Perdu dans mes pensées comme un amant perdu,
Je peux m'accommoder de ta sourde violence ;
Ressassant le passé comme un dilemme ardu,
je t'aimerai en silence
Je saurai mentir en croisant ton regard ;
Quand mon esprit shuntera toute créance,
Quand je reconstruirai un couple, hagard,
je t'aimerai en silence
Et même lorsque mes garçons,
Mes filles, bulles d'innocence,
N'auront jamais tes yeux vairons,
je t'aimerai en silence
Lors des soirées d'hiver
Comme aux matins d'été
Tant fébrile au lever
Que mourant, alité,
Je t'aimerai en silence.
11:08 - 5 janv. 2016
J'aime bien le côté mystique, sauf que ça l'est pas vraiment. J'aime bien le format prière (répétition du vers louange à chaque strophe, structure simple), sauf que c'en est pas vraiment une (plutôt une sorte d'arrangement avec le sort, presque promesse comme celles qu'on fait en jurant vengeance). J'aime bien en d'autres mots l'humilité du ton, sauf que ce n'est pas vraiment de l'humilité. J'aime beaucoup moins en moyenne les poèmes d'amour (ptêtre pour toutes ces raisons) mais ça n'en est pas vraiment un (ça semble être aussi une affirmation d'avoir le dernier mot et de consolider son identité suite à une sensation d'échec/rejet).
J'aime bien aussi les cassures stylistiques avec "shuntant créance" ou "cet homme est un bouffon qui ne connait pas sa chance".
Et je savais pas comment commenter, donc j'ai patienté 3 jours avant de le faire :)
12:54 - 5 janv. 2016
Merci d'avoir pris le temps de commenter malgré la difficulté ! Ton commentaire est intéressant, en plusieurs points. Je vais prendre le temps de le décortiquer pour tenter d'améliorer le texte. En attendant, j'ai supprimé la dernière strophe, peut-être un peu too much ^^'
17:27 - 5 janv. 2016
La dernière strophe sur la mort et le handicap, la décrépitude physique et la "perte" de soi? Discutablement elle a sa place.C'est peut être une des plus indicatives d'un amour "universel" (comme ça peut l'être d'une obsession qui serait pas rationnalisable, la frontière à ce niveau n'est jamais très claire dans "l'amour", d'où la masse de thrillers etc...), un qui accepterait de dire que la seule rencontre, la seule "connaissance de l'existence de" apporte tous les fruits personnels, les exigences de l'amour: "je vais bien parce que tu es, tel(le) que tu es, et que j'ai "vu", "témoigné"". Enfin bref ça serait des discussions assez abstraites sur ce qu'est l'amour ou ne l'est pas (abstraites au moins dans le sens où ce n'est pas des évidences empiriques aujourd'hui pour ce qu'on peut considérer "humanité").
A toi de voir si c'est too much ou pas :)
23:58 - 5 janv. 2016
Je cite la strophe en question, pour ceux qui voudraient s'inviter dans la conversation (plus il y a d'avis) :
"Lors des soirées d'hiver
Comme aux matins d'été
Tant fébrile au lever
Que mourant, alité,
Je t'aimerai en silence."
Avant de poursuivre ta réflexion, l'explication de ce qui me plaît et pas dans ce dernier ensemble :
Ce qui me plaît/ La forme suit le fond et se délite : dans la continuité des strophes précédentes, le discours s'efface (on passe à six pieds par vers). La forme se délite et de quatre rimes on passe à cinq, avec cette fois l'exclusion du vers redondant de la strophe, ce qui la met en valeur, tout comme le choix de rompre l'enchaînement de rimes masculine/féminine et de rester sur des rimes en "[é]".
Bref, délitement formel consacré à l'obsession du narrateur.
Ce qui ne me plaît pas/ Un peu tout ça, en fait. Le vers redondant du poème a-t-il encore besoin d'être mis en valeur ? La conclusion de la strophe précédente, montrant que l'amour du narrateur ira jusqu'à aimer l'"alter" à travers les enfants qu'il aura avec une autre, me paraît suffisamment forte pour conclure le poème sans cette strophe. J'ai aussi peur que la cinquième redondance de ce vers ne soit indigeste pour le lecteur.
[Ce qui me plaît dans ta réflexion, c'est que je retrouve l'idée de la "perte de soi" que je voulais insuffler. Sans forcément, je dois l'admettre, pousser la réflexion aussi loin que toi ; du coup, tu me fais douter : ce message de "je vais bien même avec seulement une idée de toi/nous" passe-t-elle dans le poème sans cette dernière strophe ? Et si oui, faut-il peut-être amoindrir les effets sur la forme qui m'ont fait la retirer ?]
(ah c'est malin, j'espère que t'es content de toi ! :))) (plus sincèrement, merci !))
22:26 - 6 janv. 2016
Boh le but est pas de t'embêter ou de te torturer de doutes hein :)
Je vais y revenir avec l'esprit un peu plus clair (demain disons) pour être sur de ce que je dis, mais je n'ai pas l'impression qu'on sente nécessairement que l'auteur "va bien", en soi, il me semble qu'un doute est permis là dessus. Ce que je sens c'est une détermination, mais elle peut justement être de diverses natures. Avec divers sentiments à la clé. (comme "l'amour" en soi comme thématique cache à peu près la totalité des sentiments déjà nommés par la langue)
Quand tu dis "montrant que l'amour du narrateur ira jusqu'à aimer l'"alter" à travers les enfants qu'il aura avec une autre", dans le quatrain correspondant je ne vois pas forcément l'amour de l'alter (il est suggéré dans "bulles d'innocence", mais il n'y a guère d'autre indication du lien du narrateur à ces "bulles", si ce n'est qu'il en est l'auteur biologique), on peut interpréter le texte comme la reddition extérieure à une rupture, l'auteur ira jusqu'à prendre une autre famille comme déguisement ou "vie secondaire", mais fait le voeu intérieur de ne jamais jamais abandonner l'amour voué à la première. Comme éventuellement l'image identitaire qui y était lié, les idéaux dans lesquels se projeter etc... (et souvent à travers une rupture c'est justement un peu de tout ça que l'on "perd", on perd un soi et ses projets, ses idéaux, et on en reconstruit un qui éventuellement sera prêt un jour à s'offrir à une autre union) En fait de reddition, plutôt une sorte de rupture entre l'intérieur et l'extérieur.
Il y a très peu d'indications sur l'état intérieur du personnage, si ce n'est la détermination (surement voulu, l'ambiguité détermination/reddition). On ne sait donc pas vraiment s'il est apaisé ou pas, heureux ou rancunier envers le sort qui le force à adopter cette "reddition", s'il est en état de perception ouverte du monde ou au contraire egocentré, etc... exemple, je relève les termes désignant l'état du narrateur: "perdu, priant, ressassant, ardu, je tairai, se perdront, etc..." il est essentiellement face à un problème, et ne trouve plus que le silence comme attitude à adopter. A défaut de "se perdre" complètement, il dissocie les éléments extérieurs (les strophes vont à ce rythme: 3 vers sur l'extérieur, et la scansion régulière, priée, de "je t'aimerai" "en silence", sous entendu il faudra bien "le cacher"). "je me tairai même quand mes yeux se perdront (à nouveau) dans les tiens" (et tu n'en sauras rien, ou si peu que personne d'autre ne saura). Le nouveau couple est "joyeux", certes, mais l'adjectif est pour le couple pas pour l'auteur. "Et même si, shuntant créance", si j'ai bien compris, ça exprime plus le sentiment de "peu vraisemblable dans mon état actuel d'envisager ça" que la joie.
Bien entendu il y a plusieurs lectures possibles (et il est évident que je force un peu le trait et le questionnement, pas besoin de se questionner autant), et celle dont tu parles reste la plus vraisemblable, mais celle dont je parle n'est pas du tout impossible à mon sens. Peut être c'est quelque chose que tu voudras (re)travailler du coup.
22:47 - 6 janv. 2016
Question. Que veux-tu dire par là : "Perdu dans mes pensées comme un amant perdu,
Priant pour te croiser Dieu, le hasard, la science, [...]"
Le rythme de ce texte ne me plait pas beaucoup, je ne dois pas le réciter comme il faut. Ça bute à pleins d'endroits quand j'essaie (:
Le paragraphe final est celui qui a le plus de pouvoir parce qu'il met en situation le malaise qui va suivre l'homme toute sa vie, en laissant le lecteur visualiser cette scène triste où ses enfants ne seront jamais ceux de ladite femme.
00:39 - 7 janv. 2016
D.A., c'est justement le vers que je suis en train de retravailler, il ne me plaît pas non plus. Comment le lire ? Comme ça (en marquant la césure) : "Priant pour te croiser : Dieu, le hasard (ou), la science",
Mais c'est un vers de facilité arrivé par la rime plus que par le sens, et qui est en plus une rime suffisante, donc bon... J'ai déjà d'autres versions mais qui ne me plaisent pas encore, donc je les laisse sur mon ordi pour l'instant. Ca devrait tomber ce week end.
Question paragraphe final, merci de renchérir. EN effet, il est possible que je me sois trompé d'ennemi : le paragraphe sur les vipères et les autres et l'homme qui ne devient plus homme est au mieux mal placé : le mec ne devient plus homme et après il conçoit avoir des enfants ?! Et je crois que c'est lui qui faisait redondance avec le dernier. Du coup, il casse la progression. Je tente en l'enlevant, je réinsère l'autre. Je me relirai tel quel plus tard, n'hésitez pas à donner vos avis.
Redofre, au contraire : je suis très à l'aise avec et heureux de cette discussion, t'inquiète ;)
La détermination que tu as ressenti, c'est plutôt de la résignation (d'où le titre) : pour simplifier, le mec comprend/pense qu'il n'arrivera pas à ne pas aimer l'alter et imagine sa vie en partant de ce constat. L’ambiguïté naît de la répétition du vers au futur (et non au conditionnel, par exemple).
Mais tout le reste de ton commentaire montre que tu as aussi ressenti cette frustration. Il ne trouve en effet que le silence comme attitude à adopter et sait qu'il refera sa vie sans comprendre comment il pourrait oublier cette relation. C'est en tout cas ce que j'ai voulu exprimer, après, si d'autres se font leur interprétation, ce serait le but d'un poème, mais je crois que celui-ci est assez restreint niveau interprétation... J'attends ton autre commentaire, alors.
En fait, la perte de soi était bien sûr l'idée du poème, mais ce que j'ai compris dans ton commentaire, c'est que cette idée se trouvait de manière importante dans la dernière strophe.
00:05 - 8 janv. 2016
J'ai changé le deuxième vers. Les 1re et 2e rimes aussi, tant pis pour l'épanadiplose ; je préfère un dilemme échu, qui renforce l'idée du hasard ou de la destinée, à un dilemme ardu.
J'ai aussi rendu plus fluide (crois-je) le premier vers de la seconde strophe.
Enlevé la troisième strophe et réintroduit la dernière.
La 3e strophe était :
"Quand les vipères siffleront : "Cet homme
est un bouffon qui insulte sa chance !"
Qu'elles ne mordront plus vraiment un homme
Je t'aimerai en silence"
Bon en fait, remaniée, je la préfère ^^' Peut-être était-elle seulement mal placée ? je vais vérifier...
20:24 - 9 janv. 2016
Pour ce que je disais la dernière fois, je ne reviens pas dessus, j'aurais pu mieux le formuler mais le sentiment était valable.
Pour ton remaniement, "l'amour" prend un autre statut je trouve, de "douteux" sur la nature de l'"amour" porté, je sens qu'on passe à... ben un doute, qui n'empêche pas le sentiment, mais en tout cas rend la question inévitable: "c'est quoi, en fait, cet "amour"? et ce besoin de "je t'aimerai malgré tout"?
En d'autres termes, la détermination a perdu de sa puissance. Mais le doute sur la nature de l'amour et comment le pratiquer, lui accorder forme dans le "réel" l'extérieur comme je disais, se pose. Ca se pose à tel point que si j'avais écrit le poème j'aurais terminé par un dernier vers, une strophe en soi, qui dise "mais je doute" "mais je me demanderai" "mais je chercherai une solution" ou simplement je poserais la question "mais comment puis je aimer?" ou "mais je ne sais pas ce qu'est l'amour".
Ca c'est ma manière d'écrire, donc c'est pas essentiel, simple manière de faire.
Tes préoccupations sur la forme (rimes, figures de style, structure des rimes ou des strophes) pour moi sont secondaires au fond (qui justement ici se précise, je trouve ta version remaniée plus intéressante sur le fond que la première, qui parlait un peu d'un cliché en restant dans un autre cliché... il me semble que le doute sur la nature des choses est un moindre cliché). Dans le sens où en voulant "faire intelligent" dans la forme on réduit souvent le fond. Ce n'est pas à mon sens le plus intéressant. Je préfère un truc équilibré.
Donc en gros, c'est bien, je trouve. Après ça reste une histoire de goûts et de logique ;)
22:25 - 9 janv. 2016
Salut ma chose,
J'ai aimé ce poème, cette dernière version. Non pas pour son thème, ou ce qu'il dit, mais justement pour la manière dont il le dit. Oui, bon, merci, un homme aime une femme, tout ça c'est fini, et il l'aimera toujours et où qu'il soit. Voilà, on a le fond, et si ça n'était que ça on s'en foutrait totalement. Vraiment. Ce que tu dis, on le sait tous, ce que tu dis, il y a un collégien amoureux qui le dit chaque jour. Qu'est ce qui différencie le poète du collégien ? La forme, la manière de dire, le choix des mots, des rythmes, des sensations cachées. C'est le propre de la poésie : jouer avec les mots, les tordre de telle manière qu'ils ne feront pas que "dire", justement.
Ici, la forme est à la fois frappante de simplicité - les phrases s'enchaînent simplement, sans grand effet, ni grande distorsion - et à la fois d'une complexité délicate et pleine de détails.
Première chose : le choix des vers classiques est tout à fait justifié. L'adresse, le "tu", fait souvent assez "vulgaire" en prose, déplacé, et trouve tout à fait sa place dans une forme néo-classique et versifiée.
Le choix du 12/12/12/7, lui aussi, trouve tout à fait sa place ici, selon moi. Cela sert totalement le rythme, de trois longs, puis un court. Une phrase française, en somme, sur le ton de la confession ou de la résignation, de la rêverie. Le discours tourne court, et peut importe ce que "je" pourrai dire, "je t'aimerai en silence".
Tout ça est très simple, joue vraiment en faveur de la simplicité qu'on attend de quelqu'un qui se résigne, de la phase acceptation du deuil. Deuil de tout un pan de possibles qui ne seront jamais.
Et puis, au milieu de tout ça, les petites dentelles délicates. Le verront/Vairon. L'enjambement, entre "yeux" et "se verront", qui relie les deux vers mais casse totalement la connexion des regards.
Puis, le changement de longueur de vers. Même si j'ai un doute sur le côté volontaire de la seconde strophe. Je me disais que c'était Shuntant que je prononçais mal (je ne connaissais pas, c'est d'ailleurs étrange comme mot ici), et comptais donc mal ; mais la troisième est aussi à 11. Et ça décroit encore. Mais je trouve ca intéressant. De la longue rêverie de la première strophe puis la deuxième, l'esprit se fixe, réalise et imagine clairement tout ce qui arrivera, et par la même se fait plus rapide, jusqu'à un enchaînement de "visions".
En somme, j'ai bien aimé, et je maintiens que la forme est ici beaucoup plus importante que le fond.
23:37 - 12 janv. 2016
Merci beaucoup pour vos commentaires. Je vais essayer de répondre à tout, n'hésitez pas à me relancer si ce n'est pas le cas.
Pour commencer, je suis content que cette dernière version vous plaise à tous les deux, et plus encore qu'elle ne vous plaise pas pour les mêmes raisons. Je dois approcher de l'équilibre voulu entre forme et fond.
Question forme, Chikoun, il y a bien une erreur dans le premier vers de la 2e strophe, qui devrait être à 11 pieds et non 12 (je vais tenter de changer ça rapidement, merci !) ; on est bien sur un choix de ma part de baisser le nombre de pieds à chaque strophe. Initialement, on était sur du 12/12/12/7 ; 11/11/11/7 ; 10/10/10/7 ; 8/8/8/7 ; 6/6/6/6/7 ; la strophe des "10" ayant disparue pour les raisons de redondance évoquées dans mon commentaires précédent.
Ce qui m'amène au fond : retirer cette strophe n'a rien modifié au fond selon moi donc, Redofre, tu dois faire allusion aux verbes 'accommoder' et 'se verront' et à la disparition de l'énumération du deuxième vers, n'est-ce pas ? Alors peut-être que la détermination est moins présente, visible en tout cas. J'estime sur ce point que la forme sait prendre le relais. Tout dépend de quelle détermination l'on parle ; la résignation, la volonté ou la persuasion ? Le flou est volontaire ou en tout cas logique, puisque l'état en question fluctue sans doute entre les trois.
Pour le premier vers, j'hésite à écrire : "Déçu de mes pensées comme un amant déchu". J'aime : " un amant déchu est souvent déçu de ses pensées (noires, naïves...)" ; la référence à la figure de style initiale ; le côté (un peu) moins ultra utilisé que l'image d'être perdu dans ses pensées.
Je me méfie : 'de l'effet potentiellement 'gag' que peut produire le lien entre 'déçu' et 'déchu'...
En tout cas, encore merci pour vos commentaires très complets, ils font avancer ma réflexion dans le bon sens, je crois.
[edit : au lieu de "ne plus sourire", je "m'assombrirai". Certes je perds l'idée de "ne plus", mais je gagne en intensité, je pense.
21:21 - 1 mars 2016
On peut te la déplacer ou tu peux ouvrir un nouveau topic en Travail des textes – qu'on te déplacera immédiatement – si tu ne veux pas que le processus de travail soit présent.
18:29 - 5 mars 2016
Oui, tu peux déplacer ce topic en bibliothèque, merci pour tous les commentaires !