La chasse à l'extraordinaire.

Teysa prit les rênes du cheval en souriant.

- Bien puisque a priori nous sommes tous là nous allons pouvoir y aller non ?

Il avait dit ces mots en regardant le chef d’expédition.

- Je ne pense pas que nous allons trouver ces créatures ici.

Il chargea ses affaires sur son canasson avant de l'enfourcher avec souplesse. Autour de lui les autres chasseurs firent de même tous ayant hâte de toucher la récompense. Au bout d'une dizaine de minutes les chasseurs étaient prêts à partir. Tous n'attendaient plus que les directives du chef d'expedition.

Lauriam Durnec n'avait pas répondu à la Louve. Il s'était contenté de la regarder d'un air narquois du haut de son cheval et comme tout le monde semblait prêt, il prit la tête du groupe, lui tournant ainsi le dos.
Gil de Vilvon trottait aux côtés du baron respectant son silence. La louve décida de fermer la marche du groupe, ruminant quelque rage ravalée mais décidée à ne pas manquer sa chance. Ils évoluaient au rythme des coups de sabots sur la chaussée, sans parole.
Au bout de quelques heures, ils quittèrent le pavé pour s'enfoncer dans la forêt de feuillus.
Les hêtres dominaient de leur stature altière les charmes encore verts. La plantation était dense et les chemins étroits.
Enfin, ils arrivèrent sur les rives d'une rivière et le groupe fit une halte afin de rafraîchir les chevaux. Bientôt la forêt grimperait les premières montagnes.

Gil de Vilvon s'approcha de son vieil ami :

- Tu n'as pas voulu répondre à Lùthien tout à l'heure. Qu'as tu en tête ?

Après un moment de réflexion, Lauriam se décida à répondre :

- On va passer à proximité d'Adalerin... Mes espions m'ont fait part de traces intéressantes et complètement inédites. C'est un cervidé a priori. Mais de taille monumentale.
Cependant, je souhaite atteindre les montagnes d'Alkhazar. Tu sais qu'on y trouve encore des yétis. Il faut vraiment qu'on ramène au duc une proie de valeur incontestable et ces deux pistes sont bonnes.

Un bruissement derrière eux leur révéla que de Vilvon n'avait pas été le seul interlocuteur.

Lùthien était sérieusement agacée par ce baron. Déjà qu'elle n'aimait pas les nobles en temps normal, le comportement de Lauriam Durnec aggravait sa tendance naturelle. L'elfe était donc restée en arrière, tendant ses oreilles, pointues et au sens très développé du loup, pour suivre les conversations. Ce n'est que lors de la halte, alors qu'elle était assise un peu à l'écart du groupe, adossée contre un arbre et les pieds dans l'eau, qu'elle entendit quelque chose d'intéressant. Le duc pensait donc aller chasser en Alkhazar. La chasse au yéti ne tentait pas la louve. Par contre, l'histoire du cervidé géant d'Adelarin était bien plus prometteuse. L'elfe décida donc de rester avec le groupe jusqu'à ce qu'ils passent à proximité d'Adelarin. Alors, à moins que les circonstances n'aient changé, elle quitterait ce groupe d'hommes imbus d'eux-mêmes.

Confortablement installée, l'elfe observa les membres du groupe et son regard doré se porta plus particulièrement sur le dernier arrivé.

Teysa fit avancer son cheval près du baron, il avait entendu la conversation entre les deux chefs de groupes.

- Je viens de vous entendre et j'aurais bien quelque chose à vous proposez. Il y a un endroit près des anciens palais Lunaires dans les auteurs d'Alkhazar où l'on peu trouver des Griffons, ce qui en soit fais déjà un trophée magnifique, mais en plus on pourrais ramener un œuf pour que les mariés puissent le dresser. Vous pourrez peut être même en prendre un pour vous...

Il laissa sa phrase en suspend et fit demi-tour pour rejoindre le milieu du convois. En se retournant il aperçus le regard que lui portait la louve. Teysa sourit, puis lui rendis un clin d’œil, avant de caresser nonchalamment son collier.

Si elles avaient eu les capacités physiques de celles du loup, les oreilles de Lùthien se seraient tournées vers la forêt au son de la neige fondant. Cependant, cela n'aurait été qu'un réflexe car l'elfe ne prêta pas attention aux quelques bruits qui lui parvinrent. Elle était concentrée sur le chasseur près du baron. Ses manières titillaient sa mémoire. Son regard perçant se posa sur le collier qu'il manipulait nonchalamment mais, même pour elle, la distance était trop grande pour qu'elle identifie le pendentif. Elle se décida donc pour une approche sociable malgré son aversion pour le reste du groupe.

Sortant les pieds de l'eau, l'elfe attrapa ses bottes et se dirigea vers l'homme, un léger sourire aux lèvres. Ses vêtements de cuir noir suivaient souplement ses mouvements, accentuant sa démarche naturellement chaloupée. Arrivée devant l'homme, elle inclina légèrement la tête en se présentant.

Lùthien. Je ne crois pas que nous ayons été présentés.

Lauriam Durnec n'avait pas laissé s'éloigner Teysa le Sombre sans l'encourager à les mener vers les domaines des griffons. Capturer un œuf de griffon permettrait d'offrir à la fiancé du Prince un présent digne du Duché. Cependant, Lauriam savait combien il était difficile de localiser un tel sanctuaire. Ils se cachaient mieux les dragons eux-mêmes. Il avait pourtant bien envie de croire aux performances de cet homme nonchalant capable de lui apporter tant de fourrures de renards blancs en un temps record.

La chasse au Yéti était une chasse extrêmement dangereuse aussi envisager de changer de proie n'était pas pour lui déplaire.
Il avait donc laissé Teysa prendre la tête du convoi afin qu'il les guide dans les territoires maudits de Alkhazar.

Teysa faisait avancer son cheval vers les monts, il connaissait bien le chemin même s'il l'avait plus souvent emprunté sous terre. La louve vint s'approcher de lui, comme à son habitude légère et silencieuse.

-Bien le bonjour dame Luthien. Vous n'aviez pas besoin de vous présenter. Votre nom est bien connu des duchés. Une chasseuse de renom telle que vous...

Il sourit, ce sourire un peu spécial du prédateur.

- Et pour moi et bien... appelez moi Janus jusqu'à ce que vous deviniez qui je suis en vérité.

Janus... fit Lùthien d'un air perplexe.

L'homme semblait sous-entendre qu'ils se connaissaient, ce qui confirmait son sentiment de familiarité. Pour autant, l'elfe était sûre de n'avoir jamais croisé ce... Janus. Cependant...

Votre comportement m'est familier. Mais pas votre odeur, ni votre voix, ni..., les yeux dorés déshabillèrent Janus du regard,... ni votre corps. C'est un mystère qui me démange comme ses piqûres au milieu du dos que vous ne pouvez gratter qu'avec de l'aide...

Bien qu'étant à pieds, elle restait facilement à la hauteur du cheval de Janus et arrivait à converser sans être essoufflée. Même si l'allure n'était pas très soutenue, les hommes regardaient l'elfe avec un mélange d'envie et de respect.

Lùthien continuait à observer Janus tout en réfléchissant. Elle se lança dans quelques interrogations afin d'en savoir plus.

Vous semblez bien connaître la région, vous y êtes né ? Comment comptez-vous repérer les griffons, ils ne sont pas du genre à se laisser voir...

Lùthien commençait à trouver le temps long. La route était monotone, ses compagnons mornes, tout lui tapait sur les nerfs. Elle allait se décider à quitter ce groupe sans intérêt quand un fumet bien particulier lui chatouilla le nez. Quelque chose entre l'odeur d'une grosse poule et d'un dragon. Des plumes et du cuir. Une odeur de griffon donc. Mais ne leur dites jamais qu'ils sentent comme un mélange de poule et de dragon, les griffons sont des êtres bien trop fiers.

L'elfe se rapprocha discrètement du baron, scrutant les parois rocheuses. Enfin, elle discerna une ombre, un renfoncement dans la montagne d'où parvenait cette odeur si reconnaissable. Et pour qu'elle soit si forte, il n'y avait qu'une seule raison : maman griffon couvait depuis plusieurs semaines sans quitter son nid.

Baron, la chance semble avec vous. Elle désigna le renfoncement rocheux et expliqua. Une femelle griffon couve, et quel merveilleux cadeau qu'un oeuf de griffon. Le bébé pourra être élevé par le prince et deviendra alors un ami fidèle. Il nous faut juste réussir à éloigner les parents le temps de prélever un oeuf...

Son ton était ironique, mais le défi stimulait son imagination.

Les yeux perçants du baron ne parvenaient pas à visualiser ce que les narines de la Louve humait avec avidité. Mais son imagination était à son sommet pour mettre en scène un couple de griffons. Il avait entendu de griffons mesurant jusqu'à 6 m de long en comptant la queue. Et d'un coup, il se sentit très petit. Dire que son sang se glaça dans ses veines n'est pas dépasser son sentiment, mais assurer qu'il avait peur aurait été déplacé.

- Merveilleux...
Dans un premier temps, nous devons réussir à éloigner la femelle, c'est elle qui nourrit le mâle chargé de garder l’œuf. Mes indicateurs m'ont assuré qu'ils se relayaient pour couver l’œuf.
Dîtes-moi la Louve, pensez-vous réussir à l'attirer... avec votre odeur ?

Lùthien renifla en haussant les épaules.

Vous pensez vraiment que des animaux de cette taille là, avec leurs capacités intellectuelles, vont avoir peur parce que ça sent le loup?...

Alors que le baron commençait à se renfrogner, l'elfe poursuivit avec un sourire carnassier.

... Par contre, si une très grosse bête s'approche dangereusement de leur nid avec une odeur tout à fait plus inquiétante... Je suis sûre qu'ils bougeront. Tous les deux. Le timing sera serré. Le mâle ne quittera que quelques instants le nid pour épauler sa compagne, je ne pourrai pas faire face aux deux très longtemps et je n'ai aucunement l'intention d'y laisser des poils... Approchons nous encore.

La troupe repartit, les hommes à la fois agacés par les fanfaronnades de l'elfe et tendus à l'idée d'aller se faufiler dans le nid des griffons. Tous observaient la montagne, repérant le chemin le plus rapide pour y arriver. Une heure plus tard, ils étaient à ses pieds. Les griffons les avaient repérés mais ne bougeaient pas encore. Le baron repéra une corniche pas très loin du nid où le groupe pourrait se tenir en attendant le départ des parents. Lùthien hocha la tête et les laisse se mettre en place. Pendant se temps là, elle chercha quelques rochers où se cacher. Là, elle se déshabilla entièrement, déposant toutes ses armes dans ses vêtements qu'elle plia soigneusement avant de les mettre à l'abri dans un creux. Puis elle se transforma et passa à l'attaque.

Ce que virent ses compagnons ? Un énorme loup noir, de la taille d'un poney, ce qui est soi était déjà impressionnant, mais ce qui accentua leur malaise fut l'aura rouge sang qui l'entourait. Plusieurs d'entre eux firent des signes de protection contre le mal. Les griffons réagirent plus violemment. Lùthien n'avait parcouru qu'un tiers du chemin la menant aux parents quand une grande ombre passa au-dessus d'elle et piqua. La femelle griffon avait mordu à l'hameçon. Il fallait maintenant rendre le combat suffisamment menaçant pour que le mâle viennent s'en mêler.

Teysa grimpa le morceau de falaise qui les séparait du nid. Quitte à avoir un trophée autant aller le chercher soi-même. Tant que la louve combattait le mâle, il pourrait, lui, combattre la femelle. Arrivé au bord du nid, il vit le griffon. Son poil était hérissé, ses griffes acérées, ses plumes ébouriffés, et son regard était plus que menaçant. Ses pattes arquée protégeait la couvée. L'homme sourit face à la bête, un combat intéressant ne se refusait jamais. Deux couteaux partirent pour figer leur lame crantée dans le cuir de la bête. Teysa tenait les cordes accrochées aux lames quand la bête choisit ce moment pour s'envoler.

- OUUhouuuuUUHOUH

Il était dans les airs accrochés au griffon par deux cordes, pendant dans le vide. Il fit un signe de main au groupe de chasseurs.

- Les œufs sont libres d'accès maintenant vous pouvez y aller !

En voyant la monstrueuse « Louve » se détacher dans son aura rouge sang, les frères Manguin s'enfoncèrent dans les recoins de la corniche et sortirent leurs arcs. Cachés derrière un rocher, ils se préparaient à viser, attendant le moment propice. Leur calme était impressionnant. Ils semblaient faire corps avec la pierre.

Meug le sournois disparut de la vue de ses compagnons comme par magie, pour apparaître miraculeusement aux alentours de la louve aux prises avec le griffon. Sa longue épée tenue à deux mains, il cherchait une opportunité. Celle-ci se présenta bien vite quand le griffon, pris à la gorge par Luthien, lui présenta son arrière train. Hurlant pour se donner la force nécessaire, il courut l'arme au poing et abattit la lame avec une puissance telle qu'elle trancha net la queue de l'animal légendaire.

Pendant ce temps, comme Teysa le sombre occupait lourdement le mâle, Lauriam Durnec et Gil de Vilvon quittèrent la corniche et escaladèrent la paroi pour rejoindre le nid.
Mais, ils n'avaient pas fait la moitié du chemin que le mâle, bien que lourdement chargé et blessé par Teysa, se dirigea vers eux afin d'entraver leur route et les empêcher d'atteindre les œufs.

Teysa vit la falaise arriver vers lui à grande vitesse. Le mur de roche paraissait un peu trop massif pour lui, il tira d'un coup sec sur le filin pour se hisser. Il attrapa la base de l'aile du griffon et banda ses muscles pour atterrir à califourchon sur la bête, mais dans le mauvais sens. Il enfonça une lame dans le cuir du dos. Le griffon remonta en ligne droite laissant le chasseur agrippé à son couteau. Au moins les chasseurs pourraient tranquillement cueillir les œufs, Dieu que ses ailes lui manquaient. Bandant de nouveau ses muscles il se hissa jusqu'au deux filins plantés auparavant et s'accrocha à eux puis il s'assit sur la bête essayant d’utiliser les filins comme des rênes.