Qu'est-ce que l'art pour vous ?
[philo, débat] votre définition de l'art
Et ici, bienvenue pour donner votre sentiment ou vos idées sur ce qu'est l'art, comment le définir, quel rôle il a pour vous etc...
Le but ne sera pas de faire un débat sous forme d'affrontement de rhétoriques ou de pensées d'école, plutôt un petit espace d'expression et d'idées personnelles qui peuvent servir à la réflexion d'autres.
Je commence, sachant que mon idée sera certainement en désaccord avec beaucoup d'autres, qu'elle paraîtra probablement choquante voire absurde, je ne fais que proposer un sentiment propre et des réflexions associées.
J'ai envie de rattacher l'art à une question d'intention. Et cette intention peut être accordée par un regard extérieur, ça n'est pas forcément celle de l'auteur de l'oeuvre. Je propose (pour l'instant) cette définition: "l'art désigne l'accès à un mode de perception d'un objet. On dit qu'il y a art quand dans la relation avec un objet (fut il abstrait) on identifie une intention qui relève de l'expression d'une originalité (quelque chose d'unique, c'est le lien à l'individu), d'une recherche ou un questionnement/découverte, d'une présence "à tous" (universalité) et offre l'occasion d'une contemplation (on arrête le temps, on se questionne via l'objet, on l'admire, le regarde "pour lui")"
Je n'ai pas envie de faire de l'art une question de technique, de fonction, de discours, ni même de beauté puisqu'elle est on ne peut plus subjective. Si personnellement je trouve une beauté à l'art, la beauté correspond plus à un sentiment perceptif, un sentiment de "contact" avec un objet (compréhension, émerveillement, fascination etc...)qu'à quoi que ce soit de plus précis.
Je vais développer: je ne veux pas considérer comme de l'art un simple étalage de technique. Ou la répétition à l'identique d'une technique (ça questionne par exemple la production musicale fm...) Si en effet une oeuvre peut témoigner d'un travail, en revanche ce travail à mon sens doit "se chercher", se renouveler et se mettre en danger. Une technique appliquée à l'identique sans autre recherche, jeu, sans autre but, c'est un travail mécanique et systématique. Il manque à mon sens ce qui irait avec la conscience d'un système, le sens critique, et la recherche d'un meilleur système. L'interaction entre une perception, une technique, un résultat. Je ne veux pas considérer le calcul d'une calculatrice comme de l'art, ni un lavage automatique. A la limite je veux bien considérer quelque chose de beau et d'artistique ans la conception du projet.
Je veux bien considérer la réflexion et ses résultats comme une forme d'art. Pour en revenir à l'idée d'une "équation belle" ou d'un splendide travail de recherche. Je veux bien considérer un geste ou un acte, à travers son contexte, comme quelque chose d'artistique. Je veux bien considérer un design de cône à glace artistique, ou un t-shirt. Dans un autre extrême, je veux bien considérer qu'un reflet dans une vague, un paysage, voire une relation soient artistiques. Dans ce cas c'est bien la perception d'un "non créateur" qui va accorder ce statut. Parce qu'il y aura un contact, un questionnement face à un objet. une remise en question. Et une abstraction hors d'un "banal". Un objet d'exception. (ça veut dire que si quelqu'un arrive à trouver ce contact avec un produit que je n'aurai pas qualifié d'artistique, il peut néanmoins l'être).
La propagande et la publicité ont tendance à effacer la présence d'art sous une fonctionnalité et un discours. les oeuvres qui se veulent politiques ou polémiques et ne sont qu'un discours critiquant une époque, je questionne leur "artistique" de la même manière. La propagande, l'oeuvre dictée par son époque, la publicité peuvent éventuellement faire naître des objets d'art. Mais ce n'est pas ce qu'elles produisent par vocation. L'art n'a pas besoin d'un discours. Il a seulement besoin d'une perception, et d'un contact complexe avec une créature sensible et pensante.
L'art peut servir à un bien être, comme toute activité manuelle ou créative (art-thérapie), à se connaître mieux (on peut apprendre à s'y lire ou lire un auteur), c'est également un objet de questionnement philosophique. Dans une société différente et un peu plus saine en revanche, je ne pense pas qu'on idôlatre des objets d'art en leur donnant une valeur financière démesurée. En fait vendre l'art est probablement une idée un peu obscène par nature. Je ne pense pas non plus que ça soit un idéal humain absolu que de faire de l'art. Si on avait mieux à faire on le ferait probablement. La pulsion artistique est liée énormément au contexte et à la structure identitaire... Et je ne pense pas non plus qu'une idéologie puisse "posséder" l'art. Considérer qu'il y a UNE grande culture, Une grande technique, UNE grande forme ou UN grand discours artistique me semblent simplement un peu aliénées et très dépendantes d'une culture et d'une idéologie.
Voilà, j'ai essayé de faire le tour de ce que j'ai pu penser sur le sujet. A vous :)
16:17 - 8 juil. 2016
Ma réponse sera beaucoup plus courte ^^
Je pense que l’art ne peut pas être définissable, il a une valeur différente pour chaque individu.
Pour moi l'art est à la fois une forme de perception et un moyen d'expression, suivant de quel côté on se positionne. Dans les deux cas je commencerai en disant que c'est une œuvre de l'Homme.
En tant que spectateur, l'art ce n'est pas forcément quelque chose qui est « beau », mais plutôt quelque chose qui va me parler, me toucher, me faire ressentir, dans lequel je pourrais me projeter.
C'est une palette d'émotions. Pas nécessairement les émotions que l'auteur de l'œuvre veut faire passer, mais mes émotions en tant que spectateur devant cette œuvre. Comment je la perçois.
Une œuvre parfaite d’un point de vue technique mais devant laquelle je resterai de marbre, je saluerai la prouesse technique mais pour moi ce ne serai pas de l’art.
En tant qu'auteur, je considérerai l'art comme un moyen d'expression, une forme de langage.
Dire qui je suis, qui je veux être, ce qui me fait rêver, ce qui me déchire, ce qui me fait réfléchir.
C'est mon monde intérieur dans toute sa dualité et dans toutes ses contradictions.
Du coup, l’art est changeant et fluctuant.
12:42 - 9 juil. 2016
Et la mienne encore plus :
"L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art" - Robert Filliou
Sinon je suis d'accord avec Melow, l'art c'est subjectif, et rien que pour cette raison, il y a probablement autant de définition de l'art que d'individus différents. Quant à ma définition à moi... ça demande réflexion ^^'
10:16 - 28 juil. 2016
Hello.
Bon, l'art, vaste sujet : c'est même un peu plus qu'un sujet, c'est une discipline. Toute une branche de la philosophie est destinée à cette question, il s'agit de l'esthétique. Quelques remarques pour rebondir sur ce qui a déjà été dit.
L'art comme mode d'expression.
Il me semble qu'on peut facilement tomber d'accord sur le fait que l'art a a priori un fonctionnement proche du discours : il met en place des signes qu'il revient au spectateur de déchiffrer. La mouche posée sur la nature morte "signifie" la mort et fait comprendre au spectateur que le tableau qu'il contemple est une vanité. La présence de la flèche d'or dans la poitrine de la Thérèse du Bernin "signifie" au spectateur que cette dernière est frappée par l'amour de Dieu. L'art apparaît dès lors comme une forme de communication : sa fonction serait de "faire passer" des messages.
Ce qui je crois distingue malgré tout notre usage quotidien de la communication et le langage artistique, c'est la profonde ambivalence de ce dernier. Deleuze disait, dans une conférence célèbre sur le cinéma, que communiquer, ce n'est rien de plus qu'échanger des mots d'ordre, des injonctions (fais ceci, pense cela). Le langage quotidien est un langage assertif, il prétend dire ce qui est, tel du moins que le perçoit celui qui parle. Le langage artistique au contraire, fonctionnerait d'avantage sur le mode de l'allusion, de la polysémie, de l'ambiguité : quelque chose se dit, est signifié à travers l'art, mais quoi exactement ? L'art demande un effort d'interprétation, une prise de risque, parce que ce qu'il dit, ou ce que nous lui faisons dire, est toujours pluriel et susceptible d'être perçu différemment par plusieurs spectateurs. Si la mouche posée sur la nature morte "signifie" la mort, quelle conclusion faut-il tirer de la lecture de ce tableau ? Faut-il manger les fruits de la vie tant qu'ils ont encore leurs couleurs ? Faut-il au contraire s'en détourner comme un plaisir illusoire et qui ne dure pas ? Et l'amour de Dieu que "signifie" la flèche du Bernin est-elle amour des choses célestes - c'est une oraison - ou représentation détournée de l'amour charnel - c'est un orgasme ? L'art, contrairement à la communication, nous permet de choisir : c'est l'un et l'autre ou, si l'on veut, ce n'est ni l'un ni l'autre.
L'art comme intention.
Si l'art est un langage, alors il paraît logique de penser qu'il est le produit d'une intention : quelqu'un a "voulu" dire quelque chose. Le problème, c'est que l'intention est une donnée historique ou psychologique, et non une donnée artistique. On ne saura jamais ce qui se passe dans la tête d'un artiste au moment où il crée, et lui poser la question est souvent décevant : lui non plus n'en sait pas forcément beaucoup plus, rien de difficile comme de savoir ce qui se passe dans notre tête au moment où l'on crée. Par dessus tout, chercher ce que l'artiste a pu vouloir dire ne sert à rien, à moins une fois encore que vous soyez historiens des idées et des représentations : ce qui nous importe, en tant que spectateur, c'est avant tout ce que "nous" pensons devant l'oeuvre, non ? Si l'art est essentiellement allusif, ne cherchons pas à le rendre assertif, à le transformer en communication, à le "traduire" en termes "plus clairs" : l'art a beaucoup à y perdre et nous avons peu à y gagner. Je ne résiste pas à la tentation de citer cette remarque de Breton extraite de l'Introduction au discours sur le peu de réalité :
Dans le domaine de la théorie artistique, c'est un vrai débat qui a eu lieu au début du 20eme siècle entre les défenseurs de "l'intentionnalisme" (le spectateur doit comprendre quelles ont été les intentions de l'artiste) et ses détracteurs. Aujourd'hui, pour information, le point de vue dominant est celui de la théorie de la réception (ce qui ne veut pas dire qu'on n'a pas le droit de le critiquer) : chaque génération de spectateur "lit" l'oeuvre en y projetant ses connaissances, ses expériences, sa propre grille de lecture du monde. Une oeuvre d'art ne peut pas être "épuisée", parce que chaque époque la lira différemment : et il n'y a pas de "bonne" lecture.
Art et engagement.
S'il n'y a pas de "vérité" de l'art, cela ne veut pas forcément dire que l'art ne peut pas être "engagé". L'art a toujours été politique : on pense bien évidemment dans le champs littéraire à Camus ou à Sartre, mais bien avant eux, les pièces de Molière, les poèmes de La Fontaine ou les tableaux de la contre-réforme sont tout autant des oeuvres "engagées", en cela qu'elles proposent une pensée sur l'actualité. Néanmoins, en faisant le choix d'écrire un poème plutôt qu'une dissertation, en optant pour une forme artistique plutôt que réflexive, l'artiste multiplie les niveaux de signification de son oeuvre, il choisit de suggérer plutôt que de dire, de "faire penser" plutôt que "d'informer".
Art et lyrisme.
Utiliser la forme artistique pour exprimer ses émotions, c'est ce qu'on appelle le lyrisme : c'est apparemment un usage de l'art qui te tient particulièrement à coeur, Redofre. Ce qu'il faut bien voir, c'est que la sincérité n'est pas forcément un gage de qualité artistique. La sincérité d'une oeuvre ne touchera pas forcément, ou en tout cas pas tout le monde de la même manière : pour toucher, il faut que ce qui est raconté "nous parle" d'une certaine manière, rentre en résonance avec nos propres expériences, nos émotions, notre façon de voir les choses. Beaucoup de grands poètes lyriques ne sont pas "sincères", ils reprennent un certain nombre de postures traditionnelles, se mettent en scène, déguisent la vérité : cela ne veut pas dire qu'ils ne toucheront pas. Je travaille en ce moment sur les romanciers libertins du 18e siècle : la sincérité n'a vraiment rien à faire là dedans, c'est au contraire un jeu de tromperie, de connivence, de manipulation et de duplicité, mais cela n'engage en rien la qualité littéraire ou artistique de ces textes.
On en revient de fait au débat sur l'intentionnalisme : nous n'avons pas besoin qu'un artiste soit sincère ou qu'il "éprouve véritablement les choses" pour que ce qu'il représente nous touche. Ce qui se passe dans la tête du créateur, nous n'en savons rien, ce que nous ressentons devant son oeuvre : cela en revanche nous appartient.
Art et technique.
Et tout cela m'amène à ce dernier point. Difficile de dire ce que l'art est ou n'est pas, s'il est sincère ou non, s'il est engagé ou non. Dans tous les cas, l'art est une forme, et c'est cette forme qui lui permet aussi bien de signifier que de toucher. Une "idée" cinématographique ce n'est pas la même chose qu'une idée littéraire ou picturale : parce que le cinéma, la littérature et la peinture possèdent des outils d'expression différents, ils ne disent jamais la même chose. La distinction entre la forme, qui ne serait que le medium ou l'ornement, est le fond, est une pure construction de l'esprit : il n'y a pas d'idée sans forme et il n'y a pas deux formes qui signifient la même chose (c'est du reste la raison pour laquelle une "adaptation" - au cinéma, au théâtre - est toujours une "recréation"). Attention dès lors de ne pas confondre la technique, au sens de "ficelles de la composition" ou de "difficulté dans la réalisation de l'oeuvre" avec cette réflexion sur la forme qui est vraiment le point de départ de toute création artistique. La question n'est pas de savoir si une oeuvre est difficile à réaliser ou non (le degré de technicité n'est pas en soi un critère de valeur) mais bien comment le peintre, l'écrivain, le musicien, le sculpteur "informent" une idée.
Je vous quitte sur une phrase de Blanchot qui parle de la littérature, mais ce qu'il dit marche très bien avec l'art en général : "La littérature est une manière de dire qui dit par la manière".
10:59 - 28 juil. 2016
Il y a quelques années, j'ai entendu une phrase d'un chanteur dans une émission de télévision (je ne me souviens pas du chanteur en particulier, je crois que c'était sur canal+). Il disait : "La musique est une transmission d'émotions"
On peut sans doute l'appliquer à toute forme d'art, même si l'émotion ressentie par chacun est différente de celle des autres, même si elle est différente de tout ce que l'auteur avait pu imaginer.
Au moment où j'écris ça, je pense à certaines formes de journalisme, plus préoccupées de scoop que de déontologie, qui visent à émouvoir leur public. Je doute qu'on puisse considérer ça comme un art.
11:06 - 28 juil. 2016
C'est tout le problème de ce critère de "l'émotion" : on le retrouve aussi bien dans l'art que dans le journalisme, la propagande, la publicité, le journal intime, etc... Or ce qui distingue ces différents genres, me semble-t-il, c'est justement la manière de "mettre en forme" l'émotion.
Par ailleurs, si la propagande utilise parfois des outils "artistiques" pour arriver à ses fins (métaphores, illustrations, couleurs, etc...), l'art peut à son tour se réapproprier cette propagande. C'est ce que fait par exemple Desnos lorsqu'il écrit ses poèmes publicitaires : le "sujet" importe peu, on le voit, c'est la manière de le traiter qui différencie l'art de ce qui n'est pas lui.