Comme les plus perspicaces d'entre vous auront pu le deviner, cette chronique traitera du jeu de rôle -ou plutôt jeux de rôles- sur table. A ce titre, elle comportera deux types de publication.
Le premier type, majoritaire, ne sera rien d'autre que la présentation d'un jeu de rôle déjà existant par semaine. Durant cette analyse, le système de jeu, sa facilité, sa profondeur, ainsi que la richesse de l'univers etc seront abordés avec le plus de recul possible. Naturellement, j'irai de mon petit commentaire personnel, puisque comme son nom l'indique, l'activité propre à ce qu'on nomme par abréviation "JDR" nécessite, si ce n'est une certaine implication de la part du joueur, au moins une façon d'appréhender l'univers spécifique à chacun.
Le second type de publication, plus rare et moins orthodoxe, consistera à aborder un élément redondant à plusieurs JDR pour le développer. Cela peut tout à fait concerner leur univers (quasiment tous les jeux de rôle possèdent mort-vivants ou dragons dans leur background), leur système de jeu (du d4 au d20...) ou encore une thématique qui intéresse le JDR dans son ensemble (les adaptations vidéo-ludiques étant l'un des multiples exemples...).
Voilà donc, simplement, l'objet de cette chronique. Toutefois, avant de débuter cette dernière par une brève explication de ce qu'est un JDR, je me permets d'effectuer une petite précision. Je sais que nombre des membres de ce forum sont des joueurs de JDR expérimentés, que défourailler du gobelin en masse ne leur suffit plus depuis longtemps, ou encore qu'ils ont "dépassé" ce stade pour se tourner vers des jeux de rôle plus "matures" (bien que ce terme soit finalement tout relatif en l'espèce). Je les prie dès lors de m'excuser si je fais montre, parfois, d'inexactitudes dans mes propos, ou encore que je ne traite que de jeux de rôle "iconiques". J'ose espérer que même s'ils renifleront d'un air méprisant en parcourant du regard les lignes qui suivent, ils parviendront également à y puiser un quelconque intérêt. De plus, et comme je l'ai dit précédemment, chacun a une vision personnelle de ce qu'apporte, et de ce qu'on peut apporter à, un jeu de rôle. Il est donc possible que lors de mes divagations, j'expose un point de vue apparemment erroné, ou biaisé, qui ne rende pas justice à l'un de vos univers préférés. Par avance, je m'en excuse ; sachez que je ne souhaite point proférer un jugement de valeur sur tel ou tel jeu de rôle. Nous avons tous nos préférences, dues à une histoire, un vécu, une vision individuelle des choses, un imaginaire propre si bien que tout est justifiable, ou presque (quand même, Dnd V4.0, c'est de la grosse m*****. Hahum).
Quant à celles et ceux qui ne connaissent pas le JDR, ils peuvent y trouver un guide leur permettant de découvrir cette activité fort chronophage et passionnante. Ou encore simplement parcourir cette chronique par curiosité. Dans cette seconde optique, il y a de fortes chances pour que vous découvriez que de nombreux éléments tirés du cinéma moderne, ou encore de jeux vidéos, sont en réalité tirés de jeux de rôle. En effet, n'en déplaise à certains, le JDR est de plus en plus présent dans notre société contemporaine, et ce plus ou moins directement. Que ce soit dans nos loisirs (films, romans etc) ou encore notre travail (certains entretiens d'embauche pourraient presque s'y apparenter). Les reconstitutions historiques sont également une forme éloignée de JDR. On peut même trouver des individus qui poussent plus loin la chose en intégrant des termes ou des codes propres à ces jeux dans la vie de tous les jours (posséder une vision de la moralité proche des "alignements" de DnD par exemple). Sans aller jusqu'à ce genre d'extrémités, on peut au moins remarquer que les jeux de rôle se nourrissent grandement de larges pans de notre société, tout comme ils peuvent l'influencer subtilement.
Je laisse aux apprentis psycho/sociologues le soin de traiter de ce genre de questions pour en revenir à mon propos : Qu'est ce qu'un JDR sur table ? Cette activité consiste à réunir plusieurs personnes (entre trois et cinq en général), autour d'une table. Une personne incarnera le Maitre du Jeu (MJ) et les autres des Personnages Joueurs (PJ). Le MJ, se basant sur un univers existant plus ou moins riche, ainsi que sur un système de règles (l'un et l'autre sont souvent liés, mais ce n'est pas obligatoire), narrera une histoire qui sera influencée par les choix et les réussites des PJ. En général, on use de dés pour introduire une part d'aléatoire et jauger desdites réussites, ou échecs, des actions entreprises par les joueurs. Ce n'est cependant pas indispensable et une minorité de jeux de rôle se jouent sans dé. De même, un plateau avec des figurines peut être utilisé ; ce n'est là encore pas obligatoire et peut même freiner l'imagination des protagonistes.
En vérité, un JDR ressemble énormément à une partie de jeu de société, excepté qu'on y introduit une dimension narrative, romanesque et interprétative très importante. D'ailleurs, cette dimension aura même tendance à prendre le pas sur les règles du jeu qui sont à loisir modifiables par le MJ (99% des jeux de rôle précisent que les règles sont au service de l'histoire, et pas l'inverse : elles peuvent donc être modulées ou écartées avec l'autorisation, ou par le MJ). La liberté de choix laissée aux PJ est à la discrétion du MJ, qui peut déterminer un fil conducteur très large à son intrigue, ou à l'inverse cadrer son scénario pour forcer les joueurs à le suivre pas à pas. Dès lors, une autre interrogation peut se dégager de ce constat : qu'est ce qu'un bon JDR ?
Je ne suis pas sûr qu'il y ait de réponse satisfaisante à cette question. La grande majorité des gens intéressés répondront qu'il faut laisser une certaine liberté d'action aux joueurs tout en respectant la trame générale définie par le MJ. C'est aussi mon point de vue, bien qu'une intrigue très dirigée, qui ne laisse qu'en apparence une liberté de choix aux PJ, peut aussi s'avérer une délicieuse expérience si elle est bien menée. A l'inverse, une histoire dont la trame se crée au fur et à mesure des choix (ici narratifs) des joueurs pourra être efficace. A dire vrai, un juste équilibre est à trouver entre le MJ et ses PJ, l'un doit s'adapter aux autres, et inversement. C'est d'autant plus nécessaire que tout le monde ne recherche pas la même chose lors d'une partie de JDR : et ce sur le fond et la forme.
En effet, au regard de la forme, certains joueurs voudront seulement lancer les dés et passer rapidement sur le scénario sans faire d'efforts, tandis que d'autres plus impliqués seront prêts à se trifouiller les méninges une bonne heure sur une énigme à résoudre pour faire avancer l'intrigue. De même, sur le fond, une partie des PJ préfèrera se concentrer sur les mécanismes du jeu, ou arriver rapidement aux phases "cruciales" du scénario tandis que d'autres n'hésiteront pas à développer le roleplay (RP) de leur(s) personnage(s) lors de longues discussions théoriquement improductives. Bien que ce dernier aspect peut paraitre superflu et ennuyeux, c'est en fait le socle d'une histoire réussie. Pour que vous compreniez ce que je veux dire, je ferai une brève analogie avec la trilogie cinématographique du Seigneur des Anneaux : la bataille du Gouffre de Helm ou encore de Minas Tirith sont des moments d'action forts et divertissants. Toutefois, ils n'auraient pas autant d'impact sans tous les autres moments posés du film, dans lesquels s'il n'y a pas d'action et où l'on s'attache aux personnages, à leur histoire. Sans ce genre de scènes, parfois longues je l'accorde, Frodon ne serait qu'un hobbit chanceux et ingrat, et Aragorn un rôdeur ultra badasse qui pourrait obtenir un rôle dans Expendables III. Mais je m'égare... Retenez juste que les temps "morts" sont souvent indispensables au déroulement d'un bon JDR, et que des joueurs chevronnés peuvent tout à fait apprécier une séance, voire plusieurs, sans le moindre combat -surtout lorsque vous êtes sûrs de perdre le moindre d'entre eux... (adeptes du Monde des Ténèbres ou de Cthulhu, si vous m'entendez...)
Je terminerai cette introduction en vous parlant brièvement des différents univers propres aux jeux de rôle. Ils sont très variés et peuvent aller de la science fiction à la fantasy (l'écriture du terme me fait prendre conscience qu'il faudra que je vous glisse un mot sur l'anglicisation pernicieuse générée par les jeux de rôle) ; peuvent laisser une large place à la magie et aux créatures fantastiques ou au contraire se vouloir très réalistes et proches de notre monde. Il y en a donc pour tous les goûts ; je vous incite donc, si vous ne vous y êtes pas encore mis, à le faire si, naturellement, vous pouvez trouver le temps et un groupe de personnes motivées.
Sur ce, très ludiquement, à la séance prochaine.
La première image est l'illustration du "Draconomicon", supplément de jeu pour Dnd 3.5.
La seconde image représente un set de dés permettant de jouer à presque n'importe quel JDR.
La troisième image est un gobelin tiré du JDR Pathfinder, basé sur le système de Dnd 3.0 tout en remaniant et clarifiant grandement les règles de celui-ci.
Merci à Ramrod pour l'illustration du griffon.
22:06 - 8 nov. 2015
Un second point à préciser, c’est la place importante attribuée au développement de l’univers et de l’ambiance dans le livre. De prime abord, cela peut paraitre paradoxal : après tout, si le Monde des Ténèbres se déroule dans un lieu spatial et temporel similaire au notre, quel besoin de devoir en esquisser les contours avec précisions ? A dire vrai, cela permet aux auteurs de vous citer une liste impressionnante de références cinématographiques et littéraires du genre de l’horreur (fantastique, surnaturelle, thriller etc) pour vous aider à esquisser un décor pour vos futurs scénarios. Cela a aussi le mérite de vous fournir un référentiel vous permettant de comprendre le monde dans lequel vos joueurs vont évoluer. Enfin, et surtout, ce travail de narration effectué tout au long de l’ouvrage (même dans la section « règles » et la description de chaque attribut ou compétence) n’a pas d’autres vocation que de vous immerger jusqu’au cou dans cette atmosphère angoissante, glauque et pourtant tellement réelle qui caractérise ce type de jeu de rôle (une petite prouesse réalisée par L’Appel de Cthulhu dans le même genre). Le Monde des Ténèbres n’est pas qu’un livre de règles posant les bases d’un JDR, c’est un ouvrage qu’on peut parcourir juste pour le plaisir que l’on prend à le lire (certes, il y a des lectures plus distrayantes) et à imaginer les infâmes scénarios que vous pourrez concocter pour vos joueurs, ou les dangers auxquels votre personnage sera confronté durant une session.
Sur ce, joyeux Halloween avec du retard !
Merci à Ramrod pour l'illustration du Griffon !
22:08 - 8 nov. 2015
22:08 - 8 nov. 2015
Je suis d'accord avec toi lorsque tu dis qu'on baigne parfois dans le "flou" au niveau de la description de l'univers. A dire vrai, je l'ai évoqué dans ma chronique : le bouquin de base de MDT est bien pour un MJ qui souhaite avoir un panorama des grandes références de l'horreur/surnaturel et s'en inspirer. Par contre, il ne présente que peu d'intérêt pour quelqu'un qui possède déjà de solides lectures dans le domaine. Parfois, ledit ouvrage tombe même dans le travers que tu dénonces ici. La Sorcellerie nous en fournit une belle illustration.
En gros, on te dit qu'elle existe, qu'elle est potentiellement omniprésente dans MdT et qu'elle sera parfaite pour être utilisée contre des PJ dans des parties d'initiation. Bien qu'il y ait de brèves descriptions, le tout se résume parfois, à la lecture de l'ouvrage, en un beau TGCM adressé au Conteur et à ses joueurs.
Pour ce qui est de la modification entre les deux versions (1991/2004) et de ce que je peux t'en dire :
La genèse des races mortelles et surnaturelles a été remaniée, toutes ont vu leur historique plus ou moins bouleversé par rapport à la version originelle. Idem pour leur place dans l'univers de MDT et leur structure "sociétale".
Un travail assez louable à tout de même été fait, au moins pour les Mages, les Vampires et les Loup garous. Chaque race possède un coté sombre, fouillé, diverses factions aux objectifs propres et possédant des visions du monde radicalement différentes. Je te rejoins également concernant ton intérêt pour les Vampires. C'est un délice de jouer un humain pendant plusieurs parties pour finalement être transformé. C'est aussi une race plus complexe que les loup-garou par exemple.
Beaucoup de vampires doivent maitriser la bête qui est en eux. Ce sont naturellement des prédateurs qui, en tant que tels, se font pas mal concurrence les uns les autres. C'est pour cette raison que leur société est très policée, pleines de rites et de codes à respecter pour permettre à ces monstres de coexister. Cela passe en terme de jeu par la création d'une jauge d'Humanité (l'équivalent humain de la moralité), par la nécessite de posséder des Goules (humains asservis) à ton service pour pouvoir te sustenter, (avec qui les relations sont ambiguës), rejoindre une ligue (réunion de vampires partageant une même philosophie)...
Plusieurs autres aspects viennent assombrir l'univers :
- la Diablerie : vampires qui se nourrissent d'autres vampires
- le Vinculum : boire le sang d'un autre vampire pour ressentir une extase qui est un pâle reflet du véritable amour : des "amoureux" l'utilisent pour connaitre à nouveau un ersatz de passion. D'autres vampires s'en servent juste pour asservir leurs semblables
- la Torpeur : état comateux dans lequel tout Vampire plusieurs fois centenaires doit se plonger. La Torpeur est un affreux cauchemar qui bouleverse les souvenirs du vampire, qui, lorsqu'il se réveille, ne parvient pas à faire la différence entre ses rêves et son passé... De nombreux vampires finissent par se suicider au soleil plutôt que de la connaitre une seconde fois...
'fin bref, pas besoin de te faire un dessin (tu dois déjà pas mal t'y connaitre sur le sujet). Du coup pour Requiem, je pense qu'il y a tout de même un gros effort pour parvenir un univers cohérent et propre, avec une ambiance sombre et glauque (même si encore une fois, le fait que les vieux vampires perdent leurs souvenirs est bien commode pour ne pas avoir une histoire claire sur la genèse de la race ou les buts de certaines ligues).
A l'inverse, lorsqu'ils "cadrent" plus l'univers, comme dans loup-garous Les Déchus ; le résultat n'est pas nécessairement très intéressant pour des joueurs. Y'a un gros travail de fait sur l'histoire de ces gros caniches, une description des divers mouvements qui déchirent leur race et de leur façon de percevoir le monde. Pour autant, excepté une place accordée aux humains pour la reproduction, ils n'ont strictement rien à faire de ceux-ci. Un loup-garou peut tuer de sang-froid un homme sans trop se poser de question de moralité (ce qui n'est pas vrai dans le cas d'un vampire).
Bref, tout ça pour dire qu'il y a une volonté de rendre plus intelligible l'univers et l'atmosphère qui y règne. Des passerelles sont parfois jetées entre les races. Par contre, ne t'attends pas non plus à autre chose que des descriptions purement intemporelles des factions/ligues etc. Rien à voir avec ce que pourraient faire, pour seuls exemples, Qin et Polaris (chronologie parfaite d'une faction ou d'un Etat, description de la psychologie des meneurs/et éminences grises, perception exhaustive par les autres entités, profil type des membres de l'organisation...). Dans MdT, on baigne parfois dans le brouillard à ce niveau là... (même si les bouquins ont posé de grands phares pour qu'on puisse largement broder autour des éléments fournis).
Après, la pléthore de suppléments inutiles, c'est malheureusement propre à pas mal de gammes à succès. Perso, je fais actuellement une campagne de MDT dans la France de 1832, incarnant un humain mêlé aux insurrections légitimistes, avec en trame de fond l'existence de vampires : pour rien au monde je n'achèterai un supplément vendu par l'éditeur qui traiterait de cette époque : les bases/règles posées par le bouquin de base et Requiem me suffisent.
10:03 - 9 nov. 2015
Pour informations, je n'ai pas encore contacté ton MJ, mais j'ai acheté la version française de Numénara. C'est mon coup de coeur depuis Herowars. Vraiment. Ce sont les deux systèmes qui contraignent une approche narrativiste du joueur (et pas uniquement du MJ) qui doit absolument décrire ses actions pour réussir (en dépensant des points d'action / points d'effort). Je te les conseille à mort (et c'est le vieux de la vieille qui a joué à tout sur le marché qui te le dit !). Je ferais sans doute un article sur ces systèmes là, à moins que tu veuilles nous en parler.
En ce qui concerne les Vampires, disons que j'ai un temps eu ma période Anne Rice et que l'ensemble du MDT est fondé sur ses romans. Entretien avec un vampire est une source intarissable. Par contre je ne dénigre pas Loup Garou car le principe de la Gnose est lui aussi une grande source d'idées sur le chamanisme. Mes joueurs ont souvent été surpris de voir que le bourrinisme était parfaitement absent de mes parties dans le domaine. Toutes les légendes indiennes ont une emprise sur la réalité et permettent des scenarii assez fourni. L'idée de la tisseuse (une entité du monde des esprits) représentait par la loi, l'ordre et généralement la construction de l'Homme, est pas si mal. Mais j'ai souvent été déçu des écrivains du background MDT; la qualité n'a jamais été au rendez vous.
J'irais donc jeté un oeil à cette nouvelle édition mais sans grand espoir vu ce que tu dis. Le livre d'Enoch, les premières générations, Caïn, bref, autant de mythes qui ne sont jamais justifiés sur les origines. Ca laisse planer une atmosphère de quête et de recherche mais pour un MJ, c'est juste chiant. C'est une forme de "vous allez croiser des trucs louches mais jamais vous n'aurez d'explications". Ça va un temps mais sur le long terme, tous les joueurs s'interrogent sur l'origine. Je n'ai jamais eu de réponses à ce sujet; seulement les interprétations de chaque clan. A inventer donc, à modifier mais dommageable sur les campagnes très longues.
10:30 - 9 nov. 2015
J'avais apprécié ma partie de Numénara (avec un personnage lycanthrope d'ailleurs ^^), du coup je pense que je m'y remettrai. Je ne connais pas du tout Herowars, 'vais aller me renseigner.
Si tu souhaites intervenir dans cette chronique sur le sujet des jeux narrativistes, ou même d'autres JDR, n'hésite surtout pas. Ce sera très enrichissant de diversifier les points de vue (surtout que tu as plus de bouteille en la matière que moi).
A l'heure actuelle, je compte faire une future présentation des Princes d'Ambre qui se rapprochera de cette thématique, sans pour autant en faire le tour.
(Pour MDT, je mets la main dans six mois/un an sur la réédition de Requiem. On verra si y'a du mieux...)
10:56 - 18 nov. 2015
Dans l’immédiat, vous ne craignez rien. Asseyez-vous. Voilààà. Tenez, passez-moi ce fémur de loup à votre droite. Merci, j’ai besoin de me faire le bec…
Alors, racontez-moi. Comment est votre monde ? Et votre société ? Vous n’êtes pas très loquace pour un humain... Pourtant, même les pies vous disent plus bavards qu’elles. Peut-être préféreriez-vous me lire un bon livre ? Tenez, celui-ci. Le gros grimoire poussiéreux. Il a appartenu à un deux-pattes qui s’était lié d’amitié avec la maman de ma maman. C’est vous dire s’il est vieux. Il raconte plein d’histoires sur plein de mondes loin d’ici. Si vous êtes assez gentil pour m’en lire quelques unes, je veux bien vous montrer un chemin pour partir d’ici.
Marché conclu ? Parfait ! Par contre appliquez-vous hein… Mon nom ? Vous pouvez m’appeler Fulgur. »
« C’est bien beau tout ça mais tu m’as l’air de beaucoup parler d’humains… Je pense qu’il serait opportun de signaler la présence de créatures fantastiques. Je vois plein de magnifiques illustrations sur l’un des ouvrages d’où je suis… »
l’un d’entre eux : l’Art de la Guerre, à qui je réserverai un encart spécialdeux d’entre eux : l’Art de la Guerre et Mythes et Animaux Fabuleux, à qui je réserverai un encart spécial. Maintenant que j’ai satisfait à toutes les requêtes, je me lance dans une première présentation des bouquins.Fulgur ! Ne spoile pas la fin ! Nom d'un gobelin ! Un de ces jours, je finirai par te voler dans les plumes…
« Arrête de râler, je sauve ta chronique. »
Couverture du Livre de règles de Qin
La Japonaise, Huile sur Toile, 1876, Claude Monet, Musée des beaux-arts de Boston.
Illustration de l'Espion, Qin Livre de Règles, page 141 (1)
Qin – Jing : Second gros ouvrage de la gamme, ce livre riche vous permet d’incarner un personnage dans la chine médiévale, voire jusqu’au XVIII-XIXème siècle.
Qin – L’Art de la Guerre : Ce supplément se concentre sur la géopolitique et la stratégie militaire. Des règles très complètes permettent de reconstituer une bataille à grande échelle en y intégrant des joueurs soit en tant que commandant, soit en tant qu’officier à la tête d’un bataillon.
Qin – Linzi : La dernière parution au sein de la gamme, plutôt intéressante : description du royaume du Qi et de la fin de la période des Royaumes Combattants, l'ouvrage sent bon la nostalgie de fin d'édition.
Qin – Tian Xa : Xianpang : Comme chaque gamme de JDR, Qin voit publier un supplément intégralement réservé à une campagne.
Qin – Tian Xa : Tout sous le Ciel : Suite de la campagne abordée dans l’ouvrage ci-dessus.
Qin – Mythes et Animaux fabuleux : Un livre aux allures de bestiaire qui, pourtant, possède un charme indéniable qui le démarque complètement des stupides lexiques de monstres spécifiques aux JDR porte-monstre-trésor.
Le système de jeuHeu ouais… C’est ma chronique là… Alors le griffonnet, il va fermer son bec et me laisser dirig… AIE !
Toujours plus haut qu’un certain griffon qui ne sait même pas planer…
Mouais, c’est du blabla tout ça. Si tu passais un peu plus de temps hors du nid et un peu moins à t’engloutir des loups, des saumons et des nains bien gras, tu virevolterais déjà dans les airs. Mais soit, tu as raison, je vais commencer par aborder l’univers de Qin.
Qin Shi Huangdi était, paradoxalement, un homme très influencé par les arts ésotériques et le mystique. Toute sa vie, il a accueilli à sa cour des herboristes, des médecins, des religieux en espérant qu'ils pourraient découvrir le secret de l'immortalité pour lui. Même si le Premier Empereur a fini par s'éteindre vers la cinquantaine, il est resté dans les mémoires, lui, et ses vastes œuvres : il a lancé la construction de la Première Grande Muraille de Chine mais aussi de l'Armée de Terre Cuite, accédant à une forme détournée d'immortalité.
Zhao. Seconde conquête de son grand-frère du Sud (le Qin), le Zhao était un royaume du Nord-Ouest de la Chine connu pour son excellente cavalerie.
Yan. Etat du Nord-Est du territoire chinois, situé au-dessus du Qi, il fut envahi après le Zhao, du fait d'une tentative d'assassinat fomenté par son prince sur l'Empereur Qin Shi Huangdi.
Wei. Etat du centre de la Chine, plutôt tourné vers le mysticisme, il fut vaincu par un Qin de plus en plus assuré de sa prédominance sur ses voisins.
Chu. Très vieux royaume datant de l'époque de la dynastie Zhou, cet Etat du Sud était, en 240 avant J-C, le concurrent du Qin à la domination de la Chine. Cependant, malgré certains atouts non négligeables en sa possession, dont une vaste armée, ses tactiques militaires obsolètes et la pusillanimité de son gouvernement ont provoqué sa chute.
Qi. L’État du Qi fut le dernier royaume à tomber face au Qin. C'était une puissance non négligeable, militairement parlant, qui a pourtant prôner durant de longues années une solution pacifique visant à prévenir les conflits entre royaumes. Il se situait au Nord-Est de la Chine et accueillait de nombreux intellectuels qui y développèrent les arts et la science.
Han. Royauté du centre de la Chine, cette entité étatique fut la première à tomber devant le Qin. Ses effectifs militaires ridicules étaient, jusqu'alors, compensés par les finesses de sa diplomatie et ses alliances changeantes.
"Oui, tant que tu es sûr de ne rien oublier…"
Bah je crois que je n’ai fait aucune omission.
"Bah vas-y dans ces cas-là."
Parfait. Donc, brève présentation des règles qui sont, au demeurant, plutôt simples. Chaque test se fait à l’aide de deux dés à dix faces (D10), un dé Yin et un dé Yang. On fait la différence entre les deux valeurs obtenues, on aditionne le résultat avec les éventuels bonus (de compétence par exemple) et on compare le tout avec le seuil de réussite : en dessous de ce seuil, c’est un échec, au-dessus une réussite. Un double est nécessairement une réussite, excepté le double 0 qui est un échec critique.
La majorité des tests se calculent donc ainsi :
Valeur dans un aspect + niveau d’une compétence + différence entre le dé Yin et le dé Yang.
"C’est bien beau mais il faudrait peut-être expliquer ce qu’est un ’aspect’"
Minute le griffon, j’y viens. Si j’ai tenu à vous présenter l’univers avant les règles, c’est parce que ces dernières dégoulinent de références à la culture asiatique, notamment l’astrologie et les courants de pensée chinois. Au-delà de simples rappels, le système de jeu en lui-même est imprégné par une philosophie sous-jacente qu’on associe, dans l’imagerie populaire, aux pays de l’extrême Orient : la recherche de l’équilibre. Une première illustration, le choix d’avoir un dé Yin et un dé Yang qui, lorsqu’ils donnent un même résultat, permettent au joueur de bénéficier d’une réussite critique. Cette caractéristique est complétée par une autre dimension des règles : le mysticisme. Mais ne grillons pas les étapes et revenons à nos aspects. Comme le dit Lao Tseu : "Un chemin de mille li commence toujours par le premier pas".
L'Eau qui correspond au Nord et à la Tortue Noire : L’Eau détermine l’agilité et la dextérité d’un personnage. Cet aspect influera sur la défense, la rapidité ou encore les capacités d’acrobate d’un individu.
Le Bois qui correspond à l’Ouest et au Dragon Vert : Le Bois fait référence aux capacités cognitives d’un individu, ainsi qu’à ses facultés d’adaptation. La majorité des compétences intellectuelles font appel à cet aspect.
Le Feu qui correspond au Sud et à l’Oiseau Rouge : Le Feu permet, s’il est élevé, à n’importe qui de briller en société. La séduction, l’intimidation ou encore la persuasion font partie de cette catégorie.
Le Metal qui correspond à l’Est et au Tigre Blanc : Le Métal prête vigueur et force à celui qui le cultive. Le maniement des armes, les dégâts infligés par celles-ci et la résistance d’un combattant en découlent.
La Terre qui correspond au centre de la rose des vents et à la Kilin : La Terre est l’élément de l’équilibre et représente la force de l’esprit, la sagesse. L’empathie et les actions nécessitant du sang-froid seront dépendantes de cet attribut.
Les Taos sont au nombre de quinze et possède plusieurs niveaux. Ils permettront d’agir sur sa propre personne ou son environnement, en réalisant, durant un court instant, des prouesses spectaculaire. Pour exemple, le Tao des Six Directions vous permettra à bas niveau d’effectuer de grands sauts, puis de courir brièvement sur un mur jusqu’à pouvoir, à des degrés de maitrise très élevés, marcher dans les airs ou sur l’eau. La majorité ont des utilisations très variées, en et hors combat, et viennent délicieusement renforcer l’univers de Qin lorsqu’ils sont mis à profit.
Quant aux pouvoirs magiques, ils sont divisés en trois catégories, parfois elles-mêmes subdivisées en plusieurs spécialités :
L’alchimie interne qui permettra d’influer sur son propre corps pour stopper un poison, se rendre plus endurant ou performant ; une culture de soi physique et spirituelle.
L’alchimie externe qui consiste à créer des potions et des elixirs afin de soigner, tuer ou réparer.
La divination :
La divination va soit se concentrer sur la prévision (ou la vision) d’évènements à vaste échelle, qui influenceront (ou ayant influencé) tout une communauté, voire tout un royaume ; soit à l’inverse, chercher à connaître le futur d’un individu ou d’un lieu très spécifique.
L’exorcisme :
Cette magie cherche à combattre, ou à invoquer, des esprits vengeurs, des démons ou des mort-vivants.
Il est très important de se rappeler que la magie, à Qin, ne produit aucun effet spectaculaire, hormis à très haut niveau. En général, ce sont de petits coups de pouce utilitaires (mais parfois indispensables) qui, la plupart du temps, ne feront que renforcer l’atmosphère fantastique d’une campagne. Chaque lancement de sort ou création de potion sont, d’habitude, ritualisés : pas question d’utiliser ces pouvoirs à la légère ou n’importe comment. D’ailleurs, l’échec lors de leur utilisation entraîne bien souvent un, voire plusieurs, effets négatifs.
Couverture du Manuel Mythes et Animaux Fabuleux
Vous comprendrez bien vite qu’un bon bretteur affrontant un novice aura pas mal de chance d’en venir à bout rapidement. Puisqu’une action permet notamment un déplacement, une attaque ou une parade "active", on peut aisément se débarasser d’un adversaire moins talentueux. La donne est toutefois rapidement changée à un contre deux et il faudra, en infériorité numérique, jouer sur le décor et une judicieuse utilisation de ses Taos pour espérer l’emporter. Surtout que le système de souffle vital demeure relativement punitif : on subit vite des malus à ses actions en encaissant des blessures et n’importe quel grand guerrier peut être fortement handicapé s’il est touché par une flèche sournoisement tirée ou un coup d’épée chanceux. Naturellement, l’usage de manoeuvres martiales ou de techniques permettront de compenser de nombreux facteurs défavorables mais, chacune de leur utilisation coutant des points de Chi – il faudra être parcimonieux dans leur déclenchement. A ce titre, le système est un peu vachard puisqu’une réserve de Chi (qui se régénère lentement) totalement épuisée (à 0) disparait définitivement ! Le héros redevient un homme du commun qui ne pourra plus jamais utiliser ses pouvoirs. "Facile" me direz-vous, "il suffit de laisser au minimum un point dans sa réserve pour être tranquille" : sauf que certaines attaques ennemies peuvent drainer du Chi et que chaque échec critique en faire perdre cinq points... Dans certains combats éprouvants, on évolue donc sur le fil du rasoir en espérant ne pas être poisseux.
Enfin, petite dédicace au procédé de gain de points d’expérience plutôt exhaustif mais très très très radin avec les joueurs. Les personnages, à leur création, sont en général relativement puissants (toutes proportions gardées). Par contre, en respectant à la lettre les règles, cela devient une purge pour acquérir la moindre petite manœuvre ou un malheureux sort tout en essayant de monter un peu ses attributs et talents. L’évolution est lente, très lente, si bien que pour offrir une réelle progression à des PJ, il est nécessaire de revoir cet aspect de Qin.
En attendant une nouvelle analyse dans cette chronique, n'hésitez pas à commenter, à suggérer des idées, voire à poster vous-même sur le sujet de votre choix…
« N'oubliez pas non plus de lui faire des remarques ou des critiques. »
Merci Fulgur… J'allais y venir.
« Je préfère m'assurer que tu n'omets rien. A bientôt cher lecteur ! Vous pouvez partir du nid par ce petit chemin. N'hésitez pas à repasser à l'occasion, avec un bel agneau de préférence. »
(1) Le travail d'illustration des livres a été effectué par Aleksi Briclot, Anne Rouvin, Marc Simonetti, Olivier et Stéphane Péru, Jaouen et Christian Naits.
« Je tiens à remercier Ramrod pour m'avoir offert une illustration digne de mon altier plumage ».
14:04 - 20 janv. 2016
- Celle d’une délicieuse carcasse de cheval faisandée ? Miam !
Non, celle de la nostalgie. Te rappelles-tu de l’époque magnifique où les jeux vidéos te laissaient de multiples choix, avec des lignes de dialogue étoffées ; de l’époque où tu pouvais incarner n’importe quel héros dans un univers qui mêlait, dans une juste alchimie, épopée mondiale et quêtes personnelles ? De vastes étendues s’offraient à toi, vierges, que tu pouvais parcourir à ta guise. Tes compagnons possédaient une personnalité riche et une poignée d’entre eux laissaient envisager un travail long des développeurs sur leur structure psychologique. Enfin, les combats étaient dynamiques, nerveux, lisibles et empruntaient leurs mécaniques à de glorieux ancêtres (Baldur’s Gate, Neverwinter Nights…). T’en rappelles-tu ?
- … T’es sûr que t’en veux pas un bout ?
Et puis, la durée de vie du titre était raisonnable, tout comme sa difficulté. On pouvait choisir de survoler le jeu, ou d’approfondir de nombreux points quitte à en baver un peu plus. C’était une période bénie. Venez chers lecteurs ! Viens, Fulgur ! Que je vous fasse découvrir Dragon Age.
Dragon Age Origins (DAO) est un jeu vidéo sorti sur PC en France fin 2009, développé par BioWare et dont l’éditeur est le satanique EA (Electronic Arts pour les intimes). RPG jusqu’au bout des ongles, DAO est parti plutôt gagnant dès son lancement pour deux raisons :
- BioWare, son pôpa, est un studio connu pour son expérience dans les RPG, avec notamment Baldur’s Gate et ses suites, ainsi que l’excellent Star Wars : Knight Of The Republic (KOTOR).
- Les deux dernières années n’avaient pas été de grands crus en matière de RPG.
Salué presque unanimement par la critique, joueurs et presse confondus, DAO incarne la reviviscence dans le monde du jeu vidéo d’un genre qui se faisait vieillot tout en le démocratisant. D’abord passé un peu inaperçu, le jeu va rapidement gagner en notoriété grâce à sa qualité, tant et si bien qu’une suite va voir le jour, seulement un an-et-demi plus tard. Et là, patatra… BioWare change une équipe-qui-gagne sous couvert de toucher un plus large public et accouche d’une œuvre médiocre (passable pour les gens généreux). Dragon Age 2 n’est pas mauvais à proprement parler : ses développeurs ont juste pensé (à tort) que le succès du premier opus permettait d’occulter une partie de la dimension « bac-à-sable » de leur œuvre au profit du contexte narratif de l’univers. Pas de choix de race, pas de vaste monde à visiter, système de combat trop éloigné des productions à la Baldur’s Gate. La rupture est brutale, la réponse du public aussi.
Décidé à ne pas laisser une licence aussi
juteuseprestigieuse à l’abandon, EA annonce pour fin 2014 la sortie d’un troisième volet. Dragon Age Inquisition. Le résultat est plutôt bon même si le titre n’est pas exempt de certains défauts symptomatiques des jeux vidéos actuels.L’éditeur a de plus fait le choix de cloisonner les parties roleplay/background et règles, comme le manuel de la version 3.0 de Donjon et Dragon, et ce à outrance. Malgré des tentatives de faire coïncider mécaniques de jeu et historique de personnage, on se retrouve face à un livre qui ne se permet aucune fantaisie : pas d’encadré pour développer un quelconque aspect de l’univers, pas de longue digression narrative. On fait du prêt-à-jouer ici. Tu lis l’univers, tu construis un personnage, tu joues. Point barre.
Enfin, parlons de la gamme. Petit truc « sympa » à noter, l’existence d’un PDF gratuit récapitulant les règles et deux-trois mécaniques de jeu simplifiées afin de tester ce JDR sans dépenser de sousous. C’est une démarche commerciale louable qui a tout de même le mérite d’être soulignée. Attaquons ensuite l’examen du premier« set » de jeu : pas de bouquin indépendant ici. On vous vend deux livre(t)s de règles, trois D6 et une carte du monde pour 60€00 au mieux. Ça fait quand même cher pour un ouvrage de moins de 100 pages et un trio de cubes que vous pourrez piquer dans le jeu de petits-chevaux de votre neveu de quatre ans à noël. Chose merveilleuse : sont couverts par les règles seulement les cinq premiers niveaux de chaque classe de personnage. Pour jouer ceux-ci au-delà, il faudra acheter les sets n°2 (niveaux 6 à 10) et n°3 (niveaux 10 à 20). Au moins, ils n’ont pas fait de set n°4… Vous l’aurez compris, sous couvert d’une gamme qui suivrait la progression de vos personnages pas à pas, on se retrouve à débourser une jolie somme pour pas grand-chose. Bref, EA Games a trouvé la technique pour adapter l’équivalent des DLC payantes, fléau du jeu vidéo contemporain, à une version papier de JDR… Chapeau bas. Surtout qu’après avoir payé vos 250€00, vous vous rendrez compte que vos bouquins rempliront à peine le quart d’une étagère IKEA. Heureusement l’éditeur a pensé à tout : les boites de set sont inutilement grosses afin de justifier le prix.
Pour les excuser, il faut dire que l’univers et le système de jeu n’allaient pas leur permettre d’adopter un format autre que des livrets accompagnés d’accessoires. ..
Point trop de digressions là non plus. La série Dragon Age possède un univers pas mal étoffé, assez glauque, qui se rapproche beaucoup de ceux pouvant être trouvés dans la série Donjons&Dragons. Néanmoins, là où chaque contexte narratif possède dans cette dernière un découpage cosmologique manichéen ; Dragon Age a fait le choix de brouiller les repères moraux tant sur le plan « matériel » (comprenez le monde qu’arpente les humains) qu’au sein de « l’immatériel » - une sorte de 3ème dimension dans laquelle vivent des esprits bénéfiques, des démons et potentiellement un ou plusieurs dieux. Idée dont la filiation se retrouve facilement dans le warp des opus de Warhammer et Warhammer 40k. Par ce procédé, le studio de développement du jeu vidéo avait choisi de créer un univers très sombre, qui sent bon l’apocalypse même si une partie de cet effet est désamorcé par la nature des menaces qui pèsent sur ledit univers.
Quant aux elfes, faîtes un trait sur des créatures sages, majestueuses, détachées des mortels. Beaucoup d’elfes sont, dans Dragon Age, des êtres serviles cloitrés au sein des cités humaines dans des ghettos miséreux. Ils possèdent au mieux des postes subalternes, au pire sont réduits à la mendicité dans le plus extrême dénuement. Demeurent les « Dalatiens » : des elfes sauvages qui se déplacent de forêts en forêts tout en tentant de préserver leurs traditions perdues. Même eux ne sont plus que l’ombre de leur gloire passée et une grande majorité ne sont qu’aveuglés par la haine qu’ils nourrissent envers les humains.
Ajoutez à ça de nombreuses quêtes épiques, des intrigues temporelles tordues, une réflexion de surface sur la place de la religion au sein de nos sociétés etc pour obtenir un univers dans lequel il y a de quoi s’amuser : vos joueurs de JDR pourront facilement y trouver des points de repère narratifs sur lesquels ils pourront construire un personnage à la personnalité riche et à l’histoire intéressante. Quant aux motifs d’aventure, ils ne manqueront pas même si la majorité de vos adversaires se cantonneront à être des Engeances, des humains et un bestiaire de créatures magiques relativement peu diversifié.
Abordons maintenant les points noirs au tableau : tout d’abord l’absence de personnages non joueurs (PNJ) emblématiques. Il n’y en a tout simplement pas – ou très peu. Ce manque constitue un défaut significatif au sein du contexte narratif général. L’on pourra me rétorquer qu’un bon MJ pourra créer aisément de tels référentiels, ce qui est exact, sans pour autant oublier que ces éléments sont normalement indispensables à un univers médiéval fantastique d’inspiration classique. Reste quelques-uns des compagnons du joueur dans le jeu vidéo qui possèdent un charisme et une destinée hors du commun et pourront être réutilisés par un maître du jeu en mal d’imagination.
Quant aux dragons, on oscille entre des monstres très intelligents, calculateurs et de stupides bêtes écailleuses qui n’ont soif que de richesse et de destruction. Bref, loin de l’image que l’on pourrait se faire d’un être qui donne son nom au jeu…
Là ou Dragon Age JDR possède une véritable force, c’est dans son système de jeu qui emprunte beaucoup à des références dans le domaine, à l’instar de l’ancien Star Wars, Qin ou encore Banshee. Ce n’est pas bien sorcier : à chaque action est attribué un seuil de réussite (SR) à atteindre en jetant les dés et en y ajoutant le bonus possédé par le personnage dans un de ses attributs(pour exemple : Ramrod cherche à dessiner un Graphon Licorneux, la difficulté estimée par le MJ est de 15. Il lance trois dés, additionne les résultats ainsi que la valeur de son attribut Ruse et obtient un score final de 22. Réussite ! Le Graphon Licorneux a bien été dessiné et sera inclus dans le bestiaire de T.A). Des « focus », sortes de spécialisations, peuvent offrir un léger bonus supplémentaire au personnage. Dès lors que vous avez retenu cette règle, vous pouvez d’ores et déjà jouer à Dragon Age JDR…
Le jeu joue également la carte oldschool avec des classes de personnages –là ou les jeux sortis post-années 2000 laissent une plus large liberté lors de la genèse de son avatar avec des PJ créés « à la carte ». Quant aux attributs, ils sont également tirés aléatoirement selon une vieille méthode consistant à jeter 3D6. Toutefois, un système intelligemment pensé permet d’éviter de trop gros déséquilibres entre un joueur chanceux et un autre qui le serait moins… Saupoudrez le tout avec un système de magie facile à appréhender et vous pourrez vous lancer dans l’univers de Thédas à corps perdu.
Le système de jeu, simple, n’en demeure pas pour autant simpliste. Quelques mécanismes agrémentent les jets de dés, sporadiques, afin de casser l’aspect linéaire échec/réussite des actions. De nombreuses tables de stunts offrent un peu de fraicheur et viennent implémenter une petite touche d’épique –ou de dramatique- au sein des aventures. Chose qu’on ne croise pas souvent : il existe de très nombreux stunts sociaux qui permettent à des personnages à l’aise à l’oral de briller autour de votre table.
Naturellement, on ne peut pas faire figurer Dragon Age JDR à côté d’icônes comme D&D, Qin, Ambre etc. Cependant, il parvient à tirer son épingle du jeu…
Chose intéressante, à sa sortie, DAO (le jeu vidéo) avait été annoncé comme un retour, modernisé, aux anciens RPG à l’instar de Baldur’s Gate&Co. Il en va de même avec Dragon Age JDR qui reprend de vieilles mécaniques de jeu et exploite un univers médiéval-fantastique qui, à l’heure actuelle, tendent à se faire très timides : une flopée de JDR sortis à partir de 2005 environ sont des jeux narrativistes. Beaucoup prennent d’ailleurs place dans des univers anticipatifs, de science-fiction ou alternatifs : des codes et des créatures sont empruntés à la fantasy sans pour autant lui faire la part belle. Beaucoup de ces productions sont de qualité, d’autres malheureusement, donnent dans le grand n’importe quoi… Il est donc parfois plaisant de revenir à de vieux systèmes dépoussiérés comme Pathfinder ou Dragon Age JDR (alors que paradoxalement, la suite du jeu vidéo est rentrée dans le "moule" des mécaniques de RPG contemporaine).
Merci à Ramrod pour Fulgur