Thème : « Les dieux tombent et les hommes sont couronnés »
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Texte A
Les Dieux tombent, et les hommes sont couronnés ?
Trantor, année terrestre 22B14. Après de nombreux millénaires d’exploration, les colonies humaines s’étendent à présent sur près de 400 galaxies différentes. Il est difficile d’estimer avec certitude la taille de la population humaine, mais on sait qu’il y a près de 10 fois plus d’hommes en orbite ou en voyage spatial que sur la terre ferme, et encore 10 fois plus d’hommes virtualisés dans des univers artificiels, créés spécialement en tant que divertissements. L’humanité d’aujourd’hui, plus virtuelle que matérielle n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était lors de son premier voyage interstellaire. Les progrès de la science, de la médecine, la sélection génétique et le désir de contrôle de l’homme l’ont façonnés de nombreuses manières. L’être humain a quitté son statut de créature d’émotion, pour devenir une pure créature d’intellect.
Ces modifications ont été dirigées par une envie de progrès et de paix. Les émotions ont longtemps été considérées comme la racine du mal qui a rongé l’humanité. La cupidité, la soif de pouvoir, la colère, la haine, autant d’éléments ayant été à l’origine de cataclysmes ayant bien faillit porter un point final à l’histoire de l’homme. Après l’hiver nucléaire ayant suivi l’accident d’Olympus, une purge génétique et des nouvelles normes en termes de sélection des naissances et d’accompagnement évolutif des jeunes humains ont été mis en place. Les changements considérables au niveau de la nature humaine qui en ont suivi ont enfin permis à l’espèce de se tourner définitivement vers l’exploration de l’univers et vers le progrès technologique.
Aujourd’hui, l’homme a atteint des niveaux d’avancées technologiques si considérables qu’il s’auto-qualifie d’omnipotent. Son contrôle de la matière, de l’énergie, de l’espace et du temps est pratiquement infini. Pourtant, sa soif de grandeur n’est pas totalement étanchée. Un élément lui manque pour pouvoir se voir couronné du statut de divinité suprême : l’omniscience.
Quand bien même les connaissances de l’homme sont complètes sur quasiment tous les domaines, de la physique à la biologie, en passant par la psychologie et les sciences sociales, l’homme ne sait pas tout. Le dernier domaine de la connaissance qu’il convient d’explorer entièrement est de nature épistémologique : la connaissance de la connaissance. Ce domaine étant par nature l’étude du savoir, il ne peut être entièrement exploré qu’une fois que tous les autres domaines de connaissance ont été ajoutés dans leur intégralité à l’ensemble du savoir humain. C’est ainsi que la connaissance de la connaissance se trouve être le dernier obstacle avant l’avènement de l’espèce humaine comme divinité gardienne de l’univers.
L’ensemble des connaissances sur l’univers est contenue dans l’Encyclopédie du Savoir Universel et de la Connaissance version 214.3.7.18, abrégée ESUC18. La dernière tâche de l’humanité en tant qu’enfant de l’univers est donc l’analyse complète et totale de l’ESUC18. Et la dernière partie de cette étude est réalisée par un seul homme : Elyos 12 de Trantor.
L’analyse de l’ESUC18 était un travail qui avait demandé un temps considérable à Elyos. Afin d’éviter tout biais cognitif émergeant systématiquement d’un travail en groupe, il avait étudié seul, durant près de deux siècles. C’était l’œuvre de sa vie, et son accomplissement était la plus grande réussite de l’Homme à ce jour. Rien ne pouvait rendre Elyos plus fier, et cette fierté avait atteint son apogée au moment où il avait clos son travail, et lancé la mise à jour de l’ESUC pour rajouter à la somme des connaissances ce petit morceau qui lui manquait.
Il y aurait bientôt une cérémonie pour célébrer cet avènement, et le scientifique recevrait le prestigieux honneur impérial, ainsi que l’immense privilège de pouvoir virtualiser sa conscience au sein d’un univers artificiel de son choix. L’extrême qualité de son travail nourrirait l’égo de l’homme, et il serait grassement récompensé pour cela.
Son implant neuronal s’activa. *Mise à jour terminée : ESUC v214.3.7.19*
Ca y est. Le moment était arrivé. Elyos contempla les images mentales de son interface neuronale, et sourit intérieurement. Une pensée lui traversa l’esprit.
« Non, ce n’est pas encore terminé, il manque quelque chose. »
Il lança alors un nouveau projet d’étude, sobrement intitulé « ESUC19 ».
Texte B
J'ai appris. J'ai appris qu'on nous bernait depuis des siècles, qu'on n'était jamais parvenus à briser les chaînes et les couronnes. Les Lumières, la révolution, les majuscules qui s'entrechoquent n'avaient jamais donné le jour à de choses plus belles que l'esclavage moderne. Il n'y avait rien à espérer parce qu'il n'y avait jamais eu d'espoir, les hommes de biens avaient gagné la guerre, toutes les guerres. Ce qu'on croyait prendre c'est ce qu'on ne savait pas que l'on perdait. Rien qu'à voir ce qu'ils ont fait de nous aujourd'hui me rend malade, je n'ai pas envie de sortir de ma couette pour voir encore un jour de plus se lever sur leurs sourires écarlates. J'ai de la colère ne serait-ce qu'en évoquant ce qu'ils sont, des parasites, des criminels, des prétentieux, des hommes pleins de pouvoirs, de puissance, nés avec une arme à feu braquée sur la tempe de l'humanité. Quand je vois ce qu'ils font de nous, ces violences quotidiennes, j'ai envie de me battre de faire de ce cauchemar quelque chose de plus serein, de moins fou, de moins grotesque, de moins obscène.
Puis je me souviens de mes leçons. On m'a volé mes dieux, mes croyances et il ne reste rien. Même moi suis corrompu en plus d'être brisé. Je n'ai plus le cœur de compter mes erreurs, mes fautes, je dirais même, mes pêchés. Je passe de la colère à la torpeur, j'aurais bien envie de bouger mais je ne sais pas par où commencer. Quelle direction prendre pour que cela finisse un jour par aller bien, ou simplement aller mieux. Ma laisse est trop courte, je veux courir là où on a nos chances. Je veux qu'on m'amène à mon mentor, celui qui m'apprendra à contenir tout ça et en faire quelque chose, un vieux barbu avec une béquille qui pourra m'apporter son savoir avec un accent chinois. Je veux tomber sur ce groupe de frères d'armes qui m'accepte comme je suis et fasse de moi l'un des leurs. Je veux aller sauver cette belle princesse pour qu'on puisse revenir chez nous et constater que les ténèbres s'en sont allées, chassées par la beauté des vies sauvées.
Avons-nous une chance ?
Qu'est ce qu'on s'est fait ?
Quelqu'un m'entend ?
Texte C
L'aveugle s'éveille
Ses idoles décharnées
Au cœur d'une fleur
Texte D
‘‘ Un endroit merveilleux, loin de tout, va-t’en trouver des compagnons, vas à eux, découvre le secret des dieux. ’’
Alaric se réveillé en sursaut. Surpris par son rêve et encore tout chamboulé il regarda autour de lui.
« C’est bon. Je suis bien dans mon lit….. mon dieu quel rêve ! »
Il se leva, alluma une lampe, pris de quoi écrire, et transcrit les paroles étranges de son rêve. Il se leva attacha ses longs cheveux argenté et se dirigea vers sa bibliothèque. Il alluma la pièce et son regard parcourus les nombreuses étagères avant de s’arrêter sur un livre à la couverture bleue. Il s’avança, pris le livre et l’ouvrit. A l’intérieur Alaric vit des symboles qu’il ne pouvait malheureusement pas lire. Il passa la journée à essayer de déchiffrer ses symboles sans succès.
La nuit suivante Alaric refit un rêve : ‘‘Un endroit merveilleux, Kaila…. Trouve des compagnons et rend toi à Fanélia..’’ Alaric se réveilla au petit matin avec un seul mot en tête : Kaila. Pendant quelques jours, Alaric ne pensa qu’a ce rêve étrange.
Il décida donc de se rendre à l’hôtel de ville et de poser une annonce : ‘Voyage jusqu’à Fanélia. Pas de retour ici. Intéressé rendez-vous à l’auberge Gaay le 7. Alaric.’
« Oh merci, merci mille fois ! s’exclama une femme en larmes.
-Je vous en prie, répondit un homme d’une trentaine d’années. »
Matthias mis son chapeau rose, pris son sac et sortit de la maison.
« Ou allez-vous monsieur le soigneur ? demanda une petite fille.
-Voir si quelqu’un à besoin de moi ailleurs, répondit Matthias. »
Il pris la route vers Calypso, passa la forêt sans encombre et arriva enfin en ville. Il alla à l’hôpital et demanda s’il pouvait aider. On lui présenta une petite fille nommé Calie. Cette petite fille de 12 ans aux cheveux noirs était devenue muette de façon étrange il y a quelques jours.
« Bonjour Calie, je suis Matthias. Je vais t’aider à aller mieux. »
La petite fille ne réagit pas. Matthias posa sa main sur son front. Il fut entouré par la pénombre. Il vit une faible lueur au loin et essaya de s’approcher. Un petit être recroquevillé sur lui-même. Il voulut le toucher mais vit des marques en forme d’araignée sur son dos. Il ressortit de la vision, regarda le dos de Calie mais ne vit rien. Il décida de passer sa main et senti une présence néfaste. Matthias se concentra et une aura rose emplir la pièce. Au bout d’un moment il enleva et regarda Calie. La jeune fille plongea ses yeux verts dans les siens. Une voix se fit entendre dans sa tête :
« Un grand destin t’attend Oh toi fils de la bienveillance, va à Arcadia et trouve l’homme aux cheveux argentés. Aide-le dans son périple. Promet le moi et je laisse cette petite.
-Comment te faire confiance ? Comment ne pas croire à un autre esprit malin ? demanda Matthias.
-Tu le sais très bien au fond de toi, tu me connais. »
Les cheveux rouges virevoltant au vent, un coup d’estoc, Alicia s’entrainait à l’escrime dans son jardin. Cette jeune fille rêvait d’aventure et surtout de partir de sa ville natale : Topia. Malheureusement sa mère ne l’entendait pas de cette oreille. Pour cette dernière, Alicia devait rester dans cette ville, ou rien ne se passait jamais, pour ‘protéger’ le trésor familial. Cela faisait 10 ans au moins qu’elle entendait cette histoire. Mais elle ne pouvait pas se résigner à oublier ses rêves.
C’est lors d’un jour comme les autres, que sa mère Elena lui annonça :
« Notre famille est la gardienne d’un grand secret…
-Oui parait-il, tu me rabâches cette histoire tout le temps ! s’exclama Alicia.
-Ce ne sont pas des histoires. La famille Campbell est très anciennes et la gardienne du secret des dieux.
-Le secret des dieux ?
-Oui tu l’as en toi, tu sais la vérité. Vas à Arcadia, le début de ton périple commencera la bas.
-Quoi ? je peux…partir de Topia ? demanda Alicia abasourdit, Oh mon dieu ! »
Alicia prépara ses affaires, pris son épée et se rendit à Arcadia. Elle se rendit à l’hôtel de ville pour voir ou sa destinée l’emmènerait et vit une annonce.
Alaric s’était assis à une table ronde au fond de l’auberge Gaay. Il attendait des aventuriers mais entre ceux qui ne voulait pas partir et ceux avide de récompense il commença à désespérer. Une jeune femme à la chevelure rouge entra dans l’auberge. Elle demanda au maitre des lieux où se trouvait Alaric. Après avoir été renseigné, elle s’approcha du fond de l’auberge :
« Alaric ? Bonjour, je suis Alicia, et j’ai vu votre annonce. Je serai intéressé par votre expédition. Quand partons-nous ?
-Demain dans la matinée. Mais avant cela, je voudrais vous parler un peu de ce voyage. Il n’y aura ni récompenses, surement pas de retour possible, et je ne sais pas combien de temps cela durera. En revanche les frais seront pris en charge. Etes-vous toujours intéressé ? questionna Alaric.
-Oui, je le suis. Voyager est un de mes rêves !
-Bien ! On se retrouve demain matin ici même. »
Content d’avoir trouvé au moins un compagnon, il resta à l’auberge jusqu’au soir. Au moment de partir on l’interpela :
« Excusez-moi, je voudrais savoir si vous êtes sur le point de partir en voyage ?
-Oui, vous avez vu l’annonce à l’hôtel de ville ?
-Non du tout. Je dirais que les dieux m’ont guidé jusqu’à vous. Je m’appelle Matthias. »
Ils se serrèrent la main et vire tous deux un autel au milieu de ce qui ressemblerait à un temple. Cette vision convaincu Alaric.
« D’accord, rendez-vous demain matin ici. Par contre il n’y aura ni récompenses, surement pas de retour possible, et je ne sais pas combien de temps cela durera. En revanche les frais seront pris en charge.
-D’accord pas de soucis. »
Le lendemain tous trois réunis ils partirent en direction de la grande ville de Fanélia. Le trajet pris 3 jours et ils eurent le temps de discuter de l’objectif de cette mission. Ils arrivèrent sans encombre. Après une nuit à se restaurer, ils prirent la direction de la forêt et virent le temple. Ils entrèrent dans la bâtisse et se retrouvèrent dans une grande salle. Des torches luisaient le long des murs, ce qui rendait l’atmosphère plutôt mystérieuse. Sur les murs des écrits étranges qui ressemblaient aux écrits du livre d’Alaric. Au centre de la pièce se tenait un autel en marbre.
« C’est celui que j’ai vu en te serrant la main ! s’exclamèrent Matthias et Alaric d’une même voix. »
Alicia s’approcha alors de l’autel et lorsqu’elle mit sa main dessus une bourrasque emplit la pièce. Dès que la tempête fut finie elle dit aux autres :
« Je comprends ce qu’il y a écrit sur les murs… Cela parle de 3 élus et d’un livre de la sagesse.
-Un livre comme celui-ci ? »
Alaric sortit un ouvrage à la couverture bleue. Alicia lut le titre : ‘Prophétie de Ganapati’ Alaric lui donna le livre pour qu’elle puisse le lire et le traduire pour ses deux compagnons.
Quelque jours plus tard Alicia partagea ces découvertes :
‘‘ La porte du Kaila se situe au pied de la montagne la plus proche de notre lieu saint. Pour accueillir les 3 nouveaux élus il faut que Naraya (le courage), Devi (la bienveillance) et Shankara (le dissimulateur) les guident vers le gardien. ’’
« -Bon bah il nous restes plus qu’à aller au pied de la montagne et on verra sur place.
-Alicia à raison, c’est notre seule piste de toute façon dit Matthias »
Ils prirent donc tous les trois le chemin de la montagne, mais malheureusement un groupe de mercenaires les avaient suivi. Dès qu’ils commencèrent à entrer dans la foret, ces affreux personnages les attaquèrent pour les dépouiller. Alicia s’interposa et essaya de protéger ses compagnons. Alaric serra ces affaires et surtout le livre bleue contre lui. Matthias se mit devant lui et était prêt à soutenir Alicia de toutes ses forces magiques. Malheureusement les mercenaires commencèrent à prendre le dessus et Alicia cria aux deux autres de rejoindre la ville. Des masses de glaces assommèrent les assaillants. Tous trois se demandait d’où cela venait….
« Ne vous inquiétez pas c’est moi qui vous ai sauvé. Dit une voix derrière un arbre. »
Un homme vêtu d’une petite cape violette sortit de derrière l’arbre et se présenta :
« Je suis Dorian, je pourchassait ces mercenaires. Enchanté. Par contre ils ne vont pas rester à terre très longtemps.
-Avançons. Pouvez-vous venir avec nous au pied de la montagne au cas où ils se réveilleraient ? demanda Alaric.
-Oui bien sûr. »
Ils se dirigèrent donc tous les quatre au pied de la montagne, cherchèrent une entrée mais ne virent rien. C’est alors qu’Alaric sortit le livre des prophéties, l’ouvrit et récita un extrait. Un passage s’ouvrit devant les yeux ébahi de Matthias, Alicia et Dorian.
« Vous pouvez entrer mes enfants, leur dit Alaric dont la voix était différente. »
Les trois jeunes gens se sentant en confiance et comme s’ils savaient qu’ils devaient se rendre au bout du tunnel, s’engouffrèrent à l’intérieur. Leurs corps fut comme transporté ailleurs et ils arrivèrent dans un endroit merveilleux ou tout n’était que verdure pureté et bien être. Trois êtres les attendaient :
-Bonjour. Nous vous attendions.
-Mais pour quelle raison ? demanda Dorian
-Pour prendre votre place et veiller sur le monde? répondit Alicia.
-Oui c’est bien vrai. Toi Alicia ta famille est courageuse et porteuse de cet héritage. Matthias, tu es la bonté incarnée et toi Dorian tu es talentueux dans le domaine de la dissimulation.
- Mais c’est … Oh mon dieu… laissa échapper Dorian.
_Maintenant nous allons redescendre sur terre et vous laissons les clefs de Kaila, le paradis des dieux…. Enfin pour 333 ans !»
Texte E
Comment savoir ? Il ne reste pas beaucoup de représentants du droit divin qui le revendiquent. Les gouvernements, maintenant, s'appuient plutôt sur « la volonté du Peuple », que celle-ci soit se soit exprimée ou non. Cependant, j'ai la chance de faire partie de ceux qui peuvent communiquer avec cet autre monde qui nous entoure, un monde fait d'esprits qui ont certainement donné naissance à nos croyances divines. Et su je les interrogeais directement ? Ils pourraient me dire, eux, si cette histoire est vraie.
C'est le défi que je me suis lancée.
Toute matière est énergie et toute énergie est matière
Alors, je m'y mets.
La première séance se passe dans le jardin. Quelques minutes de relaxation, concentration sur ma question et je me laisse partir au son du tambour. Quelques images se forment, un bébé vagissant nimbé de lumière, une cathédrale sous le soleil, un dragon noir qui s'élance du centre de la terre vers le ciel tandis que son opposé lumineux le frôle en sens inverse et s'enfonce dans les profondeurs.
Rien de probant. Je sens un lien avec l'énergie cosmique et terrestre, symbolisée par les dragons, mais ce n'est pas suffisant. Je note rapidement ce que j'ai vu puis reprends le cours de ma vie. Je sais que ce n'est pas la peine d'insister, c'est toujours au début que la « réception » est la meilleure.
Quelques jours plus tard, j'essaie à nouveau. Cette fois, je vais près d'une source de ma connaissance où officiait, il y a très longtemps, un Oracle. Donc un lieu lié à l'énergie céleste. Je prends mon temps. Je m'assoie en tailleur près de l'eau. J'écoute le glouglou de la source et le bruissement discret des arbres. Je sens le soleil sur ma peau, la fraîcheur de la pierre sous mes fesses, l'odeur de la terre humide. Je me recueille dans cette nature. Le calme gagne chacune de mes cellules. J'envoie un baiser à la ronde, j'ai envie d'étreindre tout ce lieu qui m'accepte en son sein. Je m'asperge d'eau de la source et me dirige vers la paroi rocheuse où l'Oracle tenait séance. Je m'assoie à sa place, me pare de plumes et commence à frapper mon tambour. Ici, il a toujours une résonance spéciale, tous les autres bruits, la route, les oiseaux, s'estompent. Je suis dans une bulle. Et dans cette bulle, je vois et je comprends. Je vois l'énergie se transformer en matière et la matière redevenir énergie. Je vois ces entités, ces esprits qui, à force de contact avec l'Humanité, ce sont faits connaître au point qu'on les nomme Aphrodite, Zeus, Isis, Dieu, Apollon…
La dernière vibration du tambour s’éteint et j’ouvre les yeux. Le monde reprend ses couleurs normales et mon stylo couvre de notes mon carnet. J’ai progressé dans ma recherche. Je sais comment les dieux sont nés. Ce sont nos guides les plus fréquents et nous les avons nommés ainsi, les auréolant de pouvoirs selon les chemins qu’ils nous faisaient emprunter. Mais je n’ai toujours pas le lien avec les rois, ces descendants du divin.
J’ai l’occasion de refaire une séance quelques semaines plus tard. C’est l’équinoxe d’automne. La porte entre les mondes énergétiques et notre monde physique est plus fine, l’énergie est au plus haut, portée par les milliers de cérémonies qui se font de par le monde. C’est pour moi le moment de retourner dans la grotte, au sein de la Terre-Mère. Confinée dans cette matrice, je demande à assister au couronnement des rois, à la naissance du divin sur terre. Le grondement du tambour me fait entièrement vibrer, jusqu’aux os, jusqu’à faire s’envoler mon esprit.
Comme un film muet, je vois Zeus, paré des attributs que les humains lui donnent, se pencher, tendre la main à travers la membrane entre les mondes, cherchant à toucher un homme en transe qui semble lui adresser une prière. Je le vois s’efforce, s’étendre et finalement basculer. Lentement, je le vois prendre corps. Le suppliant a fini et s’éloigne, sans voir la main tendue qui apparaît derrière l’autel. Cela prend un temps étrangement étiré, peut-être des heures, ou des jours, mais finalement, l’entité que nous appelons Zeus s’écroule à terre, faible et désorientée, une couronne de lauriers sur ses cheveux bouclés et un éclair figé dans sa main droite. Épuisé, l’être s’endort, ou bien sombre dans le coma, je ne sais pas. Toujours est-il que ses yeux se ferment et que son corps se détend. Un nouvel homme arrive et dépose une offrande de fruits sur l’autel. c’est là qu’il remarque le corps étendu. Craintif, il s’approche doucement, contournant la pierre sur la pointe des pieds, le souffle suspendu. Il reconnaît la couronne, l’éclair et fait précipitamment trois pas en arrière, la bouche cachée derrière sa main, les yeux exorbités d’incrédulité. Bien vide, c’est une lueur d’avidité qui apparaît et un regard calculateur qui scrute le dieu à terre. Il s’approche de Zeus. Le touche du bout de sa sandale. Pas de réaction. Approche une main de l’éclair, l’effleure. Toujours rien. Prestement, il s’empare de la couronne, la ceint et prend l’éclair. Il repart d’une démarche triomphante, un sourire carnassier sur le visage. Zeus, lui, semble perdre de la substance et disparaît petit à petit, retourne à son état de pure énergie.
Le son du tambour se perd dans les tréfonds de la grotte. Ainsi, le mythe a bien un fond de vérité. Mais ce ne sont pas les dieux qui ont couronné les hommes. Ce sont les hommes qui ont fait tomber les dieux des cieux et leur ont pris leur couronne.
Texte F
L'athée.
C'est encore arrivé. L'an passé, presque hier, quoi...
Tu ne vois rien venir quand ta vie se rebelle,
C'est un coup de massue, un truc qui laisse coi ;
Du jour au lendemain tout part à la poubelle,
Femme, boulot, succès... tout te semblait rivé,
Rien ne l'était... C'est ça : c'est encore arrivé,
Quelqu'un a tout perdu ; bibi, en l'occurrence,
Doublé par un benêt, qui plus est, pas joli.
Six ans comme effacés par la simple attirance
D'une femme ennuyée pour un garçon poli
-Pourvu qu'on m'ait quitté à cause du physique.
Et depuis, je subis l'enfer psychologique
Que j'ai dû m'imposer : ne plus jamais la voir,
Tirer un trait sur elle et sa nouvelle idylle,
Encore imaginer mais ne plus rien savoir.
Riez si vous voulez, c'est loin d'être facile...
Une fois j'ai craqué : direct sur Facebook,
En plein sur la photo laissée par l'autre plouc,
Là, sur son mur à elle ! Et elle l'a aimée...
C'est troublant à quel point un simple pouce en l'air
Peut consumer ton cœur sans la moindre fumée.
Nous formions un tel couple (Ai-je aussi peu de flair !?)...
Le silence entendu des autres me dévore,
Le cœur a ses raisons que tout le monde ignore
-Mutisme convenu qui là vire à l'odieux
(L'urbaine trahison ne prend pas une ride) !
Que reste-t-il... L'amour ? L'amour, ce sont nos dieux :
On n'en perçoit jamais tout à fait que la bride ;
C'est un leurre, un bonbon qu'on suce, avant la mort
(Y croire comme un con a été mon seul tort).
Non, ce qui plaît vraiment, c'est le concret : les hommes,
Le toucher, le palpable, le sexe rageur,
La pulsion qui sort des plaisirs métronomes,
Disloquant tous nos idéaux d'un coup vengeur.
Mon désir de confiance était voué au naufrage :
Confiances et désirs ne font pas bon ménage,
Qu'importe ! Si les dieux représentent l'amour
Et les hommes, le sexe, alors je suis athée.
J'ai cru, mais j'abandonne en espérant qu'un jour
Quelqu'un m'ôte l'idée que la pomme est gâtée,
Les dieux, poussés par l'homme, ont été détrônés ;
Les dieux tombent et les hommes sont couronnés.
En attendant, peut-être, alimentant la pompe,
Vais-je oublier l'amour qui construit pas à pas ;
Ou peut-être risquer qu'une autre âme me trompe
En crachant sur l'amour qui ne se construit pas...
Eh, quoi ! C'est arrivé. Je souffle la bougie,
Rêveur ; tandis qu'en moi coule l'hémorragie.
Texte G
La journée avait bien commencée : le voisin avait laissé cinq mégots dans mon jardin durant la nuit. Je les ramassais avec satisfaction dans la lumière matutinale ; la rosée les avait à peine détrempés et il ne faudrait pas plus de quelques heures pour les sécher à point. Je rendis grâce au ciel qui était splendide et dégagé et qui avait su m'épargner d'un réveil tonitruant et divin.
Ce fut donc avec une bonne humeur affichée que je pris place au volant de mon véhicule individuel moyennement polluant. Un coup d'œil à l'horloge du tableau de bord m'indiquait que je risquais d'arriver avec seulement cinq minutes d'avance à mon rendez-vous au Pôle Emploi. Il était temps de me dépêcher puisqu'il était de bon ton d'arriver en avance pour profiter des files d'attente et badiner avec les inconnus qui patientaient eux aussi.
À peine le moteur enclenché, la radio s'alluma et m'offrit un condensé des informations essentielles du début de journée : une énième divinité s'était écrasée sur le sol d'Ardèche dès les premières lueurs de l'aube. Les experts du Ministère de l'Immigration peinaient encore à déterminer son essence, mais d'après les premiers constats il s'agissait d'un obscur ressortissant du panthéon égypto-romain. Le fait que ce dernier refusait obstinément de décliner son identité aux facteurs qui l'avaient appréhendé, faisait supposer aux commentateurs qu'il devait s'agir d'Harpocrate. Pour ma part, c'était un nom totalement inconnu au bataillon.
Le reste des nouvelles était d'un intérêt équivoque et plutôt inquiétant : Véolia menaçait d'enrôler de force un millier de T.I.G. supplémentaire si le Palais de l'Élysée n'accédait pas à ses requêtes en terme de déduction fiscale ; le gouvernement était bien décidé à ne pas céder aux pressions des travaillistes, lesquels refusaient toujours d'appliquer l'augmentation de la distribution gratuite de carburant de dix-neuf à vingt-trois litres de gazole par semaine et par chômeur.
Je haussai les épaules et me permis un petit rire sardonique en écoutant le porte-parole du Parti des travailleurs au Sénat. Ce type était vraiment un crétin obtus et le plus indigne représentant de l'Ancien Régime ! Pour ma part, j'avais fait le plein la veille et j'avais même dû remplir un jerrican de diesel pour bénéficier pleinement de mes minima sociaux.
Il était désormais plus que temps de me dégourdir si je ne voulais pas arriver à l'heure au Pôle Emploi. Au carrefour devant l'école primaire du quartier, je décidai de passer à l'orange pour gagner du temps. J'entrevis les regards colériques et remplis de préjugés des autres automobilistes qui devaient me prendre pour un crevard de salarié en retard.
Hélas, ma vilaine manœuvre ne passa pas inaperçue des forces de l'ordre. J'aurais pourtant dû me méfier : à cette heure-ci ça circulait mal et les facteurs-policiers étaient en pleine distribution de courrier. Je ne remarquai que trop tard le scooter électrique de l'officier-postier en faction dans cette zone de la ville. Il démarra en trombe et brancha sirène et gyrophare pour venir se mettre à mon niveau. Le salaud me fit signe de m'arrêter sur la place de parking payante en face du PMU. J'obtempérais de mauvaise grâce et dépensais trois francs à l'horodateur, soit le tarif pour la durée minimale de sept minutes. Fort heureusement, j'avais toujours dans ma voiture un stock de diverses devises (y compris des euros... on ne savait jamais quand une ancienne monnaie pouvait resurgir).
Le flic-préposé inspecta mes papiers, ma vignette d'assurance, mon niveau d'huile et l'état de mes plaquettes de freins. Il rédigea une lettre-amende et me l'expédia en LRAR qu'il me délivra immédiatement non sans avoir vérifié le cachet de la poste faisant foi.
La Police-PTT était l'un des seuls organes qui n'avait pas été dissout lors du passage au Nouveau Régime. Ce reliquat des anciens temps se justifiait, paraissait-il, par un décret d'exception qui avait été prononcé par l'Empereur Nicolas lui-même, en remerciement des bons et loyaux services qu'avait rendus cette administration lors de sa prise de pouvoir onze ans auparavant. La fusion des Postes et de la Police avait été encouragée par les anciens dirigeants socialo-libéraux lorsqu'il s'était agi de trouver des solutions concrètes pour assumer une politique d'austérité quasi-permanente. Très vite, les consultants des cabinets ministériels s'étaient aperçus qu'il y avait essentiellement deux administrations qui patrouillaient cinq jours et demi par semaine aux heures ouvrées : la Police et les Postes. Il était donc devenu logique que pour réduire les budgets de ces deux missions régaliennes, les deux entités dussent s'absorber mutuellement. Depuis, les inspecteurs-distributeurs se chargeaient à la fois des enquêtes de proximité, de la régulation du trafic routier et de l'acheminement des courriers officiels. Pour le reste, les succursales de Véolia subvenaient aux besoins primaires de la société en matière de courrier et de justice privés.
Après une admonestation en bonne et due forme, le postier-policier me libéra pour la modique somme de cent-quinze écus (que je payais grâce à un chèque dématérialisé de mon compte courant au Luxembourg).
Je redémarrai le mors dans l'âme (ou un truc du style) et rageai contre ma propre bêtise. La radio interrompit son programme musical (cette semaine c'était la semaine Philippe Lavil) pour un flash breaking news d'alerte urgence. Le Grand Chambellan fit une allocution sur le perron de l'Élysée pour annoncer que suite à des tensions communautaires à Bruxelles, l'Union des Royaumes et Empires Occidentaux d'Europe, de Crimée et de Scandinavie (communément appelée « l'Union ») venait de renoncer partiellement et pour une durée indéterminée à l'usage de l'European Curency Unit (autrement dit l'ÉCU – code ISO 4217 : XEU). Je me rendis alors compte qu'à deux minutes près, je n'aurais pas pu m'exonérer de l'amende du postier et j'aurais sans doute écopé d'un redressement ou d'une surtaxe pour retard de paiement ou pour fraude fiduciaire à la monnaie invalide (punie par trente-cinq jours de Travaux d'Intérêt Général au profit d'une multinationale d'intérêt communautaire).
Je parvins dans la file d'attente de Pôle Emploi à 9 h 58, soit deux minutes en avance, ce qui n'était pas terrible, mais demeurait honorable. Dans la queue je rencontrai quelques autres collègues sans emploi que je fréquentais parfois en dehors des heures chômées. Il nous arrivait de prendre nos voitures individuelles et de rouler deux ou trois heures en file indienne sur les voies expresses gratuites, juste pour le plaisir de dépenser du carburant gratuit ensemble. Parfois nous poussions jusqu'à Ouistreham ou Saint-Malo et nous buvions un ou deux cafés au casino avant de revenir en ville.
Sur les fauteuils dans l'espace d'attente, je m'amusai à toiser les petits nouveaux qui révisaient leurs leçons et relisaient pour la trentième fois leurs livres de réhabilitation sociale. Ceux-là n'avaient jamais encore pointé au chômage. Ça se voyait à leurs fringues : ils avaient tellement l'habitude de travailler qu'ils continuaient de porter les polos aux sigles de leurs anciens employeurs. C'était pathétique ! Je détestais ces petits arrivistes, ceux-là même qui avaient participé à l'effondrement de la société et à l'ubérisation de la vie sous l'Ancien Régime. Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais mis tous les salariés au T.I.G. et en route pour les mines de lithium ou les champs d'éoliennes ! Ça leur aurait fait la bite de compter les drones dans les carrières d'Argentine ou d'empêcher les vaches de s'approcher des pylônes énergétiques auvergnats !
Le numéro du type devant moi s'afficha sur l'écran LCD géant et il se dirigea vers la cabine numéro quatorze. J'avançais d'un pas. J'étais désormais le premier de la file, ce qui était la meilleure place pour regarder les spots publicitaires sur l'immense télévision du hall d'accueil. Les publicités pour de grandes marques de diesel, de cosmétique ou de services de paiement en ligne étaient parfois entrecoupées d'annonces officielles du Gouvernement ou d'extraits d'émissions politiques. Toutes les heures le temps d'attente était interrompu par un flash d'informations et une pause de dix minutes. Les chômeurs pouvaient alors déguster un bon café ou une bonne cigarette. Généralement, c'est à ce moment que je vendais mes clopes reconstituées.
Je savais que ça n'était pas tout à fait légal d'ubériser des cigarettes artisanales (ni moralement satisfaisant), mais au prix de quatorze shillings l'unité, les cigarettes étaient l'un des biens de consommation les plus prisés des non-employés. Certains étaient même prêts à débourser des tonnes de kilo-franc-or pour des transplantations de poumons en provenance d'Asie du Sud-Est, juste pour le plaisir de fumer et de prouver au monde entier qu'ils surfaient sau sommet du standing contemporain. Le must était de fumer au théâtre devant une pièce de Bernard Werber ou d'Anton Tchékov (perso j'aimais bien l'Oncle Vania et Platonov que j'avais vu deux fois chacun au théâtre municipal de Six-Fours- les-Plages). Mes cigarettes étaient très prisées des connaisseurs de tabac artisanal. Je prenais un soin tout particulier à sélectionner les meilleurs mégots trouvés par terre, ainsi que les fibres de papier les plus fines que je mâchouillais moi-même des heures durant (surtout le dimanche). Je recyclais les filtres et parfois en fabriquais des neufs avec de la ouate hydrophile 100 % bio de Camargue. J'avais acquis une superbe technique de roulage après un stage de formation chez un grand rouleur de tabac guatémaltèque (financé pour moitié par le Pôle Emploi et pour moitié par le Conseil Régional). Je pouvais donc me permettre de vendre ma propre production sous le manteau au tarif raisonnable de trois guinée la pièce.
Mon numéro fut appelé juste après la fin de la pause. Dommage, j'espérais revoir le spot commercial avec les trois rouquines qui dansent en bikini dans une piscine à remous pour vanter les mérites du dernier désherbant loca-éco-responsable de Bayer (hypoallergénique, sans paraben ni graisses animales et avec 15 % DE SEL EN MOINS ! Truc de fou).
Je me concentrai deux secondes en prenant une grande inspiration et en posant ma main sur la poignée de la cabine dix-neuf où je venais d'être convoqué.
J'étais bon. Je n'avais jamais raté un examen de contrôle social en huit ans d'inactivité. Depuis mercredi dernier j'avais lu deux fois les neuf chapitres du dernier essai de Pierre Rabhi. J'avais fait des fiches de révision et je me sentais prêt à répondre à l'interrogation de mon agent de Pôle Emploi.
Je pénétrai dans le petit bureau constitué d'une chaise passablement confortable en velours élimé orange et poussiéreux, d'un pupitre à écran plat dix-sept pouces et d'un distributeur d'eau fraîche. L'écran était en veille et un message défilait à des emplacements aléatoires, parfois en haut à gauche, parfois en bas au milieu ou au centre à droite. On pouvait y lire cette phrase que connaissent tous les chômeurs : « Merci de patienter, un opérateur va vous répondre ». Généralement le visage de l'agent apparaissait entre treize et quarante-quatre minutes d'attente. Au-delà d'un délai de cent minutes, les utilisateurs étaient en droit de déposer une réclamation et d'obtenir un bon d'achat pour un Samsung ou bien une semaine de vacances en demi-pension à Hammamet (facilement échangeable l'un comme l'autre contre d'excellents filtres de cigarettes de seconde main).
Le visage de mon interlocutrice se matérialisa sur l'écran du pupitre. Je retins un geste de victoire : elle avait l'air d'être Turque, ce qui voulait dire que je comprendrais assez facilement son accent et que je n'aurais pas à lui demander de bien vouloir répéter ses questions. Les interros les plus difficiles étaient celles menées par des Pakistanais, des Indonésiens ou des Jurassiens ; leurs accents étaient incompréhensibles et on devait souvent les faire répéter. Et souvent les notes s'en ressentaient au terme du trimestre lorsqu'il s'agissait de consulter le bulletin de reconduite des droits sociaux.
Une fois je n'avais pas eu la moyenne et j'avais dû partir un mois entier en T.I.G. à Mâcon où un contre-maître de Vinci m'avait obligé à tenir les outils et à allumer les clopes d'un salarié pendant quatre heures par jour sur un chantier autoroutier. L'enfer !
L'oral se déroula très bien et j'obtins la note de neuf sur dix ainsi qu'une prime de douze millions de lires (soit plus ou moins cent-vingt-trois marks ou neuf milliards de sesterces).
De retour sur le parking, je me permis d'en griller une avant de remonter dans mon Porshe Cayenne. Il était encore tôt et le soleil approchait dangereusement de son zénith automnal. Lorsque soudain !
Surgit de nulle part, une boule noire aux reflets irisés s'abattit sur le pare-brise de ma voiture laissant un impact pas plus gros qu'une pièce de deux francs CFA. Je regardai les ailes de papillon se déployer et laisser apparaître une petite bonne femme d'à peine quarante centimètres. La créature se frotta les tempes, l'air un peu déboussolé. Puis elle regarda autour d'elle, fit un tour circulaire sur elle-même en esquissant une petite danse sur le capot de la bagnole avant de s'apercevoir que je l'observais avec des yeux ronds.
« Oh, salut ! Je suis Nælicya, déesse sarde des confluents, gardienne des hymens des futures mariées, protectrice des lépidoptères et principe virginal de la féminité. Je suis la fille de Clytemnon, dieu étrusque des pommeraies et d'une bergère Atride. Quoi dire de plus sur moi... Ben, voilà ! Je crois que c'est tout. Et toi ? Tu es qui ? »
Oh putain ! Il fallait que ça tombe sur moi. Je venais d'hériter à l'instant d'une divinité à la con. Une nobody en plus ! Très vite, je lui balançai le chandail que je portais noué autour des épaules pour la dissimuler. Je ne voulais pas qu'on me voit en compagnie d'une déesse en situation irrégulière. C'était le genre d'anicroche qui pouvait me coûter ma carrière. Je l'emballai donc à la va-vite et enfournait le paquet dans la boîte à gants.
Durant le trajet de retour jusqu'à chez moi, je l'entendis tambouriner de ses poings minuscules contre le battant du réceptacle. Je haussais le volume de la radio pour étouffer ses complaintes. La voix de Philippe Lavil parvint presque à masquer son vacarme. Je craignais par dessous tout un contrôle inopiné des douanes volantes. J'avais lu sur un encart défilant de BMF TV qu'il y avait une recrudescence du trafic de parmesan dans la région. Ce type de contrebande attirait les douaniers comme des mouches à merde autour d'un cadavre de ragondin pris dans les filets d'un roundball au cœur d'un été caniculaire (truc du style).
Arrivé chez moi, je fermai les rideaux et déballai ma déesse sur la table du salon. Elle était toute ébouriffée et tirait la tronche. Elle me gratifia d'une expression mi-figue mi-raisin tandis qu'elle remettait de l'ordre dans sa tignasse brune. Je la détaillai plus attentivement : elle était plutôt jolie pour une créature païenne et antérieure au Concile de Chalcédoine. Elle portait une espèce de tunique d'une couleur étrange entre le turquoise et l'ultramarine qui couvrait une partie de son buste. Elle avait de longues jambes nues et hâlées qui se terminaient par une paire d'espadrilles en jute et ses ongles lilliputiens étaient manucurés avec soin.
« Bon et maintenant ? On fait quoi ? Tu m'ériges une stèle ou on se regarde en chien de faïence le reste de la saison ?»
Sa voix claire et impérieuse me donnait l'impression de recevoir des ordres de la part d'une gamine de six ans.
« Euh... Tu sais que tu ne peux pas rester ici. Je dois te remettre aux autorités locales.
— Je ne sais même pas où c'est ici !
— Bah... on est en France !
— C'est où ça en France ? Je ne connais pas cette colonie. Ça fait partie de l'Empire Romain ?
— En Gaule ! On est en Gaule si tu préfères.
— Ah... C'est loin de chez moi.
— Rappelle-moi d'où tu viens, déjà ?
— De Sardaigne.
— Ah... Oui, c'est pas la porte à côté. Mais je suppose que ça fait un moment que tu n'habites plus en Sardaigne.
— Bah, non, hein ! J'ai été virée comme tous les autres. Depuis on vit tous là-haut puisque les monothéistes nous ont expulsé.
— Triste histoire... C'est où « là-haut » au juste ?
— Oh, arrête avec tes questions stupides ! Construis-moi un temple au lieu de parler. Tiens, là-bas, à côté des broussailles, ça sera très bien.
— Ce ne sont pas des broussailles, c'est le ficus que ma mère m'a offert pour mes trente-cinq ans.
— Ça fera très bien l'affaire. J'aime bien le marbre et l'albâtre, mais si tu es trop pauvre, du stuc ça suffira. Tout sauf du granit : ça me donne mal au crâne. Et puis après apporte-moi des offrandes : des oranges, des cerises, des faines, des fleurs de réglisse et des graines de courges.
— Tu ne veux pas que je te dépose à la Biocoop plutôt ?
— Hors de question ! Je mérite mieux que ça. Si tu es gentil et dévot j'exaucerai tes prières et je te rendrai ton hymen pour te marier si tu as pêché.
— Euh... Tu sais, les choses ont bien changé depuis que vous avez été expulsés. Aujourd'hui, les divinités de l'Ancien Régime qui tombent sur Terre sont confiées au Ministère de l'Immigration avant d'être parqués dans des camps de rétention où on... où ils attendent d'être jugés.
— Jugés ?
— Oh, je n'en sais rien moi ! Je n'y connais rien à la politique d'immigration. Ne me regarde pas comme si j'étais responsable de tout ce fatras ! Je sais juste que tu n'as pas le droit d'être là !
— Mais... Où je vais aller alors ? Tu ne m'aimes pas ? Tu ne me trouves pas jolie et fascinante et virginale ?
— Euh... Ce n'est pas la question ! »
Là, elle se mit à faire des trucs mignons avec ses yeux chagrins et ses petits pieds.
Je savais que je m'apprêtais à commettre une erreur mais pour une raison inconnue, je ne trouvai pas la force de la dénoncer. J'avais vu des reportages sur les conditions d'accueil des réfugiés divins. Ce n'était pas très digne de l'Union des Royaumes et Empires Occidentaux. Les anciens dieux étaient au mieux livrés à eux-mêmes dans des zones de lagunes ou de tourbières où s'entassaient des préfabriqués d'occasion récupérés sur des chantiers autoroutiers. Areva avait même refusé de leur fournir de l'électricité nucléaire.
Je regardai à nouveau la petite Nælicya. Contrairement à la plupart des siens, elle ne prenait pas de place. Par exemple Neptune avait dû être enfermé dans le bassin des orques au Marineland d'Antibes. Là, il se prêtait de mauvaise grâce à des parades trois fois par jour avec les autres mammifères marins pour le plaisir des touristes. Jupiter quant à lui avait été installé dans une fontaine décorative en face du mausolée de Jacques Séguéla dans les jardins de l'Élysée. Ne parlons même pas de Vénus et de son frère qui en étaient réduits à distribuer des échantillons de Godiva à la réception du Cæsar Palace d'Atlantic City.
Peut-être que l'infime déesse des confluents présentait une menace négligeable à l'ordre public ?
« Bon, ok. Je veux bien te garder ici, mais tu ne dois pas te faire remarquer.
— Ok !
— Et tu resteras dans le jardin où je te construirai un petit sanctuaire.
— D'accord !
— Et si les voisins demandent qui tu es, tu leur répondras que tu es ma petite nièce dont les parents ont fuit au Kazakhstan.
— Ça marche !
— Et que tu as dix-neuf ans mais que tu souffres d'un problème d'hypophyse.
— Parfait !
— Sinon, tu sais faire des trucs magiques ?
— Bien sûr ! Regarde ! »
Et là, sous mes yeux de gosse émerveillé, Nælicya se transforma en une nuée de lépidoptères bigarrés qui voleta dans mon salon. Après une série d'arabesques et de tableaux majestueux les insectes terminèrent leur spectacle en mimant la forme du divin visage.
« Bon, mignonne, tu feras gaffe quand même : les chattes de mon voisin aiment bien niaquer les papillons ! ».
Texte H
Nous les avons vaincus. Les dieux, tous, sont tombés. Il n'aura fallut qu'un déclic pour qu'en une génération, toutes leurs religions soient mises à bas. Ce déclic ? Supprimer cette obsession qui nous taraude l'esprit depuis toujours : la mort. Nous sommes entrés dans une nouvelle organisation de la vie. On naît, on vit, on vieillit et on recommence.
L'être humain moyen a maintenant trente ans, un ou deux parents en bas âge à charge, travaille en moyenne 25 heures par semaine, ne se demande plus s'il ne faudrait pas qu'il ait au plus vite des enfants avant d'être trop vieux. Et il réalise ce qu'il veut de ses vies. Une fois trop usé et fatigué, on rajeunit jusqu'à la petite enfance et le cycle de la vie reprend son cours. Débarrassé de cette peur du temps qui passe, l'être humain teste, expérimente et crée sans la peur de perdre son temps.
On a recentré la société sur l'humain, qui ne vieillit que pour mieux apprendre, encore et encore. L'enseignement prend le temps qu'il doit prendre, occupe les familles qui le veulent et chacun peut s'adonner à un travail qui l'intéresse. Ne rien faire n'est plus la tare dont il faut avoir honte. Passer une vie à profiter juste de son existence est maintenant possible. Vous serez gratifié d'un salaire à vie en fonction de vos aspirations et de vos occupations. Un
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Texte I
HAPPY HOUR
Texte J
Autour, seules subsistaient les ruines de la ville que connurent nos parents.
Aucun de nous n'avait jamais vu les envahisseurs, nous n'étions pas là lors de l'invasion. Ou du moins, nous n'étions pas en surface. A cette époque, nous étions les reclus de la société, vivant dans les profondeurs des caves qui nous servaient d'ateliers. Nous étions des enfants exploités, les soumis. Nous sommes aujourd'hui les seuls survivants.
Ceux qui nous gouvernaient n'avaient pas idée de ce qu'ils déclenchaient quand ils voulurent nous libérer du joug des dieux. Ils se disaient porteurs de germes d'un monde meilleur, sans autorité supérieure, où l'homme serait son propre maître. Ils pensaient que les dieux protecteurs nous clouaient sur la planète pour se réserver le meilleur de l'Univers. Abattre les dieux devaient nous apporter la délivrance.
Forgés depuis l'Antiquité par nos ancêtres, les douze divinités trônaient en ronde autour de nos villes. On disait qu'elles protégeaient les cités, et la nuit leurs murmures endormaient les enfants. Ces divinités, nous apparaissaient sous la forme de douze pylônes composés de métaux entrelacés. Notre éducation nous encourageait à les vénérer pour leurs bienfaits. Mais peu à peu, nous perdîmes nos croyances en vivant trop près d'elles. Les doutes firent place au déni.
Une seule journée, marquant ainsi l'histoire, suffit aux hommes pour faire tomber les dieux. Nous n'avions pas conscience qu'avec eux tomberait l'humanité.
Aujourd'hui, les pylônes sont toujours à terre. La face des dieux plantée dans le cambouis.
Ce jour là, j'avais pénétré dans les profondeurs dans la zone dangereuse. Je voulais voir de près une de ces « cathédrales de soumission » comme nous appelions les constructions qui renfermaient nos frères. Ces frères humains entassés ainsi que des veaux dans des simulacres de cloîtres volants.
D'où je m'étais posté, je observais les milliers de silhouettes avancer en rang unique, le long des escaliers extérieurs. La file humaine montait, puis redescendait le long d'une autre flèche, d'un seul pas, dans un rythme régulier que rien n'interrompait. Leur marche alimentait les bobines qui gonflaient à leur tour le cœur atomique. Une promenade sans fin, sans but, sans conscience non plus. Nos frères n'étaient plus que des fantômes d'hommes dont l'énergie vitale donnait sa puissance à l'occupant. Mieux qu'une couronne d'épines, un anneau de métal enserrait leurs tempes. Les pointes effilées pénétraient les crânes pour anesthésier leur volonté et utiliser leur énergie. Comment se délivrer d'une prison dont on n'a pas conscience ?
Cependant, nous savions depuis peu que l'étreinte du cerceau n'était pas continuelle. Elle se relâchait un court instant chaque soir, une demi-heure après le coucher du soleil. Sans ce répit, le psychisme humain se détraquait et détruisait le corps dans la foulée. Certains aventuriers partis en quête d'informations nous avaient rapporté la description d'hommes quittant le rang pour se jeter du haut des tours. En réponse à ces trop nombreux suicides infructueux pour les maîtres, les anneaux étaient desserrés quand le soleil se couchait.
C'est lors de cet instant de repos précieux pour l'homme que bientôt nous agirions.
Je n'allais pas tarder à assister en personne à ce moment d’accalmie. La longue file commençait à disparaître sous mes yeux. Elle pénétrait dans le bâtiment pour ne pas en ressortir.
La surface visqueuse dans laquelle je pataugeais prenait des couleurs moirées sous les reflets orangés des vapeurs opaques du ciel.
Un vrombissement sourd au loin m'arracha à ma contemplation. Je devais vite rentrer si je ne voulais pas être pris par les rôdeurs.
Trois machines se pointaient derrière les nuages. Elles détectaient la chaleur humaine et la seule chance d'échapper à leur poursuite était de rejoindre au plus vite le Contrôle, sous terre. Je me mis à courir, négligeant les éclaboussures nauséabondes. Un des rôdeurs m'avait détecté car sa vitesse s'était accélérée et je pouvais maintenant nettement identifier l'éclat mat du métal sombre des pointes qui cerclait la cabine. Les projecteurs cherchaient ma trace.
Je rentrais dans la première cheminée d'extraction venue pour y ouvrir le panneau d'accès à la bouche d'entrée du réseau. Je n'avais pas été vu mais il s'en était fallu de peu.
***
- N'oubliez pas que le point du jour est très précis mais difficile à percevoir car les nuages nous cacheront le soleil. C'est le dernier homme à entrer dans la cathédrale qui nous donnera le top départ.
Gidéon nous donnait les ultimes conseils avant l'assaut. Sa petite taille ne lui retirait aucune autorité. Il était un chef précieux car son esprit acéré se couplait d'une parfaite capacité à tirer profit de nos compétences.
Je mis mon casque de vol, boutonnai ma combinaison dont le cuir épais était difficilement manœuvrable, enfilai mes gants aux jointures armées de métal et positionnai mes épaisses lunettes de protection. Je faisais partie de l'escadrille des ailes-rapaces. Nous avions été choisis pour voler à l'intérieur de la masse nuageuse et piquer au moment crucial sur les tours pour y ancrer l'amarre des chaloupes volantes. Celles-ci n'avaient pas de moteur contrairement à nous. Elles étaient simplement destinées à recevoir les hommes libérés. A nous, les rapaces de ramener les embarcations chargée de nos frères au Contrôle.
Le plan était assez bien ficelé, mais le bémol à l'aventure était le temps. Il nous faisait cruellement défaut pour transborder des centaines d'individus en moins d'une demi-heure dans les chaloupes et les haler jusqu'au point d'arrivée.
Angèle tournait en rond autour de Gidéon. Son inquiétude se traduisait par une colère qu'elle ne réussissait pas à rentrer.
- S'ils ne sont pas revenus, c'est que tout a foiré ! Nous allons tout perdre : Nos hommes les plus entraînés, leurs ailes et les chaloupes !
Gidéon la regardait tristement. Que pouvait-il ajouter à un tel constat. Déjà, ils entendaient les moteurs bruyants des rôdeurs qui tournaient au dessus de la zone de Contrôle. Il était déjà trop tard.
***
Je n'y voyais rien, dans ce brouillard opaque, je n'avais pour seul repère que ma montre-boussole. Mon corps était raide de froid et pourtant je transpirais à grosses gouttes. J'inclinai mon aile droite, enclenchai l'impulsion qui forcerait l'allure du moteur et plongeai vers l'inconnu.
J’atterris avec chance dans un marais putride, mais à quelques mètres de notre base. Je me débarrassai avec hâte de ma carcasse volante et courrai à perdre haleine sentant déjà les lumières qui cherchaient à me coincer et avec elles la précision du tir des rôdeurs en pleine chasse.
J'avais sauvé ma peau. Mais tout le reste était un fiasco complet.
Épuisé, je gisais dans le sas en attendant que les vannes s'ouvrent. Les larmes ruisselaient sur mon visage. Je ne savais pas si la cause d'un tel désarrois était la fatigue ou le dépit.
Mes muscles me portèrent à peine sur le chemin qui me mena au quartier général. Je fus soulevé par des bras secoureurs qui me déshabillèrent et me nourrirent. Je dus m'endormir un court instant car je ne sus jamais comment je me retrouvai devant Gidéon.
Angèle me questionnait sans relâche. Je compris bien vite que j'étais le seul témoin revenu vivant. Seules les chaloupes pourraient sans doute être récupérées.
J'insistais :
- Je t'assure Angèle que nos frères n'ont pas bougé. Tout ceux à qui je parlais me regardaient comme si je n'existais pas. C'était un véritable cauchemar. Si je n'étais pas parti à temps, leur couronne se serait rétractée avant que je puisse m'en aller. C'est sans doute ce qui est arrivé aux autres rapaces. Il faut déjà qu'on comprenne le pourquoi de leur léthargie avant d'entreprendre quoi que ce soit de nouveau.
Quand Gidéon s'exprima enfin, sa décision était prise et mon aversion à l'idée de retourner dans ce lieu maudit n'eut aucun poids dans ma plaidoirie. Il avait bien-sûr raison et j'étais le seul à pouvoir y m'y rendre rapidement. Le seul en possession d'une aile encore en état et le seul parfaitement expérimenté.
Ma mission était facile à exprimer par des mots. Il me suffisait de pénétrer la cathédrale de soumission puis de revenir au QG après avoir tout fait pour savoir si nous avions une chance de libérer l'humanité. C'était si simple dit ainsi...
Depuis notre assaut, les rôdeurs circulaient avec régularité. Nous dûmes attendre quelques mois afin que leur activité se calme avant de déclencher mon intervention. Le temps pour notre rébellion de reconstruire de nouvelles ailes et d'endurcir et préparer les futurs rapaces.
J'avais caché mon aile derrière un pilier au sommet de la tour et je me glissais à la suite du dernier homme entré dans le bâtiment. Contrairement à ma précédente visite, je ne l'avais pas attrapé et coincé à l'entrée du colimaçon. J'étais arrivé quelques secondes plus tard. Cette fois, je devais observer leur comportement.
Il descendit des milliers de marches avant d'arriver dans la nef. Mais celle-ci n'avait rien de la vaste salle qu'on trouve habituellement dans une cathédrale. Je me trouvais dans une sorte de ruche. Les hommes avaient pris place dans des petites cellules équipées d'un lit, d'un écran et d'un livre. Des centaines de petites cellules jointes entre elles par un mince escalier occupaient tout l'espace. J'entrai dans la première venue.
La femme assise sur le lit tourna lentement la tête vers moi. Ses yeux étaient las et inexpressifs.
Ne sachant trop quoi faire, je me concentrai sur l'écran éteint et notait le livre à son chevet. Le titre était énigmatique : « Vases communicants ». La femme me regardait toujours de son air éteint et je pris conscience que le temps passait bien trop vite à mon gré. Je décidais d'agir.
Je m'assis à ses côtés sans éveiller de réaction visible de sa part. Après un soupir d'échauffement, je retirai mes gants et posai mes doigts gourds sur sa couronne de manière à bien appréhender l'anneau et je tirai de toutes mes forces de chaque côté. J'arrachai avec hargne les piques enfoncées dans son crâne. En agissant ainsi, je pouvais la tuer et je crus bien avoir réussi mon coup quand ses yeux se fermèrent. Mais elle se mit à souffler avec force et ma respiration égala la sienne. Quand elle ouvrit les yeux, elle me prit la main et je compris qu'elle me voyait enfin.
Je n'avais pas le temps de voir ou de constater plus, il me fallait nous sauver. Je dus presque la porter pour remonter vers le sommet des flèches. Heureusement nous avions noté que jamais les rôdeurs ne tournaient autour des cathédrales. La chaleur humaine y était trop forte. J'eus le temps de bien fermer tous les clapets de transport qui la maintiendrait à l'aile comme un vulgaire chargement avant de lancer mes moteurs à leur maximum. J'atteignis l'épaisseur des nuages avant que le ronronnement des premiers rôdeurs se fasse entendre.
J'avais sauvé mon premier frère. Et c'était une sœur.
***
La période suivant ma mission fut lourde de préparations. Le constat des pertes de la première expédition nous avait rendus prudents, mais personne n'avait baissé les bras. Nous avions besoin de nos frères pour la suite de notre plan. Sans eux nous étions condamnés à rester sous terre ad vitam aeternam.
Gidéon ne quittait plus les membres du conseil, un service d'espionnage avait été mis en place dès les lendemains du premier assaut. Il était évident que nos connaissances des lieux, des mouvements et des hommes eux-mêmes n'étaient pas à la hauteur de nos croyances. La sœur Crelle que j'avais sauvé lors de ma mission n'était pas une source d'information suffisante. Ses souvenirs du temps passé dans sa prison se résumaient à quelques films et livres lus. Nous en savions plus qu'elle.
Le conseil décida de privilégier un seul de nos deux espaces protégés qu'étaient les fumées et les souterrains. Les cieux avaient gardé trop des nôtres. Les sous-sols dans lesquels nous vivions seraient notre arme pour notre prochaine tentative. Libres de rôdeurs, ils pouvaient nous donner accès aux cathédrales si nous nous en donnions les moyens.
Nos usines souterraines furent largement mises à contribution pour construire les excavatrices pour réaliser les canaux indispensables et les bathyscaphes utiles pour véhiculer les équipes.
Des nouveaux engins créés spécialement pour l'opération avaient vu le jour. Il s'agissait de toboggans rétractables, qui dépliés pouvaient atteindre des centaines de mètres de hauteur.
Les chaloupes sauvegardées de notre entreprise précédente ne seraient pas cette fois utilisées pour le sauvetage, mais pour transporter nos hommes.
Notre prochaine expérience serait un tout pour le tout. Le conseil avait investi toutes les ressources de notre petite communauté pour concevoir et réaliser la formidable armada de machines destinées à sauver notre monde. Tous les survivants seraient engagés dans l'aventure. Seul, un groupuscule d'humains sélectionnés resterait reclus dans un cœur de pierre, dernier espoir pour l'humanité. Mais à quel prix.
***
Les ailes, servant de remorqueurs aux chaloupes, menaient les guerriers à l'assaut des citadelles. Tous étaient soldats, mais des combattants sans armes, sans boucliers. Uniquement vêtus du cuir indispensable pour résister au froid de l'altitude, ils attendaient assis par centaines, serrés les uns contre les autres au fond des embarcations. Les rapaces avaient été équipés de moteurs supplémentaires pour traîner la masse humaine. Au moment de l'abordage, trois chaloupes siégeaient au dessus de chaque cathédrale. Au signal du veilleur, elles déversèrent leur flots humains dans les tours qui s'agrippaient aux nuages. C'était comme si leurs flèches nous tendaient les bras.
Les hommes dévalèrent les escaliers pour se déverser dans les alvéoles. Rapidement, ils empoignaient les couronnes pour les jeter au loin et remonter avec eux leurs protégés. Le nombre de cercles retirés en ces quelques minutes était la clé du succès promis, mais il était aussi un risque. La quantité d'hommes pouvait devenir un handicap si l'encombrement bloquait leur échappée. Tous leurs gestes avaient été répétés des centaines de fois et en ce jour crucial, ils s’enchaînaient avec méthode et rigueur.
Une fois sur le toit, les premiers arrivés émirent un signal lumineux que réceptionna l'homme positionné sous terre, l’œil collé sur le périscope. Ce faisceau lumineux lança le départ de la grande armada.
Des dizaines de toboggans sortirent de terre et se déployèrent vers le ciel pour se positionner près des flèches. Du toit des cathédrales, les hommes se jetèrent dans les tunnels dressés vers eux emportant avec eux les frères qu'ils avaient sauvés. Un flux continu descendait vers les bas-fonds emportant hommes et ailes dans une cavalcade infernale. A l'arrivée, les bathyscaphes réceptionnaient les rescapés pour les emportés vers la ceinture.
En moins d'une demi-heure, notre contingent étaient en place en anneau tout autour de la cité, à l'abri des souterrains. En sécurité pour l'instant, nous nous trouvions loin des capteurs de chaleur humaine de nos ennemis qui ne passaient pas les profondeurs.
Dans notre secteur, nous étions près de mille à sortir des bathyscaphes. Comme mes compagnons, je contrôlais le bon cheminement de la trentaine de frères que j'avais délivrés, ceux-ci nous suivaient sans même chercher à parler. Leur cavale n'était pas aboutie et ils le savaient. La tension gagnaient tous les esprits pour les souder plus solidement.
L'alarme percuta nos tympans. Quand elle se déclencha nous nous levâmes d'un seul bloc, accompagnés de nos protégés, pour sortir de terre. Le succès de l'opération résidait dans la rapidité de l'action. Les rôdeurs, alertés par notre sortie étaient déjà en route, prêts à nous pulvériser à la première détection. Nous étions trop nombreux pour leur échapper.
Des milliers d'hommes s’extrayaient des sorties spécialement bétonnées pour ce jour. Tous se placèrent dans un ensemble parfait le long du haut pylône à l'agonie sur le sol. Nous allions ressusciter nos dieux protecteurs.
Chacun à son poste, il nous fallut quelques secondes pour installer les leviers et tire-forts. Alors, dans un geste si souvent rêvé, la force de milliers de bras et de machines souleva peu à peu le corps de notre dieu pour le remettre debout. Mais déjà les grondements des rôdeurs annonçaient leur venue proche.
Il nous fallait réussir à encastrer la base du pylône dans le socle qui le mettrait en phase avec les onze autres. Nous étions presque en place pour y parvenir quand un escadron de rôdeurs fit son apparition dans notre morceau de ciel.
Notre énergie en prit un sacré coup. Le pylône parut plus lourd. Trop lourd. Mais c'était sans compter sur notre volonté de croire en un monde meilleur à portée de nos mains. C'est cet espoir qui nous fit rester sous les tirs ennemis. Le dieu trouva sa place sous les projecteurs de nos tyrans qui nous bombardaient de projectiles.
Autour de moi les hommes tombaient.
Seule la chance me permit de rejoindre ceux qui avaient atteint les bouches d'accès de nos zones protégées. Sur l'écran du périscope s'affichait les désastres de la surface.
Notre dieu se dressait à nouveau contre l'ennemi mais il n'était que métal sans âme...
Soudain la terre se mit à trembler sous nos pieds. L'onde se propagea jusqu'à atteindre la base du pylône qui se mit à murmurer enfin.
Les projecteurs des rôdeurs s'éteignirent brutalement. Les engins perdirent de l'altitude et s'écrasèrent dans un bruit de tonnerre au dessus de nos têtes. Puis ce fut le silence. Seul, perdurait le doux murmure bienfaiteur.
Nous restâmes dans le calme, à l'écoute du monde. Quand nous fûmes certain que les rôdeurs n'étaient plus, nous pataugeâmes dans l'eau visqueuse sous un ciel ocre et gris qui s'assombrissait avec la pénombre. Au dessus de nos têtes levées, l'arc électrique de nos dieux criait au monde notre victoire. Jamais plus l'homme ne porterait de couronne. Nous étions redevenus libres.
Texte K
Une silhouette masquée dans un costume d'un jaune éclatant apparaissait sous un gros titre racoleur. Encore un article déprimant sur la déchéance du super-héros Riptide. Jean balança le journal directement dans le bac de tri, depuis qu'il avait été blessé, les journaux n'avaient plus rien à raconter de positif sur lui, juste des spéculations sur ce qu'il était devenu depuis qu'il avait totalement perdu ses pouvoirs. Heureusement que personne ne connaissait son vrai nom ni sa vrai identité, il n'aurait jamais pu aller se planquer dans un quartier pourri comme gardien d'immeuble dans le cas contraire, et il aurait pu dire adieu à sa tranquillité pour son rétablissement.
Il crissa les dents en soulevant le bac, donnant un coup de pied dans la porte pour pouvoir l'ouvrir et mettre les déchets dans la rue, il n'avait jamais été d'une grande délicatesse. En plus le trou qui l'avait privé de ses pouvoirs n'était pas tout à fait refermé, des mois qu'il traînait ça et ça commençait à lui porter sur les nerfs. Des cris inhabituels retentir dans la rue, faisant relever la tête à l'ancien héros, la poisse le poursuivait, son immeuble déjà délabré était en train de prendre feu !
Les pompiers, les habitants de l'immeuble, il fallait essayer de faire les choses dans l'ordre. Voir des gens courir dans tous les sens, dévaler les escaliers, hurler, ça réveillait beaucoup de souvenir chez 'Riptide'. Jusqu'au moment ou il entendit les pleurs de l'enfant. Des années à jouer les super-héros, à sauver des gens, l'instinct prit le dessus et il monta les marches quatre par quatre. Le feu, les sirènes au loin, la fumée qui le faisait tousser, son esprit était focalisé sur la voix de l'enfant. Rien n’arrêta sa progression, ni le feu qui lui rongeait les bras, ni sa blessure qui se réveillait à chacun de ses mouvements attifes.
Son corps s'enroula autour de la forme recroquevillé, le bois et le plancher du bâtiment craquaient de tous les cotés autour d'eux, le temps pressait. Les pompiers étaient enfin là pour l'aider à franchir les derniers mètres avant l'air libre. Une vraie fourmilière s'agitait tout autour de lui, récupérant l'enfant, le guidant vers une ambulance pour vérifier ses brûlures et sa respiration. Jean se laissa mener par le flot de personne sans jamais protester, la douleur l'avait déconnecté de la réalité pendant un moment, une fuite pour celui qui avait eu l'habitude pendant des années d'une quasi invulnérabilité.
La suite avait été assez flou, les remerciements de la mère, les explications du SAMU, les flashs des photographes, les agents de Police lui posant quelques questions. Après de très longues heures, il retrouva enfin sa loge, épargné par les flammes, on lui avait donné l'autorisation de retourner dans l'immeuble, l'odeur du charbon et de la fumée âpre ne pourrait pas le chasser de son nouveau chez lui. Il s’effondra dans son lit, couvert de bandages et les cheveux empestant le bois brûlé.
Le lendemain matin, il essaya de reprendre la routine qu'il s'était créé depuis quelques mois, bien que difficile à faire dans un bâtiment à moitié parcouru par des flammes. Il se baissa pour ramasser le journal roulé dans la porte comme tous les matins, mouvement plus difficile que la veille, en serrant les dents. La première page du journal le laissa pétrifié sur place, il ne savait pas trop quoi en penser. Il faisait de nouveau la Une, mais pas le super-héros masqué Riptide avec ses super-pouvoirs, non, seulement lui, le misérable humain nommé Jean, devant un immeuble où les pompiers luttaient toujours. Juste le simple héros qui avait sauvé une petite fille des flammes au risque de sa vie, en couverture du plus grand journal de la région.
Texte L
La chute
Les brumes hivernales enveloppaient les vastes étendues des plaines. Parfois de petits jets de vapeur jaillissaient des profondeurs de la terre et participaient à affirmer le caractère fantastique des paysages. En ces temps immémoriaux où les êtres de l'autre monde s’invitaient au regard des Hommes, la terre respirait toujours avec l'avidité de la jeunesse.
Le sol se mit soudain à frémir. Des murmures filtrèrent à travers la roche en transmettant le formidable vrombissement du vaisseau. Immense, son ombre couvrit l’ensemble du territoire Inyzaël. Les hommes de la communauté sortaient avec grande hâte de leurs habitations, chacun voulant être le premier à assister à la sortie des Dieux de l’embarcation céleste. Les femmes, lâchement abandonnées à leur sort par leurs compagnons, suivaient en trainant avec elles une ribambelle de gamins apeurés.
Une douzaine de pieds articulés se déplièrent au dessous du vaisseau. Quelques secondes plus tard, l’immense engin se posa à quelques centaines de coudées d’Inyz, capitale régionale du territoire. Urien contemplait la machine avec un mélange de fascination et de dégoût. Leïla regarda son compagnon avec inquiétude. Jusqu’où son insoumission pourrait-elle l’amener ?
Zeus fut le premier à emprunter la large passerelle et à poser le pied sur le sol. Sa longue barbe blanche parvenait presque à dissimuler l’imposant médaillon miroitant au milieu de sa poitrine. Son visage était émacié et ses traits étaient plus fins que ceux des Hommes. Svelte d’apparence, sa taille devait approcher les sept pieds, soit trois de plus que la moyenne des humains. Il passa sa main dans une abondante coiffure ivoirine, ceinte sur son crane par un large cerceau d’or. Vulcain le rejoignit bientôt. Puis ce fut au tour de Déméter. Se présentèrent ensuite successivement, Apollon, Hermès, Artémis, Hadès, Poséidon, Athéna, Arès, Héra, Dionysos et Aphrodite, qui fut la dernière à se dévoiler au devant du peuple Inyzaël.
Toutes les femmes et les hommes présents se prosternèrent. Urien fut le dernier à le faire. « Qu’ont-ils de plus que nous ? Ils sont certes plus grands, beaucoup plus grands. Leur savoir est évidemment supérieur au notre et ils maîtrisent des techniques que nous ne possédons pas. Mais des Dieux, certainement pas ! ». Le jeune homme maugréait dans son coin. Lui savait. Il avait vu le sang couler de la blessure de Dionysos lorsque celui-ci avait trébuché de façon ridicule en remontant dans le vaisseau lors de leur dernière visite aux humains. Personne ne l’avait cru, il avait même subit les foudres de Tahor, le chef du village, qui l’avait menacé d’être la prochaine victime à être offerte en sacrifice aux Dieux. Honteux, Urien avait corrigé son propos et juré de ne plus jamais offenser les Maîtres des cieux. Pourtant il savait et s’était donné les moyens de le prouver.
Une armée de soldats émergea du vaisseau et se positionna derrière les treize Dieux. Plus jeunes que leurs maîtres, ils conservaient une même apparence physique. Mais les casques qui leur dissimulaient le visage et l’attitude dévote et pleine de déférence qui était la leur attestaient d’une position hiérarchique inférieure. Tandis que Zeus prononçait ses premiers mots de bienvenue, un étrange décor apparu aux Hommes. Des constructions fantastiques se matérialisèrent, magnifiées par un hâle lumineux verdoyant qui venait les habiller et les fondre dans l'environnement végétal. Des tours effilées, desquelles s'échappait une lumière éclatante, s'alignaient, gigantesques, gardiennes impressionnantes de l'assemblée extraordinaire. Des hoquets d’admiration se firent entendre dans la foule. La magie habitait les lieux. Le Dieu à la longue barbe blanche prononça un bref discours, toujours le même, dans lequel il demandait l’obéissance et la dévotion en échange de quoi ils mettraient à la disposition des Hommes leurs forces fantastiques. Des forces qui aideraient les Hommes à mettre en terre des alignements de pierres levées. À perte de vue, celles-ci seraient autant d’hommages à la puissance des Dieux. Puis comme à chaque fois, il réclama le sacrifice d’une jeune femme et d’un jeune homme.
Les deux victimes furent amenées au devant de l’assemblée divine. Arès intervint alors. Il réclama que leur soit livré en grande quantité l’Haoma, la plante à partir de laquelle serait produite la boisson accompagnant les sacrifices rituels. Puis comme lors de chaque cérémonie, vinrent les danses endiablées et sulfureuses exécutées par des jeunes gens du village à qui on avait fait ingurgiter plusieurs chopes d’Haoma. Sous les influences de la boisson hallucinogène les danseurs se produisirent frénétiquement. Jusqu’au bout de leurs forces, jusqu’à en perdre connaissance. Les corps nus furent ensuite portés en dehors de la place cérémonielle et pris en charge par leurs familles respectives.
Ne restèrent plus alors au centre de l’espace que les deux victimes désignées. C’est par le bras du Dieu Arès lui-même que les deux jeunes gens eurent la gorge tranchée. On entendit des lamentations et des cris étouffés. Les larmes coulèrent sur les joues de parents, de frères, de sœurs ou d’amis éplorés. Au comble de l’émotion et de l’attention, Urien savait que le moment était venu. Sans même un regard porté à Leïla, il quitta doucement le devant de l’assemblée.
Le jeune homme savait que ces monstres jouaient une comédie morbide dans le seul but d’asservir les Hommes et de leur soutirer l’Haoma, la boisson hallucinogène dont ils faisaient grand usage. Il en était certain, tous les villages de la communauté Inyzaël recevaient cette visite annuelle et devaient supporter les mêmes cérémonies et assurer les mêmes livraisons d’Haoma. Et les communautés voisines subissaient probablement le même sort. Mais aujourd’hui Urien avait décidé d’agir. Il tenterait de mettre fin à cette situation de servitude.
Urien profita de l’attention portée à la poursuite de la cérémonie sacrificielle pour s’éclipser. Après avoir contourné le décor fantastique baigné dans son hâle lumineux, il se retrouva à l’arrière du gigantesque vaisseau, loin du tumulte et de toute présence. Il avait déjà eu l’occasion d’examiner le flanc caché de la navette céleste lors des deux dernières visites divines. Il avait alors décelé cette petite ouverture existant dans la carcasse. Il s’était même aventuré à l’intérieur de la machine en empruntant ce passage. À présent il était décidé à aller plus loin dans son acte d’insoumission, il lui fallait essayer de détruire cette machine, symbole diabolique de cette servilité.
Il rampa à l’intérieur de l’étroit conduit pendant plusieurs minutes. Arrivé devant une grille métallique, il poussa fortement sur celle-ci jusqu’à la faire céder. Inquiété par le bruit assourdissant que fit celle-ci en chutant sur le sol, Urien attendit silencieusement. Lorsqu’il fut certain que le vacarme provoqué n’avait pas alerté quelque soldat ou gardien, il s’extirpa du conduit et sauta dans la pièce.
Des énormes ventilateurs emplissaient la salle et donnaient au jeune homme l’impression de vivre une tempête automnale. En sortant du local, il se retrouva dans un long couloir vivement éclairé. Il se mémorisa le chemin pris lors de sa précédente visite et remonta la coursive. Un léger brouhaha, signe d’une conversation proche, résonna soudainement à ses oreilles. Il se cacha précipitamment dans un petit enfoncement du couloir. Deux hommes en arme passèrent devant Urien, nonchalants et enjoués, inconscients de l’inopportune présence.
Il fit encore quelques dizaines de pas avant d’arriver à la salle de commande du vaisseau. Il se montrait satisfait d’être parvenu à s’orienter dans ce dédale de couloirs, mais craignait d’assister à tout moment à l’arrivée d’un membre de l’équipage. Il tendit l’oreille. Le plus grand silence régnait. Le simulacre de cérémonie s’éternisait, au grand dam des Inyzaëls contraints de participer à cet inique rituel macabre, mais à la grande satisfaction d’Urien qui disposait ainsi de plus de temps pour son entreprise. Il colla son oreille au lourd panneau qui permettait l’accès à la pièce. Aucune présence ne semblait décelable. « Par contre il n’y a aucun moyen d’ouvrir cette satanée porte ! » pensa-t-il. Il n’eut guère le temps de se lamenter sur son sort, il venait d’entendre des bruits de pas. Après avoir soulevé une des plaques du plancher à l’aide de son fidèle coutelas et avantagé par sa petite taille, il parvint à se glisser sous les dalles du couloir. Il perçu le bruit du coulissement de la porte depuis sa cachette improvisée.
La personne marchait à l’intérieur de la pièce, il se sentait pris au piège. Mais qu’espérait-il vraiment ? S’en prendre seul à ceux qui se nommaient Dieux ? Ils n’étaient peut-être pas ceux qu’ils prétendaient être, mais leur puissance paraissait sans limite. Leïla l’avait pourtant prévenu. « Quel idiot je suis ! »
Il entendit la porte s’ouvrir et se refermer de nouveau. Puis les pas s’éloignèrent. Il devait sortir de là. Il repoussa une dalle. La lumière inonda l’espace. Il allait se glisser à l’extérieur de sa tanière de fortune lorsqu’il repéra ce qu’il considéra comme un maillage de lanières ou de courroies qui semblait provenir de la salle de commande. Celles-ci courraient entre les pieds supportant le plancher et allaient se perdre dans l’obscurité du sous-sol. « Pourquoi pas ? » pensa-t-il. Il saisit son couteau et s’évertua à sectionner quelques lanières.
Urien parvint à ressortir du vaisseau sans se faire surprendre. À l’extérieur, la cérémonie se terminait. Les femmes et les hommes du village regagnaient leurs foyers. Il rejoignit Leïla et lui prit la main. La jeune femme ferma les yeux avant de soupirer. « Oh, Urien. J’ai eu si peur ! ». Son compagnon ne répondit pas. S’étant retourné, il considéra le gigantesque vaisseau. Celui-ci semblait déjà entamer sa préparation à l’envol. Un bruit assourdissant annonça bientôt la mise en marche de puissantes machines. « Ce sont des réacteurs, Leïla. Ce sont eux qui permettent à cet engin de voler dans les cieux ! »
— Des ré… ateurs ! Comment le sais-tu ?
— Ré-acteurs. J’ai écouté ce qui se dit à l’intérieur de leur vaisseau. Tiens, regarde, le voilà qu’il décolle !
Le vaisseau s’envola en effet et fila à grande vitesse vers le firmament sous le regard captivé des villageois. Quelque chose d’inhabituel se produisit pourtant cette fois-ci. La course de l’engin sembla irrégulière et incontrôlée, et ce qui avait pris l’apparence d’une minuscule tâche dans le ciel quelques secondes plus tôt, grandissait maintenant de nouveau. Le vaisseau avait amorcé un retour vers la Terre. Les Inyzaëls, qui avaient stoppé leur marche, assistaient au retour des Dieux, mi étonnés, mi effrayés. Le mouvement de descente du vaisseau s’arrêta soudain et fut suivi d’une formidable explosion de lumière. Une nuée de trais flamboyants sillonnèrent ensuite le ciel en tous sens et de façon erratique, le feu originel de chacun d’entre eux venant ensuite mourir à l’approche du sol.
« Le vaisseau des Dieux a explosé ! » cria une femme.
— Mais les Dieux ne connaissent pas la défaillance ! Ni la mort ! » lança un homme offusqué.
— Qu’as-tu fait, Urien ? demanda Leïla, affolée.
— J’ai… j’ai mis un peu de désordre dans leur machine, lui répondit son compagnon, prenant tout à coup conscience des conséquences de ses actes.
Une grande confusion régna durant les jours qui suivirent l’accident du vaisseau. Certains demandaient qu’on rende hommage à la volonté divine et qu’on leur sacrifie de toute urgence d’autres jeunes gens. Les plus nombreux considèrent que la disparition du vaisseau prouvait la mystification et le mensonge entretenu par des êtres mortels qui avaient profité de la naïveté des Hommes.
Dans toute la communauté Inyzaël et dans les communautés voisines, des hommes déclarèrent devoir prendre les rênes du pouvoir. Le jour où Gurwoa, chef d’un village de la communauté Tahori, apparut devant l’enceinte du village capitale de la communauté d’Inyzaël, le crâne ceint d’un bandeau d’or, des voix s’élevèrent pour crier à l’usurpation d’un héritage divin. Quelques jours auparavant des marcheurs tahori avaient retrouvé par hasard des débris du vaisseau qui transportait les Dieux. Parmi les débris matériels ils avaient également retrouvé des débris humains. Et au milieu de ceux-ci, ils avaient fait la découverte d’une couronne, semblable à celles que portaient les Zeus et ses semblables. Gurwoa se proclama aussitôt maître du bandeau d’or et dépositaire des pouvoirs inhérents à sa possession.
Jusqu’à là, les Hommes avaient toujours vécu en paix. Ils ne connaissaient pas la guerre, et si un conflit entre deux personnes se manifestait, il se réglait invariablement par le respect d’un jugement rendu par le conseil des sages de la communauté. Et si malgré tout la violence entre deux belliqueux survenait, elle ne se traduisait jamais par la mort du vaincu. Tout changea avec la disparition des Dieux. Partout des hommes se couronnèrent et prirent le pouvoir. Des luttes éclatèrent dans toutes les parties du monde entre des candidats au couronnement, ou entre des communautés rivales qui cherchaient à agrandir leurs territoires.
Certains refusèrent cette nouvelle situation et continuèrent à honorer les anciens Dieux. Ils prirent la mer et voguèrent jusqu’à trouver des territoires susceptibles de les recevoir. On les appela les « Peuples de la mer ».
— Peut-être aurions-nous du les suivre, Urien ?
— Comment ! Nous nous sommes débarrassés de pseudo Dieux qui n’étaient finalement que de simples mortels avides de plaisir et de pouvoir, et tu voudrais vivre dans leur souvenir ! Allons, Leïla…
— Tu as certainement raison, mais cette violence toujours plus présente… essaya Leïla.
— La violence était déjà présente, mais nous ne faisions que la subir, rétorqua son compagnon. Le problème réside en la médiocrité des prétendants.
Le silence s’installa entre les deux amants. Las, la jeune femme décida à sortir de leur logis. Elle allait franchir le seuil de la porte lorsqu’Urien l’interpella.
— Tu dois m’aider, Leïla. C’est grâce à moi que les Dieux ont disparu, le pouvoir de diriger notre communauté me revient naturellement.
— Oh non ! Pas toi, Urien.
Ne semblant plus rien entendre, le jeune homme continua fiévreusement à développer son idée : « Il me faut me distinguer. Mener des actes forts et chercher un symbole qui les représenterait. J’ai peut-être trouvé. Je mettrai mes ennemis sur une croix. Je les crucifierai et la croix sera mon symbole. Et pour couronne je me distinguerai humblement en portant une couronne d’épines ! »
— Mais les Hommes sont-ils prêts à comprendre le message ? fit-il pour terminer.
19:06 - 10 nov. 2016
Bravo aux vainqueurs, et merci aux votants.
Et je tiens surtout à m'excuser de ne pas avoir pris part au vote, j'ai toujours pas eu le temps de finir de lire tous les textes.
12:35 - 24 nov. 2016
Je rappelle aux auteurs qu'ils peuvent poster leur texte afin de recevoir des commentaires plus poussés (:
22:13 - 24 nov. 2016
Ha oui, merci de le rappeler :)