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Histoires courtes

Textes du projet Bradbury d'Amarelys

Tags : Bradbury
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12 févr. 2019 - 22:32

Travaux en cours

Premier poste ce soir !
Si vous avez des remarques, n'hésitez pas à les partager ici !

1. La pluie
2 530 mots

Une goutte ruisselle sur ma joue. Elle se coince dans le creux de mon nez, mais ne s’y arrête pas bien longtemps. Une seconde tout au plus. Elle reprend sa route, solitaire, rejoint la commissure de mes lèvres qui s’étirent en une vilaine grimace. Elle fuit, apeurée, pour se précipiter sous mon menton, glisser le long de mon cou puis se perdre dans la laine épaisse de mon pull. Mes yeux se perdent dans la brume qui m’entourent. Je ne sais plus où je vais, ni d’où je viens. Cela fait des heures que je tourne sur moi-même, sans prendre de décision. Un sanglot m’échappe. Un de plus. Les larmes coulent sur ma peau, les unes après les autres. Pour la énième fois, je hurle à pleins poumons :
– NISAETUS !
Seul le silence me répond.
Le désespoir creuse un gouffre de plus en plus profond en moi. La peur en tapisse le fond. Pourquoi a-t-il fallu qu’il parte en éclaireur ? Comment a-t-il pu me laisser en arrière ? J’aurais dû insister pour le suivre !
La bruine fraîche caresse ma peau, elle semble se délecter de mon angoisse. Je frissonne et la maudit, mais rien n’y fait. Cette satanée brume ne cesse de s’épaissir, elle m’entoure et me piège. Elle cherche à m’étouffer de ses mains glacées. Bientôt, je ne pourrais plus respirer.
Dans ma poitrine résonnent les battements de mon cœur et le sang cogne mes tempes à coup de burin !
– NISAETUS !
Mes cris se répercutent dans le lointain pour finalement me revenir, mais je ne peux m’empêcher de brailler. Mes pleurs se mêlent aux hurlements que poussent mes lèvres ouvertes. Peut-être qu’il m’entendra ! Peut-être qu’il reviendra ! Ma voix se perd, elle parcourt la plaine, elle s’élève vers le ciel. Je répète son nom, inlassablement, toujours plus fort, mais avec moins de conviction.
Le temps lui-même se joue de moi. Les minutes s’étirent, indéfiniment longues. Tout semble figé par cette maudite brume.
Mes yeux sont noyés de larmes, mon corps tremble. Cette superbe robe rouge que je portais en quittant la maison n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle colle à ma peau tant elle est humide. Pourquoi fait-il si froid ?
– NISAETUS !
J’avale le brouillard en reprenant mon souffle entre deux sanglots. Je suffoque. Ma voix s’enraille et s’étrangle sur ce dernier cri. Elle s’éteint. Je suis incapable de bouger. Incapable même d’émettre le moindre son. Nisaetus ! Pourquoi m’as-tu abandonnée ?
Je sens mon corps s’affaler, je ne le contrôle plus. Il s’agite, mes poings frappent le sol, mes doigts arrachent l’herbe. Je les sens à peine. Mon esprit est perdu, il a sauté de cette falaise et plonge dans la noirceur du désespoir. Tous mes membres sont gourds. Je ne vois plus rien. Seulement la pénombre. Perdue. Lasse. Vide. Je m’éteins péniblement.

Une goutte sur ma joue. Elle glisse sur ma tempe pour terminer dans mon épaisse chevelure. Une deuxième la suit, puis une troisième. Des dizaines de gouttelettes viennent se poser sur moi avec délicatesse. J’ouvre les yeux, face contre terre puis me redresse. La mélodie de la pluie résonne à mes oreilles. Elle siffle et carillonne, elle vient combler le gouffre que le brouillard et la peur avaient creusé en moi. Mon esprit flotte à sa surface puis nage doucement jusqu’à la rive pour s’y accrocher.
Je soupire en passant une main sale sur mon visage trempé. Le lève les yeux vers le ciel pluvieux et remercie les dieux de leur bonté ! Elle balaie mes larmes, lave mes cheveux et m’aide à me relever. Elle a fait fuir la brume qui s’est envolée aussi soudainement qu’elle était arrivée. Je me surprends à sourire en reconnaissant la haute silhouette des arbres derrière le voile de la pluie. Enfin ! Je sais où je suis ! Je me souviens la direction que Nisaetus a prise. Il est passé tout près de cet arbre.
Une toux violente me prend soudain. Je crache. Aussitôt, le rouge me monte aux joues. Un vieux reflex m’oblige à me redresser et à regarder tout autour de moi pour guetter un regard moqueur ou méprisant. Mais bien sûr, il n’y a personne. Nous n’avons pas croisé âme qui vive depuis des jours. Les campagnes gauloises sont bien vides en cette période de l’année. Hommes et femmes se sont regroupés dans leurs villages, bien à l’abri des intempéries. Et du brouillard. Je frissonne rien que d’y repenser, avant d’observer ce ciel endeuillé qi ne cesse de pleurer. Je ne sais quel dieu bienveillant a repoussé les ténèbres qui m’étouffaient dans cette brume blanchâtre, mais je l’en remercie, car à présent, je peux avancer. Je peux partir à la poursuite de Nisaetus, où qu’il se trouve. Jamais il n’aurait dû me laisser en arrière. Cela fait plus de deux jours que je l’attends ! Si je le retrouve … Non ! Quand je le retrouverai …
La pluie m’a donné un regain d’énergie. Je fais un premier pas sur le chemin que Nisaetus a emprunté. J’avance prudemment mon deuxième pied, guettant une bruine qui pourrait réapparaître pour me prendre. Rien ne vient.
A demi-soulagée, je me mets alors à courir sous cette ondée bienvenue. Elle me mènera à lui, j’en suis certaine.
Tout en trottinant dans la boue, pieds-nus – mes sandales s’enlisaient tellement dans la gadoue, que j’ai dû m’en séparer – je ressasse ces dernières minutes passées auprès de Nisaetus. Un soleil faiblard éclairait la plaine qui s’étalait à perte de vue comme notre mère sur le divan à la fin d’un banqet. Mon frère et moi venions de reprendre notre marche lorsqu’une fumée noirâtre avait quitté l’horizon pour s’élever vers le ciel. Méfiant, Nisaetus s’était figé, juste devant moi.
– Octavia, avait-il murmuré, comme si un ennemi était tout proche. Reste ici. Je vais continuer, en éclaireur.
– Mais …
Il s’était baissé sur moi, depuis sa haute stature.
– Je préfère que tu restes là. S’il y a quoique ce soit de dangereux, je ne veux pas t’impliquer. Je reviendrai ce soir au plus tard.
– Et si tu ne …
– Je reviendrai, affirma-t-il, coupant net la conversation.
Quelle idiote. J’aurais dû le suivre ! Me voilà bien maintenant ! Il n’est pas réapparu, et je me suis retrouvée prisonnière de ce maudit brouillard. Je secoue la tête pour chasser ces souvenirs.
La pluie s’intensifie. Les gouttes ne sont plus des caresses, elles s’écrasent sur ma tête avec lourdeur et se cognent dans mon dos comme les claques de mon père. Je ralentis ma cadence et frotte mes bras nus. Le vent me pousse plus loin vers l’avant. Il s’insère entre les mailles du tissu de ma robe pour griffer ma peau de sa fraîcheur. Mon corps tout entier frissonne. Je claque des dents. Une forte odeur de tourbe me fait plisser les narines. Mais rien de tout cela ne me fera regretter d’avoir quitté le brouillard. Parfois, je glisse, mais retrouve mon équilibre de justesse. Il ne manquerait plus que je tombe ! Je grogne, je peste. J’éclabousse mes chevilles à chaque pas, mais peu importe. Je dois continuer. Niseatus ne doit plus être loin. Cela fait des heures que je suis ses traces … Du moins, je l’espère. Oh dieux ! J’espère ne pas avoir bifurqué ! Je ne suis pas une excellente pisteuse. On ne m’a pas élevé pour ça. On ne m’a pas non plus éduquée pour qu’un jour je me promène pieds-nus dans la boue !
L’averse passe, elle s’estompe rapidement pour laisser la place à un crachin plus doux. Je passe une main sur mon visage. Où que je pose les yeux, l’horizon est le même. Plat. Pas une montage, pas une colline, pas même un simple talus ! Jamais ligne sur un parchemin n’a été aussi droite.
Où es-tu Nisaetus ? Le désespoir tente de m’envahir à nouveau, mais cette fois-ci, je ne me laisse pas faire. Je lui claque la porte au nez et avance à grand pas. Marcher me permettra de distancer l’ombre menaçante de cette angoisse qui me colle au train.
Je regarde droit devant moi. Pourvu qu’il ait continué sur ce satané chemin !

La lumière s’affaiblit. Je ne sais depuis combien de temps je marche au rythme de ma compagne pluvieuse. Elle ne semble pas vouloir me lâcher. Je ne vais pas m’en plaindre. Mieux vaut cela que le brouillard. Mais je donnerais tout pour un bon feu ! Être au sec ! Rien que pour une heure … L’envie me prend de faire une pause. Je ralentis … avant de reprendre ma cadence. Non ! Il me faut retrouver Nisaetus. Il ne doit plus être loin à présent. Cela fait plusieurs minutes qu’un parfum de brûlé me caresse les narines. Sûrement la source de la fumée d’hier.
Mais plus j’avance, plus le malaise s’installe en moi. Mon estomac se noue toujours plus à chaque pas. Pourquoi mon frère n’est-il pas revenu me chercher ? Que vais-je donc trouver ? Je combats ce désir de faire demi-tour. Un goût acre se pose sur ma langue. Impossible de le noyer sous ma salive, il s’accroche à mes papilles. L’odeur se fait plus intense. Je fronce le nez.
Soudain, mes orteils se posent sur de la paille. Non ! C’est de l’herbe brûlée. Le crachin s’estompe. Bientôt, les seules gouttes qui coulent sur mon visage sont celles qui sont restées prisonnières de mes cheveux. Je passe une main dans ma chevelure autrefois si belle pour les chasser, et porte l’autre à mon nez. La puanteur est insoutenable. Je me fige. Mes yeux, fixés au sol, remonte le long du chemin. J’ai la gorge serrée, la tête me tourne. Ma respiration est saccadée. Je refuse d’engouffrer cet air nauséabond.
Mon regard se pose alors sur une bute. La première que je rencontre depuis des heures. Une bute ? Tout mon être tressaillit. Saisie par l’horreur, je me retourne, prise de haut-le-cœur. Dans un affreux hoquet, la bile remonte depuis mon estomac, m’écorchant la gorge, tel un chat grimpant à un arbre tout griffe dehors. Je vomis, je crache, je pleure. L’angoisse se déverse en moi aussi facilement qu’un fleuve dans la mer, elle tourbillonne, submergeant tout sur son passage. Je tremble mais le froid n’y est pour rien.
Seule l’image de cet amas de corps calcinés m’impacte. Elle me prend au tripe. Je veux la rejeter, l’oublier mais elle reste ! Gravée à jamais dans ma mémoire. J’ai envie de hurler, je voudrais courir, fuir loin de cette abomination ! Rien ! Impossible d’esquisser le moindre mouvement ! L’effroi me paralyse. Seule ma tête peut encore pivoter. Mais elle le refuse. Pourtant …
– NISAETUS !
Je braille, dans l’espoir que soudain il arrive, me prenne par l’épaule puis me dise : « Viens, Octavia. Rentrons à la maison. ». Mais je n’ai plus de maison ! Je n’ai plus rien ! Seule trace de ce passé déchu, la loque que je porte sur le dos !
Et Nisaetus n’est pas là … Il ne répond pas. Où est-il ? Je dois regarder … J’inspire longuement, prête à tourner la tête, mais aussitôt, me revoilà prise de nausées. Cette fois-ci, rien ne vient. Seul de l’air sort de mes lèvres, tiraillant ma gorge au passage. Je dois regarder … Je lève la tête. Mes yeux sont embués de larmes. Secouée de sanglots, écœurée, je me redresse pour faire face à l’horreur. Il n’y a pas un bruit dans la plaine, je n’entends plus que ma propre respiration saccadée.
Aucun mot ne pourrait parfaitement décrire cet effroyable spectacle. La pluie s’intensifie, elle se fait plus violente, se mélange aux cendres et à la chaire brûlée. Elle semble vouloir balayer la scène, mais rien n’y fait. Les corps des acteurs, immobiles, refusent de quitter les planches.
Le tas de cadavres est plus grand que moi. Combien de personnes a-t-il fallu pour … ? Je ne veux pas le savoir. Seul Nisaetus m’importe. Alors pourquoi je pleure à la vue de tous ces morts ? Ils sont calcinés, méconnaissables.
– Est-ce que tu es là ?
Je m’entends murmurer cette question sans queue ni tête. Il n’y a pas âme qui vive ! Je m’approche malgré l’horreur qui me noue l’estomac. Il faut que j’en ai le cœur net. Mon frère, s’il est ici … Les larmes coulent sur mes joues, comme la pluie ruisselle sur les roches pour terminer sa course dans les cours d’eau. Je fais un pas de plus, puis un autre. Je scrute chaque membre dépassant de cet amas immonde et cauchemardesque. Impossible de discerner un bras d’une jambe. Tout s’entrelacent, se mêlent et se fond pour ne former qu’une montagne purulente. Ce tas de corps ressemblerait presque au monstre le plus terrifiant des Enfers. Je frissonne, mais prend mon courage à deux mains, retenant ma respiration. Nisaetus porte un bracelet et une bague que notre père lui a donné avant de mourir. Je cherche à les apercevoir tout en sachant que c’est impossible.
Une vive douleur me prend soudain et je me rends compte que je ne respire plus. Depuis combien de temps ? La tête me tourne, je recule et tombe à la renverse en inspirant à contre-coeur. Pourquoi a-t-il fallu qu’on fuit la ville ? N’aurait-il mieux pas valu l’esclavage que ça ? Elle valait chère alors ! Fille de gouverneur, sûrement aurait-elle reçu un bien meilleur traitement que d’autres de la part des Burgondes.
– Nisaetus …
Le flic floc de la pluie se fait alors plus doux, réconfortant.
Je scrute ce monstre sans vie. Nulle-part je n’aperçois les bijoux de mon frère. Mes larmes se mêlent aux gouttes de pluie, mes sanglots répondent à cette mélodie nostalgique, triste. Soudain, une fausse note. Je lève la tête. Le bruit résonne dans la nuit tombante. J’ai peur que le brouillard ne revienne, mais je ne bronche pas. Une silhouette tordue émerge de derrière cet effroyable talus. Je la fixe, incapable de bouger. L’autre s’avance, le dos courbé. Il a l’air épuisé. Quelques pas et il chute. Je saute sur mes pieds. La peur et l’espoir se battent en mois pour savoir qui aura le dessus. Finalement, je décide de contourner le bûcher.
Il se traîne sur le sol, dans sa tunique beige. Du moins, l’était-elle autrefois. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je reconnais cette touffe de cheveux châtain. Je me jette sur lui, l’attrape sous les bras puis le tire le plus loin possible de ce cercle mortuaire.
– Octavia, murmure-il à bout de souffle.
Je le serre contre moi, soulagée. La pluie tombe doucement sur nous, elle nettoie ses blessures. J’en compte deux qui semblent importantes. Les autres ne sont que des égratignures.
– Ça va aller maintenant. Je suis là Nisaetus. Je suis là.
Ma voix tremble, elle sanglote. Je me reprends.
– Laisse-moi, chuchote-t-il.
– Jamais. Tu vas te lever et nous continuerons la route. Ensemble.
Il plonge son regard sombre dans le mien. Je lui caresse les cheveux, l’embrasse sur le front, le serre aussi fort que mes bras frêles le permettent. La pluie m’accompagne dans ces baisers affectueux. Elle nous enlace, nous entoure de son cocon humide, comme pour nous protéger. Personne ne nous trouvera. Pas aujourd’hui.

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Message posté le 00:55 - 21 févr. 2019

2ème sujet : Choix décisif 1346 mots (étant largement en retard, je ne me suis pas relue. J'espère que les fautes ne vous gênerons pas à la lecture !)

Des jours que je ne dormais pas. Le sommeil me fuyait comme la peste chaque fois que la lumière s’éteignait. Ce soir ne faisait pas exception à la règle. Tournant et me retournant dans mon lit, les yeux clos, je cherchais une position qui permettrait enfin à mon esprit de se reposer.
Profondément agacée je me redressais soudain en grognant. Le chat qui, lui, ronflait paisiblement fut réveillé en sursaut. J’allumais la lumière en soupirant. Ne pas trouver le sommeil m’énervait ... Et plus je m’énervais, moins j’avais finalement envie de pioncer. Le serpent qui se mort la queue. Bordel ! Mon corps ne réclamait que ça alors pourquoi n’arrivais-je point à fermer l’œil ?
Résignée, j’allumais ma lampe de chevet et posais les yeux sur Charles. Tout mon baroufle ne semblait pas l’affecter. J’entendais sa respiration tranquille, de longues inspirations par le nez, suivies d’expirations douces et chaudes. Je me mordis la joue, réprimant l’envie de le réveiller puis écartai brusquement la couverture. Puisqu’il n’y avait pas moyen de dormir, autant me lever ! D’une main tâtonnante j’attrapai mes lunettes puis mon portable. Il était trois heures, et les rayons de la lunes s’introduisaient discrètement par le volet abîmé du velux.
Ama se leva en même temps que moi en roucoulant. Je secouai la tête, à demi-amusée. Chaque fois que l’un de nous quittait le lit, elle faisait de même et réclamait sa ration de croquettes.
– C’est pas l’heure ma Choup’, murmurai-je en plongeant mes doigts dans sa fourrure blanche.
Un frisson s’empara de moi. Il faisait frais pour un mois de mai. Machinalement, j’enfilai un t-shirt qui traînait sur la moquette et étirai chacun de mes muscles. En un bond, je fus debout. Je sentis le plafond de la mezzanine frôler ma tête. D’un coup d’oeil rapide, je repérai mon pyjama gris, une pièce. Je sautai dedans et en refermai un à un les boutons. Ama me regardait avec ses grands yeux noirs. Elle avait devant elle un magnifique Totoro, mais cela ne lui faisait ni chaud ni froid. Ah ! Ces chats !
En un pas, je fus à l’échelle, que je descendis rapidement. L’habitude. Deux ans et demi qu’on habitait ici, dans cet immeuble étrange à la forme de bateau. Ma féline de compagne me suivit, plus hésitante et sans grâce. Arrivée en bas, elle se frotta à mes jambes en miaulant doucement mais je la repoussait gentiment et allai m’installer sur le canapé. L’appartement – si on pouvait lui donner ce nom – était minuscule et encombré d’un foutoir que je devais ranger depuis des semaines. Je haussai les épaules. Ca attendrait encore un peu ! Face à moi, l’affreuse tapisserie jaune était totalement couverte d’aquarelles, de croquis et d’affiches diverses et variées. Dans la pénombre environnante, impossible de discerner les formes et les couleurs, mais je les contemplais si souvent que leur seule image gravée dans mon esprit me suffisait pour les regarder.
Je soupirai. Un long et profond souffle extirpé du plus profond de mes entrailles, mais qui ne parvenait pas à chasser toutes mes angoisses. Je posai les yeux sur Ama, avec l’envie irrésistible de la prendre dans mes bras pour la serrer fort contre moi, mais elle était assise à l’autre bout de notre petit studio, et le courage de me lever me manquait. Elle répondit à mon regard par un petit miaulement mais n’approcha pas.
Je me surpris à faire la moue en balançant ma tête vers l’arrière, sur le dossier inconfortable du canapé et passai une main froide sur mon visage. Il fallait que je fasse quelque chose pour ces insomnies. Depuis longtemps j’aimais mon sommeil et les rêves qui m’y attendaient, mais ces derniers jours, il m’était difficile de les trouver. Et je savais parfaitement pourquoi. Trois ans de formation et de stage auraient du me préparer au pire.
J’avais accompagné des petits jeunes présentant des troubles autistiques pendant près d’un an. Je me souvenais de chacun d’eux ; de leur caractère, de leurs manières, de leur sourire, de leurs crises, de leurs jeux préférés … Bien sûr, tout cela m’avait endurci, mais pas autant que mon job suivant. Une maison d’enfant à caractère social. Un nom barbare et bien hideux pour désigner un internat. Tous ces jeunes, filles et garçons, placés par la justice. J’en avais parfois bavé, mais jamais autant qu’eux. Je me surpris à sourire, nostalgique. Je revoyais ces petites bouilles rondes courir dans le couloir, bousculant des ados râleurs. Il y avait eu des moments difficiles. J’avais parfois pleuré, mais ma carapace s’était faite plus ferme. Et puis, le SA … Plus d’un an que j’y étais. Mon diplôme d’éduc en poche, j’avais postulé, et miracle ! j’avais été retenue… pour des remplacements. Je croyais tout maîtriser, et surtout, j’avais l’audace de penser connaître mes limites. Quelle sottise !
Chaque fois que je fermais les yeux, je visualisais la scène. J’ouvrais alors les paupières, dégoûtée. Ce n’était pourtant pas moi la victime !
Un roucoulement d’Ama me ramena à l’instant présent. Je l’invitais près de moi en tapotant la place à mes côtés, mais la peste ne voulait rien savoir. Elle ne désirait qu’une chose : manger. Secouant la tête, je cédai à ses caprices et levai mon corps soudain si lourd de ce foutu canapé. La salle de bain était ridiculement petite. On pouvait à peine faire trois pas dedans sans se cogner dans une étagère que nos propriétaires avaient cru bon d’installer. Après avoir nourri la bête, je retournai dans la pénombre du salon et m’affalai sur les coussins du canapé et soupirant bruyamment. Peut-être espérai-je réveiller Charles, mais celui-ci ne broncha pas. Il roupillait tranquillement pendant que je me triturais les méninges en grognant.
Le visage de Sylviane s’imposa devant moi. Je secouai la tête pour chasser l’image, mais ne parvins pas à faire taire ses propos. Elle décrivait tout dans les moindres détails, en larmes, devant les gendarmes qui notaient chacun de ses paroles, chacun de ses mots. Parfois, ils lui demandaient de répéter, tant et si bien qu’à chaque mot qu’elle prononçait, la scène qu’elle présentait se construisait dans mon esprit, contre ma volonté. Silencieuse, je restais assise près d’elle, impassible, tandis qu’elle décrivait l’abus dont elle avait été victime. En moi-même je frissonnai d’horreur, incapable de prendre du recul. Trop empathique. Elle avait demandé à ce que son éducatrice, comme elle m’appelait, je reste près d’elle. Je la soutenais, je faisais face avec elle, au regard de ces deux hommes en uniforme. L’un d’eux la prenait visiblement pour une idiote. Il parlait fort, comme à une mal-entendante, utilisait les mots d’un enfant pour être bien sûr qu’elle comprenne. A plusieurs reprises, excédée par ce comportement, je le reprenais, et fus surprise d’être soutenue par son collègue. Finalement, il quitta la pièce avec un regard morne, nous laissant face à un ordinateur et le deuxième gendarme. Et Sylviane continuait de raconter l’agression dont elle avait été victime. Une main sur sa nuque, l’autre ses ses cuisses.
Je secouai la tête en cognant sur les coussins du canapé. Foutu job ! Toutes ces vies difficiles et détruites que je devais accompagner. Mon superbe diplôme d’éducatrice spécialisée garantissait que j’étais apte à exercer. Mais après seulement trois ans dans le métier … Moi-même je n’en étais plus si sûre. La carapace que je m’étais forgée s’égrainait petit à petit, à chaque expérience traumatisante qu’on me racontait ou auxquelles j’assistais, et ces moments de joie, de partage et de rigolades qui étaient pourtant bien plus nombreux disparaissaient peu à peu sous cette couche terne et glauque.
Mon contrat se terminait en fin de mois. Sur la table devant moi, se trouvait un courrier. Un mail que j’avais imprimé. Une proposition d’emploi stable. Je la regardais, le souffle court. Une larme perla sur ma joue. Je l’essuyai. Le choix était difficile, mais je devais le prendre. Etre éducatrice, et mourir à petit feu chaque semaine un peu plus, m’éteindre, effacer ma joie de vivre sous les problèmes des personnes que j’accompagnerais … Ou me reconvertir et repartir pour cinq années d’étude.
J'attrapais finalement la feuille, le coeur battant, relisait les quelques lignes ... Puis la déchirai. La soudaine adrénaline qui s'était emparée de moi tomba, remplacée par un étrange sentiment de soulagement. Je levai les yeux vers le plafond, gagnée par la fatigue, puis me recroquevillai sur le canapé pour plonger dans un profond sommeil.

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Message posté le 21:10 - 25 févr. 2019

3ème sujet : Tirer les vers du nez
N'hésitez pas à me donner vos retours dans les commentaires ! Bonne lecture !


1864 mots


Un gros mollard au pied de cette foutue muraille avant de passer la porte.
Balderasse ne prit pas le temps de lever les yeux vers les pierres ancestrales de cet énorme mur. La tête haute, il pénétra dans le fort en reniflant. Un vent frais vint cogner son crâne rasé, mais il ne frissonna pas. D’un pas déterminé, il traversa une cour où grouillaient ses hommes, plus ou moins occupés. Son regard bleu, glacial en cette journée hivernale, glissa sur eux comme une vague. Il connaissait chacun de ces visages qui se tournaient vers lui avec respect, chacune de ces voix qui l’interpellaient pour lui souhaiter une bonne journée. Chaque nom était gravé dans sa mémoire. Un capitaine avait ce devoir envers ses marins.
Balderasse se concentra sur sa destination. Une épaisse porte en fer forgé. D’un signe de tête, il salua Briard et Kreg qui en gardait l’entrée. Ou la sortie.
– L’a toujours pas craché le morceau ?
Les hommes répondirent par la négative.
– Mesnol le travaille au corps, mais rien à faire pour le moment, capitaine.
– Foutre-dieu, grogna Balderasse en crachant par dessus son épaule.
Sans plus un mot, il pénétra dans l’énorme bâtisse au centre du fort. La porte se referma derrière lui et l’obscurité chassa la lumière qui avait à peine osé pénétrer. Seule source de lumière, une torchère qui éclairait un escalier à vis, à droite d’un long couloir. Des cris provenaient du sous-sol. Balderasse leur répondit par ricanement sonore. Qu’il souffre ! Maudit clébard ! Prestement, le capitaine descendit les marches. Son ombre se projetait sur le mur incurvé, grandissant un peu plus à chaque pas. Bientôt, elle rejoignit la noirceur de cette spirale qui plongeait au cœur de la falaise. Sa main glissait sur un mur de plus en plus humide et le parfum âpre de la terre le gagna. Après quelques tours, une vive lumière apparut. Le capitaine posa un pied dans les cachots et put écouter avec délice les jappements du prisonnier. Il balaya la pièce du regard. Seule deux cellules étaient occupées. Les déchets qu’elles contenaient se terraient dans le fond, à l’abri, dans l’ombre. Le capitaine ne percevait que leur silhouette recroquevillée. Les autres cages étaient vides si l’on omettait les rats qui somnolaient dans des restes humains. Il avança jusqu’au centre de la pièce et la puanteur de la mort et des déjections lui monta au nez. Il se racla la gorge. Il descendait souvent dans les boyaux du fort, mais toujours la pestilence le troublait. Un instant seulement. Bien vite il l’oubliait pour se concentrer sur ses tâches. Il posa les yeux sur une table en pierre, sculptait à même la pierre. Divers instruments en fer – rouillé – trônaient en son centre avec fierté. Une main poilue les caressait avec la douceur d’une mère, hésitant à en saisir un plutôt qu’un autre.
– Paraît qu’il a toujours rien dit ?
Mesnol se retourna soudain et gratifia son capitaine d’un large sourire aux dents noires. Son hideuse trogne était couverte de cicatrices et de verrues rouges. Il était à peine plus âgée que Balderasse mais paraissait être son aîné de plusieurs décennies. Son haleine pestilentielle se projeta à la face de son supérieur lorsqu’il ouvrit sa grande gueule :
– Sait faire que geindre cet animal !
– C’est pas pour me déplaire, admit Balderasse avec un sourire carnassier. Mais doit parler avant de crever.
Alors seulement, le capitaine posa son regard cruel sur le prisonnier. L’homme avait été pendu au plafond par les poignets. Ses pieds auraient touché terre s’il avait mesuré quelques pouces de plus seulement. D’épaisses chaînes depuis bien longtemps rouillées et souillées du sang de nombreux chiens avant lui le maintenaient dans le vide, nu comme un ver. Balderasse fit deux pas vers lui. Son nez aquilin frôlait le museau du prisonnier. Des larmes de douleur avaient creusé des sillons sur ses joues crasseuses, se mêlant à la sueur poisseuse qui le recouvrait. Le capitaine grogna et d’une poigne ferme, attrapa les bijoux moites de sa victime. L’homme hurla de plus belle et Balderasse sourit.
– T’aimes ça ? T’en redemandes ?
Il resserra sa prise sous le regard fasciné de Mesnol.
– Paraît que t’as pas voulu coopérer avec mes hommes …
L’autre répondit par un gémissement pitoyable. Son corps était couvert de griffures, de bleus et d’autres contusions en tout genre. Il lui manquait plusieurs phalanges et sa peau sentait le roussi. Son crâne avait été rasé à blanc et on lui avait arraché les oreilles. C’était du beau boulot. Mais pas assez efficace. Balderasse, de sa main libre, tira un couteau à sa ceinture.
– Tu vas me dire tout ce que tu sais, c’est bien compris ? On joue plus maintenant mon gars. Pas que ça à faire.
Le clébard lui lança un regard implorant :
– Peux rien dire … articula-t-il d’une voix sèche.
Balderasse éclata d’un rire gras.
– Crois vraiment que je vais te croire ?
Sa poigne se raffermit et l’autre beugla.
– T’as butté ma famille mon gars ! s’exclama le capitaine, de concert. Tu penses que je te crèverais si tu me dis pas ce que je veux savoir ? Je vais te saigner, et je te laisserais reprendre des forces. Oh ça non, je te ferais pas le plaisir de mourir ! Je t’empêcherais de dormir, t’auras que ta merde à bouffer et ta pisse à boire ! Mes gars seront là, jour après jour, nuit après nuit, à te triturer, à te baiser s’ils veulent ! Oh tu vas en baver ! Tant que tu m’auras rien dit, je te maintiendrais faible mais en vie, juste assez pour que tu continues de souffrir.
Il se tut et cracha à la tronche de son prisonnier. Saloperie de clébard ! Des jours et des jours qu’il était enfermé là, sous le fort de Nassau, au cœur de la falaise qui surplombait la ville pirate. Il serrait tellement fort les bijoux de famille de ce crevard que ses muscles crispés commençaient à le rappeler à l’ordre. Il lâcha sa prise en grognant et, rageur, leva sa lame pour la planter dans l’épaule du pendu. Le sang gicla sur son visage, mais Balderasse ne recula pas pour autant. Mesnol ricanait dans son dos, et le capitaine pouvait l’entendre jouer avec ses cruels instruments.
– Soigne-le, déclara-t-il sans détacher son regard du chiot en larme face à lui. Je reviendrai demain. Et après-demain, et le jour d’après. Tant que tu ne m’auras pas dit qui a mis ce contrat sur moi et sur …
Balderasse s’interrompit.
– Plus vite tu parleras, moins t’aurais à souffrir.
Alors, il se détourna de sa proie et quitta les lieux, sans un mot.
Le vent sur sa peau détendit quelque peu Balderasse. Il inspira longuement avant de traverser la cour du fort pour rejoindre la grande porte. Arrivé au bord de la falaise, le capitaine de la plus grande flotte pirate de Nassau plongea son regard vers la baie. La ville était enclavée entre deux énormes rochers qui courait sur plusieurs kilomètres. Un longue plage de sable sombre faisait la jonction entre la capitale pirate, comme il aimait l’appeler, et la mer houleuse qu’il aimait tant. Ses yeux se posèrent sur le Palais du gouverneur, en son centre. Faisait bien longtemps qu’il n’y avait plus de gouverneur à Nassau, mais cette grande bâtisse portait toujours ce nom. Y logeait le maire de la ville et sa famille … Du moins, plus aujourd’hui. Sadernasse Cossa, son frère bien aimé, avait été massacré, lui son épouse et leur fille. Balderasse les avait trouvé, baignant dans leur sang. La gamine avait été souillée avant de mourir. Près des cadavres, une lettre, un ordre d’exécution à son nom à lui. Pas à celui de Sadernasse.
Qu’il souffre ce foutu fils de chienne. Jamais il aura droit à une mort libératrice. Les poings serrés, le capitaine descendit le long chemin qui menait vers la cité, accompagné par un vent frais et joueur qui contrastait avec son sang bouillonnant et sa colère.

Les jours suivants, Balderasse rendit visite à l’assassin de son frère. L’homme et plusieurs de ces amis avaient pris d’assaut le Palais du gouverneur en pleine nuit. Il était le seul qu’on avait retrouvé. Le capitaine ignorait encore le nom de ses complices. Et de leurs commanditaires. Mais le gars finirait bien par cracher le morceau.

- Ouvre ta foutue gueule et donne moi des noms ! brailla Balderasse, excédé par ces entretiens répétitifs et infructueux.
Il balança au prisonnier un énorme sceau d’eau qui le rinça de la tête aux pieds. Il se bavait dessus comme une bête malade et toussait sans discontinuer. Le capitaine pirate jura et frappa fermement le visage émacié du bonhomme qui ferma les yeux un instant. Son corps se fit d’une terrible mollesse et Balderasse, rageur, donna un grand coup de pieds dans le sceau vide avant de s’asseoir, les bras croisés, sur la table en pierre. Cette saloperie de clébard n’avait plus une seule phalange et pissait le sang par tous les bords. On l’avait brûlé en plusieurs endroits, encore et encore. Le capitaine ne s’était pas chargé lui-même de toutes ces tâches. Il avait mieux à faire que de passer son temps auprès de ce meurtrier. Rien à faire. Il n’avait toujours pas délié sa langue. Et puis …
L’homme sourit rapidement de son évanouissement. Baldresse bondit sur ses pieds et se précipita vers lui, mais avant qu’il ai pu ouvrir la bouche, l’autre murmurait :
- Nau… Naufrage…
- Qu’est-ce tu racontes là ? C’est quoi cette histoire de naufrage ? gronda le pirate d’une voix forte.
- Le Naufrageur, répéta l’autre dans un souffle, exténué.
Balderasse se sentit blanchir de fureur. Il recula légèrement comme s’il venait de se prendre un coup. Et c’en était un. Le Naufrageur, Klaus Anson, son plus vieil ami à Nassau… Un hurlement bestial quitta ses lèvres lorsqu’il se jeta sur le prisonnier, la lame au clair. Il la plongea dans ce corps frêle à plusieurs reprises en beuglant. L’autre était mort depuis un moment lorsqu’il donna le dernier coup. Mais la rage en lui était toujours là, elle palpitait dans ses veines à la vitesse de douze nœuds. Comme un fauve en cage qu’on vient de libérer, Balderasse quitta la pièce en trombe, ne voyant même pas les marches qu’il montait, aveuglé par la colère. Il traversa le fort au pas de course et arriva au bord de la falaise. Il jeta un coup d’œil dans la baie mais savait déjà parfaitement que la Reine Rose et ses petits n’y mouillaient pas. Ca faisait plus d’un an qu’on ne les y avaient pas vus.
- ANSON ! brailla-t-il au vent, espérant que celui-ci porterait son cri loin, bien loin jusqu’au navire du Naufrageur.
L’incompréhension et la rage se mélangeaient en lui. Il cria plusieurs fois à la face de la mer, jurant par tous les dieux la mort prochaine de Klaus Anson. Puis, le silence se fit. Le feu fit place à la glace. Pris d’une colère froide, le capitaine repartit vers le fort. Tous ses hommes le regardaient, impassibles.
- Faites vos affaires, déclara-t-il d’une voix calme et glaciale. Demain, on part en chasse.

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Message posté le 09:47 - 3 mars 2019

Sujet 4 : Matin
Quelque chose de plus court cette semaine !

179 mots


C’est le soleil qui se dépose lentement sur mon dos qui me réveille chaleureusement. Une douce caresse des plus agréables ! Je baille, je m’étire : d’abord les pattes avant, puis les pattes arrière et enfin le dos. La langue sur mes babines, je balaye la pièce du regard. Personne. Enfin presque. Il y a l’autre boule de poils qui ronfle dans son panier. Se dégage d’elle une odeur pestilentielle ! Alors que moi … Je roucoule en sautant du rebord de la fenêtre. La salle n’est pas bien grande, il ne me faut que quelques foulées pour la traversée. Alors, j’aperçois mon reflet dans le miroir, puis m’arrête devant. Je suis superbe ! Regardez moi ce poils luisant et propre ! Fière, je continue ma petite marche, à pas feutrés pour ne pas réveiller la boule puante. Enfin, j’arrive au bas de la machine à laver. Je saute avec élégance et frétille de plaisir ! Il reste quelques miettes de thon ! Par petites bouchées, je les déguste avec délice, profitant du silence de cette matinée printanière.

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Message posté le 01:26 - 19 mars 2019

Avec une bonne semaine de retard (qui me fait prendre du retard sur le prochain texte), voici le sujet 5 : Sacoche en cuir

1502 mots

La sacoche en cuir

Grande et large d’épaules, Dahlia pénétra dans le temple en ruines. Ne restait plus du bâtiment qu’un amas de ce que les anciens appelaient « béton », ainsi qu’un sous-sol, protégé par une charpente solide. Des mois qu’on l’avais repéré sous les décombres, mais en déboucher l’entrée avait été long. Un opération délicate. Le radar avait montré un ensemble de pièces vides sous les fouilles d’origines. Les fondations, avait-on d’abord pensé. Ou peut-être un lieu de culte ? Il n’était pas rare d’en trouver dans cette partie du monde. Beaucoup n’existaient plus, mais parfois, on avait la chance d’en découvrir en parfait état. Je croisais les doigts, espérant de tout cœur ne pas me tromper. Il fallait que ce soit un temple. Ce serait la consécration de ma carrière ! Moi, Cyprès de Gorne, grand archéologue terrien, à la une de tous les journaux spécialisés !
L’espoir et l’angoisse battait à tout rompre contre mes tempes. Je m’engouffrai alors dans l’obscurité du temple, à la suite de ma collègue et amie.
– Je suis à l’intérieur, soufflais-je.
La voix de Dahlia me répondit d’un ton enjoué à l’intérieur de mon scaphandre:
– Premières impressions ?
J’inspirai longuement. La pénombre m’entourait de ses bras frais et humides. Le froid perçait à travers ma vieille combinaison, celle-là même que je m’étais offerte le jour de ma remise de diplôme. Il me fallut quelques secondes pour trouver le bouton de ma lampe frontale sur mon bras gauche. Un long faisceau lumineux fendit la noirceur qui s’éloigna instantanément. La poussière voletait gaiement dans le rayon blanc, traversant la pièce de part en part. Il y en avait une telle épaisseur qu’il était difficile de deviner la couleur du sol. Je souris malgré moi, tout excité.
– Serait temps de faire un peu de ménage.
Le rire cristallin de Dahlia résonna dans mon casque et j’y répondis avec bonheur, n’osant pas avancer plus.
– Où es-tu ? lui demandai-je.
Soudain, la lumière de sa lampe frontale apparut. Il se tourna vers moi et je détournai le regard. Pour la première fois, je vis alors à ma droite ce qui ressemblait à un comptoir. Une couche de crasse en recouvrait la totalité de la surface. D’une poche de ma combinaison, je sortis un pinceau aux poils délicats et m’approchait du meuble. Il m’arrivait à la poitrine et ne devait pas faire plus de de mètres de long. Je me penchais au dessus, prenant garde à ne pas toucher le précieux mobilier. Il y avait une table, un bureau peut-être.
Mon arme à la main, je le mettais à balayer délicatement la poussière sur ce qui semblait être du bois. Avec ravissement, je vis alors apparaître des glyphes.
– Dahlia !
Ma coéquipière s’approcha à grands pas en roucoulant. Elle frétillait d’impatience. Sa tête se pencha dans la direction que je frottais doucement. Nos lumières se croisèrent avant de ne plus former qu’un cercle compact sur les lettres de l’ancien alphabet.
– Il est écrit ... commença la jeune femme avant d’hésiter. Je ne comprends pas. Ca ne veut rien dire.
– Dis-moi ! Tu sais bien que je suis incapable de lire toutes ces langues.
– Parce que tu as toujours refusé d’apprendre, s’exclama-t-elle du tac-au-tac avec amusement. Mais il n’est jamais trop tard !
Je secouais la tête :
– Allez, dis-moi !
Elle rit doucement, avant de finalement déclarer :
– Il est écrit Felice Varini.
Je fronçais les sourcils. Cela ressemblait à un nom, mais je ne l’avais jamais entendu ni lu auparavant. Alors, je continuais de balayer la poussière sur ce qui ressemblait à une borne d’accueil tandis que Dahlia s’éloignait. Ma respiration réchauffait l’intérieur de mon casque, avant de s’échapper par l’aération prévue à cet effet. Malgré mon incompréhension, je souriais, tout à mon ouvrage, mais ma compagne, qui avait disparu derrière un mur m’appela soudain.
– Cyprès ! J’ai trouvé quelque chose !
Sa voix résonna à mes oreilles. Mes yeux s’agrandirent et je me précipitais à sa suite, cherchant du regard la lumière de sa lampe frontale. Le large couloir qui servait d’entrée au temple – j’étais à présent persuadé qu’il s’agissait bien de cela) s’ouvrait sur une large pièce au centre de laquelle deux solides poteaux maintenant le plafond. Celui-ci était crénelé et parcouru de tuyauterie toujours intacte. Cette vision me coupa le souffle et l’émerveillement me fit écarquiller les yeux. Je me sentais comme un petit garçon devant le plus formidable des jouets. C’était incroyable ! Tout bonnement magnifique ! Ca et là, pendait ce que je parvins facilement à identifier comme des projecteurs. Ils ne devaient plus fonctionner depuis des siècles, mais étaient en fait état.
Seule la voix de Dahlia me permit de détourner le regard de ces merveilles. Je me rendis alors compte que j’avais le souffle coupé. Littéralement. J’éclatais de rire et me remis à respirer.
– Tu as vu le plafond ? lui demandai-je. Il est fantastique !
– Viens plutôt voir ce que j’ai trouvé bougre d’imbécile, répliqua ma collègue, rieuse.
Son ordre résonna dans mon scaphandre et je m’exécutais rapidement. Je passai devant deux petites pièces. Elles étaient parfaitement vide. Je grimaçais, déçu avant de continuer en suivant le chemin qu’avait pris Dahlia. Impossible de rater ses empreintes dans la crasse. Des traces dans de la neige auraient été plus difficile à repérer. Je longeai un étroit couloir. Il y avait une porte à droite, mais je n’osais la pousser, de peur de l’abîmer. Elle était de belle facture. Je frottai délicatement l’épaisse pellicule de poussière et constatai avec émerveillement que la peinture n’avait rien perdu de sa superbe. Elle était d’un blanc éclatant. Je n’avais pas encore touché aux murs, mais supposaient qu’ils étaient de la même couleur.
L’excitation toujours plus fort palpitait dans mes veines, à mesure que je m’enfonçais dans ce temple. Au bois du couloir, je débouchai sur un petit espace qui desservait trois pièces. La porte de l’une d’elle était ouverte. J’observai le sol. Dahlia était passée par là. Je la suivis en respirant plus vite. Qu’avait-elle donc trouvé ? Dans mon esprit défilait d’innombrables images et objets que j’avais vu dans les musées ou sur d’autres sites de fouilles. Un crucifix ? Un tableau ? De vieux parchemins ? Des ordinateurs ? Le pas lourd mais le cœur léger, je pénétrai dans la pièce.
Dahlia était accroupie au centre. Il n’y avait rien ici. Une certaine déception s’empara de moi, mais je me ressaisis rapidement. Jamais elle ne m’aurait appelé se elle n’avait rien trouvé.
– Qu’est-ce que …
Alors que je l’interpellais, elle se retourna. A travers la vitre de son casque, je pus voir ses yeux briller.
– Eteinds ta lumière ! Cria-t-elle soudain. T’es en train de m’aveugler !
Sa voix me brisa les tympans et j’eus le reflex stupide de porter mes mains à mes oreilles … qui étaient à l’intérieur de mon casque. Je m’exécutais alors et coupais ma lampe. Dahlia était penchée sur quelque chose, un objet sombre et de petite taille. Je m’accroupis près d’elle et tendit les doigts vers l’étrange objet.
– Fais attention, me prévint-elle, c’est peut-être fragile.
Je contemplais la précieuse relique et secouait la tête.
– On dirait du cuir.
Je me permis alors de l’attraper délicatement, prenant soin de ne pas l’abîmer. Il y avait un élément métallique qui ressemblait à ce que les anciens appelaient un « zip » … ou une « fermerture claire ». Je n’osais y toucher. C’était totalement rouillé. Impossible de l’ouvrir.
– Je n’en avais encore jamais vu, souffla Dahlia.
Je voyais ses lèvres bouger, mais ses mots venaient du haut parleur dans mon casque. Je lui souris.
– Ils sont assez rares. Je me demande bien ce qu’il peut y avoir à l’intérieur …
La jeune femme roucoula d’excitation :
– Une monnaie antique !
– Des petits mots doux …
– Un parfum !
– Ou ces stylos à encre qu’ils utilisaient !
– Oh oui ! Ou alors …
– Un téléphone ! criai-je soudain, excité comme un chien devant une friandise appétissante.
Les hypothèses allaient bon train, et nous continuâmes encore bien longtemps à rêver, imaginant des choses de plus en plus farfelus. Tout en parlant, nous nous levâmes, le précieux objets au creux de mes mains. Alors que nous débouchâmes sur la pièce principale, j’invitai Dahlia à lever les yeux vers le plafond. Tout comme moi, elle s’extasia devant tant de beauté.
– Il faudra que nous revenions avec le reste de l’équipe ! s’exclama-t-elle. Il y a trois portes que je n’ai pas réussi à ouvrir ! Je suis certaines que c’est là qu’on trouvera les plus beaux trésors !
Je ne pus m’empêcher de sourire tandis que nous arrivions près de la sortie.
– On a quand même découvert une sacoche … C’est pas rien !
La jeune femme hocha la tête et s’extirpa du temple poussiéreux. Le regard baissé vers le précieux objet, je souris.
- Tu vas bientôt nous révéler tous tes secrets ...
Je jetai un dernier coup d’oeil derrière moi, comblé. Mes yeux se posèrent sur le mystérieux message sur le meuble . Je le répétai à haute voix puis haussai les épaules. Bientôt, me promis-je … Bientôt, Cyprès, tu ferais la une de tous les journaux !

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Message posté le 23:02 - 24 mars 2019

Sujet 6 : La clef

816 mots

Entre ses doigts tremblants, une petite clef, froide et striée de cicatrices. Malgré ses lunettes, il fronçait le regard pour mieux voir ses gestes lents et hésitants. Le vent glacial lui faisait claquer des dents et son souffle chaud, en pénétrant dans l’air, s’envolaient en petits nuages avant de s’aplanir sur la baie de la boutique. Le vieillard, après plusieurs tentatives, parvint finalement à entrer la clef dans la serrure. Un sanglot s’échappa de ses lèvres et une larme glissa sur sa joue fripée tandis qu’il tournait ce petit bout de métal. Rien qu’un petit bout de métal. Voilà tout ce que c’était… Un petit rien qui clôturait à tout jamais le passé de Léon. Un rien du tout qui fermait la porte de cette boutique du centre ville.
Clic.
Un tour, puis un deuxième, suivi d’un reniflement bruyant.
Voilà.
L’ancien recula d’un pas hésitant. Il retira la clef de la serrure, l’échine parcourue d’un terrible frisson. Etait-ce le froid ? Non. Simplement la sensation soudaine d’une présence indésirable. Pas besoin de tourner la tête pour savoir de qui il s’agissait. L’odeur suffisait. Un parfum fort coûteux, qui ne valait guère mieux finalement qu’un millier de fientes d’étourneaux.
– Ahah !
Georges Diolas éclata d’un rire tonitruant en appliquant une grande tape dans le dos du vieillard. Celui-ci chancela, et ne dut son équilibre qu’à sa fidèle canne en bois.
– Enfin ! Ce fut un plaisir de faire affaire avec vous mon cher Léon !
Le pauvre homme leva sa face fripée vers le bonhomme replet. Le rouge de ses joues égalait celui du vin qu’il avait sûrement bu à midi. Son haleine brûlante fit plisser le nez de l’ancien. Il plongea son regard triste dans les yeux de requin de Diolas. Dans sa main, il tenait toujours la clef de voûte de sa vie entière. Au moment même où il la passerait à l’entrepreneur, Le passé de Léon s’écroulerait sur lui-même, entraînant dans sa chute son présent en même temps que son avenir. Le vieil homme soupira et sourit tristement. Il tremblait, mais impossible d’en déterminer la cause : la neige et le vent glacial, ou bien cette transaction peu honnête dont il était le pigeon ?
Hélas ! Avait-il seulement le choix ? Il secoua la tête. Diolas fronça les sourcils :
– Qu’y a-t-il ? Ne me dites pas que vous voulez revenir sur les termes de notre accord ?
Un rire jaune s’échappa des lèvres du grand-père.
– Non … Bien sûr que nous… souffla-t-il.
– Eh bien, vous m’en voyez ravi ! s’exclama l’autre en tendant sa main vers Léon, un sourire large jusqu’aux oreilles. Mieux vaut vendre maintenant, mon ami, plutôt que de mettre la clef sous la porte demain ! N’est-ce pas ?
– Sans doute, répondit le vieillard dans un murmure.
Il posa ses doigts frigorifiés sur la poignée de la porte et regarda à travers le carreau poussiéreux. Au dessus des deux hommes, l’enseigne, au moins aussi âgée que Léon, si ce n’était plus, se balançait tranquillement d’avant en arrière. « Evans, père et fils. Chaudronnier depuis 1387 » qu’il était écrit. Ah ! Les chaudrons ! Toute la fierté de cette grande famille, l’orgueil de feu son père.
– Des siècles qu’on a cette boutique ! qu’il disait en criant. Et un jour, fiston, tout ça te reviendra ! Alors lève la tête et ne baisse jamais les épaules. Je suis certain que tu honoreras tes ancêtres, et tes enfants après toi !
Et il trinquait, dans le vide, avant de s’enfiler, cul sec, toute sa chope de bière.
Avec un pincement au coeur, Léon déposa la clef de la boutique dans la main tendue et déterminée de Dialos. Jamais son père n’aurait pu prédire l’arrivée des usines. Ah ! Si seulement il savait … Il se retournerait dans sa tombe. Et pas qu’une fois. A tour de bras, chacun des artisans du quartier vendait clef en main leur commerce, à des inconnus, des entrepreneurs qui, un jour prochain, raseraient tout pour y mettre à la place on ne savait trop quelle fantaisie.
Le gros bonhomme referma sa poigne sur le minuscule objet de métal. Sa gueule de requin, toutes dents dehors, souriait tant qu’on au aurait cru qu’il voulait avaler le pauvre vieillard. Il la fourra avec avidité dans une poche intérieure de sa veste, et sortit, quelques secondes plus tard, un petit paquet qui tintait drôlement. Par dépit, Léon attrapa la bourse et posa les yeux une dernière fois sur son héritage perdu.
– Ce fut un plaisir, mon ami ! déclara l’autre de sa voix forte et grave.
Il n’attendit pas que l’ancien lui réponde, non. Il fit demi-tour, et s’éloigna, la tête haute, et à chaque pas qu’il faisait, les épaules de Léon s’affaissait un peu plus. Il observa sa petite clef s’en aller loin de lui, jusqu’à ce qu’elle disparaisse finalement dans l’épais brouillard qui accompagnait la neige.

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Message posté le 12:02 - 31 mars 2019

Sujet 7 : Un repas

Il s'agit de la première partie d'un ensemble de trois textes ! Le deuxième devrait arriver demain et le troisième la semaine prochaine, si je ne suis pas en retard ! (je suis désolée pour les fautes, je me suis relue rapidement, étant largement à la bourre cette semaine !)


2398 mots


Ses yeux sombres balayèrent l’assemblée avec fierté. Les plus grands noms du royaume étaient présents : Merei Branden, Guiern de l’Anneau, Alexei Mirand et bien d’autres encore. Tous discutaient et riaient, dansaient et chantaient, mangeaient et buvaient. Buvaient surtout. Dans son orgueil, Aldei Wand, l’hôte de la soirée, imagina une couronne sur sa longue chevelure noire. Il sourit. Sûrement lui irait-elle aussi bien qu’au roi.
Le jeune seigneur, confortablement installé à la table d’honneur, sur son fauteuil en bois superbement ouvragé, tourna son visage radieux vers sa jeune épouse. Son profil parfaitement dessiné était, de très loin, le plus beau qu’il ait jamais vu. Son nez aquilin, son port de tête altier, ses sourcils noirs et anguleux, son regard comme une nuit sans lune … Aldei réprima son envie de caresser ses pommettes saillantes et posa une main sur celle de sa compagne. Elle ne réagit pas, les yeux braqués sur la foule, mais ses doigts, dans la paume de son mari, se tendirent. Etait-ce du désir ? Le jeune homme sourit, carnassier. Ce ne pouvait qu’être cela ! Il sentit monter en lui une envie ardente et déglutit. Sa respiration se fit presque haletante, tandis que tout son être se tendait vers son épouse. Il se pencha vers elle pour déposer un baiser passionné sur son épaule dénudé. Il vit les frisottis sur la nuque de sa compagne se dresser. Elle tourna très légèrement la tête et posa son regard dur sur la virilité dressée de son époux. Sa voix, grave et enchanteresse, ne fit qu’échauffer un peu plus le jeune noble.
– Vous devriez vous calmer. Nous n’en sommes qu’à l’entrée.
– Et j’ai hâte d’arriver au dessert, souffla-t-il à son oreille.
Belta s’écarta et retira vivement sa main de celle d’Aldei. Le seigneur la vit s’éloigner, mécontent. Morose et frustré, il reporta son attention sur la foule en grignotant machinalement un bout de galette.
Il ruminait toujours lorsqu’un gros bonhomme en soutane arriva vers lui, tout sourire. Le seigneur dut se pencher par dessus la table en raison de la petitesse du prêtre. Le vieillard n’osa pas monter sur l’estrade, et il fit bien, car Aldei n’était pas vraiment d’humeur. Il posa son regard sombre sur Accip Torinys, qui lui souriait bêtement.
– Mon cher ami, commença l’autre avec son accent de Sork, c’est une très belle fête pour un superbe mariage !
Le seigneur pianotait, impatient, sur l’accoudoir de sa haute chaise.
– Content que vous vous amusiez.
Le gros homme éclata d’un rire joyeux :
– Oh ça oui ! Mais permettez moi, à présent, de vous offrir notre cadeau ! Mon frère, Damon, n’a pas pu se déplacer, comme vous le savez, mais il tenait à vous présenter ses hommages. Vous savez, il vous tient vraiment en affection.
Aldei réprima un soupire, passablement ennuyé, et hocha la tête. Son devoir lui dictait le respect de ses pairs, aussi, déclara-t-il :
– Il en est de même pour moi.
Le seigneur parvint même à mimer un léger sourire :
– Alors, quel est-il ce cadeau ?
Le prêtre tapa dans ses mains à trois reprises, si fort, que tous les invités se tournèrent vers lui. Aldei surprit même un brin de curiosité sur le visage de Belta, aussi, se détendit-il. Le silence se fit dans l’assistance. Accip adressa un large sourire au jeune couple et s’exclama en se tournant vers la foule :
– Permettez-moi de vous présenter notre plus célèbre troupe sorienne, les ménestrels et jongleurs de Rochebaron !
La porte principale s’ouvrit soudain. Le vieil homme avait visiblement tout prévu. Un énorme chien fit son entrée, suivit d’une silhouette bondissante et tourbillonnante. Il sautait, tournait dans les airs, roulait sur elle-même pour finalement se figer sous les applaudissements, devant une large cheminée. Le troubadour attitré d’Aldei, qui se trouvait là, ouvrit de grands yeux ronds, avant de lever, l’air outré. Il ouvrit sa large bouche, mais la sauterelle gracieuse qui venait de faire son entrée se tourna vers lui, et murmura quelques mots à son oreille avant de déposer un baiser sur sa joue. A côté de lui, le jeune seigneur vit Belta se pencher sur la table. Elle posa son regard acéré sur le spectacle, visiblement intéressée. Son époux se détendit alors complètement et se laissa aller contre le dossier de sa chaise. Il attrapa une cuisse de poulet sur la table et profita de son repas et observant la scène.
Un jongleur à la silhouette élancée avait pris place aux côtés de l’acrobate. Aldei observa celle-ci, intrigué tant de sensualité. Chacun de ses gestes étaient tel une caresse, comme si elle pouvait saisir le vide, l’air. Fine et gracieuse, elle gardait la haute sur lequel trônait un sourire en coin. Il reconnaissait bien là le port charmeur des femmes de Sork. Les épaules souples et le buste dynamique, la danseuse s’était remis à tourner, ses jupons couleurs de l’arc-en-ciel voltigeant autour d’elle comme un millier de vague. Seul détail qui dénotait dans son étrange beauté, était ce vilain cache-oeil noir qu’Aldei aurait voulu arracher. Il s’attarda sur chaque membre de la troupe. Ils étaient six : la belle acrobate, le jongleur élançait et une vieille femme rabougrie qui, en claquant des doigts, donnait des ordres au gigantesque chien, qui s’empressait d’obéir. Entra ensuite un harpiste, lui aussi borgne, qui ressemblait d’ailleurs comme deux gouttes d’eau à la danseuse. Des jumeaux sûrement. Il vint se positionner auprès de celle qu’Aldei pensait être sa sœur, et se mit à jouer. Dès les premières notes, le seigneur fut emporté par la mélodie et surprit à sourire d’aise. Enfin un jet de flammes passa la porte et tous les invités se mirent à hurler. Il fut suivit par un colosse torse nu en kilt. Son énorme poitrail était couvert d’un épais buisson aussi roux que sa chevelure bouclée. Une fillette sautillait à ses pieds, aussi rousse que lui. Elle tenait entre ses doigts fins une bouteille finement ouvragée, et la tendit à son gigantesque compagnon qui toisa la foule d’un regard mauvais … avant de s’incliner en souriant. Comme un seul homme, tout le monde applaudit et rit joyeusement.
Aldei tourna la tête. Belta elle-même semblait charmée par ce spectacle. Elle souriait. Le seigneur lui prit à nouveau la main, et cette fois-ci, elle se laissa faire. Sa peau était douce sous ses doigts, ses doigts si fins ! Il la caressa doucement en reportant son attention vers le spectacle. L’étrange couple borgne s’était mis à chanter. Leur voix s’accordaient merveilleusement bien. Leur mélopée s’élevait dans les airs avant de retomber comme une pluie d’étoiles, sur chacun des invités. Aldei ne connaissait pas la langue dans laquelle ils chantaient, mais n’en émanait que douceur et calme. Tintée d’une certaine mélancolie, la mélodie entourait le seigneur comme une mère câline son enfant. Combien de temps cette impression dura-t-elle ? Le seigneur était incapable de le dire. Il se laissa porter par l’instant, apaisé comme jamais. Lorsqu’il jetait un regard en coin à Belta, il la voyait souriante, ce qui réchauffait d’autant plus son cœur.
Tandis que le duo chantait, les autres jouaient. Le jongleur dansait avec grâce, la fillette rousse donnait du relief au chant en chatouillant gracieusement une lyre et le cracheur de feu avait troqué sa bouteille contre une flûte qui paraissait ridiculement petite entre ses gros doigts. Seule la vieille ne bougeait pas, de marbre, derrière ses compagnons. Son énorme chien dormait à ses pieds.
Alors, la musique, doucement, baissa et après un court silence, les hôtes s’animèrent et applaudirent grassement la troupe qui salua.
– N’avais-je pas raison ?
Aldei sortit de sa rêverie et posa son regard sur Accip Torinys qui était toujours là, au pied de la table d’honneur. Il était visiblement ravi de son cadeau.
– Fabuleux, répondit Belta en adressant un large sourire au vieillard.
Le jeune seigneur ne put qu’acquiescer, malgré une certaine frustration qui commençait à pointer le bout son nez.
Le prêtre leur fit une révérence un peu gauche qui fit grincer des dents à Aldei. Il s’abstint de tout commentaire. Tant que sa belle épouse était heureuse …
– Si vous le voulez bien, très chère, s’empressa d’ajouter Accip à l’adresse de Belta, j’aimerais danser ! Il fait toujours bon de se déhancher avant d’attaquer le dessert.
La demoiselle rit de bon cœur. Profondément agacé par tant de démonstration de sa part envers le vieillard, Aldei serra un peu plus sa main sur celle de sa compagne, comme pour signifier qu’elle lui appartenait. Belta accentua son enthousiasme auprès de Torinys.
– Alors, je danserai avec vous ! s’exclama-t-elle.
Le seigneur déglutit. Il ravala sa fierté et sa soudaine colère, du moins, il essaya. Les doigts fins de la jeune femme s’extirpèrent de la prise de son mari qui serra les poings et les dents. Elle se leva, sans un regard pour lui. Aldei voulait se lever, la rattraper, mais déjà elle s’envolait vers le prêtre, ravi. Dans sa langue natale, le sorien ordonna à la troupe de jouer quelque chose de plus festif. Ils s’exécutèrent sans rechigner et le seigneur vit sa belle lui échapper au bras d’un autre. Il pesta, insulta dans sa barbe le prêtre e tous les noms, griffant les accoudoirs de sa chaise à s’en faire mal aux doigts. Comment osait-il la lui prendre ? Elle était sienne !
Une main se posa sur son épaule. Il faillit poser la sienne sur son épée, toujours au ceinturon, mais s’abstint et tourna la tête. Il croisa un regard bleu nuit aux reflets violets. Au dessus de ces yeux magnifiques, de fins sourcils roux, et tout autour, sur une peau très pâle, des milliers de tâches de rousseur. Elle dégageait un parfum des plus doux, un mélange fleuri qui provenait des boutons de rose qui décorait sa chevelure. Elle devait avoir douze ou treize ans, guère plus. Près du colossal cracheur de feu, elle en paraissait trois de moins.
– Damon Toronys m’a confié ceci, murmura la petite ménestrelle.
Elle lui tendit un écrin doré, fermé par une lanière en cuir de la même couleur et finement brodé. La colère d’Aldei s’apaisa lorsqu’il récupéra l’objet. Il caressa la boîte, défit le lacet en regardant la jeune fille. Elle avait un sourire en coin et l’observait avec malice. Que faisait-elle encore ici ? Elle aurait dû rejoindre les autres une fois son colis délivré ! Pourtant, elle ne bougea pas, les mains croisés sur son ventre, les yeux débordant d’assurance. Aldei faillit la chasser, mais l’entrain de la demoiselle l’impressionnait.
– Comment t’appelles-tu ? Lui demanda-t-il.
Elle afficha un large sourire. Ses yeux brillaient, oscillant entre le bleu et le violet selon la danse des flammes dans l’âtre.
– On m’appelle Ama.
Aldei fronça légèrement les sourcils. Elle osait s’adresser à lui en omettant son titre ? Malgré son indignation, il resta silencieux et suivit du regard ses boucles rousses aux reflets plus clairs, presque blonds.
– Eh bien, Ama, reprit-il après un court instant, sais-tu ce que contient cette boîte.
– Absolument pas !
Le jeune homme hocha la tête et se concentra sur le cadeau. Il l’ouvrit enfin et posa le couvercle sur la table, près d’un énorme gâteau qu’un serviteur venait de déposer. Il oublia alors tout ce qui l’entourait. La musique, les rires, la danse … Ne resta plus que son être et cet objet, délicatement emballé dans cet écrin doré. Et le sourire de la fillette. Aldei attrapa le cadeau. Il s’agissait d’une plume, d’une rare beauté. Il la connaissait bien pour l’avoir longuement lorgnée lorsqu’il vivait à Rochebaron, chez Damon Torinys. Elle était bleue, teintée de vert et de jaune par endroit. Le seigneur ignorait à quel oiseau appartenait pareil apparat, mais il ne pouvait que l’admirer. Au fond de la boite, se trouvait un petit parchemin, roulé sur lui-même. Il la prit dans son autre main, reposa la précieuse plume dans son écrin et lut, sans prendre garde à la fillette.
Les mots couraient avec légèreté sur le papier, les boucles des lettres hautes se mêlant avec grâce aux barres qui tombaient des lignes supérieures. « Très cher Aldei, je tenais à t’offrir cette plume pour tes fiançailles. Je n’ignora pas que déjà, enfant, tu te précipitais dans mes appartements pour la contempler. Elle aurait dû revenir à un ami très cher qui a, depuis bien longtemps disparu. Aujourd’hui elle te revient. Fais-en bon usage, il s’agit là d’un objet magique très spécial. Bien à toi, Damon. »
Aldei relut par deux fois le mot de celui dont il avait été l’élève, dans sa jeunesse. C’était là un bien meilleur cadeau que cette troupe. Il croisa le regard de la fillette. Quoique … Il l’observa un moment, sous toutes les coutures et sans pudeur. Elle promettait de devenir une belle jeune femme. Le seigneur leva une main pour caresser la joue de l’enfant.
– Je te remercie, Ama. Peut-être nous recroiserons-nous un jour prochain.
Elle lui adressa un large sourire tout en rougissant. Aldei plongea sa main dans sa bourse, à sa ceinture. Il en retira une pierre bleue, minuscule, montée sur un anneau et la confia à la demoiselle.
– Elle est pour toi, chuchota-t-il.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Un turquoise. Si un jour tu as besoin de moi, tu n’auras qu’à te présenter ici, à Menisk. Cette pierre me permettra de te reconnaître. Même si je doute d’oublier un jour un si beau visage.
A nouveau, la fillette sourit. Elle le remercia grandement et executa une révérence des plus parfaites, avant de s’éloigner d’un pas léger, presque royal, sa robe bleue voletant derrière elle comme une nuée d’oiseaux. Aldei la suivit du regard, assis sur sa haute chaise.
Il était seule à la table d’honneur. Belta dansait avec leurs invités. La colère du seigneur était passée. Il remit le parchemin de la petite boîte et fit signe à un serviteur derrière lui de s’approcher. Aldei lui confia l’écrin doré :
– Apportez donc cela dans mes appartements. Et veillez à ne pas l’abîmer si vous ne voulez pas que mon courroux s’abatte sur vous.
L’homme hocha la tête et partit en trottinant. Aldei se pencha sur la table. Il prit un morceau du gâteau safrané qui trônait devant lui et balaya la foule du regard. Celui-ci s’arrêta sur la petite ménestrelle qui le dévorait des yeux, avant de continuer sa course et de se stopper définitivement sur une Belta enjouée, qui ne jeta pas un coup d’œil dans sa direction.

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Message posté le 11:17 - 7 avr. 2019

Sujet 8 : Tête dans le brouillard

Je ne suis pas du convaincue cette semaine ... Mais voilà, je l'ai écrit donc autant le poser là ! En tout cas, il s'agit de la suite du texte précédent !

2568 mots

« Tourne et noie, vire et volte, rien ne te retient plus au sol ! »
Une simple ritournelle qui jamais ne la quittait et qui toujours la poussait vers l’avant. Un air que l’on fredonne sans y penser en marchant dans des rues pavées, sur des chemins en campagne, dans les couloirs d’immenses châteaux.
Ama sifflotait. La mélodie toute entière l’emplissait jusqu’aux tréfonds de ses entrailles. Elle l’animait. A chaque pas dans le noir, la musique résonnait un peu plus en elle, jusqu’à ce que finalement, plus aucune sensation ne l’atteigne. Ni le vent glacial qui s’insinuait entre les pierres pour envahir la grande bâtisse, ni le bruit feutré de ses pieds sur le sol gelé, ni même l’odeur humide que ne parvenait pas à chasser les effluves émanant des cuisines.
« Tourne et noie, vire et volte, rien ne te retient plus au sol ! »
Le brouillard s’épaississait rapidement dans son esprit. Ne restait plus en elle que cette chansonnette ainsi que son objectif. Elle concentra tout son être sur ce dernier.
Malgré l’obscurité, elle parvenait à se repérer très facilement et avançait dans un silence total. Les vêtements de servante qu’elle avait revêtus étaient légers et voletait doucement derrière elle tandis qu’elle se mouvait dans les couloirs. Bientôt, elle arriva au pied d’un escalier en colimaçon. Le plan du bâtiment se dessina dans le brouillard de son esprit. Elle hocha la tête, déterminée et monta une à une les marches qui menaient aux étages. Il y avait quelques fenêtres dans la tour, mais aucune assez large pour éclairer pleinement les lieux. Seuls quelques brins de lumière de la Lune parvenait à pénétrer l’obscurité du lieu. Chaque fois qu’elle les croisait, la fillette se glissait à chaque fois dans les ombres du mur pour éviter les rayons de l’astre nocturne. Elle-même se faisait ombre.
Alors qu’elle arrivait au premier pallier, une porte, au dessus d’elle grinça. Ama se concentra sur sa ritournelle.
« Tourne et noir, vire et volte, rien ne te retient plus au sol ! »
Son souffle se fit plus lent, inaudible. Cachée dans la pénombre, elle écouta les pas descendre rapidement les marches de pierre. La jeune fille porta ses doigts fins à sa ceinture et trouva immédiatement, caché dans les épaisseurs de ses jupons, un coutelas au tranchant affûté. La lueur d’une torche apparut et la lumière se fit soudain. Ama n’attendit pas de croiser le regard de sa proie pour se jeter dessus. Elle sauta avec la rapidité et la grâce d’un chat et planta ses griffes dans la gorge du pauvre serviteur qui passait pas là. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Sûrement venait-il de changer les torches dans les couloirs à l’étage. La jeune fille continuait de fredonner tandis que le sang de l’homme coulait sur ses pieds nus et giclait sur sa robe. Son pouls s’accéléra. Elle le sentait cogner dans ses tempes. Les visages et Tii et Too s’imposèrent à elle. Elle se mordit les lèvres. Que diraient-ils s’ils étaient là ? Le ménestrel lui aurait donné une grande tape sur la tête tandis que sa sœur jumelle aurait grincé des dents. Eux étaient les rois de la discrétion. Jamais ils n’auraient laissé autant de trace de leur passage.
Ama secoua la tête pour chasser ses précepteur de son esprit et répéta sa chansonnette. Elle avait posé sa main sur la bouche de sa victime afin qu’il ne puisse pas crier. Lorsque ses yeux se révulsèrent, la jeune fille s’éloigna en essuyant sa lame sur ses jupons en haussant les épaules. Ils étaient déjà couverts de sang alors …
A pas feutrés, elle s’éloigna. Bientôt, le liquide rouge sous ses pieds fut sec et elle ne laissa plus de trace derrière elle. Ne restait plus qu’à espérer ne croiser personne d’autre.
Elle arriva au premier pallier. C’était là. Inspirant longuement pour se forcer au calme, Ama poussa le lourd pan de poids qui grinça sur ses gonds. Elle déboucha sur un long couloir. Elle faillit grogner en voyant la torche tout près d’elle qui projetait toute sa lumière sur elle et ses vêtements souillés. Plus loin, deux gardes, postés près d’une large porte en bois sculpté tournèrent leur tête vers elle. Son sang ne fit qu’un tour. Prestement, elle se jeta pas terre en prenant garde de dissimuler son arme. Il était temps de mettre à profit ses talents d’actrice. La chansonnette dans son esprit s’effaça pour laisser la place à un visage et à une voix. Dranmar Eohr. Celui qui l’avait abandonnée. Très vite les larmes lui montèrent aux yeux tandis qu’un des hommes se précipitait vers elle.
La jeune fille porta des mains tremblantes à un visage trempée de larmes. Le sang qui ornait ses doigts couvrirent bien vite ses joues couvertes de tâches de rousseur.
– Qu’est-ce qu’il s’est passé ? s’exclama le garde pendant que son collègue se penchait vers eux à l’autre bout du couloir.
– Il … Il …
Ama bégayait, incapable de parler correctement.
– Doucement petite. Qu’est-ce que c’est que tout ce sang ?
– Je … Je …. Dans les escaliers … Il …
Elle fondit en sanglots et plongea son visage dans ses mains sales. L’homme siffla son compagnon qui s’approcha.
– Reste avec elle, je vais aller voir.
Ama pleurait. Elle ne voyait rien, les yeux fermés, des larmes ruisselant sur ses petites joues. Mais elle entendait tout. Elle attendit que la porte se referme derrière le garde pour sortir sa lame de ses jupons. Elle se releva d’un bond et, avant que le soldat puisse réagir, planta son coutelas entre deux pièces de son armure. Too lui avait enseigné le combat au corps à corps. Elle savait parfaitement où frapper pour tuer rapidement et discrètement. Malgré sa petite taille et son poids plume, Ama parvint à faire chuter le bonhomme. Elle tourna et retourna son arme dans la plaie à deux mains, son visage plaqué sur celui de l’autre afin de l’empêcher de hurler ou de gémir. Lorsque son dernier souffle se fit entendre la jeunette se redressa et plongea sur la porte des escaliers afin de la la bloquer à l’aide du bastin tout près qui servait à cet effet. Elle avait désormais peut de temps devant elle pour accomplir sa mission, pourtant, elle prit un moment pour calmer son petit cœur qui battait bien trop vite. Que diraient Tii et Too s’ils voyaient cela !
« Tourne et noir, vire et volte, rien ne te retient plus au sol ! »
Le visage de Dranmar, qui lui avait permis de jouer la comédie s’effaça. Elle ferma les yeux quelques secondes. Son souffle se fit plus lent Elle inspira longuement avec d’ouvrir les paupières pour se diriger prestement vers la porte que gardaient les deux hommes. Ama ne prit pas le temps de contempler le décor sculpté. Il fallait qu’elle agisse vite. Lorsqu’elle poussa la porte, celle-ci ne grinça pas à, son grand soulagement. La lumière du couloir se dissipa lorsqu’elle pénétra dans les appartements du seigneur. Machinalement, Ama tritura la bague que lui avait donnée Aldei Wand plus tôt dans la soirée et déglutit.
Tout était calme ici, seules deux respirations trahissaient la présence d’un couple endormi. Une douce odeur fleurie se mêlait à des effluves d’alcool. Dans l’âtre à droite, en face d’un lit en bois, les cendres survivaient difficilement, ne rougeoyant que très peu. Le foyer n’avait pas été réanimé depuis plus d’une heure apparemment. Le regard de la jeune musicienne balaya la chambre. Elle était plus grande qu’Ama ne l’avait cru en voyant le plan. Richement meublée, elle était faiblement éclairée par la lumière de la lune qui traversait de hauts vitraux colorés. Ainsi, sur le sol, les rayon de l’astre prenaient des teintes étranges, inquiétantes et pourtant si belles.
Un long soupire.
Ama tourna la tête vers le lit. Ca bougeait. Elle se glissa sur sa gauche pour se fondre dans l’ombre du mur. Il y avait deux corps emmitouflés dans les draps. Elle ne devait en abattre qu’un seul, mais lequel ? Impossible de les différencier à cette distance. Il fallait s’approcher.
Malgré elle, la jeune fille sentit son cœur s’accélérer. Elle tenta de le calmer, en vain. Elle avança comme un chat vers la couche seigneuriale. Sa lame était lourde dans sa main. S’humectant les lèvres, Ama se pencha sur les dormeurs. Le parfum doux et entêtant qui s’élevait de la première forme, ainsi que toutes ces frisures qui lui servaient de chevelure permirent à la musicienne d’identifier la jeune mariée, Belta Wand. Elle posa ses iris à la couleur de la nuit sur le deuxième corps. Ce devait être lui. Inaccessible. Son sang dansait contre ses tempes. Sa ritournelle avait quitté les lieux pour faire place à l’angoisse et à l’excitation.
La jeune fille contourna le lit, à pas feutré, les yeux braqués sur l’homme endormi. Elle s’immobilisa soudain lorsqu’il se tourna dans son sommeil. Son visage fit alors face à la lumière. Cela ne sembla pas le gêner. Une douce teinte bleutée épousait maintenant sa peau sombre, avec beaucoup de délicatesse. Ama s’approcha de lui. Son arme était levée, prête à s’abattre sur sa proie, mais son regard s’attarda sur les traits séduisant du seigneur. La ménestrelle déglutit. Penchée sur Aldei Wand, la mort au bout de son bras, la jeunette hésitait.
« Je doute d’oublier un jour un si beau visage. »
Ces quelques mots avaient définitivement chassé la ritournelle. De sa main libre, elle caressa sa propre joue, comme l’avait fait cet homme lors du repas. Le coutelas était de plus en plus lourd. Elle contempla celui qu’elle devait abattre. Sa voix résonnait en elle comme un écho lointain, qui pourtant prenait de plus en plus d’ampleur. Bientôt, sa respiration se fit saccadée et son ventre papillonna. Elle déglutit. Il se passait quelque chose en elle. Quelque chose d’indéfinissable. Elle n’aurait su dire si elle aimait cela ou non.
Aldei Wand grogna soudain dans son sommeil. Ama faillit sursauter, mais heureusement, Tii et Too l’avait longuement entraînée. Elle devait penser à eux. Elle devait leur obéir. Il lui fallait tuer cet homme. La jeune fille inspira avec lenteur et tenta de fredonner sa ritournelle mais elle était incapable de s’en rappeler l’air. Son esprit était embrouillé, plongé dans une brume qui l’empêchait d’agir. Était-ce de la magie ? Elle secoua la tête. Non. Impossible. La musicienne baissa son arme, dans vraiment s’en rendre compte et se pencha pour mieux contempler les traits de cet homme. En elle, la chansonnette combattait avec les paroles de Wand pour s’imposer à elle.
Finalement, Ama tomba à genoux. Une larme coulait sur sa joue. La main qui tenait le coutelas tremblait comme par grand froid. Pourquoi ne parvenait-elle pas à le tuer ? Il le fallait pourtant ! C’était là la mission qu’on lui avait confiée !
Un bruit sourd.
Ama sursauta. Il provenait du couloir. Son cœur s’accéléra un peu plus. Elle s’aplatit au sol et entendit un léger grincement. On entrait dans la chambre. Un trait de lumière flamboyante zébra les ténèbres avant de disparaître. La fillette tenta de se glisser sous le lit mais elle était trop grande. Le souffle court, elle se recroquevilla dans l’ombre tandis que des pas feutrés approchaient de sa cachette. Une haute silhouette fut bientôt sur elle. Ama joignit les mains et s’apprêtait à prier lorsqu’une voix familière voleta jusqu’à son oreille :
– Tue … Tue le, petite sotte.
Ama soupira, soulagée. Elle se redressa de toute sa hauteur. L’œil unique de Tii brillait à la lumière de la lune et un vent glacial émanait d’elle. La jeune fille frissonna. Elle posa les yeux sur Aldei Wand. Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle lâcha sa lame.
– Comment oses-tu ? siffla la voix rude et froide de sa préceptrice d’un ton mauvais.
La jeune fille, du haut de ses treize ans plongea son regard dans l’unique œil de Tii.
– Je refuse.
La danseuse secoua la tête et haussa le ton.
– Tu dois le faire.
– Jamais.
Elles parlaient fort à présent, pourtant le couple seigneurial ronflait.
– Tu les as endormis ?
– Tout le château est plongé dans un doux rêve. Ne restait que les gardes dans ce couloir et ce pauvre loufiat que tu as saigné.
Ama se mordit la lèvre.
– C’est ton premier contrat ma fille. Je ne pouvais prendre le risque que tu le rates. Alors, à présent…
– Hors de question. Je ne le tuerais pas.
La jeune fille se plaça entre sa victime et sa tutrice. Celle-ci semblait furieuse. La colère, froide, suintait de tous ses pores pour se répandre dans l’air, mais Ama n’en avait cure. Elle était soudain poussée par une force qu’elle ne s’était jamais connue. Pourquoi tenait-elle tant à protéger cet inconnu ? Elle n’avait pas besoin d’en connaître la raison. Son cœur l’animait et lui dictait de le faire. Cela était suffisant. Pour l’instant.
Le défi qui s’affichait sur son visage fit grimacer Tii.
– Faut-il que j’exécute moi-même l’homme ?
Ama grogna :
– Je ne te laisserais pas faire !
Elle se tut un instant avant de reprendre :
– J’assumerai les conséquences de mes actes auprès de notre client.
Tii sembla se détendre. Pour la première fois depuis qu’elle était entrée dans la chambre, la danseuse sourit. Pour qui n’était pas habitué à ce sourire, il pouvait paraître glacial, inquiétant. Mais pas pour Ama. La grande et belle femme posa une main sur la joue du seigneur Wand. La jeunette frissonna et fut tentée d’en faire de même.
– Bien. Allons-y. Nous laissons derrière nous trois cadavres. Les deux que tu as exécutés ne pourrons pas être dissimulés. Trop de sang, Amarelys. Il te faut apprendre à être plus discrète.
La danseuse se déhancha jusqu’à la porte et l’ouvrit bien grand. Contre le mur, face à elle, dans la lumière des torches, se trouvait le troisième garde, celui que la petite musicienne n’avait pas tué. Il semblait endormi, mais Ama savait qu’il n’en était rien. Elle jeta un dernier coup d’oeil à Aldei Wand. Son corps papillonnait, mais son esprit était déjà ailleurs. Il suivait Tii à la trace. Alors, ses membres ne purent que lui obéir. En sortant, la jeune fille soupira. Tant de tensions, de préparation, pour finalement ….
Elle secoua la tête. Elle avait fait le bon choix. Il ne méritait pas la mort. Pas de sa main en tout cas. Pas maintenant. Ama était persuadée que ce n’était pas là le destin du seigneur. Elle caressa la porte en bois avant de la refermer derrière elle. La figure d’Aldei Wand y avait été sculptée. Il semblait réel. Elle déposa un baiser sur la joue rugueuse du bonhomme. La voix de ce dernier résonnait dans son crâne.
« Je doute d’oublier un jour un si beau visage. »
Tii fredonnait en dansant dans le couloir. Elle se dirigeait vers la sortie, vers l’escalier d’où venait Ama. Elle n’avait visiblement pas besoin de se retourner pour savoir que son apprentie la suivait de près. La jeune fille la rattrapa, sans parvenir à chasser de son esprit cette étrange impression, ce sentiment si fort qu’elle avait éprouvé cette nuit, devant le corps endormi de sa victime. Elle secoua la tête pour le chasser, en vain. Alors, elle se mit à fredonner elle aussi pour emplir sa tête d’un épais brouillard.
« Tourne et noie, vire et volte, rien ne te retient plus au sol ! »

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Message posté le 00:18 - 8 avr. 2019

Sujet 9 : Oeil de verre (suite et fin des deux précédents textes)

1534 mots

– Et tu l’as laissée faire ?
Tii plongea son regard sombre dans le sien. Un brin de malice courrait sur son visage. Too, l’oeil écarquillé posa sa flûte à côté de lui. Sa sœur tenait les rennes et pressait les chevaux. Derrière eux, le château de Menisk s’éloignait, emportant Wand avec lui. Le ménestrel se mordait les lèvres, dans l’obscurité de la nuit. Sa sœur restait silencieuse.
– Je t’avais dit qu’elle n’était pas prête à passer à l’acte, gronda-t-il.
Tii rit doucement en secouant la tête.
– Mais elle l’est. Quoiqu’encore un peu brouillonne.
– Mais … Tu m’as dit qu’elle ne l’avait pas tué.
La jeune femme conduisait la charrette sans avoir besoin de regarder devant elle. De temps en temps, elle tirait à droit ou à gauche pour prendre un virage.
– Elle n’a pas voulu assassiner Wand, c’est vrai. Mais elle a exécuté un grouillot et un garde. De sang froid, elle n’a pas eu besoin de s’y reprendre a deux fois.Ils n’avaient qu’une blessure. Mortelle. Notre petite guêpe est prête.
– Alors pour…
Tii, d’un claquement sec de sa langue, fit taire son frère. Elle arrêta la carriole. Bientôt, Too entendit ce que sa sœur avait déjà saisi. Un galop. Un cavalier arrivait à toute allure vers eux. Le ménestrel se retourna vers sa troupe. Dans l’autre charrette, tirée par le colossal Brendan, Mamiya dormait, mais son chien s’était vivement redressé. Quant à Ama, elle dormait profondément, à l’arrière de la carriole guidée par les jumeaux. Too pouvait sentir son esprit s’élever vers les étoiles. Bien à l’abri sous une toile en chanvre, la fillette ronflait à rythme régulier. Le musicien reporta son attention devant lui. Le cavalier venait de déboucher au bout du chemin. Il ralentit. Le cheval noir qu’il montait hennit doucement en reconnaissant ses camarades. Il trotta tranquillement jusqu’à la petite troupe qui était restée immobile. L’homme sur son dos rejeta sa capuche en arrière et salua ses amis.
– Alors ?
La voix de Tii siffla, langoureuse. Aeliz lui sourit brièvement avant de reprendre son sérieux.
– Il nous attend à l’auberge des Deux Lions.
Too hocha la tête, plus pour lui même que pour leur compagnon éclaireur.
– Tu peux retourner derrière.
Le ton de Tii était autoritaire et pourtant si doux. Personne n’y résistait. Pas même Too. Il faillit bien prendre l’ordre pour lui, mais se ressaisit. A force d’influer sur le destin de tout un chacun, sa jumelle parvenait à faire pencher le sien. Seule Ama semblait échapper à cette règle. La jeune fille, au caractère bien trempé, n’avait jamais eu sa langue dans sa poche. Aeliz disparut derrière eux, et la danseuse fit à nouveau claquer sa langue. Toute la troupe reprit sa route.
La nuit autour d’eux, était loin d’être silencieuse. Les grillons chantaient à la gloire de la Lune qui les berçait de sa douche lumière. Parfois, un oiseau se faisait entendre, venant ajouter sa note au concert des insectes. Quelque part, nu rôdeur nocturne fit craquer une branche, faisant fuir sa proie à toute vitesse. Les arbres bruissaient sous les caresses du vent. Too prit sa flûte près de lui. Il devait de vider l’esprit. Il ferma son unique œil et porta l’instrument à ses lèvres pour se joindre à l’orchestre. Tii elle-même l’accompagna de sa belle voix, avec douceur. Loin derrière eux, le château de Menisk disparut lorsque la route descendit la colline.
Combien de temps cela dura-t-il ?
Le musicien reprit son souffle et reposa tranquillement sa flûte. Sa sœur se tut et le silence se fit à nouveau entre eux. Ce fut elle qui, finalement le brisa.
– Cette gamine m’étonnera toujours.
– Tu aurais dû assassiner Wand, déclara-t-il froidement.
Tii secoua la tête.
– Impossible. Ama était elle-même mue par le destin. Je crois qu’elle ne contrôlait pas vraiment ce qu’elle faisait.
– Et tu ne pouvais pas la faire ployer ?
– Tss, siffla-t-elle, vexée. Tu sais bien que j’en suis incapable. Avec ou sans ce fichu bandeau, je suis incapable de discerner les ficelles de la destinée de cette fille.
Le musicien grogna. Il détestait lorsque sa sœur parlait ainsi de la fillette. L’enfant avait toujours été une bête de foire, une expérience pour Tii qui n’éprouvait visiblement rien pour elle. Ni pour quiconque d’ailleurs. Parfois, le ménestrel se disait même qu’elle ne ressentait rien pour lui, son propre frère.
– Qu’est-ce qu’on va lui dire ? soupira-t-il.
– A Torinys ?
– A qui d’autre ?
– Rien du tout. C’est elle qui va tout lui expliquer.
Un frisson parcourut le dos du musicien. La voix de Tii trahissait un tel contentement que c’en était étrange.
– Mais on ne va quand même pas …
– Elle veut assumer son acte. Laissons la faire.
– Tii ! Ce n’est qu’une enfant.
La danseuse plongea son unique œil dans le ciel.
– Elle ne l’est plus Too. Mets toi ça dans le crâne. Elle a treize ans. D’ici un an, elle sera une femme accomplie, et, je l’espère, une bien meilleure assassin. Et puis, que veux-tu que lui fasses ce gros prêtre ? Il n’est pas son frère. Damon Torinys est bien plus dangereux qu’Accip … Sans compter qu’à mon avis, il n’était pas d’accord avec ce plan. Peut-être même n’était-il pas au courant. Elle ne craint rien. Et puis après ! Elle est assez grande maintenant pour décider de ne pas m’obéir … Alors elle assumera auprès du bonhomme.
C’en était trop. Le ménestrel fronça le nez et sauta de la charrette en marche.
– Ne t’éloigne pas trop !
Il ne répondit pas et partit droit devant d’un pas vif, avant de quitter la route. Il traversa un buisson asséché par le soleil et tourna à plusieurs reprises. Il y avait de la vie par là. Un prédateur sauvage et puissant. Une proie à sa mesure.
Le ménestrel inspira longuement. L’air se fraya un chemin jusqu’à ses poumons, et le vif des animaux qui se trouvaient là pénétra jusqu’à son esprit. Une panthère. Sans un mot, ni un sourire, il porta ses doigts à son cache-oeil et le retira. Soudain la vie se fit plus discrète, craintive. Les oiseaux et les grillons se turent. Le vent lui-même souffla moins fort pour se transformer en caresse. Too prit son élan et se mit à courir dans un silence absolu. Le meilleur chasseur n’aurait pas mieux fait. Il sentait chaque animal près de lui s’effacer sur sa route, fuyant, apeuré. Il ne fallut pas longtemps à la panthère pour repérer son poursuivant. Too reconnaissait son vif. Elle descendait de son arbre à pas feutrés. Elle aussi l’avait senti.
Le musicien vit quelque chose briller du coin de l’oeil. Sur le qui-vive, il plongea en arrière, mais reconnut son reflet dans l’eau. Il se pencha au dessus un instant, rien qu’un instant. Il était rare qu’il se voit sans son bandeau … Et qu’il puisse ainsi admirer son « œil de verre » comme l’appelait Ama. Le ménestrel siffla. La galaxite qui lui servait de pupille, il l’avait toujours eu. Il était né avec, comme Tii avec sa tourmaline noire. Deux pierres sombres qui donnaient aux musiciens des dons que d’aucun jugerait ténébreux. Et pour cause ! Quiconque croisait le regard de Too mourrait dans l’instant. Une bénédiction autant qu’une malédiction. Et ce n’était là qu’une seule de ses propriétés !
Le musicien s’attarda plus qu’il ne l’aurait voulu. Il déglutit. Le vif de la panthère était plus intense. Elle approchait. Il se reprit. Le chasseur chassé ? Jamais. S’aventurant dans les hautes herbes sèches, il pénétra dans le territoire de la bête. Elle était là, majestueuse. Il ne la voyait pas, pourtant il la sentait. Toute cette puissance ! Il inspira, se délectant du vif de l’animal. Il était là … Juste à sa droite, aussi silencieux que lui-même. Too ferma les yeux, prit son élan et se jeta sur le fauve en ouvrant grand ses paupières. La galaxite du magicien fut la dernière chose que la panthère vit. Elle mourut dans l’instant. C’était si simple ! Le ménestrel se pencha sur elle. Il caressa sa douce fourrure et déposa un baiser sur son énorme tête. Toute sa concentration fut alors happé par le cadavre. L’esprit de celui-ci s’échappait. Too le retint. Il attrapa son vif par la seul force de son âme et le tira à lui, sans bouger. C’était là, la plus dure des batailles : faire sien le fantôme de ses victimes. La bête combattait, féroce. Elle griffait, elle voulait le mordre, le saisir à son tour, mais n’y parvenait pas. Le ménestrel inspirait et soufflait lentement, immobile, impassible. Une goutte de sueur apparut sur sa tempe mais, honteuse, elle partit se cacher dans le col de sa tunique. Les cris de rage du fauve s’incarnait en lui. Il lui fallut la plus grande des concentrations pour ne pas se laisser dominer.
Le soleil pointait son nez à l’horizon lorsqu’enfin, la panthère lâcha l’affaire, épuisée. Elle vint rejoindre les nombreuses victimes de Too, enfermées dans sa galaxite. L’homme se redressa. Quand s’était-il avachi ? Epuisé, il se mit debout. Le petit matin était là, fidèle au poste en cette heure du jour. La troupe avait sûrement gagné l’auberge cette nuit et retrouvé Torinys.
Too inspira longuement et se mit en route.

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