et le mensonge d’Andrea, d’Andreas. Ils ne se connaissent pas, et pourtant, ils ont la sensation de vivre ensemble depuis des mois. Il ou elle n’était qu’une partie d’eux-mêmes, un appendice greffé à leur conscience, un être symbiotique... Une partie désormais envolée et disparue. Sarah ressemble à Andrea, Abracus a Andreas, le corps, là, sur la table froide en est la preuve même. Demain, la société Medialtek reprendra son jouet qui s’était enfui depuis quelques mois du laboratoire de Minsk. Pour Sarah et Abracus, la vie reprendra son cours, maudissant l’un comme l’autre la supercherie du sexe opposé et sentant ce vide, ce rien, cette bêtise d’avoir cru au sens de la vie, à l’existence. Dans un mois, quand tout sera oublié, l’illusion de l’amour fera son retour…
Le 23 Avril [avril] 2248, Abracus croisera Sarah à l’Extream.
Je ferai un commentaire du fond et de mon ressenti des paragraphes plus tard, notamment quand j'aurai davantage lu ta nouvelle. N'hésite pas à me le rappeler si je tarde de trop.
21:23 - 2 déc. 2015
J'ai tout lu et je suis perplexe. J'aurai envie de dire que je n'ai rien compris, ce qui serais en fait exagéré, mais il me reste un sentiment d'incompréhension à la fin de ma lecture. Mais j'ai du mal à savoir ce qu'il me manque pour réussir à bien comprendre cette nouvelle.
En attendant de pouvoir être plus précise, voici quelques remarques en plus de celles de Mike.
Prologue
« Une rupture avec la notion traditionnelle selon laquelle toute connaissance humaine devrait ou pourrait s’approcher d’une représentation plus ou moins « vraie » d’une réalité indépendante ou « ontologique ».[là déjà, je ne comprends pas cette phrase, peut-être à cause de sa construction : pas de verbe] Au lieu de prétendre que la connaissance puisse représenter un monde au-delà de notre expérience, toute connaissance est considérée comme un outil dans le domaine de l’expérience. » - Ernst von Glasersfeld à propos du constructivisme
27ème étage de la tour Lumatech, 3 h 47 – 21 Mars de l’année 2248 – Londres
« - Je me prénomme Andrea. Je suis une mutanis androgyne sans conscience, sans âme. Un cœur sans sentiment, une pensée sans esprit, un souffle sans vie. Papa...»
Elle coupe l’holocom et le pose sur le bureau. Il est tard, les larges dalles de verre du 27e étage offrent une vue remarquable sur les lumières de la mégalopole londonienne. Dans le laboratoire, c’est calme. Un vaste panorama s’offre à elle. Tous ces néons dans les rues d’en bas grésillent et illuminent la nuit. Ces gigantesques panneaux publicitaires masquent la vue sur les rues, sur le fog et la pauvreté du quartier. Quartier nord, vaste bouge, favelas ou bidon ville, peu importe l’appellation, seule résultante de l’hérésie néocapitaliste de l’Homme Dieu. En bas, au cœur des ruelles, c’est l’immonde dégénérescence d’une société rongée par la décadence et l’immoralité; ici en haut, la sérénité et la paix, symbolique de l’ascension, de l’échelle sociale; en bas les pauvres, en haut les riches. Aucun bruit dans le building, seulement ces éclairages qui gâchent la vue des étoiles. La ville, à perte de vue.
La fourmilière s’active, à tout heure du jour comme de la nuit. C’est un bal incessant d’ouvrières. Narquoises, elles vous ignorent. Les regards se décroisent, souvent. Vous êtes seuls dans ces rues, dans ces commerces, dans cette ruche vivante, elle respire, palpitation rythmée par l’activité ininterrompue de la vie. Mouvement perpétuel, invariable et cadencé. De la continuité dans chaque déplacement, aucun chaos, rien d’erratique, un flot régulier et inaltérable de halos lumineux, d’Hommes et d’antigrav. Des insectes sans initiative, auto pilotés, suivent des trajectoires rectilignes et droites. Aucune oscillation, ça ne tangue pas c’est droit, droit... L’inverse de l’aléatoire du mouvement Brownien, presque figé dans le temps. Ça pulse au rythme du travail. A cette heure-ci, les putes, les alcooliques et les néopunks envahissent les rues, alcoolisés jusqu’à la moelle. Et malgré cette décrépitude des ruelles, d’en haut tout est trop droit comme la règle qui pilote la cité, les axiomes qui érigent la société au rang de Vérité absolue. Tout est trop droit. L’individu se noie dans les lumières, sa morale coule comme du plomb dans l’océan des automatismes de la ville. Des feux clignotent. Cette fluctuation scintillante révèle la clarté du jour au beau milieu de la nuit. C’est ainsi que nous nous affranchissons du soleil, par l’illumination de la ville, c’est ainsi que nous gagnons l’âpre guerre contre le temps, c’est ainsi que nous perdons notre identité dans le mot « gens ». La société engloutit la Nature pour son propre profit.
Elle ferme les yeux. Elle vacille un instant et se retient d’une main sur un coin du bureau. Elle finit par observer ses propres pieds, les siens. La crainte et la lâcheté, des sentiments humains, inconnus, elle les imite par mimétisme. La dalle de verre face à lui. Derniers instants.
Des milliers de petits éclats cristallins ; la vitre explose sous le choc de son corps. C’est douloureux... De minuscules morceaux s’enfoncent profondément dans sa chair. Son derme, cette enveloppe si fragile et humaine, si douce et si sensuelle... Coupée. Lacérée. La peau si fine, exquise et délicieuse s’ouvre comme les jambes d’une putain de l’Exstream, avec l’évidence de la violence. D’infimes filets de sang coulent sur ce visage inexpressif, partout. Un os rompu par la brutalité de la percussion; la douleur intense n’a que peu d’écho face à la peur soudaine du vide. Ce vide qui devient captivant. Captivant, un mot sur une émotion atone; ce vide synonyme d’une fin. Une fin sans début.
Il tombe. Elle tombe, retraçant le fil d’une vie morne et sans saveur.
Ma naissance, la vie, ma mort. Ma ?
Stop.
Suis-je un homme ? Suis-je une femme ?
Une alarme se déclenche. Sur le sol, dans la fumée polluée du quartier d’Atomtech, un cadavre sur le toit d’une bagnole.
« - Je me prénomme Andreas. Je suis un mutanis androgyne, sans conscience, sans âme et sans vie, produit de la bienveillance et de la pitié d’un Homme Dieu, produit de la folie d’une humanité dévoyée. Aujourd’hui, papa, je te quitte. »
Sarah
« L'existence de sciences dites sociales indique le refus de permettre aux autres sciences d'être sociales. » - Heinz von Foerster
« ... et de permettre aux sciences sociales d'être physiques. » - Edgar Morin
« - Je suis Sarah Lyn. J’ai 28 ans, célibataire et résidente de Londres. Pour tout vous dire, mes études n’ont pas été une réussite mais mon expérience parle désormais pour moi. Depuis quatre ans je travaille au laboratoire d’Atomtech dans la cellule P.A.C.C.A - Psychologie Adaptive & Cognition des clones de type Atron et plus spécifiquement sur des recherches dans le domaine de la projection mémorielle d’un sujet sur des individus en stase cryogénique. »
Non.
D’un geste anodin elle recoiffe sa longue chevelure blonde platine et jette négligemment un dossier sur le bord de l’évier. Une ligne de rouge à lèvres supplémentaire, le repositionnement d’une lentille colorée turquoise, une larme de fond de teint et une goutte de Vatrix. Ça ne va toujours pas. Face au miroir, dans les toilettes du laboratoire, elle tente vainement de se préparer à son entretien. Les rumeurs racontent qu’un diner et qu’une nuit suffisent à l’obtention des promotions mais, pleine de l’espoir d’une jeunesse utopiste et militante, elle ose croire qu’elle évitera d’être le plat de résistance de ce pervers notoire. Elle reprend, joint les gestes de son ascendance italienne à la parole.
« - Sarah Lyn, monsieur le Directeur. 28 ans et je travaille au laboratoire d’Atomtech dans la cellule P.A.C.C.A – Psychologie Adaptive & Cognition des clones de type Atron. Je suis sur le projet de recherche de projection mémorielle sur des individus en stase cryogénique et principalement sur la partie analyse des données du lobe temporal droit. »
Du mieux ? Difficile à évaluer. La posture est relax, les mouvements fluides, chaque intonation calculée comme dans ses anciens cours de management. Redirection de l’anxiété vers un point focal pour induire des comportements optimistes et créatifs plutôt qu’un stress. Elle adapte à chaque phrase, l’intonation de sa voix. Les éléments techniques sont sécurisants, l’impression d’assurance doit transparaitre du discours autant que du mouvement. Elle se projette dans son imaginaire, énumère tous ces mimiques comportementales. La puce neurale se déclenche : chaque signe est analysé, mesuré, jaugé, évalué. Elle régule le taux d’adrénaline conjointement au décontractant comportemental Vatrix. Elle se sent progressivement apaisée. Ses mots sont plus justes, plus tranchants. Chaque expression devient une moue séduisante et attirante. Les mouvements sont limpides. Un tout d’une parfaite justesse.
Ces puces Neocom sont excellentes. D’un sourire au miroir et d’un clin d’œil, elle s’encourage ; son entretien, c’est demain. Illusion encore un jour entier d’aimer injecter à des souris des mutagènes sur leur cortex cérébral. Un tremplin vers un meilleur boulot. Sauter vers ce poste, c’est la liberté.
Bonjour.
Empreinte digitale et passeport ID requis pour accès.
Elle n’avait jamais remarqué. Elle comprend mieux pourquoi les hommes du premier étage passe au laboratoire du troisième avant d’embaucher. L’intelligence artificielle qui gère la sécurité a une voix tellement sensuelle qu’elle fera flancher n’importe quel mâle sans besoin d’une quelconque hormone chimique féminine. Déplorable entreprise sexiste à l’image de son directeur général, ce vicieux déjà mis en examen quatre fois pour harcèlement moral et sexuel. Aucune condamnation. L’argent a au moins un mérite, il outrepasse la Règle.
Bienvenue Mademoiselle Lyn.
Il est 14 :07 :28. Vous avez 7 minutes et 28 secondes de retard. Votre compte temps travail n’est désormais plus que de 7 heures 14 minutes et 12 secondes. Vos tâches quotidiennes et un nouveau dossier ont été déposés sur votre espace de travail virtuel. Veuillez rapidement en prendre connaissance. Vous avez trois messages déposés depuis votre départ.
Bonne journée Mademoiselle Lyn.
Elle est aussi stupide que son créateur. A vouloir sécuriser l’ensemble du laboratoire par des similis d’intelligence artificielle, il est devenu en quelques années une sphère sociale à part entière. Vous êtes perpétuellement surveillé par chacune d’entre elle et leur jugement réglé sur la volonté de la direction, n’enjoint pas un discours intelligible avec ces machines. Elles ne sont programmées que pour débiter un laïus sécuritaire à longueur de journée.
Enfin au bureau.
Le chauffage tourne à fond, les moins de Janvier londonien ne sont pas reconnus pour leurs grandes chaleurs. Elle s’avachit dans son fauteuil. Une longue expiration de dépit et d’ennui, une longue inspiration de courage.
« - Sarah Lyn. Ouvre une session de travail s’il te plaît IA409. »
Session ouverte Mademoiselle Lyn.
« - J’ai trois messages en attente. Montre les moi. »
Bien sûr Mademoiselle Lyn.
Projection en cours. Plusieurs hologrammes d’écrans apparaissent autour du fauteuil et du bureau. D’un pianotage habituel, elle ouvre les messages. Ce sont les résultats de l’expérience sur la souris Alfred, échec et mort du sujet ; une collègue pour aller manger demain midi au Frits and Chick du coin ; et les places pour l’Exstream ce soir. Zut ! Elle avait complètement oublié ce rendez vous entre copines et pour une fois que Nassilia n’avait pas la petite...
« - Supprime les messages je te prie. »
Messages supprimés.
« -Charge moi le nouveau dossier et celui d’Alfred D873 – Projet Cognition Mémorielle. »
Les dossiers apparaissent en surbrillance sur l’interface homme machine. Tout est visualisable en trois dimensions en quelques captations sensorielles du mouvement des doigts. Elle regarde les nouvelles expériences. Elle lit. Encore une nouvelle après midi à piquer des souris...
*
20 h pile. Sortie du laboratoire, direction, son appartement en plein quartier nord. Ce n’est pas le grand luxe mais à deux pas du Metro et à dix minutes de son boulot, difficile de trouver mieux. Vérification sur sécuritaire effectuée : elle peut finalement sortir réellement.
Bonne soirée Mademoiselle Lyn. N’oubliez pas votre rendez vous à 22 h 30. Vos courses ont bien été déposées à 19 h 30 à votre appartement. Atomtech vous remercie pour votre dur labeur, et l’humanité sourit de vos découvertes et du génie de nos inventions.
Un jour cette voix… Mieux vaut ne pas penser à tout ça. Elle s’engouffre dans la bouche de métro sans même faire attention au fog qui ronge ses poumons, ce crachin devenu brume impropre et impur à la respiration. Londres est vraiment devenu en quelques années, le lieu le plus malsain de toute l’Europe. Elle tousse violemment, reprend son souffle en s’appuyant sur un encart publicitaire.
« Pour une vie meilleure, achetez nos cigares Tonelli car avec Tonelli tout est embellis ! »
Comble de l’horreur. Son filtre à air se déclenche finalement, légèrement en retard d’adaptation à l’environnement[ça sonne maladroit]. Un gros bonhomme à la mine patibulaire la regarde, d’un sourire aux caries apparentes.
"- Hey ma p’tite dame faut pas sortir sans un masque. Vous d’vez pas avoir l’habitude de descendre en bas… Une p’tite piécette pour un sans l’sou comme moi ?
- Bonjour, oui j’ai oublié mon masque, et non je n’ai rien sur moi, désolé Monsieur.
- Oh beh dites donc, pour 2 dollars, je vous offre même un bouquin, ça vous dit pas ?
- Vous lisez ?
- Quand ch’uis pas bourré, oui, c’est le seul truc qui m’occupe. Y a rien à faire ici vous savez ma p’tite dame.
- Va pour 2 dollars. Tenez."
Le clochard toujours aussi sinistre et angoissant tant par l’odeur que par le visage rongé par la pollution, lui tend un livre : « Vie artificielle » de Charles Norton. Inconnu. Elle le glisse dans son sac, s’en va rapidement, pressée par la foule qui s’engouffre dans les tunnels en direction des quais. Les couloirs sont toujours aussi petits dans cette station, pas plus de trois mètres de large pour deux de hauteurs. Sur ses talons hauts noirs, elle touche presque la voûte en vieilles pierres. Les publicités s’enchainent, aussi vite que la masse des inconnus. Aucun regard ne se croise. Un silence sourd, seul le bruit des pas, meublé par celui des machineries et [le] déplacement de cette multitude. Pas une parole entre les Hommes, seul le son de la voix masculine qui indique.
« - Metro ligne 17 – Quartiers Nords de Pennirow – Arrivée prévue dans 3 minutes. Veuillez ne pas oublier votre titre de transport, merci. »
Elle accélère encore le pas, s’agglutine avec les individus. Un amoncèlement oppressant. Elle suit le mouvement. Tant d’étrangers, d’anodins quidams... On ne parle pas, on ne sourit pas, on ne partage pas. On suit affablement les autres en s’enfermant dans sa propre individualité par peur de succomber à la conformité de la masse. Cette masse qui tente à chaque pas de s’imposer, de violer votre liberté de penser, d’induire le geste machinale, automatisé. Elle, elle attend patiemment son tour, ne se presse pas, n’est pas dans la bousculade des quais. Elle déteste le contact physique d’avec ces inconnus. Elle écoute le musicom directement branché sur son afficheur rétinien d’un œil cybernétique. D’un pas léger, contrastant avec le reflux des piétons, elle s’engouffre dans la ram[e] de métro.
« - Mademoiselle Lyn. Vous ne disposez d’aucun titre de transport valide. Une amende forfaitaire de 35 livres a été débitée sur votre compte courant Lloyd & Arthur Share. Une facture a été émise par message crypté dans vos différentes boîtes d’identité. Vous pouvez désormais user du réseau Metropen pendant les 45 minutes à venir. N’oublier pas Madame Lyn. Pour une vie et un monde meilleur, pour vivre dans une société équitable, la Règle est le chemin le plus juste. Veillez donc à la respecter. »
Merde… Elle sort trois stations plus tard. Quartier nord et résidentiel de Pennirow. C’est toujours oppressant : non par le nombre mais par le crépuscule désormais. Peu d’éclairage dans cette station, dans ce quartier. Tour B7, la plus neuve du coin.
*
22 h 37 – Hypercentre de Londres – Terrasse de l’Exstream.
La musique électronique pulse à l’intérieur de la boite de nuit. Le sol de verre, les grandes baies vitrées le plafond miroir : sur trois étages, hype et branchée. Sarah sirote son cocktail sur la rambarde. Ses yeux verts se perdent dans l’immensité tentaculaire. Elle est fatiguée.
" - Bonsoir Mademoiselle. Mademoiselle ?"
Seule, elle n’avait pas vu ce jeune homme s’approchait d’elle. Épuisée par sa dure journée, l’amende, le bordel dans son appartement, elle n’était plus très réceptive.
"- Bonjour."
Il est mince, presque maigre, le visage efféminé, des cheveux mi longs noirs de jais, les yeux bleus, des traits délicats. Une femme ? Un homme ? Difficile à dire. Elle a un doute. Il est séduisant. Ces pommettes creusées, ces joues émaciées lui donnent un certain charme, inquiétant mais ce sourire aux lèvres fines dissipe bien vite les à priori.
"- Excusez moi de vous déranger. Je vais vous paraitre curieux, mais j’ai vu que vous aviez un livre de Charles Norton qui dépassait de votre sac à main tout à l’heure.
- Effectivement vous avez de bons yeux.
- Je ne m’attendais pas, dans ce genre de soirées et de lieux, tomber sur une personne cultivée."
Il s’exprime bien, très bien, presque trop bien pour l’Extream. Non qu’ici l’anglais ne soit pas maitrisé, mais la maitrise se focalise plutôt sur le rentre dedans, moins galant. On préfère toucher la marchandise plutôt que de lui parler. Une main sur les hanches est souvent synonyme de première nuit torride. Pourtant cet homme n’est pas différent à quelques détails près dans la gestuelle qui le rendent efféminé. Le timbre de la voix est celui d’un ou… d’une adolescente, impossible à évaluer. « Curieux » a-t-il dit. Un homme donc. Avec tous ces tarés qui arpentent les rues de la grande grise, difficile d’évaluer les risques.
" - Vous savez, ce n’est pas parce qu’il traine ici une population de jeunes branchés, que vous n’y trouverez pas une certaine culture. L’habit ne fait pas le moine."
Ce soir, elle s’est vêtue d’une robe noire, sa préférée, celle qui révèle un décolleté plongeant sur ses seins, avantage anatomique indéniable; optimisation graphique. Épaules dénudées en haut, à mi cuisse en bas, moulante qui met en valeur ses hanches galbes et l’archétype de la blonde pulpeuse qu’elle est.
"- J’irais même jusqu’à dire qu’il faut se méfier, Monsieur, des apparences. A qui ais-je l’honneur de parler ?
- Andreas. Andreas Kaslov."
Il sourit toujours. Elle ne peut s’empêcher d’user de son interface neurale pour capter le détail. Son taux de phéromones est anormalement bas, les mouvements des lèvres ne trahissent aucune crispation, aucun stress. Son parfum ? La simplicité d’un passe partout : il a l’air calme et détendu. L’effluve est subtile à peine perceptible et pourrait être enivrante à forte dose ; un mélange hormonal et d’arômes naturels et donc forcément une modification biologique corporelle, aucun produit du marché ne correspond.
"- Et vous Mademoiselle ?
- Sarah. Sarah Lyn.
- Délicieux prénom. Vous saviez que c’est d’origine hébraïque ? C’était l’épouse d’Abraham, avec pour signification la reine ou la princesse.
- Pas du tout. Je ne suis pas très branchée et attirée par la religion. Un sujet souvent douteux et qu’on évoque de moins en moins à Londres. Vous n’êtes pas d’ici non ?
- Exact. Comment avez-vous deviné ?"
Interface de communication online. Identification cryptée enclenchée. Andreas ? Aucun identifiant correspondant. Veuillez réitérer votre demande. Andreas Kaslov ? Aucun identifiant correspondant. Veuillez réitérer votre demande. Kaslov. Londres. Identifiants correspondants : 11. Trop…
"- Si vous étiez Londonien vous sauriez que parler de religion est un tabou.
- Ah. Bien vu. Je n’étais pas au courant. Changeons donc d’approche, la séduction n’est pas mon fort.
- Nous y venons oui.
- Franchement, je suis un amateur de littérature. Charles Norton est un des auteurs qui me fascinent et je suis étonné de croiser une jeune demoiselle aussi ravissante partager peut être cette passion.
- Je ne l'ai pas encore lu, je l’ai acheté ce soir et je n’ai pas eu le temps de le déposer. Timing un peu serré.
- J’imagine. Tout est si oppressant et angoissant dans cette ville. Tout va trop vite.
- Vous venez d’où si ce n’est pas non plus indiscret ?
- Une tout petit village au nord de Seattle, proche d’un parc naturel.
- Vous me faites marcher Andreas…
- Non pas du tout. J’ai habité quelques années dans le quartier de Madison Park à Seattle. Je suis né du côté de Sequim. L’Olympic Park vous ne connaissez pas ?
- Non désolé, je connais très peu les States.
- C’est une grande réserve naturelle. Vous êtes née à Londres ?
- Oui. J’y habite depuis toute petite.
- Ah le charme Londonien, j’aurais du m’en douter."
Sarah rougit. L’impression inhabituelle de ne pas être draguée comme un vulgaire morceau de viande. La discussion est agréable, et pour une fois il ne pleut pas. Le fond de l’air n’est ni frais ni une gêne mais plutôt l’occasion de… Se faire offrir à boire.
"- Il fait un peu frais, vous m’offrirez bien un verre pour me réchauffer Andreas non ?"
Un mouchard parcourt la plateforme, analysant les discussions, surveillant les moindres faits et gestes des clients. Lentement, il s’approche de la scène, presque invisible. Il enregistre la conversation.
" - Avec plaisir. Vous avez des préférences Sarah ?
- Un cocktail avec des fruits, du pamplemousse et du champagne.
- Des gouts raffinés pour une femme ravissante."
Le mouchard les suit alors qu’ils se dirigent ensemble vers le bar de la terrasse. Elle sourit du verre offert, le prend et le porte à ses lèvres. Cocktail toujours aussi délicieux. Elle regarde derrière l’épaule d’Andreas, cherchant ses amies.
"- Vous êtes accompagnée ?
- Oui j’avais quelques amies présentes mais je crains qu’elles ne soient parties...
- Ah. Si c’est un problème de motorisation, j’ai ma Nambucca 700 au parking du sous sol.
- C’est gentil, mais je suis venue en métro. Elles ne m’ont pas dit au revoir et c’est bizarre.
- Le métro ?!"
Son air interloqué en dit long sur ses habitudes. Il ne doit pas être pauvre. Et pourquoi ne pas profiter d’une balade londonienne en antigrav ? Il est plaisant, bel homme, poli et maniéré. Les rapports dansent toujours sur la rétine de Sarah, affichant les taux d’adrénaline, l’état pulmonaire, des scans complets du bonhomme. Rien à signaler. Léger fumeur, pas de drogues, rien de détectable ou détestable.
"- Oui le métro, les antigravs sont trop chers en ce moment et le métro est à deux pas d’ici.
- Voyons Sarah, il ne serait pas galant de ma part de laisser une aussi charmante beauté risquer quoi que ce soit dans les bouges londoniens du dessous.
- Vous savez, je sais me débrouiller.
- Ce n’est pas une question, je me verrais mal ne pas vous raccompagner. Les problèmes sont si vites arrivés dans le coin."
Elle marque un temps d’hésitation.
"- C’est gentil de votre part.
- De rien c’est tout naturel. Un petit détour sous les lumières de Hyde Park pour discuter ?
- Pourquoi pas, je ne commence à travailler qu’à 11 h demain matin.
- Ce sera plus agréable pour notre voix et mes oreilles. Même dehors le son est un peu trop fort pour mes tympans."
Il me tend son bras [tu changes de point de vue, du "elle" au "je", c'est perturbant]. C’est plaisant.
Abracus
« La Route de la servitude, consiste à reconnaitre l'individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, [à] croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes. » - Friedrich Hayek
Monsieur Abracus Nolan. Age : 36 ans. Situation familiale : Célibataire sans enfants. Aucune concubine connue. Profession : Marketing Manager à Galatium Industry. Adresse actuelle : Quartier de Knightbridge – 36 Penworth Road, Résidence « Galatium Hamspurs », Appartement 27, deuxième étage. Casier judiciaire : Activiste reconnu pour la fondation Green Arrow. Participation à de nombreuses manifestations interdites par l’ANC (American North Confederation). Rébellion contre les forces de police lors de deux contrôles d’identité en Juin 2246 et Avril 2247. Délit de fuite par antigrav suite à destruction de matériel public à Détroit. 14 mois de prison ferme à Paris pour consommation et vente de drogue de type 2 entre Avril 2240 et Juin 2041.
"- C’est bien vous ?
- Oui…"
Ce flic à la mine patibulaire l’interroge depuis déjà 15 minutes, passant au crible l’ensemble de son CV. Pris en flagrant délit de destruction d’un panneau d’affichage du gouvernement européen; prétexte : contentieux entre son art du dessin et selon lui, le « dégueulasse et vomitif » Arnaud de Mareni, un peintre au service de la propagande du pouvoir. Menotté, il attend patiemment la fin de l’interrogatoire et le début de la garde à vue. Il ne devrait pas y échapper.
"- Vous avez été pris par la police de Knightbridge en train de saloper un panneau de la mairie de Londres. Vous reconnaissez les faits ?
- Évidemment."
Le flic prend un air triste malgré le ton menaçant. Outre le fait d’avoir une tronche patibulaire, il semble qu’il aurait apprécié le faire avouer à grands coups de pieds.
"- Vous avez des implants particuliers ? Votre fiche ne signale rien.
- Aucun."
Et jamais... Plutôt crever que d’être relié et interconnecté potentiellement avec l’ensemble de tous les plus grands connards de l’humanité. Même son patron n’avait pas réussi à le convaincre et Abracus utilisait encore un vieux dinosaure du début du siècle pour faire transiter ses rapports, ses messages et ses dessins.
"- Améliorations biochimiques, génétiques de près ou de loin ?
- Non."
Et jamais... L’évolution contrôlée, superbe invention de l’Homme Dieu. Comment créer des générations d’humains dépendant de l’échec et l’anomalie technique de la science [rien compris là]. L’obligation de prendre ces petites pilules qui détraquent en partie le cerveau juste pour avoir la sensation de vivre des années, en devenir dépendant et au vue des tarifications... Une belle bande de salopards... Oui... Toutes les modifications génétiques ou cybernétiques avaient un cout, généralement des doses médicamenteuses impressionnantes pour éviter les rejets de greffes, les cancers provoquaient par des mutations génétiques forcées. Ces corporations tentaculaires, achetées, sur-rachetées, vendues, démantelées en micro société paravents, fondés sur la science, vous vendent à grands coups de doses publicitaires la fiabilité à 99% de leurs produits. Il les connait bien, il travaille pour eux.
"- OK monsieur Nolan. Je ne vous retiens pas plus.
- Comment ?!
- Vous êtes libre, je vois que votre caution a été payée par votre employeur.
- Ah. Et bien...
- Oui je dois vous avouer, je vous aurais bien fait mijoter quelques heures de plus mais j’ai une famille à nourrir et des préoccupations privées [plus] importantes pour[que de] perdre mon temps avec des tocards comme vous."
La rançon du succès, la victoire de l’art et de la culture sur la Règle ; ces batailles qui mèneront à de grandes victoires. Non. Une nouvelle fois, le règne du pognon ouvre la porte de sortie. Il déteste ça et à fortiori il se déteste lui d’être incapable de sortir du carcan de cette société figée. Il prend son paquet de cigarette, en allume une, ramasse son portefeuille et se dirige mollement vers la sortie. Le flic le regarde.
" - Il est interdit de fumer dans les lieux publics Monsieur Nolan.
- Va te faire enculer, tu rajouteras ça sur le prix de la caution : insulte à agent de l’état dans l’exercice de tes fonctions."
Il est 22 h 30. Le fog lui dévore les poumons dès la sortie. Il tousse. Pas grave, il a l’habitude de prendre ces gaz d’échappement mélangés à tous les émanations de monoxyde de carbone, de dioxyde, de protoxyde et autres joyeusetés polluantes en xydede Londres. Cette ville est définitivement pourrie jusqu’à l’os par les industries qui l’entourent. Il comprend beaucoup mieux, depuis quelques jours, les avertissements de plusieurs organisations non gouvernementales dont la plus importante, ne plus séjourner à Londres sans un masque. C’est un comble de savoir que la plus grande usine polluante est aussi celle qui dispose d’un lobby important sur ces fameuses protections. Ce monde n’est qu’une arnaque où l’assentiment du quidam, par son inactivité, est tamponné puis gravé.
Il met sa main devant sa bouche pour se protéger au mieux des vapeurs toxiques ; à force il finira lui aussi avec un cancer. Une jolie façon de vous contraindre d’acheter certains implants de filtre à air. 22 h 30. Que peut-on faire à Londres à 22 h 30 ? Il n’a pas envie de rentrer. Demain il a rendez vous avec un client pour l’organisation d’un diner de charité : des flyers de qualité pour des Hommes de qualité. Beau titre. Il n’a vraiment pas envie de rentrer. Solution, l’Exstream. Un ami lui a conseillé cette boite de nuit. En plus, il parait qu’ils ont des puces Paradiz à pas cher.
Il appelle Peter, l’une de ses rares connaissances londoniennes, un ancien client. Aucune réponse.
*
Ils sont tous agglutinés comme des moutons, c’est oppressant. Épuisé et fatigué, il a allumé son joint. C’est de la bonne, parfaitement naturelle, sortie du balcon d’un activiste septuagénaire de Los Angeles. La servitude, ce lourd boulet qui emprisonne la dignité, devient un peu moins pénible et douloureuse grâce à la drogue. Même si lutter contre l’asservissement des grands trusts nord américains est synonyme de droiture, d’utopies et de rêves d’équité, il n’a jamais été un modèle de moralité protestante. Il fume. Un verre de whisky glace dans l’autre main, il observe. Son regard, critique et perçant, vomirait bien sur ces jeunes cadres dynamiques, commerciaux et autres traders. Ils claquent leur pognon dans le grand n’importe quoi organisé de la nuit, pour un plaisir éphémère. Derrière leurs dents longues, les canines se brisent la nuit sur les relents d’une société alpha qui les rend esclaves. Ils sont cons. Il n’est pas plus intelligent qu’eux ; la différence et la solitude. Il rentre. La drogue et son effet destructeur parachèvent l’œuvre de ses désirs inconscients. D’un regard il cherche le manager d’Atomtech – Peter. Il n’est pas là.
Elle a ses vêtements à la mode dernier cri. La tenue bon chic bon genre d’une poupée de la bourgeoisie Londonienne, court vêtue. Une sensation étrange depuis qu’il l’a croisée sur le piste de danse; elle a du charme, un charme insolite dont il ne saurait comprendre l’attrait ni la provenance. Élancée, svelte, des seins inexistants. Ce n’est pas son type de femme, mais ses mouvements lascifs sur des musiques industrielles ont piqué son œil et sa curiosité. Une robe rouge, colliers et colifichets à la mode, bracelets, boucles d’oreilles ; prêt du corps, moulant, elle n’est pas mince; elle est maigre. Ses épaules menues, ce cou fin et ses longs cheveux noirs de jais coupés à la garçonne, il les a effleurés quelques instants, se rapprochant dangereusement d’elle. La peau de sa main était aussi douce que du satin, en harmonie avec l’émanation d’un parfum tout aussi voluptueux. Il s’était approché jusqu’à respirer l’arôme vanillé. Non. Plus subtil encore que de la vanille, à peine perceptible dans cet environnement plein de la sueur des corps se balançant sur la piste. Il avait voulu l’enlacer, elle s’était échappée. Elle s’était rapprochée mais il s’était échappé lui rendant l’audace d’un premier refus.
De loin désormais, il la dévore des yeux. Il ne voit pas les couleurs. Il ne voit plus les couleurs. Les stroboscopes, vibrant au rythme d’un beat lent, recréent les couleurs [cette répétition est en trop] d’une manière bariolée toujours adaptée aux sons, rapides et rouges, lents et bleutés. Peut-être a-t-elle les yeux bleus. Rouge ? Les effets sont trop brefs et ses paupières regardent souvent le sol pour s’emparer de la musique.
Il ne cesse de l’observer, de la scruter, en sirotant négligemment un verre de champagne. La suite logique de l’apéritif au whisky. A la fin d’un morceau, elle reprend son souffle. Des perles de sueur coule sur son visage si fin. Elle a un nez aquilin et un visage plus émacié qu’il ne l’avait imaginé de loin. Elle se dirige vers la terrasse pour prendre l’air ; dehors le crachin Londonien, glacé en ces nuits d’hiver, s’abat sur les quelques bobo hypes qui ont eu le courage de sortir fumer une clope. Il s’engouffre à sa suite, s’allume un nouveau joint et d’un sourire.
"- Mademoiselle ?
- Oui ?
- On se connait ?
- Non j’crois pas.
- Vous n’auriez pas travaillé pour Galatium Industry récemment ?
- Non pas du tout.
- Ah... Vous faites quelques choses-là maintenant, tout de suite ? Je peux vous offrir un verre ?
- Pourquoi pas."
Elle parle machinalement, l’œil vif mais porté vers l’ailleurs et nonchalamment se rapproche. Sa main, une bague à la couleur émeraude et irisée, vient se glisser dans la poche arrière de son jean, palpant son fessier. Sans gène, elle tâte la marchandise, et le regarde à peine. Surpris par le geste, il se laisse faire ; sa bouche aux lèvres fines, sans maquillage s’approche de son oreille et lui susurre, alcoolisé[e?] jusqu’à l’os :
"- Je t’ai vu, beau brun."
Les européennes sont torrides – drogue et boisson, le mal de notre temps - malgré le climat affreux qui règne dans le coin. Il passe son bras sur les épaules de cette fille, l’enlace. Il remarque une légère touche de mascaras, un coup de crayon délicat et à peine visible. Les narcotiques entament leur grand bouleversement mental. Il sent qu’il chavire. Progressivement...
"- Tu danses bien.
- J’espère que ça t’a plu, c’était juste pour voir ce filet de salive glisser de ta bouche."
Et ses yeux le fixent alors, révélant une ardeur et un désir presque palpable. Il se sent happer, rongé par le trouble des stupéfiants autant que par l’audace de cette pute qui le dévore d’un regard. Il a soudain l’impression de n’être qu’un objet dans les griffes d’un prédateur. Il adore ce milieu branché pour sa dégénérescence sexuelle, il traine ici pour ces instants crasseux de décadence. Il ne répond pas et ses lèvres dégustent les siennes sans état d’âme. Sans état d’âme que celui d’assouvir une soif charnelle. De l’animalité sans érotisme. Pire, d’oublier ses chimères de l’échec de sa vie pourrit par des utopies qui l’aliène autant que ce qu’il combat… Il ne les déguste plus, il les mord. Elle le lui rend, et glisse sa deuxième main sur sa seconde fesse. Elle les griffe. Puis elle le repousse, s’éloignant, avec un sourire presque cynique. Elle l’avait croqué.
"- Tu baves d’impatience mon mignon..."
Rencontre osée.
"- C’est quoi ton p’tit nom ?
- Andrea… On va chez toi ou chez moi ?"
Définitivement et volontairement perdu dans le stupre, pour oublier sans le montrer qu’il n’est que l’illusion d’un homme de caractère, égaré dans une vertu éducative et morale. Tenter vainement d’être juste ? D’être juste pour quoi ? Pour qui ?
De jour comme de nuit
« Ce que l’on comprend aujourd’hui de l’homme n’excède pas ce que l’on peut comprendre de lui en tant que machine » Friedrich Nietzsche.
Milieu d’après-midi. London City Airport – 16 Mars 2248.
L’impatience. C’est ce qui me guette depuis près d’une heure. L’attente, je l’ai toujours mal supportée. Un mois que nous ne nous sommes pas vus. Mal supportée ? Je n’arrive même plus à m’en convaincre et je ne fais qu’illusion de vivre cette relation. Un instant j’y aurais presque cru. Il va débarquer, m’embrasser, me serrer dans ses bras, me raconter ses quelques jours à Détroit, m’inviter à diner, me faire boire, et finalement me faire l’amour toute la nuit pour s’échapper dès la première heure à Moscou. Non je ne l’aime pas, non je ne prends aucun plaisir, non je n’ai aucune sensation, rien. La préhension n’existe pas pour les créatures comme moi, tout au plus des perceptions altérées et chimiquement calculées.
Elle branche ses interfaces neurales, active des services d’émulation des sensations, capteurs de préhension, de goût, d’odeurs et visuelles. Les premiers arcs électriques parcourent l’axone et la myéline. Les nerfs s’agitent, les neurotransmetteurs créés par des nanobots débloquent certaines sensations. Le traitement de l’information se régénère puis s’accélère. Les anomalies génétiques induites par la mutation disparaissent progressivement. Son organisme revient en morphostase. La régulation de son système nerveux se fait progressivement. Elle active l’ensemble cybernétique d’homéostasie : création de phéromones femelles, équilibrage des taux de potassium, sodium et calcium, température corporelle fixée. Ralentissement de la circulation sanguine pour éviter la tachycardie générée par les cellules robotiques. Son corps imperceptiblement se transforme. Le taux d’hormones féminines augmente, ses pupilles se dilatent et ses gestes sont moins coordonnés.
L’espace d’un instant, j’ai l’impression de tomber. Mes jambes chancèlent. L’activation de tous les modules de régulation corporels est pire que l’effet de l’acide lysergique diéthylamide. Ca prend au ventre, la nausée, tout ça pour l’illusion de paraitre exister, d’être. Je suis une femme. Non… Si… Un peu… Un peu plus… Éteignez donc cette lumière bordel ! Elle brule les yeux…
Arythmie cardiaque. Copie de cellules souches, mitose et injection dans le cortex cérébral : bulbe olfactif, création des synapses et des jonctions des fibres nerveuses. Construction titanesque en quelques secondes ou plutôt reconstruction. Les anticorps se réveillent, le rejet est immédiat. La mutation et la recomposition génétique dureront tout au plus… Quelques heures, le temps que le mutagène détruise les cellules qu’il considère comme cancéreuse. Maladie physique autant que mentale, régulé par la science. Les prothèses cybernétiques se modulent et accentuent les éléments féminins : seins, hanches, visage.
Être une femme, résultante de l’application cybernétique de produits commerciaux et d’évolutions biogénétiques pour palier à ma mutation, cette maladie. Je ne suis pas, je suis indéfinie. Il faut paraitre, paraitre aux yeux d’un homme pour assouvir son désir. Je n’arrive pas à ressentir cet amour que je devrais avoir pour lui. Chaque nuit n’est peuplée que du néant, du rien, d’un vide sans rêve. Depuis gamine, le psychologue m’a dit que jamais je ne ressentirais d’émotions : toute ma mécanique nerveuse est asymétrique, les glandes produisent des sinusoïdes qui détruisent la régulation corporelle de tout : température, acides aminées, nutriments ingérés et jusqu’au moindre de mes anticorps… La science est la seule reine de mon corps et se substitue à ma propre conscience. J’aimerais l’aimer cet homme. Le jour et la nuit, j’aimerais le sentir, capter les moindres battements de son cœur, de mon être et de son âme : vibrer pour lui. Lire ne suffit plus à assouvir le besoin de rêver d’Amour, je veux le vivre, le comprendre et le toucher du doigt. Il ne sait rien de moi, il ne sait pas que chaque nuit je le trompe avec une autre. Elle ne sait pas elle non plus. Ces relations multiples, à la recherche d’un fragment d'émoi : non juste d’une fraction d’émotion, un atome de trouble ou d’impression. Mais rien. Rien ne vient même après le déclenchement de cette cybernétique crasseuse. La transcription mémorielle pour l’injection dans un corps valide : l’unique solution à cette inexistence, peut être. Ne pas être, je pense pourtant. Et ces questions récurrentes : penser suffit-il à faire de moi, un être humain… Sans cesse au fond de moi, j’ai ce rejet de ne jamais comprendre ce langage [là, je ne saisis pas ce que tu veux dire] de l’affect que l’Homme exprime naturellement. Mon corps parle grâce à des évolutions mécaniques et biologiques : aucun réflexe instinctif. Ma conscience est bien là mais elle n’effleure pas même l’effluve d’un parfum. Je ne sens pas, je ne vois que si ces rouages simulent ces effets sur mon cerveau. Je ne suis ni un homme ni une femme. Alors je me suis échappée de la clinique, j’ai fui. Chaque jour tout s’efface si les nanobots en moi ne fonctionnent pas, ma mémoire me joue des tours, tout disparaît, puis réapparaît tel un flot [flux?] permanent, un reflux de déreconstruction. Le rythme est dicté par ces organismes microscopiques dans mon corps. D’ailleurs… Mon corps est-il réel ou n’est-il juste que le résultat d’expériences scientifiques.
Hall B. Les arrivées ; le voilà, toujours aussi beau selon les critères si analytique de la mode du 23ième siècle. Il ressemble à ces italiens typiques, cheveux lâches et mi longs, lunette de soleil, musculature simple et enjoignant toujours les gestes à la parole. Abracus son prénom.
"- Salut chérie, tu m’as manqué.
- Coucou mon Abra. Bon voyage ?"
Il m’enlace, je subis mais mon corps lui montre tous les signes imposés par un programme informatique de séduction, je ne suis pas maitresse des émotions que je transmets, tout est automatisé : le sourire, le parfum, la douceur d’un geste. Il m’embrasse. Toutes ses réactions sont analysés, décryptées, tout pour comprendre le désir en lui.
"- Super. Le projet pour Moscou va voir le jour, c’est génial, Galatium a enfin décidé de faire du mécénat pour Green Arrow. On va pouvoir monter un paquet d’intervention pour sensibiliser la population aux problèmes d’éthiques cybernétiques, génétiques et sur les dangers de la pollution.
- C’est chouette oui. Tu dois être crevé mon loulou. Comme j’étais du côté de Paris ces derniers jours, j’ai loué une chambre à ton hôtel préféré. Tu repars demain ?
- Tu sais que je t’aime toi ? Et oui malheureusement je dois prendre l’avion de 11 h 32 pour Moscou. J’en ai pour 3 ou 4 jours à négocier sur le dernier encart publicitaire du Suntimes.
- Ok…
- Sois pas déçu[e] comme ça ma puce, je t’invite au restaurant pour te décrocher un plus joli sourire que celui là j’espère. Tu as envie de quoi ? Tu veux faire quoi ce soir ?"
C’est la première fois qu’il me demande. Il m’appelle souvent « sa pute » depuis notre rencontre. Je me suis soumise dès le début pour lui plaire, c’est ainsi que les logiciels sociaux avaient évalué le pourcentage de réussite d’une relation avec cet homme. Je teste, je tente, je n’arrive même pas à m’en vouloir de lui mentir. Informations nouvelles : l’interface a détectée[détecté] un changement d’attitude chez le sujet. Les taux biochimiques s’affichent, mais les conclusions de la machine ne donnent rien sur leur interprétation si ce n’est la malléabilité psychique possible du sujet. Les capteurs de phéromones ont décelé une baisse notable quantitative qui exprime un désir sexuel moindre, un début de stress. Ça me rappelle mon père.
"- J’aimerais bien aller manger un morceau chez « Albert ».
- Ah oui ce petit resto français dans la City. Pourquoi pas.
- Si ça te plait évidemment…
- Bien sûr ma puce. On va se balader à Hyde Park en attendant ?"
Je hoche la tête. J’y suis indifférente, comme à tout le reste. Il me semble qu’il force quelque chose comme s’il était bien plus détendu que d’habitude. Quelque chose d’imperceptible même pour la cybernétique, et surtout d’indiscernable. Un caractère humain ? Ceux que la machine ne sait qu’enregistrer et statistiquement retranscrire.
"- Veux-tu m’épouser ?"
Pas même le tressaillement d’une émotion dans l’organe cardiaque. Mes palpitations sont régulières. Rien dans mon corps signale une quelconque modification. Je ne pourrais même pas regretter mes mensonges, toujours pas. Par contre chez lui, c’est l’ébullition : il angoisse. Il n’est même pas besoin de lancer une quelconque analyse. Il transpire la peur, la peur du refus, il ne conceptualise même pas la mystification que je lui sers. Il laisserait l’impression réelle de ne penser qu’à lui en cet instant, comme si son univers ne tenait qu’à mes lèvres, de ne penser qu’à sa volonté de me dominer. De la foi ? Il est stupide et régulé uniquement par son désir égoïste. L’amour n’est qu’un désir : une volonté presque dédaigneuse de s’imposer et d’imposer sa puissance sous plusieurs formes. La pâte à modeler reste le pire jouet à offrir aux enfants... La démarche analytique de la chimie des molécules parle. Il n’y a aucun partage entre « nous » et il ne le perçoit pas, il se fourvoie dans ses propres rêves et ses propres envies sans concevoir les miennes, sans lire ce que je pense. C’est de l’individualisme, le « nous » n’est qu’une théorie inventée, une chimère. Pas de remords, aucun regret. Il n’est pas comme moi, le sujet d’une expérience. Je ne retire aucun plaisir à le faire souffrir et la morale bien inculquée chez l’être humain ne l’est pas dans mes programmes. L’expérience est presque terminée. Je ne vibrerais jamais pour cet homme ni pour aucun autre. Mais ce qui me semble étrange par-dessous tout, c’est le fait qu’il soit si incapable de discerner mes mensonges et qu’il ressente tant de sensations et de sentiments illusoires… Ne chercherais-je pas des illusions ? Ces sensations paraissent réelles aux Hommes et pourtant aucun écho, mais il ne vit à cette instant que de mystifications ? L’interprétation est difficile. Est-ce moi qui suis anormal ou le reste de l’humanité qui vit dans cette bulle de bonheur à tout prix ?
" - Oui."
*
2 h 30 du matin. Appartement de Sarah Lyn – 17 Mars 2248
Les fibres neuromusculaires se réveillent, je m’étire comme un chaton. Elle est juste à côté de moi, elle dort. J’ai quitté Abracus de la chambre d’hôtel vers 2 h du matin prétextant une urgence au boulot. Pour lui je suis spécialiste en cancérologie stomacale et en clonage des membranes de l’intestin. Je travaille pour l’hôpital Saint James et je suis réputée comme étant l’une des meilleurs en Europe. Tout est financé par Medialtek Paris. Il n’en est rien : pur mensonge. Pour elle, je suis publicitaire chez Galatium Industry. Oui. Ma vie est ainsi, il suffit de s’emparer de la vie d’Autrui pour s’inventer une vie. Je n’ai aucune individualité si ce n’est la somme de celles et ceux que j’ai connus et dont je me nourris. Pour Sarah, je suis l’image qu’Abracus me donne. Pour Abracus, je suis l’image de Sarah. Selon les critères humains, ils sont fait pour être et vivre ensemble : les enregistrements sont éloquents. Parfois j’ai l’impression d’être une simple plateforme expérimentale. Impression ? J’aimerais m’en convaincre mais c’est bien la réalité : je suis une putain de plateforme expérimentale à cause d’une maladie… Une putain, tout court… Je caresse la chevelure de Sarah. Ses longs cheveux blonds et lisses sont doux. C’est ce qu’indiquent les capteurs. Elle a l’air heureuse, en dépit du bon sens. Elle aussi, trompée sur toute la ligne, crédule qu’elle est, dans les mêmes errements qu’Abracus. Le sens commun me traiterait de monstre... Sa cybernétique et ses évolutions biogénétiques sont incapables de démêler le vrai du faux. Je contrôle la moindre de ses émotions en m’adaptant parfaitement aux besoins que chaque mouvement de son corps, dévoile.
Il suffit de reproduire les comportements de l’un puis de l’autre, de l’un sur l’autre pour saisir leurs émotions et leurs réactions à ces stimuli. Je ne manipule pas. La reproduction des réactions et des émotions dénature complètement leur existence réelle. Pas une seule seconde je n’ai réussi à « ressentir » ces troubles comportementaux ; eux oui, ils sont en permanence enfermés dans un flot nébuleux de haut-le-cœur. Je capte souvent leurs signes vitaux s’emballer face à moi, de petites réactions aux immenses effets sur leur interprétation de nos relations. Je m’en contrefous, je veux juste comprendre ce lien entre leur conscience et leur sens, la fausseté qui leur permet à eux, chanceux de « ressentir » et « d’aimer ».
Elle se réveille, se love au creux de mon épaule.
"- Tu es arrivé quand mon amour ?
- Il y a quelques minutes."
Elle m’embrasse, m’entoure de ses bras menus. J’ai souvent l’impression d’être un duplicata, une photographie sur une carte d’identité, un ensemble de paramètres ordonnés, logiques sans cette étincelle qui ferait de moi un Homme. Pourquoi ? Cette maladie me ronge quotidiennement : nerfs optiques inopérant, zones du cortex de la préhension inactives, atrophie nerveuses, bulbe olfactif inefficace, décroissance des tympans dans l’oreille interne, mauvais fonctionnement de plusieurs organes internes. Le remède ? Aucun. Cybernétisation à outrance, biogénétique excessive. Un palliatif inefficace à la sensation réaliste et réelle : tout n’est que simulation pour obtenir un résultat médiocre. Alors je cherche, je multiplie les expériences pour aboutir toujours aux mêmes conclusions : je suis plus un robot désormais qu’un être vivant. Je ne suis presque plus organique… Que puis-je faire à part m’abreuver du caractère des autres pour essayer d’exister ? Plus cette solution s’échappe, plus le gout est amer. Parfois la réussite pointe le bout de son museau, mais c’est pour mieux éternuer dans l’échec. Les nausées de l’activation du module masculin sont de pire en pire, régulées par les nanobots, je donne, semble-t-il, un sensation de quiétude à Sarah.
"- Tu es venu de Détroit pour moi ?
- Oui, tu me manquais beaucoup trop. Tu es si belle quand tu dors."
Elle ne croque pas, elle plonge, et je n’en retire aucun sourire. Tous ces sens passent au rouge typique du bonheur déjà analysé par mes programmes. Elle est heureuse, je ne suis rien. Comment modifier l’expérience pour une solution ? Comment pourrais-je ressentir si ce n’est par l’amour ? On dit que les plus belles choses du monde sont les enfants et leur innocence… Une idée vient de germer… Peut être cela provoquera-t-il un déclic sur mon cerveau… Je doute.
Nous faisons l’amour…
Epilogue
« On ne connait un sujet qu’en agissant et en le transformant. » - Jean Piaget 1967.
Lettre ouverte à Administrateur B089078.
L’ossature de l’humanité, ce processus stochastique d’évolution, exprimé par les scientifiques sous le terme de paradigme de Darwin… Sans chaos, aucune révolution. Mais sans loi, aucun désordre. C’est le principe de la métamorphose, du mouvement et du changement d’état. Cher Administrateur, la répétition des mêmes causes ne produit pas les mêmes conséquences et pourtant l’Histoire reste cyclique pour notre espèce. Une sorte de paradoxe de la poule et de l’œuf : les conséquences n’entraîneraient-elles pas des causes identiques pour l’ère suivante ? Les sordides manipulations de votre siècle, la perversion qui ronge telle un cancer la colonne vertébrale de la société, sont une réalité de la nature de l’Homme. Le contrôle de la Règle pour éviter le chaos organique n’évitera pas sa destruction et accentuera même sa ruine. Fataliste ? Enfermer les populations dans la dualité autour de la pensée unique n’est-il pas synonyme d’obscurantisme évolutionniste ? La loi est l’inverse du chaos. La Règle est donc la restriction des possibilités de choix, une pâle copie des prêtres monothéistes d’autres temps. A réduire les possibilités, vous réduisez la liberté et donc progressivement vous orientez vers une dégénérescence systémique l’ensemble des Autres. La technologie suffira-t-elle à palier la déchéance et l’étiolement de votre physiologie ? Peut être. C’est bien donc que vos buts ne sont guère de « vivre mieux dans un monde meilleur où la maladie et le handicap n’existe plus ». Nous ne décidons pas encore de qui doit vivre ou non car la morale même érodée par des siècles de décadence est une ancre sur le navire de l’Humanité. Elle est une ancre autant qu’un boulet… La répression subtile de la Règle pour contrôler les pulsions autant que l’affect est le même principe que celui de la vertu et de la morale. C’est pour l’émotion et l’affect qui oriente notre intelligence, qui façonne notre esprit : votre physiologie d’Homo Sapiens Sapiens qui construit votre esprit. Ce sera ma réponse à vos dernières paroles, ce soir de Septembre 2245, dans la chambre 230 de l’Hôpital Saint James.
C’est l’émotion qui guide votre esprit et vous m'en avez privé, enfoiré. Votre égocentrisme et votre narcissisme fixe le destin de vos sujets d’expériences inhumaines. Je ne suis plus une extension, une feuille blanche et vierge, sans identité propre ; à programmer comme un tentacule de votre propre conscience. Sans préhension, sans perception, sans aucune possibilité de comprendre l’émotion et la pulsion, tu croyais pouvoir me rendre esclave, construire un miroir de vous dans un être parfait. Mais je vous l’ai dit : l’imperfection est le point d’orgue de toute ton espèce. Je ne suis ni un individu, ni une personne, ni un Homme. Dévorer les autres, telle une charogne se jetant sur la viande morte.
Ma seule liberté ? Celle d’avoir pu choisir le jour et l’heure de ma mort. Ma seule émotion construite à partir de rien ? La haine
Adieu
Andrea,
Sujet Mutanis Androgyne matricule 784.
*
Sarah et Abracus viennent de se rencontrer dans ces couloirs de la morgue de l’hôpital Saint James. Effarés ils ont découvert la tromperie et le mensonge d’Andrea, d’Andreas. Ils ne se connaissent pas, et pourtant, ils ont la sensation de vivre ensemble depuis des mois. Il ou elle n’était qu’une partie d’eux-mêmes, un appendice greffé à leur conscience, un être symbiotique... Une partie désormais envolée et disparue. Sarah ressemble à Andrea, Abracus a Andreas, le corps, là, sur la table froide en est la preuve même. Demain, la société Medialtek reprendra son jouet qui s’était enfui depuis quelques mois du laboratoire de Minsk. Pour Sarah et Abracus, la vie reprendra son cours, maudissant l’un comme l’autre la supercherie du sexe opposé et sentant ce vide, ce rien, cette bêtise d’avoir cru au sens de la vie, à l’existence. Dans un mois, quand tout sera oublié, l’illusion de l’amour fera son retour…
Le 23 Avril 2248, Abracus croisera Sarah à l’Extream.
10:37 - 3 déc. 2015
Cette nouvelle est l'introduction d'un recueil (X étant celle qui vient juste après celle là). L'administrateur au matricule étonnant; cette lettre à son adresse contient le discours d'un être qui est né sans le regard de l'autre. En psychologie, généralement, on considère (c'est une théorie évidemment) que le "Moi" émerge du regard d'un alter ego (les autres). Jacques Lacan va plus loin en évoquant des notions comme celle des petits autres (les individus qui nous entourent et qui n'arrivent comme nous, à ne pas surpasser leurs angoisses) et du grand Autre (le sujet qui a réussi à traverser le miroir, qui surpasse son angoisse, libre de l'état moral) dont je parle dans d'autres nouvelles. Ma question, ou plutôt la question sous jacente que je me pose, est, comment un être qui ne perçoit que par le biais de "sondes" informatiques ou d'une "réalité virtuelle" peut développer une conscience, une conscience du "Moi". C'est l'objectif du discours et de la nouvelle. Je pars sur une hypothèse d'une conscience mimétique. Le personnage n'est donc que le reflet de tous ceux qu'il croise. Toute pensée qu'il dit est donc celle d'un autre (c'est primordial ça par contre).
Par exemple la première séquence qui raconte le suicide du personnage est un jeu entre le "il" et le "elle". Le personnage est incapable de se définir. La lettre finale, séquence qui est reliée au prologue, a pour objectif d'ouvrir la réflexion sur la suite de tout mon recueil. En fait ce personnage n'a pas de cohérence, il ne fait que reproduire un schéma et l'expression de ce qu'il dit n'a pas foncièrement (ici) vocation à être compréhensible : ce n'est qu'une lettre contenant sa haine (qui n'a peut être aucun sens) sur un sujet que je n'ai pas évoqué du tout (l'évolution). Je souhaitais laisser au lecteur le désir de se faire sa propre idée sur le discours qui a pu avoir lieu. Mais il est important, je pense, de se dire qu'en réalité cette haine et les pensées évoquées (peut être peu compréhensibles) sont celle, par mimétisme, du sujet de sa haine. Ce n'est pas la haine du personnage mais la haine de ce fameux administrateur qui s'exprime là. Je vais méditer dans ma cave en tout cas, sur cette fin.
Après réflexions, je pourrais me passer complètement de la fin, puisque la fin, c'est le prologue. Ça éviterait peut être le problème de compréhension.
Bon je spoil un peu.
Cette nouvelle est ultra importante pour moi, car je vise vraiment à faire comprendre ce mimétisme. Au regard de ce que tu exprimes, j'ai raté des éléments. Je vais donc méditer sur comment dévoiler un peu mieux, que jamais le mutant n'exprime la moindre idée qui lui appartienne.
17:31 - 3 déc. 2015
La lettre ne me donne pas un sentiment de haine, à cause de la première partie, beaucoup trop philosophique et posée.
Ce qui m'ennuie dans ce que tu exposes, c'est que, non seulement il/elle (ce dualisme, cette non identité est bien transmise)ne ressent rien, mais surtout il n'agit même pas, car tout ce qu'il/elle fait est automatique, fait par toutes les machines de son corps. Du coup, il/elle ne peut rien apprendre et rien construire, puisqu'il est totalement à l'extérieur de ce qui se passe, il ne fait même pas "d'erreur", tout est parfait pour les gens qu'il/elle rencontre. Il ne peut rien développer s'il n'expérimente pas lui-même.
Autre soucis/chose qui me chagrine, on a à la fois l'impression d'un être totalement créé et en même temps une espèce de lien filial avec ce "papa", qui semble toucher quelque chose chez cet être.
J'ai donc compris qu'on a un être qui ne ressent rien et qui cherche à ressentir. Un être qui ne sait pas qui il est et qui se cherche à travers les autres. Cependant, cet être ne vit pas par lui-même, ni ce qu'il "ressent" ni ce qu'il dit ou fait n'est de son fait. Et ça, ça me laisse perplexe.
19:22 - 3 déc. 2015
Alors tout va bien si c'est ce genre de perplexité là. Je n'ai pas envie qu'on "aime" cette nouvelle, j'ai envie qu'on se pose cette question. Quant à l'amour filiale, hum, excellente question. Je n'y répondrais pas :D
22:06 - 3 déc. 2015
Bon, du coup, si je comprends bien, pour tout comprendre, faudra que je lise toute la série des nouvelles... Pfff, tu sais comment te créer un lectorat :P
10:36 - 4 déc. 2015
Je ne me sentais pas la capacité de faire un roman complet sans me perdre; j'aime changer de sujet, de forme d'écriture, de narration, assez souvent pour éviter de me lasser (et aussi par peur de l'échec). Je suis aussi parfaitement incapable de partager mes textes avec des lecteurs (au contraire de ce qu'on peut croire. J'ai par exemple refusé l'édition d'une de mes poésies, j'ai eu l'impression qu'on allait m'arracher un pan de ce que je suis; pour des articles ça va, pour des sensations couchées sur papier, c'est vachement plus compliqué). J'avais donc choisi un format de 6 nouvelles d'anticipation. Dans la réalité j'ai fini d'en écrire deux, j'en ai quatre en cours d'écriture. Je switch de l'une à l'autre pour me détendre. Le recueil s'appelle 2248. Chacune traite d'un sujet particulier du monde dans 200 ans (peut être que je ferais évoluer cette date pour être plus réaliste). D'ailleurs je switch même avec une nouvelle médiévale fantastique et une autre de science fantasy. Ca permet de s'aérer l'esprit quand les écrits durent, durent... Et durent encore.
Cette nouvelle Andrea, a vocation à ouvrir et être prolongé plus tard. J'ai particulièrement envie de retravailler le concept de "Mutanis Androgyne".
Allez, juste parce que j'ai une lectrice ( \o/ ), je pars de l'hypothèse suivante en biologie : "Chacune des expériences de notre lignée est génétiquement assimilé par notre ADN et transmis à la génération suivante." Ca doit te causer ça ^^.
14:21 - 5 déc. 2015
Non seulement ça me cause, mais c'est même déjà plus ou moins prouvé, au moins pour les expériences "traumatisantes".
Bon, je continuerai à commenter ce que tu voudras bien nous donner ;)