6 nov. 2015 - 21:33
Le récit qui suit a été publié pour la première fois en juin 2014 dans le recueil "Antho-Noire pour Nuits Chaudes" (édition la Cabane à Mots).
Je le présente ici en exclusivité à l'occasion de l'inauguration de la nouvelle plate-forme Ter Aelis 2.0.
Avant d'ouvrir le spoiler, veuillez bien noter qu'il s'agit d'une nouvelle érotique réservée aux adultes majeurs et à un public averti.
Je le présente ici en exclusivité à l'occasion de l'inauguration de la nouvelle plate-forme Ter Aelis 2.0.
Avant d'ouvrir le spoiler, veuillez bien noter qu'il s'agit d'une nouvelle érotique réservée aux adultes majeurs et à un public averti.
Pour un bouquet de roses
J´ai perdu mon amie,
Sans l´avoir mérité
Pour un bouquet de roses,
Que je lui refusais
Sans l´avoir mérité
Pour un bouquet de roses,
Que je lui refusais
Marc rêvassait depuis une demi-heure sans prêter attention au cours de droit des obligations. Son imagination se perdait quelque part, de l'autre côté de l'allée centrale de l'amphithéâtre, là où une jeune gothique se penchait au-dessus de ses notes. De son fauteuil, Marc pouvait observer les longues jambes striées de résille qui dépassaient de la jupe. Il suivait des yeux chacun de ses mouvements, dans l'espoir d'apercevoir son décolleté par la chemisette entrouverte. Arnaud rompit le charme de l'instant d'un petit coup de coude contre son bras. Marc se tourna vers son voisin qui mima alors une masturbation frénétique sous l'écritoire pour se moquer de lui. L'étudiant de troisième année secoua la tête en silence, navré par l'ineptie de son camarade.
— Je suis sorti avec une fille comme ça en première année, glissa Arnaud à l'oreille de Marc. Elles sont super chaudes ! Par contre elles sont complètement barrées dans leurs têtes. Tu devrais laisser tomber !
— Je te remercie du conseil, mais lâche-moi un peu la grappe ! rétorqua Marc.
Le maître de conférence fit apparaître un nouveau schéma sur l'écran de projection. Marc fit semblant de se s'intéresser au cours et en profita pour mettre fin aux élucubrations d'Arnaud. Du coin de l'œil, il poursuivit cependant l'étude minutieuse de la belle gothique. Teint pâle, cheveux sombres, ongles rouges dépassant de mitaines noires et platform boots : elle portait la panoplie complète de sa tribu. La fille se redressa d'un coup et s'étira pour délasser ses membres crispés puis se cambra pour se masser la nuque. Son geste bomba sa poitrine menue et Marc vit apparaître les dentelles de son corset. Il s'imagina parcourir ce corps élancé à la recherche de plaisirs farouches. Malgré l'expression studieuse et fermée de l'étudiante, il fantasmait sur une furie déchaînée, prête à le chevaucher dans une étreinte effrénée. Depuis des mois, il ne pouvait s'endormir sans une pensée crapuleuse à l'attention de l'inconnue. Sa libido en avait fait sa muse. Pourtant jusqu'ici il n'avait jamais fréquenté de créatures iconoclastes ou éprouvé d'attirance particulière pour les gothiques.
L'étudiante se sentit observée et lui adressa un regard appuyé. Ses yeux clairs rehaussés d'une épaisse couche d'eyeliner plongèrent dans les siens. Le garçon rougit comme un gosse surpris dans sa chambre devant un porno. Il resta cependant fasciné par la brune qui le scrutait et jouait négligemment avec un bouton de chemise. Elle finit par lui lancer un clin d'œil sans pour autant lui sourire avant de se replonger dans ses notes. Il resta idiot et ne sut comment interpréter ce signe. Il aurait voulu répondre par le même geste ou par un sourire engageant. Il soupira, dépité par sa propre stupidité et consulta l'heure sur son portable. La journée de cours de ce jeudi finirait dans moins de dix minutes. À côté de lui, Arnaud n'en avait pas perdu une miette.
— Et ben dis donc ! siffla celui-ci. C'est elle qui te fait des avances on dirait !
— Je crois que je devrais aller lui parler à la fin du cours.
— À tes risques et périls, plaisanta Arnaud. Mais tu es sûr que c'est le bon moment ?
— Comment ça ?
— T'as oublié que sa copine a été retrouvée morte le mois dernier ?
— Elle a peut-être besoin de discuter ou de prendre l'air.
— Ou bien elle a juste besoin d'un petit coup de queue !
— T'es con, je te jure !
— Ose dire que tu n'y a pas pensé.
— Pas dans ces termes en tout cas.
Marc remettait depuis trop longtemps le moment où il irait l'aborder. À vingt-et-un ans, il était un jeune homme taciturne et mal à l'aise avec les filles. Surtout lorsqu'il s'agissait de grandes brunes intimidantes. Il avait fondé ses espoirs sur une simple constatation : elle semblait ne pas fréquenter les autres étudiants et depuis que son amie était morte, elle lui paraissait plus isolée que jamais.
Le professeur libéra les élèves à l'heure convenue et Marc s'empressa de ranger ses affaires pour coordonner son départ sur celui de la jeune fille. Ils gravirent les marches qui remontaient vers la sortie côte à côte, chacun faisant mine d'ignorer l'autre. Marc sentit sa gorge se serrer et ses mains devenir moites. Il resta dans le sillage de la gothique lorsque celle-ci traversa le hall de la fac, puis demeura derrière elle sur le parvis, ne trouvant pas le courage d'aller à sa rencontre. Enfin il se racla la gorge et courut se mettre à sa hauteur.
— Salut ! entama-t-il.
— Enfin tu te décides !
— Hein ? balbutia-t-il.
— Je me demandais si tu réussirais un jour à m'adresser la parole.
— Je... Pardon ?
— T'es mignon ! plaisanta-t-elle dans un sourire mordant.
— Excuse-moi de t'aborder comme ça. C'est juste que je me demandais si...
— Si ?
— Tu voudrais pas aller prendre un verre ? Je sais pas... demain après les cours par exemple ?
— Non, désolée.
— Oh ! fit le jeune homme déçu. Pardonne-moi, je voulais pas t'embêter. Je te laisse tranquille.
— Non ! Je veux juste dire que demain après-midi j'ai quelque chose de prévu. Mais si tu veux on peut passer à la cafétéria dès maintenant.
— Là, tout de suite ? bredouilla Marc.
— C'est ce que j'ai dit.
— D'accord !
Ils traversèrent le campus jusqu'à la cafétéria universitaire. Il demeura muet sur le chemin tandis que la fille consultait un message sur son téléphone.
Arrivés dans le réfectoire, ils s'installèrent après avoir acheté des sodas au comptoir.
— Enchantée, je m'appelle Annabelle, fit la jeune fille, agacée par le mutisme de son camarade.
— C'est un joli prénom. Moi, c'est Marc.
— Pas très original, commenta-t-elle.
— Désolé...
— Arrête de t'excuser sans arrêt pour rien !
— Pardon ! C'est juste que j'ai pas l'habitude de...
— De draguer des étudiantes de ton âge ?
— En quelque sorte. Quoi que je sais pas si « draguer » soit le mot juste.
— Allez, c'est bon, dit Annabelle en lui tapotant la main. J'ai bien remarqué que tu me matais depuis le début de l'année.
— C'est parce que je te trouve très jolie à regarder.
— T'es du genre petit voyeur timide ?
— Non ! s'exclama Marc, sur la défensive.
— Détends-toi je plaisantais, soupira-t-elle.
Marc se calma peu à peu. Ils poursuivirent leur conversation en passant en revue quelques platitudes sur la vie étudiante et sur leurs parcours respectifs. Annabelle avait, elle aussi, vingt-et-un ans et était revenue dans sa ville natale pour suivre le cursus de droit. Marc avait du mal à cerner la personnalité de son interlocutrice. Elle ne souriait presque pas et lui assénait parfois quelques remarques sèches. Toutefois elle ne semblait pas encore ennuyée par sa présence ou ses questions.
— Écoute, Marc, le coupa-t-elle alors qu'il lui exposait sa passion pour l'ornithologie, c'est un peu morne ici. Tu voudrais pas continuer ailleurs ?
— Pourquoi pas. Tu voudrais aller où ?
— Je connais un bar sympa en ville. J'avais l'habitude d'y passer avec Ludivine.
— Ludivine ? Oh... ta copine qui est...
— Morte ! lâcha la jeune fille, cassante.
— J'ai vu l'annonce sur le panneau d'affichage du hall, expliqua Marc.
— La photo était mal choisie je trouve. Une idée de ses parents, pesta Annabelle.
— Tu la connaissais depuis longtemps ?
Annabelle ne répondit pas. Elle se leva et prit son sac pour quitter les lieux. Marc la suivit, docile et intrigué. Elle le guida à travers des quartiers inconnus de la ville. Ils prirent le bus et continuèrent à pieds. Marc craignait d'être incapable de se souvenir de la route jusqu'à la cité universitaire où il logeait. En chemin, Annabelle lui raconta son amitié avec Ludivine. Elles avaient passé leur adolescence dans le même lycée, puis chacune avait dû déménager et s'éloigner de la région. Elles s'étaient retrouvées plusieurs années plus tard sur les bancs de la fac. Marc ne connaissait pas les circonstances de la mort de Ludivine et il n'osa pas aborder le sujet.
Les Fleurs du Mal était un bar entièrement dévolu à la clientèle gothique. L'intérieur rappela à Marc les décors de films de vampires : pierres et poutres apparentes, meubles de bois sculptés, candélabres et velours rouge sur les banquettes. Sous la surface vernie de chaque table étaient peintes des planches de ouija. Le patron accueillit Annabelle chaleureusement, mais n'eut pas un regard pour le jeune homme qui l'accompagnait. Vers le fond du local, installé dans un immense fauteuil, un homme vêtu de noir lisait à la lueur de bougies ; Annabelle hocha la tête à son encontre. Plus loin, un jeune couple se bécotait à une table près d'une bibliothèque où trônaient statuettes macabres et livres de magie. En fond sonore, Marc crut reconnaître un classique du rock métal.
L'expression d'Annabelle changea du tout au tout dès qu'elle se laissa tomber sur l'une des banquettes, comme libérée d'un poids ou libre d'être elle-même et de baigner dans son élément. Elle commanda deux bières rousses au patron qui toisait Marc depuis son comptoir. Le jeune homme observa la salle dans laquelle régnait une pénombre étudiée ; d'épaisses tentures filtraient la lumière du jour, offrant une ambiance tamisée à tout le pub.
Annabelle s'avachit et posa sa tête sur son genou replié. L'éclat d'une chandelle luisait sur le bout métallique de sa botte posée au bord de la table. Assis en face d'elle, Marc pouvait voir la jupe glisser d'un millimètre à chaque seconde. Annabelle déboutonna son chemisier puis se débarrassa du vêtement avant de le ranger dans son sac. L'entrelacs de lacets et de dentelles du bustier émerveilla le jeune homme ; il caressa du regard les épaules fines de l'étudiante, ses bras délicats et les pétales de la rose rouge tatouée qui émergeaient de son corsage.
Le patron vint déposer les consommations servies dans d'imposantes coupes de verre et d'étain.
— C'est... très étrange comme endroit, hésita Marc.
— Ouais, ça change, lui répondit Annabelle en sirotant sa bière.
— Ça fait longtemps que tu es gothique ?
— Depuis le collège.
— En tout cas, cette tenue te va très bien.
— Merci.
Annabelle se redressa et se pencha au-dessus de la table. Elle se positionna de telle manière d'attirer le regard du garçon vers ses seins. Elle le scruta intensément, le mettant aux défi de baisser les yeux. Marc, de plus en plus intimidé, se concentra sur sa conversation et lui parla de sa propre enfance. Annabelle feignait de ne pas l'écouter et glissait ses ongles sur les symboles du ouija, perdue dans ses pensées.
Marc, sur le point d'abandonner ses efforts pour entretenir la conversation, décida de finir son verre et de rentrer chez lui avant la tombée de la nuit.
— Tu comptes vampiriser ce pauvre garçon, Annalune ?
Marc sursauta ; un homme sans âge se tenait debout près de leur table. Il ne reconnut pas immédiatement le client aperçu plus tôt un livre à la main.
— Je ne sais pas encore, répondit Annabelle à l'inconnu. Il a l'air un peu coincé.
— C'est le moins qu'on puisse dire, plaisanta l'homme en détaillant la tenue de Marc.
— Et d'ailleurs, en quoi ça te concerne ? interrogea la brune. T'es jaloux ?
— Pas vraiment. Je préfère les garçons plus... « étoffés »
— Vous avez des choses à vous dire on dirait, soupira Marc qui voulait profiter de cette interruption pour quitter le pub. Je vais vous laisser tous les deux. Bonsoir.
— Reste ! lui intima Annabelle. Tu peux nous laisser s'il te plaît, Scipion ?
L'homme sourit d'un air lubrique à la jeune fille puis s'éclipsa en direction du comptoir où l'attendait le barman.
— Ne fais pas attention à lui, déclara Annabelle. Il n'est pas habitué à voir des gens comme toi.
— Comment ça « comme moi » ?
— Laisse tomber.
— Il t'a appelé « Annalune » !
— C'est un pseudo. Il y a certaines coutumes dans le clan. Tu apprendras. Peut-être.
— Je ne suis pas sûr de vouloir approfondir la question. Je devrais partir, il est tard déjà.
— Reste. S'il te plaît.
Pour la première fois de la soirée, Annabelle eut un geste amical envers le garçon. Marc regarda la main gantée que la jeune fille venait de poser sur son bras pour le retenir.
— J'ai pas envie de rester seule.
Elle parut sincère et son regard trahit une certaine détresse. Le garçon, troublé, se rassit. Annabelle lui sourit et lui demanda de ne pas bouger pendant qu'elle allait chercher une bouteille au bar.
Marc la suivit des yeux. Son déhanché balançait la jupe au rythme de ses pas élancés. Il hésitait encore à rester, mais quelle autre chance aurait-il de coucher avec une créature aussi fascinante ? Pourquoi fuir si près du but ?
Annabelle revint et déposa deux petits verres et une flasque de cristal emplie d'un liquide noir. Elle versa la liqueur dans les shooters et en offrit un à Marc.
— Cul sec !
Échauffés par l'alcool, les deux étudiants se sentirent plus à l'aise pour continuer à tisser des liens. Annabelle s'avéra être une jeune fille sensible et cultivée. Ils se trouvèrent quelques points communs et lorsque le flacon fut tari, la jeune fille se retrouva assise sur la même banquette que Marc, un bras enlacé autour de son cou.
— Oh là ! fit le jeune homme éméché. J'ai la tête qui tourne. Je vais pas être en forme pour les cours demain.
— Je crois que je vais faire l'impasse dessus, lui avoua Annabelle.
— Il est vraiment l'heure de partir on dirait.
Ils n'avaient pas vu les heures passer. Entre temps, le pub s'était rempli d'une faune nocturne. La plupart des clients étaient gothiques ou métaleux.
Marc s'était accoutumé à leurs tenues sombres ou excentriques. Il avait serré quelques mains et embrassé des connaissances d'Annalune, puisque c'était ainsi que la jeune fille était connue dans ce milieu.
— Ah... oui, il est tard, le patron va bientôt fermer, constata à son tour la fille.
— Et bien, ce fut un plaisir de faire ta connaissance, chère Annalune, déclara Marc en se levant.
— Tu comptes aller où comme ça ?
— Euh... Faut que je rentre à la Cité U.
— À cette heure-ci il n'y a plus de bus.
— Oh ! Et bien, je...
— Viens chez moi, j'habite à côté.
— Non, je voudrais surtout pas te déranger.
— Si tu pars, ça risque de me déranger encore plus...
Marc chercha à jauger sa camarade, n'osant espérer ce qu'elle sous-entendait.
— D'accord.
Annabelle se leva à son tour et l'attrapa par les épaules. Elle glissa ses mains autour de son cou et l'embrassa soudainement. Le baiser se prolongea et Marc se raidit alors qu'il empoignait les hanches de la jeune fille. Leur étreinte se fit plus intense au fil des minutes. Annabelle, plaquée contre son corps lui souffla à l'oreille d'aller chercher des munitions au distributeur des toilettes. Marc n'eut plus aucun doute quant aux intentions de la belle brune. Il profita de son passage au lavabo pour se passer de l'eau sur le visage. Quand il se vit dans la glace, il ne reconnut pas le garçon jusqu'ici timoré et maladroit.
Quelques minutes plus tard, les deux amis se précipitèrent dans la chambre d'Annabelle, sitôt franchi la porte de son appartement. Ils se jetèrent sur le lit et continuèrent de s'embrasser tout en se déshabillant. Marc s'agenouilla torse nu et descendit les glissières des bottes d'Annabelle pour l'aider à s'en débarrasser. Alors qu'elle s'attelait à défaire son corset, il la supplia de le garder encore un moment : l'accessoire l'excitait. Annabelle émit un gloussement joyeux et Marc l'attira fermement pour l'installer face à lui. Assise sur le bord de son lit, elle l'observa glisser ses mains fiévreuses sous sa jupe et retirer son collant. Les lèvres du garçon s'aventurèrent à l'assaut des cuisses alors qu'il tirait la culotte sur les genoux d'Annabelle. La brune lui saisit la nuque et le guida vers son intimité. Dans un râle de satisfaction, elle allongea son dos contre le matelas et se laissa aller sous les baisers avides du garçon. Des vagues brûlantes la parcoururent toute entière jusqu'à n'en plus pouvoir. Elle repoussa la tête de son partenaire d'un mouvement sec et se redressa. À ce signal, Marc se releva et se débarrassa de ses derniers vêtements. Il vint ensuite s'accroupir derrière la jeune femme et saisit sa poitrine. Ses mains passèrent sous le corsage pour découvrir les tétons durcis. Annabelle enleva sa jupe et se laissa caresser un moment, savourant les gestes assurés de Marc et la pression rigide au bas de son dos. Elle sentit les paumes du garçon errer un instant sur ses épaules puis son corset s'ouvrit enfin, la révélant nue et triomphante. Elle se retourna et poussa le jeune homme contre le matelas. Elle détailla le corps de Marc et passa ses ongles sur sa poitrine puis son torse, toujours plus bas. Elle s'arrêta à la naissance de la toison, puis l'enjamba pour se tenir à califourchon au dessus de lui. Elle attrapa le jean de Marc, posé à portée de main et fouilla dans les poches à la recherche de l'emballage plastifié. Elle l'ouvrit d'un coup de dent et sourit, gourmande, au parfum sucré du préservatif. Annabelle assura sa prise sur le membre dressé et déroula le latex. Elle se recula un peu, satisfaite du spectacle qui s'offrait à elle. D'un geste élaboré, elle rabattit ses longs cheveux derrière sa nuque et avança sa bouche pour goûter un plaisir raffiné. Marc, subjugué par la dextérité de son amante, fit son possible pour retenir son empressement. Annabelle s'arrêta soudain, consciente que le moment était venu.
— Prends-moi, lui ordonna-t-elle en se replaçant au-dessus de lui.
Marc sentit un rai de soleil tiède sur son visage. L'esprit embrumé, il ne reconnut pas la chambre dans laquelle il venait de se réveiller. Allongée à côté de lui, Annabelle émergeait elle aussi du sommeil. Elle le regarda, d'un air étrange, comme si elle le dévisageait pour la première fois. Marc, perçut un flottement amer monter dans sa gorge. Avant qu'il n'eut put dire un mot, Annabelle émergea des draps et l'attira vers lui pour glisser sa langue entre ses lèvres. Marc l'enlaça et découvrit la petite poitrine d'Annabelle au grand jour. D'un doigt il parcourut les traits délicats du tatouage. La tige de la rose épousait la courbe du sein.
— Attention aux épines, tu pourrais te blesser, le prévint Annabelle.
— C'est très joli. Je n'ai pas eu l'occasion de bien la voir cette nuit.
La grande brune lui sourit et sortit du lit. Elle attrapa un t-shirt qu'elle enfila et lui indiqua la direction de la salle de bain. Elle se dirigea quant à elle vers la cuisine pour préparer un café.
Ils avaient dormi toute la matinée et le réveil posé sur le chevet du lit indiquait déjà une heure avancée. Après s'être rafraîchi au robinet, il vint rejoindre son amie. Au bout du couloir, une porte s'ouvrit et fit apparaître une autre fille. Celle-ci était plus petite qu'Annabelle mais appartenait visiblement au même clan. Sa tenue trash et son maquillage soigné mettaient en valeur un joli visage de poupée encadré par des cheveux lisses teints en rouges.
— Vous en avez fait du bruit hier soir ! Je t'ai pas entendu crier comme ça depuis un moment. J'ai même cru que tu avais encore ramené Scipion dans ton lit.
Marc sourit, gêné par la révélation.
— Je te présente Marlène, ma colocataire.
— Salut, dit Marc s'apercevant qu'il était en caleçon devant une inconnue.
— Salut, répondit Marlène en l'examinant de la tête au pied ; elle s'attarda sur son entrejambe. Dis, Anna, tu me laisseras l'essayer ? Il paie pas de mine, mais s'il est capable de te faire hurler comme une chatte en chaleur, je serais assez curieuse d'y goûter. T'en dis quoi, beau gosse ?
— Te sens pas obligé de répondre, s'interposa Annabelle. Marlène est un peu... brute de décoffrage.
— Laisse, répliqua l'autre fille. Il s'en rendra compte par lui-même si on le revoit. Tu penses qu'on va le revoir ?
— J'en sais rien, soupira Annabelle. On va te revoir, Marc ?
— Avec plaisir, bredouilla le garçon qui revenait peu à peu à la réalité.
Annabelle, lui sourit d'un air carnassier. Elle venait à nouveau de revêtir son attitude farouche.
— Faut qu'on se bouge, annonça Marlène. On a rendez-vous au salon dans une heure. Toi, beau gosse : habille-toi et tire-toi.
Annabelle confirma l'ordre de sa colocataire. Cependant elle lui expliqua qu'elles avaient toutes les deux rendez-vous pour se faire tatouer cet après-midi. Elle griffonna l'adresse du salon sur un post-it et le remit à Marc. S'il voulait, il pourrait les accompagner plus tard là-bas.
— Putain, t'étais où, mec ?
À peine arrivé dans sa chambre d'étudiant, Marc entendit Arnaud débouler et lui demander des comptes.
— Je t'ai vu partir hier soir avec cette espèce de sorcière et depuis plus de nouvelles. T'étais pas en cours ce matin !
— Laisse-moi un peu souffler, je viens de traverser toute la ville pour venir me changer. Je dois y retourner.
— Où ça ?
— Occupe-toi un peu de tes affaires ! T'es qui pour me poser toutes ces questions ? Ma mère ?
— T'as passé la nuit avec cette fille, pas vrai ? Alors, elle était bonne au pieu ?
— Il n'y a que ça qui t'intéresse ?
— Ouais !
— Parlons d'autre chose.
— Ok ! Tu as su comment est morte Ludivine ?
— Non. Je n'ai pas eu l'occasion d'en parler.
— Tu aurais peut-être dû, dit Arnaud d'un air entendu.
— Pourquoi tu dis ça ?
— À ce qu'il paraît elle ne s'est pas suicidée. Il s'agirait plutôt d'un accident.
— T'en sais plus que moi on dirait.
— J'en ai parlé avec des gars qui la connaissait un peu. Ils m'ont avoué que Ludivine et ta copine fréquentaient un endroit bizarre. Un genre de club sado-maso.
— Et tu crois à ces conneries ?
— Je te dis ça... c'est juste pour te prévenir. Je te l'ai dit hier : tu ne devrais pas traîner avec ces filles.
— Écoute : j'ai passé la nuit chez Annabelle et elle n'a pas essayé de m'attacher ou de me violer ou quoi que tu puisses imaginer.
— Je suppose que c'est une fille bien. Elle ne doit pas être du style à torturer le premier soir. Bon, sérieusement : t'as tiré ton coup, c'est cool. Maintenant oublie-la.
— Ah, carrément ! Comme ça ? Je dois l'oublier d'un coup de baguette magique ! Tu me donnes des conseils sur ma vie sexuelle, maintenant ?
— La prochaine fois que tu la verras, parle-lui d'une certaine Marie.
— C'est qui, ça, Marie ?
— La gothique avec qui je suis sorti il y a deux ans. On l'a retrouvé morte dans un bar chelou. Les Fleurs du Mal.
— Je connais ce bar, j'y étais hier.
— Tu déconnes ! C'est une réserve de pervers, de mecs qui se prennent pour des vampires et ce genre d'illuminés.
— J'ai trouvé l'ambiance plutôt sympa. Elle est morte comment ta copine ? Vidée de son sang par Dracula ?
— Non. Elle a fait une overdose d'héroïne. Tu demanderas les détails à ton Annabelle.
— Pourquoi tu me les dis pas toi-même. Tu sortais avec, non ?
— Plus à ce moment là. J'ai arrêté de la fréquenter quand j'ai découvert ses jeux de dépravés, à elle et ses amies.
— C'était une copine d'Annabelle ?
— Ouais. Et de Ludivine aussi. Jure-moi que tu feras gaffe. Je tiens pas à ce qu'on te retrouve attaché à un radiateur avec une seringue dans le bras.
— J'ai du mal à te croire ; Annabelle n'a pas du tout l'air d'une droguée.
— Ouvre l'œil quand même, puisque j'arriverai pas à te convaincre de laisser tomber.
— Je te remercie de vouloir me protéger, mais je suis un grand garçon.
Arnaud quitta le studio de son collègue avec un dernier regard sévère. Il paraissait croire aux ragots qui circulaient sur le campus.
Marc retrouva Marlène et Annabelle au salon de tatouage où elles lui avaient donné rendez-vous. Lorsqu'il pénétra dans le local tapissé d'estampes et de dessins macabres, Marlène était sur le point d'entrer dans la pièce où un tatoueur l'attendait pour commencer son ouvrage.
— Te revoilà, beau gosse !
— En effet. Où est Annabelle ?
— Elle se fait charcuter à côté. Mais je crois pas qu'elle te laissera regarder. Moi par contre, ça me dérange pas. Il peut venir avec moi ?
Le tatoueur fit signe à Marc d'entrer et de fermer la porte derrière lui. Il pouvait assister à la séance à condition de rester à distance de l'artiste et de ses machines. Marlène enleva son débardeur et son soutien-gorge avant de s'installer sur le fauteuil de travail. Marc admira, gêné, les nombreux tatouages qui parcouraient le corps de la jeune femme. Elle n'était pas du tout dérangée par sa nudité, au contraire, elle s'amusait de la pudeur du garçon.
— Ils sont plus gros que ceux d'Annabelle, hein ! dit Marlène en désignant du menton sa poitrine. Tu pourras les peloter plus tard si tu veux. Annalune sera pas jalouse.
Marc ne releva pas la provocation. Il profita de la compagnie de Marlène pour lui poser quelques questions. Le tatoueur, concentré sur ses aiguilles ne prêtait aucune attention à leur conversation.
— Tu es venue pour un nouveau tatouage ?
— Non. Juste pour modifier ma rose. Anna et moi on ajoute une épine tous les ans.
Marc se pencha pour regarder le motif. Il distingua les pétales rouges, identiques à ceux d'Annabelle, ainsi que la tige courbe sous le sein. Il compta quatre épines déjà en place.
— Vous n'aurez bientôt plus de place pour en mettre d'autres.
— T'en fais pas pour ça, lui répondit Marlène sur le ton de la confidence. Il n'en manque plus beaucoup pour qu'elles soient terminées.
— Les roses symbolisent quelque chose en particulier pour vous deux ?
La jeune femme eut un sourire narquois mais ne répondit pas.
— Ça doit être l'une des coutumes de votre clan, supposa Marc.
— Ne parle pas de ce que tu ignores.
— Je m'intéresse à vous, c'est tout. Je veux en apprendre un peu plus sur Annalune.
— Ne l'appelle pas comme ça. Tu n'en es pas encore digne. Tu le seras sans doute jamais.
— Qui sait ? Peut-être qu'un jour je compterai parmi ses amis, comme Ludivine, tenta le jeune homme, à l'affût d'une réaction de son interlocutrice.
— Tu connaissais Ludivine aussi ? s'étonna-t-elle.
— Non. Enfin, je la croisais à la fac. Et toi ?
— On était comme des sœurs toutes les trois.
— Qu'est-ce qui lui est arrivé exactement ?
— Elle s'est donnée la mort.
— Pourquoi ?
— Son tour était venu.
— Vingt ans, c'est jeune pour mourir.
— Question de point de vue. Si ça peut te soulager, elle avait attendue déjà trop longtemps. Elle était heureuse de partir.
— Je ne sais pas si on peut se sentir heureux lorsqu'on se suicide. Comment a-t-elle fait ?
— T'es drôlement curieux. Pourquoi tu poses toutes ces questions ?
— Parce que je ne voulais pas en parler avec Annabelle. Elles étaient toujours ensemble à la fac.
— On a pas peur de parler de ça.
— J'ai aussi entendu dire qu'il s'agissait d'un accident.
La porte de la pièce s'entrouvrit. Annabelle passa la tête par l'embrasure. Voyant que Marc était là, elle pénétra et vint le rejoindre.
— C'est presque fini, informa le tatoueur.
Annabelle admira les dernières touches apportées à la rose de Marlène. Marc voulut l'enlacer, mais elle écarta ses bras.
— Fais attention au pansement. Il ne faut pas le toucher pendant plusieurs heures.
Le tatoueur libéra Marlène après lui avoir appliqué la crème cicatrisante et recouvert de gaze la peau meurtrie. Le trio quitta le salon et se mit en marche vers l'immeuble des filles. Elles avaient convenu de repasser à leur appartement pour se préparer en vue de la soirée. Durant leur marche Marlène essaya de convaincre son amie de se débarrasser du jeune homme ; elle ne souhaitait pas l'avoir dans les pattes durant le week-end.
— Il n'a pas arrêté de me poser des questions sur Ludivine tout à l'heure, informa Marlène, méfiante. Il n'a rien à faire avec nous. Surtout pas cette nuit !
— Il se passe quoi cette nuit ? interrogea le garçon.
— Je pense au contraire que s'il ne fuit pas après ce qu'il verra ce soir, c'est qu'il aura mérité de rester avec nous.
— Dites, les filles, ça vous dirait de me tenir au courant ?
— Oh, pitié, Anna ! Regarde-le : il supportera pas. C'est qu'un gamin qui ne connaît rien à la vie.
— On pourrait lui apprendre...
— Ne me dis pas que tu comptes t'enticher de lui ? T'es en train de tomber amoureuse ou quoi ? T'as oublié notre promesse ?
— T'es folle ou quoi, Marlène ? Bien sûr que je n'oublie pas. Mais on n'a jamais dit qu'on devait se priver d'un peu d'affection.
— Tu me dégoûtes, parfois !
— De quoi vous parlez, à la fin ? Je vous entends, hein ! Je suis toujours là...
Annabelle s'arrêta et posa ses bras tendus sur les épaules de sa colocataire.
Peut-être que j'ai besoin de ça après tout ? Pour continuer à faire semblant d'exister.
Marlène soutint le regard de son amie en silence. Résignée, elle accepta l'explication.
— Tant que ça ne remet pas en question notre plan, soupira la fille aux cheveux rouges. En tout cas, il ne peut pas venir fringué comme ça. Il va se faire bouffer sinon.
Annabelle jeta un regard appréciateur à la tenue de Marc et fit une moue dubitative.
— T'as raison. Il vaut mieux l'assombrir un peu.
De retour dans sa chambre, Annabelle fouilla dans son armoire à la recherche de vêtements larges capables de tenir sur Marc. Elle lui tendit un vieux t-shirt à l'effigie d'un groupe de métal ainsi qu'une veste en cuir fatigué qui avaient appartenu à un ancien amant. Marc se sentit mal à l'aise ainsi grimé. Toutefois il dut admettre que ça pourrait faire illusion s'il devait se mêler aux autres gothiques. En début de soirée les trois jeunes gens gagnèrent leur lieu de rendez-vous favori : les Fleurs du Mal.
Dès leur entrée, Marc reconnut quelques visages croisés la veille. Le patron hocha la tête, agréablement surpris par la transformation rapide de son nouveau client. Il accepta même de lui serrer la main.
Les jeunes gens s'assirent autour d'une des grandes tables au centre du pub. Une troisième fille vint rapidement les accompagner. Avant même de se présenter à Marc, elle grimpa sur les genoux de Marlène et l'embrassa à pleine bouche. Deux garçons plus âgés s'attablèrent à leur tour. Marc les reconnut mais fut incapable de se rappeler leurs noms. De son fauteuil près du grand bougeoir, Scipion observait son univers, les yeux brillants. Marc eut la désagréable impression que l'homme les déshabillait du regard, lui ainsi qu'Annabelle blottie contre lui.
Au fur et à mesure que la nuit s'avançait, l'ambiance devint de plus en plus étrange. Marlène embrassait presque tout le monde et se laissait tripoter par autant de filles que de garçons. Plusieurs autres clients agissaient de même. Grisé par l'alcool et l'atmosphère quasi-orgiaque, Marc se fit de plus en plus entreprenant. Sa main glissa sous la ceinture de la jupe d'Annabelle en direction de ses fesses. La fille ne broncha pas et l'encouragea même à poursuivre son exploration. À côté, Marlène était quasiment allongée contre son épaule et lui mordillait l'oreille ; Marc s'aperçut alors qu'un garçon était plongé dans son corsage, les mains tenant fermement les hanches de la rouquine. Il tendit le cou pour voir au-delà de la table : la moitié des filles étaient désormais en soutien-gorge ou déambulaient le bustier ouvert. Annabelle posa sa paume sur son jean et chercha sa verge du bout des doigts. Il se raidit d'avantage lorsque la belle défit sa braguette et s'empara de ses testicules.
Le patron annonça la fermeture imminente de l'établissement. Scipion s'approcha de la table de Marlène et Annabelle.
— Je vois que vous avez déjà commencé à jouer, les filles. Votre nouvel ami se joindra à nous ?
— Je crois qu'il est partant en effet, gloussa Marlène en voyant l'intéressé refermer son jean.
— Vous permettez que je le conduise moi-même jusqu'au Cercle ? demanda l'homme en noir d'une voix langoureuse. J'aimerais m'entretenir un peu avec lui.
— Comme tu veux, Scipion, lui répondit Annabelle.
Les habitués sortirent du pub par petits groupes, la plupart avançant vers la même destination. Selon ses exigences, Scipion écarta Marc des deux filles et le mena jusqu'au Cercle, le club nocturne où le clan de gothique avait coutume de se réunir le vendredi soir. Il lui demanda d'un ton badin s'il avait déjà participé à ce genre de « libation ». Marc ignorait ce qui l'attendait ; il avait simplement supposé qu'il s'agissait d'une boîte de nuit comme une autre. Scipion éclata de rire et le prit par les épaules. Marc, intimidé, écarta toute méprise et lui avoua qu'il ne ressentait aucune attirance pour les hommes.
Scipion leva un sourcil de manière ostensible.
— Quel dommage, vraiment. Enfin, avec toutes les filles que tu trouveras là-bas, tu pourras déjà passer un bon moment. Je suppose.
— Tu connais Marlène et Annabelle depuis longtemps ? questionna Marc, souhaitant dévier la conversation.
— Ça doit faire deux ou trois ans. Depuis qu'elles se sont installées toutes les quatre en ville.
— Toutes les quatre ?
— Tu n'es pas au courant ? Au début elles étaient quatre. Il y avait Ludivine et puis... Comment s'appelait-elle déjà ?
— Marie ?
— Oui, c'est ça ! Marie. Pauvre créature.
— C'est elle qu'on a retrouvé droguée dans un club.
— Quelle histoire. Le Cercle a été fermé pendant presque trois mois suite à cette affaire.
Une impression dérangeante commençait à prendre corps, dans l'esprit de Marc.
— Et Ludivine ? Que lui est-il arrivé ? J'ai cru comprendre qu'elle s'était suicidée.
— Suicidée ? On peut dire ça comme ça. D'ailleurs cette version est plus pratique pour tout le monde.
— Pourquoi ? Ce n'est pas la vérité ?
— Pas tout à fait, non.
— Je dois savoir ! Dis-moi.
— Et bien, mon jeune ami, on dirait que tu ne connais vraiment pas les habitudes du clan, plaisanta Scipion en glissant une main dans les cheveux de Marc.
— Il y a des choses que je devrais savoir ?
— De toute manière, tu finiras par l'apprendre par toi-même. Autant que je te le dise tout de suite : c'est moi qui ai trouvé le corps sans vie de Ludivine.
— Comment est-elle morte ?
— Étranglée.
— On l'a tuée ?
— Non. Elle s'est infligée ça toute seule. Un jeu sexuel qui a dérapé. La strangulation est un classique de l'érotisme. Elle s'est enroulée un foulard autour du cou lors d'un jeu de domination. Hélas ses deux partenaires étaient trop occupés l'un avec l'autre pour s'apercevoir que Ludivine suffoquait.
— C'est horrible, souffla le garçon. Qui étaient ces partenaires en question ?
— Pourquoi je te le dirai ? Ils ont déjà eu assez d'ennuis lors de l'enquête de police. La famille de Ludivine a fait en sorte de cacher du mieux possible la vérité et a fait courir le bruit du suicide. Le parquet, quant à lui, a considéré qu'il s'agissait d'un accident. Et moi, en tant qu'associé principal du Cercle, ça me convenait parfaitement. Nous voici arrivés. Je dois aller accueillir quelques clients privilégiés. On se retrouve plus tard à l'intérieur. Ce soir tu es mon invité : tu pourras ouvrir toutes les portes si tu en as envie. Enfin si tu l'oses...
Marc regarda l'homme se diriger vers la porte discrète du club privé. Scipion lui paraissait de plus en plus malsain et peu fréquentable. Les aveux de l'homme l'avaient complètement dégrisé. Il se demanda ce qu'il faisait là, entouré de ces noctambules dérangés. Marlène et Annabelle parvinrent à sa hauteur, sourires éclatants aux lèvres et toujours sous l'effet de l'alcool.
— Alors ? Prêt à découvrir de nouveaux délices ? demanda Annabelle.
— Prépare-toi à vivre une nuit inoubliable, ajouta Marlène, charmeuse.
— Il se passe quoi au juste à l'intérieur ? s'inquiéta Marc.
— Descends et tu verras, le mit au défi Annabelle.
Les deux filles disparurent dans l'escalier étroit qui menait à leur monde souterrain.
La lumière bleutée du club dissimulait à peine les corps dénudés des clients. Des femmes en porte-jarretelles et des hommes en caleçons dansaient lascivement dans des cages. Devant eux, des couples s'embrassaient. D'autres s'accouplaient à deux ou trois sur les banquettes d'alcôves aménagées dans les murs du sous-sol. Certains de ces recoins étaient dissimulés derrière des tentures. Des curieux les écartaient pour observer et parfois y disparaissaient à leur tour. La musique discrète couvrait tout juste les soupirs et les gémissements qui s'élevaient des renfoncements. Marc retrouva ses deux compagnes enlacées à une table basse. Marlène s'était mise à l'aise et ne portait plus qu'un shorty de dentelle sombre. Elle arracha son pansement et montra son tatouage à Annabelle. Celle-ci enleva son t-shirt et dégrafa son soutien-gorge pour comparer les deux roses. Marc demeura debout devant le spectacle des deux filles dénudées. Elles s'aperçurent de sa présence et l'attrapèrent par les bras pour le tirer à elles. Ils échangèrent des baisers fébriles et leurs corps se mêlèrent. Marc se trouva bientôt torse nu, ses mains allant de l'une à l'autre. Il sentit des regards envieux sur lui, ce qui lui plût au-delà de son imagination. Il avala le téton de Marlène pendant que celle-ci embrassait Annabelle. Sa main se glissa entre les cuisses de l'une des filles. Il n'était plus en mesure de réfléchir, emporté par son propre désir. La communion extatique dura jusqu'à ce qu'il sente l'une de ses partenaires se détacher d'eux. Il se découvrit assis dos à la banquette, Marlène le chevauchant et déjà amarrée à lui. Il chercha du regard Annabelle, honteux de pénétrer une autre qu'elle. Il voulut s'interrompre mais Marlène le retint et affirma son emprise sur lui ; il sentit la pression de son périnée autour de lui. La rouquine au-dessus de lui, attira à elle l'un des ses amis des Fleurs du Mal. Le garçon s'assit derrière elle et passa des mains avides sur sa généreuse poitrine. Marc luttait pour s'arracher au dégoût qu'il éprouvait. Son regard affolé se posa sur la table voisine : deux jeunes femmes s'embrassaient et se caressaient en le regardant avec insistance. Ses pulsions se focalisèrent sur ces deux créatures et il jouit à l'intérieur de Marlène. Celle-ci s'en rendit compte ; elle chassa l'homme derrière elle et se pencha au-dessus de Marc.
— Alors, beau gosse ? Tu regrettes pas d'être venu ?
Tout en lui parlant, elle poursuivait son mouvement du bassin, cherchant à raviver l'érection du jeune homme. Elle y réussit assez bien, puisque Marc, dans un élan de vigueur se saisit de ses hanches pour mieux la guider. Marlène bascula la tête en arrière et poussa un soupir d'aise. Elle se laissa emporter par les coups de rein jusqu'à jouir à son tour. Épuisés par l'effort ils s'écroulèrent l'un près de l'autre. À la table voisine, les deux femmes faisaient l'amour devant un demi-cercle de curieux hypnotisés.
— Où est Annabelle ? s'enquit le garçon, haletant.
— Partie faire un tour je suppose.
— Tu m'as menti à propos de Ludivine. Elle ne s'est pas suicidée.
— C'est Scipion qui te l'a dit ?
— Oui. Il m'a raconté l'avoir découverte morte. Elle s'est étranglée devant un couple d'après lui.
— Tu m'étonnes ! Il était aux premières loges.
— Quoi ?
— Il était occupé à baiser Annalune derrière un des voiles.
— Ludivine est morte devant les yeux d'Anna ?
— L'éros et le thanatos ! C'est excitant, non ?
— Et Scipion a laissé faire ça ?
— C'était le choix de Ludivine, qu'est-ce qu'il y pouvait ?
— Ce type est un grand malade ! Comment vous pouvez revenir ici après tout ça ?
— Laisse tomber. Tu comprends toujours rien.
— Je crois au contraire que je commence à saisir. C'est lui qui vous pousse à faire ça ? Où est Annabelle ?
— Avec lui sans doute.
— C'est eux qui t'ont demandé de t'occuper de moi ? C'est ça ? Pour me tenir éloigné ? Vous êtes des fous furieux.
— Ça avait pas l'air de te déplaire il y a cinq minutes.
— T'es aussi tarée que lui. Lâche-moi, hurla le garçon.
— Putain, Marc. C'est quoi ton problème ? Tu t'attendais à quoi en venant ici ? Où tu vas, lui cria-t-elle alors qu'il se rhabillait.
— Je vais la sortir de cette maison de fous !
— Ne fais pas ça. Tu vas le regretter.
Marc n'écouta pas les menaces de la rousse ; il se mit à la recherche d'Annabelle dans le club, il écarta tous les rideaux jusqu'à la dénicher. Il la découvrit agenouillée sur un épais tapis de laine, Scipion la possédant derrière elle. Ils levèrent tous deux les yeux vers lui, étonnés par son irruption. Marc perçut l'orgasme d'Annabelle au moment où elle le reconnut dans la pénombre. Elle poussa un jappement de plaisir alors que Scipion s'agrippa à elle de plus belle. Marc, dérouté par la scène sentit son sexe se durcir malgré l'humiliation qu'il éprouvait. Scipion fessa la brune ce qui décupla le plaisir de la jeune femme. L'homme poussa un long feulement au moment où il se répandit en elle. Il émit un sourire satisfait à l'intention de Marc.
Le garçon eut un regard désolé pour Annabelle. Il sentit des larmes monter dans un déluge de sentiments contradictoires. Il se rendit compte qu'il aimait déjà cette fille fragile et complexe. Il sut qu'il ne pourrait pas supporter de la voir souillée par d'autres hommes. Puis il se rappela qu'il venait lui-même de coucher avec une autre. Il se sentit sali et manipulé. Au fond de l'alcôve, Scipion debout et nu, savourait la détresse du jeune homme.
Marc tira le rideau pour chasser l'image d'Annabelle. Il voulait s'échapper de cet enfer, mais se ravisa. Il devait parler à la jeune fille d'abord. Il devait en savoir plus sur les morts de Ludivine et de Marie. Il ne pourrait s'affranchir de ses sentiments mitigés qu'à la lumière d'une seule vérité. Aussi abjecte fût-elle.
Il avait besoin d'un verre. Il bouscula les clients impudiques jusqu'au bar.
Il commanda un verre de liqueur noire et s'assit à un tabouret vide. Un jeune homme vint s'asseoir prêt de lui.
— Salut. On s'est déjà croisé aux Fleurs. Dis, je t'ai vu plus tôt avec les deux roses. Tu sais que t'es un sacré chanceux, toi ? C'est rare qu'elles se mettent à deux sur le même mec. Et encore, t'aurais dû voir quand elles étaient trois. Un sacré spectacle. J'en rêve encore souvent, tu vois le genre.
— Trois ?
— Ouais. Les trois roses. À ce qu'il paraît, il y a trois ans, elles étaient même quatre.
— Tu parles de Ludivine ?
— Ouais, Ludivine. Dommage qu'elle soit plus là.
— Ludivine portait une rose aussi ?
— Une rose avec des épines sous le nichon, c'est ça. C'est le jardin secret de Scipion ! Enfin, c'est ce qu'on dit.
— C'est lui qui les force à se tatouer ?
— Ça j'en sais rien, mec. Tout ce que je peux te dire, c'est que tout le monde les considèrent comme sa chasse gardée. C'est pour ça que ça m'a fait bizarre de te voir avec elles tout à l'heure. La dernière fois que c'est arrivé, c'était juste avant l'accident avec Ludivine. La pauvre quand même. Elles ont pas de bol ces roses-là, elles se font toutes cueillir les unes après les autres.
L'évidence sauta aux yeux de Marc. Les filles étaient prisonnières d'un jeu macabre et disparaissaient tour à tour. Il lui manquait un dernier élément pour confirmer sa théorie. Il se saisit de son téléphone et appela Arnaud. Celui-ci répondit au bout du troisième appel.
— Putain, pourquoi tu m'appelles en pleine nuit ? s'étonna l'étudiant, mal réveillé. T'as vu l'heure ?
— Arnaud, j'ai besoin d'une info tout de suite. C'est au sujet de ton ex, Marie. Dis-moi si elle avait une rose tatouée sur elle.
— Pourquoi tu veux savoir ça à trois heures du mat' ?
— Réponds-moi !
— Oui. Elle avait une rose tatouée sous le nibard. Mais qu'est-ce qu'il se passe ?
— Je te raconterai demain.
Marc raccrocha et se mit à nouveau à la recherche d'Annabelle. Il retourna à l'alcôve où elle se tenait quelques minutes plus tôt, mais un nouveau groupe s'était emparé des lieux. Il croisa Marlène qui lui jeta un regard mauvais. Il s'approcha d'elle, hors de lui.
— Où est-elle ?
— Ça t'a pas suffit ? T'en veux encore ?
— Dis-moi où est Annabelle !
— Elle te cherchait. Je l'ai vue sortir. Avec tes conneries elle a dû vouloir rentrer. Merci d'être venu foutre la merde chez nous. Tu ferais mieux de disparaître de sa vie.
— Toi, Marlène, tu sais exactement ce qui se passe et tu laisses faire tout ça. Tu es pitoyable !
Marc planta la fille aux cheveux rouges dans le club et se précipita à l'extérieur. Il pensait se rappeler la route vers l'appartement d'Anna. Il devait la convaincre de s'échapper, abandonner l'influence néfaste de Marlène et Scipion avant qu'il ne soit trop tard.
Il se perdit dans le dédale des ruelles et n'arriva au pied de l'immeuble qu'une demi-heure plus tard. Alors qu'il s'apprêtait à actionner l'interphone, la porte s'ouvrit pour laisser sortir Scipion.
— Te revoilà, constata l'homme en noir qui affichait toujours un air de conspirateur. Tu sais que tu l'as mise dans tous ses états. Elle ne pensait pas que tu réagirais comme ça. Faut garder ton sang froid. Tu as l'air de prendre tout ça trop à cœur. C'est juste un jeu, rien de plus.
— Ah ouais ? cracha Marc, soudain très sûr de lui. Tuer des jeunes filles tu trouves que c'est un jeu ?
— De quoi tu parles, gamin ? siffla Scipion, menaçant.
— Marie, Ludivine... toutes les deux mortes chez toi. Toutes les deux tatouées comme Annabelle et Marlène. Ça fait beaucoup de coïncidences pour de simples accidents. Et les épines sur les roses, ça signifie quoi ? Une épine pour chaque fille que tu assassines, j'ai raison ? C'est ta façon de leur rappeler qu'elles doivent t'obéir ? T'en as tuées combien déjà ? Cinq ?
Scipion frappa Marc au plexus pour le faire taire. Le jeune homme, plié par la douleur et le souffle coupé, s'écroula sur les marches de l'immeuble. L'homme en noir le saisit par la tignasse et lui frappa le visage contre le rebord de pierre.
— Écoute-moi bien, branleur ! Tu as échafaudé toute cette théorie à la con dans quel but ? Te faire mousser ? Tu te prends pour le chevalier blanc venu délivrer les gentilles princesses des mains de l'ogre ? C'est pas un putain de conte de fée, abruti ! Ces filles-là sont des furies, elles ont une volonté hors du commun. Et toi tu piges rien à rien. Parce que tu m'as vu en baiser une par derrière, tu crois que je suis une sorte de monstre sanguinaire prêt à les éliminer l'une après l'autre ?
Scipion relâcha son emprise et parut se calmer.
— Tu as vu leurs tatouages et tu as compté les épines. C'est bien, tu es sur la bonne voie. Tu connais déjà les quatre dernières. Mais avant elles, il y en a eu d'autres. Je connais leur histoire, je te préviens, ça va pas te plaire. Cherche plutôt à savoir qui étaient Viviane, Mélodie et Rosine, la toute première. Essaie de savoir ce qui les a liées toutes les sept il y a cinq ans de cela, quand elles étaient encore au lycée. Cherche à comprendre le pacte qu'elles ont conclues ensemble. Moi ça m'a pris trois ans pour les cerner, je n'ai compris qu'après la mort de Ludivine, le mois dernier. Et crois moi ou non, même si je l'avais su plus tôt, je n'aurai rien pu faire pour la sauver.
Scipion rajusta le col de son manteau et disparut dans la brume de l'aube qui pointait déjà. Marc était trop éreinté pour oser sonner chez Annabelle. Il avait besoin de rassembler ses esprits avant de lui reparler. Le mentor des deux dernières roses lui avait fournit beaucoup d'indices. Il devait les relier à son tour pour y voir plus clair. Seulement à cette condition il trouverait les mots pour atteindre Annabelle.
Marc se réveilla le lendemain en milieu d'après-midi. Sa pommette endolorie lui rappela son altercation nocturne. Il prit une douche et tenta d'oublier ses frasques de la veille. Le souvenir de sa partie de baise avec Marlène lui laissa un goût amer. Mais pas autant que l'image de Scipion et d'Annabelle cachés derrière la tenture d'un club malfamé. Il chassa ses affreuses réminiscences et préféra se rappeler les quelques instants de connivence partagés avec la jolie brune. En temps normal, il aurait fait en sorte d'oublier cet épisode infect de sa vie. Mais un élan le poussait de toutes ses forces vers Annabelle. Et la véritable raison de cet obsession le dépassait : était-ce par amour ou parce qu'il voulait percer à tout prix son secret ? Il ne voulut pas s'épancher sur la question, de peur de se trouver face à ses propres démons. Il alluma son ordinateur et lança plusieurs recherches sur le net. Il recoupa les bribes d'informations qu'il avait en sa possession. Il savait qu'Annabelle et Ludivine étaient originaires de la ville et qu'elles étaient liées depuis le lycée à cinq autres filles, dont deux portaient un tatouage identique. Scipion avait aussi parlé d'un pacte qui les unissait.
Au bout de trois heures d'enquête sur son écran, Marc avait consulté assez d'articles pour démêler l'écheveau. Il déduisit lui-même la troublante conclusion. Il quitta son studio pour se rendre de nouveau chez les deux gothiques.
— Je sais tout, Annabelle. Marlène ne s'était pas trompée : je n'avais rien compris. Je suis à la fois désolé pour tout ce qui vous est arrivé, et convaincu qu'il n'est pas trop tard pour vous arrêter.
Annabelle, les yeux rougis écoutait en silence l'aveu de Marc. Le jeune homme avait imprimé de nombreux extraits issus des rubriques de faits divers de journaux régionaux. Il avait étalé les documents sur le lit ; il avait insisté pour s'enfermer dans sa chambre puisqu'il ne souhaitait pas que Marlène assiste à sa démonstration. Annabelle sanglotait alors qu'il retraçait pas à pas sa propre histoire.
— Vous étiez sept copines à l'internat du lycée Notre Dame des Carmes. Un soir, en première, vous avez fait le mur ensemble pour assister à un concert. Des garçons à peine plus âgés vous ont convaincues de passer un peu de temps avec eux après le spectacle ; vous ne vous êtes pas méfiées. L'un d'eux avait une camionnette et vous avait promis de vous ramener. Ils vont ont fait fumer et boire et puis ils ont cherché à abuser de vous. Vous vous êtes débattues et ils vous ont laissées sur la route. Mais ils ont gardé l'une d'entre vous : Rosine. On l'a retrouvée le lendemain soir, inconsciente dans un talus de ronces. Ils l'avaient violée et frappée, puis jetée du camion en marche. Elle n'est plus retournée à l'école. Deux mois plus tard, elle s'est tirée une balle dans la tête avec le pistolet de tir de son père. Après cela, ta famille et celle de Ludivine ont déménagé. Je suppose que c'était pour vous séparer des autres victimes. Un peu avant de passer son bac, Mélodie a fugué et s'est jetée sous un train. Un an jour pour jour après le suicide de Rosine.
L'année suivante, ce fut le tour de Viviane, à l'autre bout de la France. Ses parents l'avait faite interner en psychiatrie ; ils avaient compris qu'elle finirait elle aussi par attenter à ses jours. L'article dit qu'elle a reçu la visite de camarades de classe. L'un d'entre eux lui aurait peut-être fourni une lame de rasoir pour se trancher les veines. C'était vous, n'est ce pas ?
Annabelle hocha la tête, écrasée par la douleur des souvenirs. Marc poursuivit.
Il y a deux ans, les quatre survivantes regagnaient la ville de leur calvaire. Marine s'est injectée une dose fatale d'héroïne. Les enquêteurs ont conclu au suicide, puisque son corps ne présentait aucune trace d'autres piqûres. Enfin, il y a un mois, Ludivine mourrait sous tes yeux.
Marc fit une pause, guettant une réaction de la jeune fille. Comme elle restait muette, il essaya de la faire parler.
— Quand vous est venue l'idée du pacte ?
— Tout de suite, à la mort de Rosine. On s'est réuni toutes les six après l'enterrement et on a tiré au sort l'ordre de passage. Mélodie ne voulait pas être la dernière. Elle disait qu'elle n'aurait pas le courage d'attendre six ans. Elle a échangé sa place avec Marlène. On a décidé alors que Marlène serait notre gardienne et qu'elle veillerait sur nous toutes. C'est elle qui a tenu la main de Mélodie quand le train lui est passé dessus. C'est aussi elle qui a donné la lame de rasoir à Viviane et encore elle qui a préparé la seringue de Ludivine. Elle était déjà la plus forte et la plus déterminée à l'époque. Dans la camionnette, elle avait même dit qu'elle était prête à se laisser faire sagement si on nous laissait toutes partir. Mais ces types ne voulaient pas d'une gamine docile. Ils ont pris la plus fragile et ils l'ont brutalisée comme des sauvages. La rose et les épines, c'est en souvenir d'elle, pour nous rappeler la douleur qu'elle a enduré dans sa chair. C'était l'idée de Viviane, mais elle n'a pas eu le temps de se faire tatouer : ses parents l'ont placée en HP dès sa majorité.
— Pourquoi toute cette mise en scène ?
— On se sentait toutes responsables. Rosine ne voulait pas nous accompagner, elle préférait rester pour surveiller notre escapade et faire diversion en cas de contrôle de la surveillante. On a toutes insisté pour qu'elle vienne. Plus tard nos parents se sont tous rejetés la faute ; certains se sont battus entre eux. D'autres ont voulu porter plainte contre l'école. En fait, ils étaient tellement occupés à se déchirer qu'ils n'ont jamais compris ce qui était en train de se passer. Avec la distance et le temps, nos parents n'ont même pas fait le lien entre les autres suicides. Ils ont préféré oublier. Il faut dire que nous avons tout fait pour les rassurer : des études et des petits copains, des vies idéales d'étudiantes en apparence. Jusqu'à maintenant...
Accablée par le chagrin, Annabelle se réfugia dans les bras de Marc. Elle lui demanda pardon pour lui avoir montrer la partie la plus noire de son être. Elle regrettait de l'avoir fait souffrir. Elle avait voulu le faire fuir la nuit dernière, au moment où elle avait compris que sa détermination vacillait. Elle avait tenté de le dégoûter et de l'humilier. Marlène avait conçut ce piège perfide et l'avait convaincue de briser les espoirs de Marc. Elle avait agi en tant que gardienne du pacte.
Marc enlaça celle qui était redevenue en cet instant, une petite fille terrorisée et abandonnée sur le bord d'une route. Il caressa doucement ses cheveux et lui glissa trois mots à l'oreille. Ces mots qu'elle avait jusqu'ici refusé d'entendre de la part de n'importe quel homme et qui aujourd'hui venaient de mettre à bas son dessein morbide.
Marc lui promit de la protéger de ses peurs. Il lui proposa de s'installer avec elle, mais Annabelle se méfiait désormais de Marlène. Tant qu'elle se sentirait aussi fragile, sa gardienne la tiendrait prisonnière de sa promesse. Elle devait fuir dès que possible. Ils entendirent le parquet grincer dans le couloir. Ils convinrent d'un mensonge pour éloigner les doutes de Marlène, le temps pour eux de préparer leur fuite : Marc serait venu ce soir demander des explications et Annabelle l'aurait congédié sèchement. Ils s'embrassèrent et Marc lui donna rendez-vous dès le lendemain chez lui, sur le campus. Il prit soin de claquer la porte en sortant de l'appartement, pour concrétiser le mensonge établi.
Marc s'éloigna de l'immeuble le cœur léger. Il était déjà impatient de revoir son amante dans quelques heures. Il ne fit pas attention à l'ombre qui s'était glissée dans son dos, tout comme il ne vit pas venir le coup qui s'abattit sur sa nuque et lui fit perdre connaissance.
Il se réveilla trois jours plus tard dans une chambre d'hôpital. Sa tête était engoncée dans une minerve rigide, aussi il retint un cri de douleur lorsqu'il se redressa. Du bout de la main il fouilla les draps à la recherche de la commande du lit. Il espérait trouver le bouton pour appeler une infirmière ou une aide soignante qui lui expliquerait la raison de sa présence ici. Il parvint à redresser le dossier du lit médicalisé et put observer les alentours immédiats. Sur son chevet un vase transparent contenait une rose rouge. Il sourit à cette attention.
— Ah ! Vous voilà enfin réveillé, constata l'infirmière qui venait d'entrer dans sa chambre. Pas trop groggy ?
— J'ai mal au crâne et envie de vomir, expliqua le jeune homme.
— C'est pas étonnant avec tous les antalgiques qu'on vous a injecté depuis trois jours. Non ! Ne touchez pas aux fils de vos intraveineuses.
— Trois jours ?
— Vous ne vous souvenez pas des visites des médecins, pas vrai ?
— Non, désolé.
— C'est à cause des médicaments. Je vous rassure tout de suite : il y a plus de peur que de mal. Vous avez reçu un mauvais coup derrière la tête. On vous a transporté aux urgences pour prendre des radios, mais à part un hématome et deux vertèbres un peu déplacées, vous n'avez rien de grave. Une semaine de convalescence et quelques séances de kiné et vous serez vite sorti.
— Ça vient de qui la fleur ?
— La rose ? C'est votre amie qui l'a apportée. Une jolie gothique qui est déjà passé plusieurs fois. Vous avez oublié aussi ? C'est bien dommage, elle semblait très inquiète. Elle a demandé à ce que je la prévienne quand vous sortiriez du coaltar. Vous voulez que je l'appelle tout de suite ?
— Oh oui, s'il vous plaît. J'ai hâte de la revoir.
— Je préviens aussi l'officier de police qui s'occupe de votre agression.
— Il peut pas attendre demain, lui ?
— D'accord. On attendra demain pour les formalités. D'abord l'amoureuse, je comprends. Reposez-vous, je reviens bientôt.
Marc remercia l'infirmière et tourna sa tête vers la rose rouge. Il compta méthodiquement les épines et se rendormit dès la septième.
— Allô, Mademoiselle ? Je suis l'infirmière de garde du C.H.U. Vous avez demandé à ce que je vous appelle dès que votre ami serait réveillé. Vous pouvez venir, c'est bon. Il est impatient de vous revoir.
— Très bien. Merci beaucoup. J'arrive tout de suite.
La jeune femme raccrocha son portable et se leva du divan pour se préparer à sortir. Elle enfila sa veste noire et chaussa ses épaisses bottes.
— C'était qui ? demanda sa colocataire.
— C'est rien du tout, répondit Marlène avant d'empocher la seringue et la dose d'héroïne. Juste une épine dans le pied. Rendors-toi ma douce, je veille sur toi.
Je voudrais que la rose,
Fût encore au rosier
Et que ma douce amie
Fût encore à m´aimer
12:18 - 7 nov. 2015
J'ai pris plaisir à la lire.
12:34 - 7 nov. 2015
J'ai aussi un bon souvenir de cette nouvelle. Je me souviens particulièrement de la fin qui m'avait provoqué un certain sentiment d'insécurité.
Et même si ça n'a pas grande importance : c'était la meilleure du recueil. C'est même dommage qu'elle ait figuré dans le même sommaire que les autres, qui m'avaient parues franchement mauvaises pour la plupart.
A bientôt !
(ça me perturbe ce retour à la norme, moi j'aimais bien t'appeler dale cooper...)
12:40 - 7 nov. 2015
J'ai beaucoup aimé perdre contre ta nouvelle, et ne pas me retrouver avec la liste citée par D.A. :D
Plus sérieusement, c'est une très jolie nouvelle, vraiment. Un plaisir de la relire (:
18:33 - 8 nov. 2015
C'est étrange, parce que j'ai l'impression d'avoir déjà lu ce texte, même si je ne vois pas où ou comment. Il m'a happée toute entière, et je n'arrive pas à me le sortir de la tête. Il est sombre mais juste ce qu'il faut, et j'ai adoré.
Il est aussi potentiellement la raison de mes deux cauchemars de la nuit dernière, donc merci mec.