L'art d'écrire
Réflexion sur l'écriture
À partir d’une définition simple, la problématique fondamentale est que nous avons réussi à créer tout un système pervers qui, sans volonté, sans cadre, sans respect, peut dénigrer « naturellement » autrui. Est-ce une généralité ? La réponse est multiple et il convient avant tout, pour comprendre ce processus de société, de la force de la plume ou de la parole, de faire un tour de ce que signifie écrire. Écrire donc. Écrire est l’une des activités les plus simples qu’il m’ait été donné de pratiquer. Vous êtes capable de résoudre une intégrale triple ou de construire la charpente d’une maison ? Alors comment faites vous pour ne pas savoir écrire « normalement » (si tant est que la normalité existe) ? Écrire c’est respecter un ensemble de codifications comme partout, c’est du par cœur, c’est « juste connaître » les mots, savoir les agencer pour faire ressentir des émotions, ses émotions, ainsi que retranscrire tout ce que la parole et les intonations pourraient donner comme sens. Un art ? Non. Nous en avons fait un art avec le temps.
Mais réfléchissons par l’exemple.
MONSIEUR JOURDAIN
Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour ; mais je voudrais que ce fût mis d'une manière galante, que cela fût tourné gentiment.
MAITRE DE PHILOSOPHIE
Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un...
MONSIEUR JOURDAIN
Non, non, non, je ne veux point de tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.
MAITRE DE PHILOSOPHIE
Il faut bien étendre un peu la chose.
MONSIEUR JOURDAIN
Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles là dans le billet ; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on peut les mettre.
MAITRE DE PHILOSOPHIE
On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour.
MONSIEUR JOURDAIN
Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?
MAITRE DE PHILOSOPHIE
Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.
Ce passage de Molière dans Le bourgeois gentilhomme est un classique. Interprétable de diverses façons. Je ne m’appesantirai que sur un fait très important, centre de ma démonstration. La façon initiale d’écrire la phrase à la demoiselle n’est pas « forcément » la meilleure bien que plus simple et libre de toutes influences. Molière défend donc trois faits. Le premier que la spontanéité est primordiale dans l’exercice de l’écriture (elle permet de retransmettre le caractère de l’écrivain), le second que la tournure n’est pas d’une importance capitale. Cette seconde façon de voir la chose n’est pas évidente, et souvent controversée. Le dernier est un pamphlet à l’égard des précieux.
Forcément quand un quidam réagit et parle, il va transmettre une partie de son caractère, de sa vision des choses à son auditeur. Il va révéler par des mimiques, une intonation, une façon d’être et de tourner sa phrase, une grande partie de lui-même mais va aussi influencer l’échange qui se crée. On s’en rend compte en écoutant au lieu de parler, première étape de la connaissance d’autrui. Cela paraît trivial mais peu en réalité cherche à percevoir et à réellement écouter. Nous retrouvons exactement le même problème dans « l’écriture » puisque c’est une technique de dialogue et de création d’un échange. Chaque mot employé, chaque structure, chaque positionnement et chaque lettre vont avoir une influence non plus sur l’auditeur mais sur le lecteur. Ce parallélisme entre écoute et lecture révèle l’importance notoire de la lecture pour ressentir et modeler sa propre façon d’exprimer ses sentiments ou des sentiments. Bien entendu la différence est dans le fait que l'écriture contrairement à la parole est bien plus sujette au temps de la réflexion ce qui n'est pas sans impact comme nous allons le voir. De cette analogie, deux éléments démonstratifs vont révéler leur évidence. Le premier est que la lecture est la fondation du « savoir du mot », qu’elle est le cœur nécessaire à l’apprentissage de la communication écrite. Peu font la correspondance « démontrée » entre la lecture et l’écriture : c’est le même mécanisme que la parole et l’écoute. Le second est l’erreur probable, le non sens, l’incompréhension qui relève de la transmission et donc de la lecture (écoute) autant que de l’écriture (parole).
De cette affaire de spontanéité dont parle Molière, on pourrait donc déduire, qu’écrire rapidement, est gage d’une meilleure transmission des émotions primitives. J’aborde de manière succincte les propos d’André Breton et de son écriture automatique qui serait garante des révélations de la psychologie de l’écrivain. Il a sans doute raison. Au même titre que la parole dans le vif du sujet est un aveu de l’instinct, écrire de manière spontanée dévoilerait sa propre pensée. Or malheureusement, les surréalistes dans leur définition de ce type d’écriture, oublient bien vite qu’ils ont quand même un énorme bagage littéraire, un savoir initial, une fondation aussi large que l’acropole et donc de l’écoute/lecture suffisante pour avoir inscrit dans leur inconscient certaines codifications qui paraîtront absconses au néophyte. Pourquoi ? Pourquoi donc n’arrive-t-on pas à transmettre bien ses émotions lors des premiers jets ? Parce que justement, elle est élémentaire et archaïque : brute. Pourquoi les surréalistes y arrivent-ils ? C’est ce que je viens d’énoncer, l’empreinte de tout un système de communication sur l’inconscient, la façon de modeler qui devient un élément instinctif. Si vous jugez que vous écrivez mal en automatique, c’est que vous n’avez pas les fondements suffisants du dialogue et que vous manquez tout bêtement de pratique. Mais c’est exactement la même chose pour tous les outils ! Les talents, les vrais sont exceptionnellement rares, mais s’extasier devant un texte en dévalorisant vos productions est anti-progressiste et l’une des erreurs primordiale qui va mener la caste dites littéraire à jouer de sa superbe et à s’instiller comme intelligentsia. Notez que le génie c’est d’être perfectible. C’est un mouvement pas un état.
C’est en ce sens que je trouve que l’avis de Molière n’est pas forcément aussi pertinent qu’on pourrait le penser. Il considère qu’on voit tout, que le beau c’est l’instant émancipé. C’est peut-être une erreur et un raccourci à mon sens. En effet, si cela marque et révèle votre caractère rien ne dit qu’autrui pourra lui « saisir » votre propre perception – son expérience lui appartient, elle est unique et indivisible et rien ne peut affirmer qu’il va vous comprendre dans ce maelström du moment. Et c’est là que je ne rejoins plus Molière. La façon de structurer, d’employer des mots, la technique donnent des repères qui ont un impact « presque » similaire sur tous les lecteurs/auditeurs. Autant la perception peut changer d’un individu à l’autre, autant la technique perceptible donne des clés à la compréhension ; et c’est ce qu’on constate quand on écrit un premier jet : il est structuré d’une façon très brute, il manque de modelage, et pourtant il contient des indices de sensations. Dire « Vos beaux yeux, d’amour me font mourir » n’a pas du tout le même impact émotionnel sur un lecteur qu’un « vos beaux yeux mourir d’amour me font ». Vous ne saisissez aucune nuance ? N’y aurait-il pas un aspect décousu dans l’une, ou un ton supérieur dans l’autre ? Non ? Tout est « perception » dans le domaine de la communication et l’on se doit donc d’être un tantinet objectif sur ses propres émotions pour s’en démarquer et trouver le sens profond d’un énoncé. Le philosophe commet donc une erreur que je considère comme fondamental en laissant croire que c’est la première pensée qui est la « bonne ». Elle est la plus grande source d’erreurs et d’incompréhension dans le dialogue et l’intérêt, c’est que l’écriture permet, elle, de s’affranchir de l’instant. Il convient donc de mettre un bémol à la pensée de Molière et de se dire que justement, la place du mot, au même titre que l’intonation qu’on peut mettre dans une phrase, a de l’importance.
Par extension spontanéité suivie de travail technique ne peut que donner de « meilleurs » résultats car au-delà de la perception, l’écrivain médite sur sa façon de retransmettre ses idées. Tout le structuralisme appris à l’école poursuit ce but inavoué, d’offrir à tous, une méthode homogène de communication. C’est communautariste, effet purement socialisant. La langue devient un moteur d’insertion, de partage et d’échanges sur un plan équitable. D’où immédiatement une personne timide, qui a du mal à exprimer ses idées, qui doute, qui a des difficultés dans l’utilisation des codifications de l’écriture, sera très facilement mis au banc de l’ensemble de la société. Et malheureusement, nous ne sommes pas égaux devant nos capacités perceptives. Je devrais plutôt dire face à l’interprétation de la réalité que nous suggèrent nos sens. Il devient donc important pour « écrire » ou « parler » d’avoir un certain recul, une certaine notion de respect comme de réflexion. La dictature de l’instant doit être outrepassée et c’est là qu’on aboutit à une forme d’élitisme. Cet élitisme est la résultante de la cohésion entre nos sens et notre raison, qui prend du temps. Tous les êtres humains ne prennent pas ce temps-là. Il n’est en réalité aucun génie à savoir écrire, il est tout naïvement qu’une question de temporalité et d’intérêt réel à ce genre de travaux.
Notez que la parole est moins sujette à la réflexion que l'écriture aussi automatique soit-elle. Écrire c'est aussi avoir le temps de mêler la réflexion et la communication au contraire souvent de la parole. Rares sont les hommes capables d'avoir cette gymnastique du cerveau. On trouve donc dans notre société bien plus de gratte-papiers que d'orateurs malgré l'aspect « communiquant » du XXIème siècle.
Au travers de cet exemple tiré de Molière, que vous avez pu percevoir d’une tout autre façon que la mienne, je voulais principalement mettre en valeur des points importants dans le domaine de l’écriture. On considère trop souvent l’écriture comme un art, alors qu’il ne s’agit au départ que d’un système de communication social. Certes l’art est l’échec constant des tentatives d’expression, mais l’écriture n’a pas pour vocation d’être comme la peinture ou la sculpture. D’un « besoin » de communication, on en a fait un principe artistique et élitiste.
Avant de continuer, je tiens quand même à revenir sur un point crucial. On peut me rétorquer aisément que l'écriture est un art puisque moyen de transmettre des émotions et empreinte d'un certain esthétisme pour ne pas dire un esthétisme certain. C'est s'aventurer dans la définition de l'art, dans un relativisme né principalement au XVIIIème siècle.
Parlons donc un peu Romain. La racine du mot « art », ars (artis) qui a un grand nombre de significations dont, métier, savoir-faire, talent ou même adresse, nous révèle que l'art au sens Antique du terme n'a rien à voir avec l'idée qu'on s'en fait de nos jours. « Ars et usus », la théorie et la pratique. N'est-ce pas amusant ? On a fait dès la Renaissance, de l'art une forme d'esthétique et non plus de « savoir-faire ». Progressivement la technique « techne » chez les Grecs s’est fondue dans le beau subjectif. On pourrait jouer des amalgames dans les définitions de l'art en mélangeant, technique, esthétisme, création et production. À chaque période temporelle correspond sa vision propre de l'art. Du savoir-faire on en est arrivé à l'esthétique sensible. Aujourd'hui l'art englobe une foule de principes mais établit avant tout une relation entre récepteur et créateur. C'est une forme de communication entre l'artiste et l'extérieure, communication qu'il reste difficile à définir selon des règles (qui justement à l'époque Grecs étaient en vigueur). C'est ce que j'ai eu à cœur d'énoncer dans le premier chapitre. La régulation par la technique incline à l'élitisme. J'ai omis volontairement littérature que j'ai remplacée par écriture. Question de points de vue et de définitions donc.
Hegel, dans son classique Leçons sur l'esthétique évoque un point qui me paraît très juste « Le beau artistique est plus élevé que le beau dans la nature, dégage des formes illusoires et mensongères de ce monde imparfait et instable la vérité contenue dans les apparences, pour la doter d’une réalité plus haute créée par l’esprit lui-même. ». On sent bien déjà qu'il faut dans le cadre de la réception d'une œuvre artistique, savoir décoder la vérité derrière toute la techne que peut utiliser le créateur. Cela nécessiterait donc, par essence, d'être un puits de savoir. L'art ne serait pas juste une forme de dialogue mais aussi une représentation de la réalité, ou plutôt d'une réalité sensible perçue par son créateur. Connaissance, savoir-faire, création, il faudrait être un génie pour faire de l'art... C'est donc dans la définition même qu'on ressent déjà un certain élitisme et non plus uniquement dans la technique. Et c'est là que mon opinion s'en mêle. Comment peut-on définir comme artistique une réalité sensible issue des perceptions d'un seul individu (ou plusieurs), appliquant un savoir-faire (novateur ou producteur), alors qu'une poignée seule est capable de le « percevoir » et d'en analyser ensuite la « structure » ? Quel en est l'intérêt en terme social ? Si juste une poignée de Gaulois est encore capable de percevoir l'art de Balzac, peut-on le considérer comme de l'art ? Dans la définition artistique de son temps oui, aujourd'hui, peut être que non.
Avançons...
De plus en plus c'est l'aspect créatif qui prend le pas sur la technique... Le masque magnifique de l'art incompréhensible. Plus on paraît abscons, plus c'est beau. Un monochrome de Kasimir Malevitch ? Owi que c'est plein d'idées, de techniques, fascinant... Ironique. Ça devient de la démarcation. Comme un papi avec sa clope au bec, sur son vélo dans la montagne pyrénéenne, j'avance tranquillement vers le cancer de la littérature. Vous, jeunes et moins jeunes élèves, que cherchez vous à atteindre en écrivant ? Posez vous donc ces questions dont les réponses permettent de grandir un peu.
Au travers de tout ce que je viens d’énoncer, j’ai mis en valeur quatre principes fondateurs de l'art, et donc potentiellement de l'écriture :
Technique
Production
Création
Esthétisme
La technique tout le monde l'acquiert dans l'enseignement classique. À moins de faire le branleur au fond derrière un radiateur, si aujourd'hui vous vous reprochez de ne pas savoir écrire, dites vous que la fondation de l'apprentissage c'est la technique. Vous ne la maîtrisez pas ? Ne cherchez pas plus loin. La non maîtrise d'un des quatre principes rendra toujours vos textes merdiques.
Vous me trouvez contradictoire par rapport à ce que j'ai exprimé initialement. Évidemment. Je viens d'amorcer une petite réflexion sur l'art. La fondation même de la littérature c'est de savoir écrire, de maîtriser un certain savoir faire dans le dialogue, dans la communication mais c'est aussi être capable d'innovations et de subjectif. Vous avez sans doute vu que ces définitions font de l'art quelque chose d'élitiste à cause d'amalgames dans le tout « créatif », dans l'aspect « perceptible » qui devient quasi-dictatorial. Vous ne savez pas percevoir ce qui est écrit alors que votre voisin si ? Il doit forcément être plus intelligent que vous... Toute une catégorie de personnes s'arrête à ce genre de choses. Mais ce n'est pas uniquement dans l'art, malheureusement.
Toute évolution nécessite de la « volonté » et de l'engagement. Les quatre principes fondateurs qui permettent d'écrire de la qualité ne sont pas là juste pour faire jolis. La technique et la production s'apprennent, l'esthétisme et la création se perçoivent. Écrire juste pour l'une ou l'autre des briques ça ne fait mousser que le créateur, rarement le récepteur. De nos jours, avec l’évolution de la technologie et l’explosion du tout communiquant, je vois une foule de gens qui balancent des textes en omettant allègrement ces principes. Oh que oui je métaphorise, oh que oui je suis original, oh que oui j'avance dans l'étude de mon subconscient, oh que oui on me dit que c'est bien pour évoluer. Oh quoi c'est de la merde en barre, voilà ma réponse. Ma question sera donc très simple. Souhaitez vous écrire pour vous ou écrire pour les autres, pour partager, faire évoluer, montrer, sensibiliser ? Vous savez l'un des premiers trucs que l'on apprend quand on fait de la peinture, c'est savoir se détacher de ses œuvres. C'est souvent un déchirement pour l'artiste de vendre sa première toile... Vos textes ne vous appartiennent pas, ils ne sont pas vos enfants lorsqu’ils sont déposés à l’œil de tous. Vous pouvez greffer autant de techniques que vous souhaitez sans l'esthétisme, ce sera mauvais. Inversement vous pouvez faire dans l'esthétisme mais vous ne bernerez jamais les connaisseurs. De même un dernier conseil, n'idolâtrez personne. Je l'ai déjà dit une fois je le répète, le génie c'est d'être perfectible. Chez les petits pionniers tordus toute adoration sera sanctionnée par des coups de savates, l'objective perception est de rigueur malgré toute la subjectivité qui emplit l'art. C'est là tout le paradoxe.
Je vais aller dans l'exemple du jeu de rôle sur Internet. Chose que j'ai longtemps pratiqué pour m'en éloigner progressivement. C'est la pire des méthodes pour apprendre à bien écrire car c'est un plongeon vers le mauvais. En quoi ? Problème typique d'une transmission par miroir. L'auteur n'écrit pas réellement pour transmettre une réalité sensible, mais pour remonter son ego d'une manière inconsciente, pour réaliser des choses qu'il ne peut pas faire. L'écriture n'est pas un défouloir. Vous pouvez vous en servir comme tel, je ne vous le reprocherai jamais. Mais à défaut, pour développer votre plume il faut comprendre outre les principes énoncés, une chose fondamentale. L'artiste n'écrit jamais pour lui. Il transmet. Jouer un personnage c'est transmettre « au travers de ». Vous ne voyez pas la subtilité ? Réfléchissez. À moins d'adorer parler à vous même, je ne vois aucun intérêt dans une plume qui pleure, même la mienne. Le narcissisme. Le propre de l'artiste est donc aussi de savoir quand il fait de la merde et quand il travaille sur de l'art.
12:11 - 12 nov. 2015
Être bon pour critiquer ?
Critiquer pour être bon ?
Francisque Sarcey en est le contre exemple parfait. Sans doute inconnu pour la majorité d'entre nous, il s'agissait d'un critique d'art dramatique, qui n'a jamais été reconnu pour ses travaux d'ordre littéraire. Il s'est souvent battu bec et ongles contre Émile Zola et Victor Hugo. Il avait dans l'idée que le succès d'une œuvre était la règle de la critique, aimait à étudier les raisons de l'engoûment pour une pièce : les liens cachés qui pouvaient unir une œuvre à « son » public (vision très populaire, voire populiste). À l'inverse, François-René Chateaubriand fut un excellent critique ce qui lui valut d'être poussé vers la porte du Ministère des Affaires étrangères en 1824 pour l'avoir trop ouverte. Ce qui ne l'empêcha pas d'être un écrivain reconnu. Il est évident que la réponse à ces questions, dépend en réalité du talent de chaque individu, à percer dans le milieu, en acquérant la reconnaissance d'autrui (que ce soit le peuple, l'élite de la profession ou les artistes).
Résumer la critique, sur Ter Aelis ou ailleurs, au simple fait de donner un avis analytique qui fera progresser l'auteur est une preuve flagrante de la méconnaissance structurelle de tous les principes de cet art. Croire que la sémiotique, la narratologie ou le structuralisme sont là « pour aider l'auteur », c'est, de mon point de vue, une vieille superstition littéraire, une éponge imbibée dans les carcans scolaires. Et ces croyances se pressent dans les chiottes.
La critique.
Qui la pratique déjà ?
D'une part, le commun des mortels, le quidam, l'individu qui donne un avis, qui commente. C'est en général spontané, ça se transforme souvent en bavardage, parfois ponctué d'une teinte de snobisme, de goût du jour. Et l'on a la nette tendance à dénigrer ce genre de méthode alors qu'elle présente un avantage indéniable : entretenir un dialogue vivant avec l'œuvre. À force de la stigmatiser, auteurs et leurs congénères qui refusent l'avis de l'énergumène lambda oublient bien souvent qu'ils ont besoin, de lecteurs... C'est le moteur même de la Vie de n'importe quelle œuvre artistique.
D'autre part, les artistes eux-mêmes. Diderot fut l'un des premiers d'ailleurs à se lancer dans le genre et il en découvrit une expression artistique aboutie. Pourquoi ? L'écrivain ou le pratiquant (néophyte ou non) qui critique, cherche souvent une alimentation à sa propre verve créatrice. Elle peut paraître plus juste, plus tranchée, violente, et souvent emprunte d'une criarde vérité quand on se donne la peine d'en saisir tous les éléments. Elle peut décortiquer autant que provoquer, mais elle alimente les idées. A la manière d'un Démiurge, dans son double sens, la critique devient alors un « outil » pour le collectif même si la singularité de l'auteur se dévoile.
Pour terminer, les professionnels, ceux qui pratiquent la critique littéraire comme un genre à part entière. Malheureusement souvent, ils sont déconsidérés. L'élitisme ne fait pas bon ménage avec la basse populace ; il fait peur. Il vit rarement en harmonie avec l'artiste lui même qui le déprécie par son manque de créativité artistique, par le fait qu'il n'est pas réussi à accéder au statut d'artistes. Les techniciens sont malaimés. Mais force est de constater qu'il est souvent analytique et qu'une analyse aussi nulle soit-elle peut devenir intéressante si l'on prend la peine d'en saisir, tenants et aboutissants.
Sur Ter Aelis nous trouvons évidemment ces trois types de pratiquants. Présumer l'inverse, serait un postulat inique et surtout, par trop axiomatique et invérifiable, à moins bien sûr de clabauder à tort et à travers sur les utilisateurs. Bien qu'on puisse mettre en exergue des « groupements », on en déduit naturellement que chaque individu a sa propre façon de critiquer. On peut alors révéler des avantages comme des défauts à chacune des manières d'aborder une œuvre, comme j'en donne quelques exemples.
Mais continuons.
Les définitions ? Il existe bien des écoles aux visions différentes de l'approche de l'art de la critique - toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Comme je l'expliquais en introduction, résumer ça à une opposition diptyque fondée sur un seul type de pratiquant, n'a pas de sens. Une personne qui envoie un texte peut s'attendre et doit s'attendre à recevoir tous les types possibles de critique, à moins de le demander expressément. Nous ne sommes pas là pour nous branler la nouille entre nous. En résumé les critiques serviraient par leur forme, leur mansuétude, leur consensualité, l'auteur, tout en lui donnant des coups de pouce. L'autre ne serait tout bêtement pas la bonne méthode puisqu'elle serait uniquement mesquine de par sa structure et pire encore totalement égocentrique. Outch si je puis me permettre. Il existe différentes attentes de la part de chacun. Je ne nie pas le processus pédagogique ou sensible de la critique, mais en terme d'évolution, présenter un seul aspect des objectifs et des définitions reste très réducteur.
Venons-en au cœur du sujet même.
Quelles sont les différentes classifications de la critique, avant même de la définir, que trouve-t-on ?
L'école anglo-saxonne au travers du New Criticism se borne à la lecture microscopique par exemple et rejette l'œuvre expliquée par des causes externes. Elle met en valeur l'illusion intentionnelle de l'aspect créatif. Le formalisme russe se fonde sur la sémiologie de Ferdinand de Saussure en considérant la critique comme un art procédural et formel, tout en niant la dimension représentative « et » explicative.
La dimension critique est donc, dans la réalité, plus large que le simple « avis » ou « commentaire », raison pour laquelle je parle évidemment d'éponges et de chiottes. N'abordez que la critique descriptive (dans un mélange avec l'interprétative) qu'à partir du contexte simple qu'est le texte et de l'auteur, comme si « tout le monde » attendait un avis consensuel et analytique pour progresser, est une erreur d'ordre pédagogique qu'on apprend souvent dans des cursus de Lettres Modernes menant vers une préparation au CAPES (et à l'IUFM dans une moindre mesure). Interprétative ? Descriptive ? C'est quoi ? J'y arrive. Si l'on considère uniquement l'angle de progression peut-on se borner à un seul type de critique. Que faites-vous des éléments suivants par exemple ?
La critique explicative, fonction du contexte de production ? Charles Auguste Sainte Beuve qui lui explique une œuvre à partir de la Vie de son auteur. Hyppolite Taine qui prend en considération la race, le milieu et la temporalité, la sociologie au service du décodage de la langue ? Se faire juger en fonction de ce genre de critères peut être foncièrement gênant, dur à entendre et violent - mais rien ne peut faire affirmer que ce n'est pas « utile ». Les études sur le genre de la critique littéraire font souvent état du contraire. C'est donc une vision très romantique (pour reprendre ce qu'adore dire Goldmund) que de croire en des rumeurs inverifiées qui stipuleraient que pédagogie rime uniquement avec formulation de son propos.
Petite digression.
C'est ce qui fait d'ailleurs que le contexte éducatif français est en nette régression non au niveau de la créativité (sur laquelle on met le paquet) mais au niveau réel des connaissances acquises – c'est-à-dire de la fondation. À force de suivre ce consensus pédagogique, du type « il est interdit d'être méchant avec les gens ça ne les fait pas grandir », on aboutit malheureusement très souvent à des décrochages systématiques et symptomatiques d'un oubli ultra-important dans les processus d'apprentissage. Question de société... Et alors ? Une comparaison comme d'avec celle d'M6 par exemple reprend exactement ces principes et contrairement à ce qu'on peut croire de prime abord a une influence notable sur la progression. Je vous conseille d'ailleurs particulièrement les 3 tomes de Portraits littéraires de Sainte Beuve, en ce qui concerne ce type de critique. Vous verrez que la violence de certains propos a souvent des effets plus pédagogiques que les croyances analytiques parfois néfastes. C'est un aspect culturel moraliste et sociologique que de ne voir que la théorie de la réussite et de l'encouragement. L'échec et le raté sont une source de progression trop négligée par l'ensemble de la communauté éducative. Et ça, mes amis, ça s'apprend. Parler de souffrance quand on est simplement dans l'échec c'est se triturer le cerveau pour tenter de donner un sens à sa vie... C'est très triste. Dire à quelqu'un que ce qu'il fait est merdique en mettant l'accent sur un point précis, peut être tout aussi intéressant que de pondre une analyse structurée. Ceux qui prétendent le contraire, n'ont, à mon sens, jamais fait de pédagogie, et ne raisonnent que sur de la théorie (et encore uniquement celle qu'on leur a présenté en coup de vent).
Fin de la parenthèse.
La critique interprétative, l'esthétisme et le goût. Celle qu'adore Emmanuel Kant dans sa Métaphysique des mœurs se rapproche de l'attention qu'il faut porter à la forme qu'on emploie. Celle qui a l'air de vous poser tant de problèmes. Avec sa définition d'une œuvre comme manifestation d'une conscience, on cherche alors en critiquant à déterminer la fibre « créatrice », l'intention qui provient des méandres de l'idée. Formée des trois éléments que sont la sensation, l'intelligence et la mémoire, elle est une orientation d'étude entre l'auteur et son texte, très romantique dans l'âme. On distingue d'ailleurs une composante très admirative issu du XIXème dans cette méthode d'étude d'un texte. Dans la même lignée, les existentialistes ont voulu absolument préserver l'unicité d'un individu et se sont orientés vers ce type d'examen. On oscille entre les thématiques abordées et les consciences, on vrille de l'ensemble vers l'unique, du général vers le détail. C'est assez paradoxal. C'est une méthode très occidentale dans sa façon de procéder, éprouvé depuis pas mal de temps. C'est aussi celle qu'on emploie souvent.
La dernière méthode serait la critique dite analytique, celle que j'ai expliquée au début, Saussure, New Critiscm en sont les exemples les plus usités. Dans ce cas précis, l'auteur n'est plus une autorité toute puissante nécessaire à l'étude du texte. Tout se déroule selon des procédés formels, établis et construits à partir de techniques éprouvées. On pourrait longuement décrire chacun des divers procédés, mais ce n'est pas le sujet.
Trois méthodes.
On pourrait en greffer une ou deux supplémentaires. Mais l'essentiel est présenté ci-dessus. À partir de là, on peut rechercher une définition de la critique.
Comme pour les types de pratiquants, partir sur l'hypothèse d'un seul type de critique « intéressant » sur un site communautaire est encore réducteur. Je me fiche éperdument que cela dérange, que 67% des gens attendent plus des avis « gentils » mais toujours « justes ». L'important est de comprendre que critiquer est aussi écrire un certain genre littéraire, que critiquer est une façon de parler d'une œuvre, que critiquer n'est pas là que pour servir les intérêts d'une personne.
L'important.
Vouloir sans cesse coller une connotation évolutive ou moraliste à la critique est un système de pensées qui ne tient pas compte de toutes les données historiques, analytiques et même pédagogiques des travaux existant dans le domaine. Il n'est pas possible d'affirmer que dire du bien d'une chose est l'unique solution sur un site communautaire pour la mettre en valeur. C'est faux, archi-faux, et démontré par tout ce qui touche à l'étude sociologique des systèmes didactiques (éducatifs pour être simpliste, ce sera d'ailleurs sans doute l'un des thèmes abordés par la suite). Tous les pratiquants sont différents et à partir de là, ils pratiquent à leur manière.
Les dictats ne sont pas mon credo. Je n'oblitère pas 80% d'une définition, par démagogie, pour satisfaire un besoin argumentaire.
Passons.
Je rejoins souvent les opinions de Marcel Proust en la matière, avec sa célèbre citation qui amène réflexions sur ce qu'est l'œuvre artistique : « L'artiste n'est plus un Homme » (que je coupe de sa fin comme un sagouin). De mon point de vue, à force d'analyses dans nombre de domaine, j'en ai appris à être « technique », en suivant des logiques mathématiques même quand je travaillais dans le domaine de la linguistique. Tiens d'ailleurs, Roland Barthes lui prenait souvent des éléments de linguistique pour appuyer ses raisonnements. Et moi j'aime bien Roland Barthes. Mais qui serait assez crédule pour croire que ce gentil monsieur pensait avant tout à la progression de l'auteur qu'il critiquait... C'est... Spéculer et non plus raisonner. Dans le domaine analytique, on ne spécule pas. Je vois donc la critique en tant que tel comme un amalgame potentiel de ces trois types de critique énoncés, adaptable en fonction de tous les critères possibles et imaginables : goût du jour, sociologie de l'auteur, objectif qu'on se donne, envies, esthétique, réflexion globalisante sur l'œuvre, réflexion personnelle.
Je résumerais donc simplement le processus de critique au travers de quatre petits verbes d'action, définir, classer, analyser et mettre en relation : le reste c'est du pipi de chat. On pourrait même parler en allant un peu plus loin, d'art de la déconstruction pour comprendre l'essence créative. Si vous commencez uniquement à penser au bien être de l'auteur, vous induisez des comportements très précis dans votre analyse. Comportements qui en réalité seront tournés vers un seul objectif oblitérant tous les autres. La structure n'aura alors plus aucun des objectifs objectifs visant à faire parler de l’œuvre. On appelle souvent ce genre de choses : du bavardage. Non que ce soit péjoratif, il est toujours amusant de bavarder, mais ça n'a qu'un rapport succinct avec l'art de la critique. Vous allez donc, en réalité, dans un mur explicatif qui ne sert ni l'auteur, ni l’œuvre, ni la réflexion nécessaire à la compréhension, ni le processus créatif.
L'aspect pédagogique reste donc une composante à ne pas négliger en fonction évidemment des objectifs que l'on souhaite atteindre, mais elle n'est pas primordiale même dans notre communauté Aélissienne. Je tiens par ailleurs à bien mettre l'accent sur l'erreur du terme « communauté ». L'éclectisme et les attentes différentes de tous les auteurs font qu'on ne peut communautarisé tout le monde dans un processus généralisant. S'amuser à devoir sans cesse s'adapter à un auteur pour son simple bonheur ou son éducation, chose que je fais assez souvent, n'est pas « que » du domaine de la critique (c'est d'ailleurs même juste un bout de ce qu'on appelle genre critique, voir au dessus). C'est aussi d'ailleurs à l'auteur de faire l'effort de comprendre ce qui est dit. Notez donc, chers élèves, qu'il est nécessaire dans une passion artistique de se remettre en question quel que soit le degré et la virulence des propos d'autrui. Il faut bien comprendre que chacune des composantes de l'art de la critique peut se trouver dans une phrase aussi mince que « ton œuvre est bordélique » et il n'est pas nécessaire d'employer tout le processus d'un Saussure pour en comprendre l'utilité. Chacun devrait être apte à le faire lui même en apprenant les méthodes.
Sur Ter Aelis, un Goldmund quand il écrit n'attend sans doute pas du tout, les mêmes commentaires qu'un Kinder, ou qu'un Sanz ; qui lui-même n'attend pas les mêmes choses qu'une Lilith qui débute. (l'article date ! :D). Faire fi des autres méthodes sous couvert démagogique de pédagogie est impropre. Notamment quand on ne connaît ni les processus d'évolution pédagogique, ni tous les tenants et aboutissants du mot critique.
C'est donc, très critiquable en soi.
La critique c'est l'art du jugement, de la déconstruction pour « comprendre » le processus créatif.
La pédagogie c'est l'éducation de l'esprit critique.
Nuance à saisir, mais je m'arrête là pour le moment.
Nous parlerons sans doute de pédagogie ensuite, et d'esprit critique.
Ce qui en soit est radicalement différent.
Il faut donc être apte à éviter l’amalgame entre la didactique et l'art de la critique.
De la déconstruction positive pour être au goût du jour ?
Récréation !
12:14 - 12 nov. 2015
N'hésitez pas à donner votre avis sur les éléments de ces démonstrations. Vous pouvez même y aller de la critique générale de paragraphes ou des demandes de précisions. Je suis preneur. Et mieux encore, si dans votre prochaine critique ou nouvelle, vous avez pensé à ce que j'ai écrit, faites en part !
17:07 - 12 nov. 2015
Tout ceci pour introduire une notion qu'on appelle le structuralisme.
Autour de ce mot se cache en réalité une méthode de travail (contesté pour son penchant parfois dogmatique) qui est utilisé dans tous les domaines. Ferdinand de Saussure en a posé les fondations au début du XXe siècle.
Qu'est ce qu'une structure ? En linguistique, une structure est une entité peuplée de dépendances (une entité non atomique donc). Chaque élément du langage, dans cette méthode, n'existe concrètement ou abstraitement que par sa/ses relations (associatives ou oppositives) à d'autres éléments. Ferdinand de Saussure appelle ça le relatif et l'oppositif. La signification, le sens sont donc des concepts très mathématiques, sortes de différentielle entre les éléments de la phrase. A partir de cette définition, on peut expliquer le structuralisme comme une étude d'un élément à partir de la place qu'il occupe dans tout un système.
Pour « expliquer », on emploie donc un processus logique constitué
Il existerait donc en deçà de la conscience et de la pensée un « fondement objectif » qui serait une organisation logique de l'inconscient. Rien de bien compliqué en somme. Le structuralisme Saussurien est donc une étude logique du lien entre l'inconscient des individus et l'expression du langage. Cette méthode s'oppose radicalement au formalisme ou à l'humanisme qui sont une tendance « naturelle » chez l'Homme. Soyons bref, l'humanisme c'est la prédominance du « je » en tant que sujet dans le système linguistique. Toutes les études se font donc à partir du Moi. Il serait l'origine et la cause de tout le langage. À partir du moment où l'on étudie les relations entre les mots pour comprendre leur signification, on rejette progressivement le « Moi » (je), ou même le « collectif » (nous en tant que dimension sociologique impactante). Ce rejet n'est pas violent, il est une conséquence de toute la méthode que je vais expliquer un peu plus en détail. Disons simplement qu'on considère le sujet comme un effet de la langue et non plus comme une origine du langage. Il n'est qu'une « relation ». Nous ne sommes définis que par nos relations, pas par notre Moi.
Les impacts sont énormes dans des domaines multiples.
- En sémiotique (étude des symboles et des signes en termes sociaux : images, concepts, etc. Pour vous donner un ordre d'idée, la sémantique est une branche de l'étude des « mots », de la sémiotique). C'est d'ailleurs le domaine de prédilection de Roland Barthes, comme je vous l'ai cité précédemment. Je présenterai dans un chapitre ultérieur ce qui se cache réellement derrière ce terme un peu barbare, une chose après l'autre.
- En psychanalyse, Jacques Lacan, qui en s'éloignant progressivement des idées d'Hegel (joker pour vous l'expliquer j'ai pas des heures devant moi) pour rejoindre le structuralisme notamment en pensant que « L'inconscient est structuré comme un langage », a fait évoluer la pensée freudienne vers ce que la psycho est aujourd'hui. Les découvertes dans le domaine ont été d'ailleurs, depuis 1954 et la création de l'école française de psychanalyse, fantastiques grâce à cette méthode.
- En épistémologie (en gros l'étude de l'histoire des sciences), surtout avec Michel Foucault dans sa philosophie ontologique. Il met en valeur l'aspect relationnel (non au sens sociologique du terme) entre les différentes structures d'étude de l'Histoire. Il introduit une rigueur et des logiques scientifiques dans son propre domaine en suivant la méthode structuraliste.
...
Bref, revenons-en à l'aspect linguistique, branche la plus développée de la sémiotique. Comment fonctionne le structuralisme Saussurien en la matière et à quoi, vous, écrivain en herbe, va-t-il vous servir ? À comprendre comment fonctionne une langue, et tous les éléments qui peuvent vous sembler minimes mais qui constituent l'essence même de la logique des langages. C'est bien beau de savoir écrire, mais comment fonctionne le processus de compréhension ? Quels sont les liens entre la pensée et le langage ? Pourquoi mettez-vous un mot, plutôt qu'un autre, et pourquoi à cet endroit et pas à l'autre ?
Le structuralisme est bien plus qu'une méthode, c'est une véritable dialectique. Restez quand même critique à l'égard de ce qu'on appelle la dialectique car elle met en place des paradigmes et non des axiomes. Elle est donc la résultante d'une façon de voir le monde et non une observation scientifique. La nuance est de taille, et Nietzsche, principalement, s'oppose à toute forme de dialectique. Pour les plus férus de ce malade mental, la notion de surhomme explique tout. Mais on s'en fout un chouilla. C'était principalement pour vous montrer que malgré les grands noms qu'on trouve dans le structuralisme, tout le monde n'a pas le même mode de pensée, grand bien nous en fasse d'ailleurs. Si je vous présente cette dialectique c'est surtout car elle va, je l'espère, vous permettre de vous rendre compte de l'impact gigantissime du positionnement des mots dans la compréhension sonore d'un texte oral ou écrit (raison pour laquelle je conseille souvent de lire à voix haute).
Tout ceci est donc très rationnel, malgré la verve romantique que certains instillent chez les autres (et surtout le côté parfaitement religieux et sacré fournis par l’intelligentsia). Ah certes du Baudelaire, c'est « beau ». Mais quand on décortique sémiologiquement parlant, vous verrez, dans un exemple concret, que c'est au bout du compte un ensemble de relations « simples » qui donnent cet aspect à son œuvre. Et que 80% de son œuvre évoque les mêmes relations structurelles. Disons que les génies sont souvent des gens qui ont une compréhension symbolique et signistique plus développée.
Rentrons dans le vif du sujet et présentons les éléments de la méthode. Corollaire à la méthode, il est à noter que les processus sociaux sont issus de structures inconscientes. C'est une sorte de lemme à toute la méthode. Mais mes définitions ne vaudront jamais celles de Lévi-Strauss :
Cette définition ne s'applique donc pas qu'au domaine de la linguistique mais elle fait prévaloir un principe d'équivalence entre le langage et toutes les relations ou sciences issus de l'étude de principes humains. Cette méthode peut donc s'appliquer à beaucoup de domaine du moment qu'on arrive à mettre en valeur et démontrer les liens entre le langage et le « système » à étudier. En gros, c'est un raisonnement très usité en mathématiques, sauf que le structuralisme définit véritablement les façons de raisonner et non pas uniquement les règles.
Il est important d'expliquer aussi que le structuralisme se découpe en deux grandes branches : la synchronie et la diachronie. La première est l'étude des signes relativement à d'autres signes (par des liens logiques), la seconde est l'expression de l'évolution des signes dans le cours du temps (historique).
Deux autres concepts sont des préalables à toute la suite de la méthode. La notion de signifiant et de signifié. Le premier est un concept matérialisé dans l'esprit d'un individu, le second est l'expression de cette matérialisation par un son.
Une fois ces fondations posées, nous pouvons entamer la structuration des relations du langage. Ferdinand de Saussure a été très rigoureux, voire même trop, ce qui rend son modèle peu extensible.
Tout d'abord, l'unité linguistique, qui est l'élément le plus important : il constitue la plus petite structure du discours. C'est potentiellement assez vague et donc intéressant à étudier. Il peut s'agir d'un ensemble de sons, la délimitation étant au gré des concepts développés. L'unité est donc en réalité une dualité entre le concept et le son. Pourquoi ? Si l'on aborde uniquement le côté sonore voici l'un des problèmes sur lequel on peut tomber à l'oral (exemple type).
Je la prends. (1)
Je l'apprends. (2)
Ces deux unités linguistiques ont une phonétique identique (un son identique, un signifié identique). C'est le contexte et les relations qui vont permettre d'en comprendre le sens : le découpage de l'unité linguistique en fonction du concept est donc pri-mor-dial. Il faut à la fois un signifiant ET un signifié.
Je la prends sauvagement. (1)
Je l'apprends de mon plein gré. (2)
Je l'apprends ce vieux cours pourris. (3)
On constate quand même que malgré de nouvelles relations entre les mots dans les cas (1) et (2) le sens reste flou (le concept). On voit donc que même malgré les relations, il faut parfois un contexte pour comprendre le sens d'une chaîne sonore. Par extension, ces relations qui sont établis dans la langue, et qui vont permettre d'appréhender le sens sont de deux types :
- les unes perceptibles, celles qu'on appelle « syntagmatique ». Les associations se font grâce aux sens qui précèdent ou qui suivent. Par exemple « avec [relation] Michel » (On lit d'abord le « avec » qui représente la relation et ensuite on lit « Michel ». La compréhension se fait donc par rapport à ce qui suit - en français de gauche à droite à l'écrit) ou « re-jeter » (relation cette fois qui précède : dans ce cas pour comprendre on fait le cheminement inverse, le sens est situé « avant » jeter). On en revient à ce qu'on appelle en structuralisme : relatif / oppositif. Gauche droite, droite gauche, le sens du sens.
- les autres sous-jacents qu'on appelle « associatif ». Ils sont plus difficiles à concevoir. Il s'agit des liens qui unissent les mots en fonction de type de relations. Par exemple « maçon » est relié à « maçonnerie » par parenté. Il existe des relations de type analogiques (comme pour « pédagogie » et « enseignement »), etc. Tout ce qui est considéré comme des « associations ».
On voit bien que ce double ensemble permet de coordonner le langage et de le structurer. Chaque relation visible ou invisible (déductive ou évidente) marquant du « sens ». Quand je parlais de Molière dans le premier chapitre, ne trouvez-vous pas soudainement que la position dans la phrase d'un mot peut en modifier, parfois d'une manière subtile, le sens, l'émotion ? Tous ces liens deviennent une chaîne que constitue la phrase et la compréhension se fait par l'interprétation de cette chaîne phonétique.
Je vais reprendre un exemple issu de Levi-Strauss pour « schématiser » la chose. Le rôle des femmes dans la société. Ce qu'on appelle le lien de parenté (une relation) s'apparente à un langage dans une conception structuraliste. Pourquoi ? Vous avez ce qu'on appelle un fait biologique : la reproduction. Un ensemble de règles « sociales » assure la pérennité de l'espèce par un système sociologique qu'on appelle le mariage, et ce pour éviter toutes les relations d'ordre consanguines. Le lien de parenté est donc un « langage ».
Seconde question. Seconde réponse. Et oui cher écrivain en herbe, il s'agit d'un phénomène (atomique/unique) de communication virtuelle entre des individus fondé sur des mariages pour assurer la mixité de l'espèce (relation). Il en est de même pour le langage, il faut bien saisir que les relations mises en place n'évoluent pas, elles sont non pas « formalisées » mais méthodiques et relatives. Vous pouvez certes changer les règles sociologiques du mariage, vous aboutirez toujours à un système qui favorise la mixité - en linguistique, la fluidité, le sens, et le rapport signifiant/signifié. (vous l'avez sans doute remarqué je l'espère - à faire une distinction non négligeable entre Boileau et M-Pokora même si les mots ont changé en cinq-cents ans, vous êtes toujours à même de saisir par les relations entre les mots, le sens et l'évolution de votre langue). Allons plus loin même : « Échanger des signes ou échanger des femmes, phénomènes comparables » (ne me sautez pas dessus !). Belle conclusion n'est-ce pas ? Je finis quand même avec cet exemple qui est très révélateur de la méthode. C'était juste pour vous montrer que vous pouvez étendre le structuralisme à beaucoup de systèmes.
Pour terminer cette première partie, je tenais quand même à vous faire réfléchir. Avant de rentrer dans le détail du positionnement, des signes, du langage, je voudrais vous faire remarquer que souvent vous vous interrogez sur comment l'être humain peut penser les mots. L'envers... Demandez-vous plutôt comment les mots se pensent à vous, à votre propre insu. Si vous avez déjà cette perception vous aurez déjà réalisé une partie du travail qui consiste à faire évoluer votre propre style. N'oubliez jamais une chose, ce que vous avez appris au lycée, ou au début de vos études n'est que de la poudre aux yeux exprimant bien souvent des méthodes vieilles de plus de deux siècles.
Nous prendrons un exemple pour le décortiquer et nous parlerons de la NSM : Natural Semantic Metalanguage.