Midi moins cinq
Ou 11h55
Mais pas question de claquer n'importe où. Faire plusieurs victimes, dans un lieu public, est indispensable. Il évite les gares ou les endroits liés aux transports : soit ils sont déjà surveillés, soit les gens se situent à l'air libre dans des espaces trop vastes pour occasionner beaucoup de pertes. Il lui faut donc choisir avec intelligence ce qui deviendra son sépulcre. Le nez dans le col de son haut, il avance sur le macadam, les yeux fixant le sol. La honte ? le remords ? La détermination ? Il ne sait pas trop. A dire vrai, il a peur mais il ne veut pas l'admettre. Au moment de traverser, il évite une passante vissée sur son téléphone portable. La distraction lui fait percuter le poteau du feu piéton. Murmurant des jurons, il avance le bras gauche endolori.
L'activité se fait plus intense lorsqu'il parvient, après un bon quart d'heure, en périphérie du vieux centre ville. Les façades d'immeubles se dressent de part et d'autre de son chemin, menaçantes, dérobant les cieux à son regard. Sous les toits d'ardoise, au-dessus des larges fenêtres haussmanniennes, les lucarnes des anciennes chambres de bonnes sont autant d'yeux accusateurs. Mais qui accusent-ils ? Lui ? Ou cette foutue société ignorante ? Quelque chose d'ironique lui vient à l'esprit, de manière floue, sur la hiérarchisation des rôles et la position des logements des maîtres et des domestiques dans ces habitations du XIXème. Il ne parvient pas à mettre le doigt dessus pourtant, la fatigue... Et l'appréhension. Tout ça lui sort vite de la tête, ses pensées étant détournées par une alléchante odeur de sucre chaud. Un vendeur de croustillons propose aux passants ses beignets encore dégoulinants d'huile brûlante. Il passe en l'ignorant.
Nouvelle épiphanie en croisant un mendiant. La vue de l'homme lui remémore le marchand et l'odeur de friture : nouveau parallèle dans son esprit. Quelque chose ne va pas. Ses dents grincent, ils lancent des regards furibonds. Surtout qu'il approche : il le voit maintenant, un vaste bâtiment gris, austère au milieu de l'architecture plus travaillée des édifices voisins. Un drapeau flotte au-dessus de l'entrée -ou plutôt non- il pend mollement. Plus que vingt mètres. Son rythme cardiaque augmente. Il déglutit difficilement. Ça y est, le grand final est proche, très proche. Son cœur bat la chamade dans sa poitrine. Un instant, il a la folle idée que les battements seuls pourraient faire exploser la grenade artisanale près de son thorax. Il monte des escaliers en béton vers l'entrée. A hauteur de porte vitrée, il voit encore pas mal de gens à l'intérieur. C'est sans prendre garde à l'homme quelconque qui se dirige vers lui.
- Bonjour Monsieur. Vous venez pour ?
Le ton est aussi formel que sec. Rien qu'au regard de cet inconnu, il comprend qu'il n'a pas besoin de répondre : la question posée est purement rhétorique. L'autre continue sur sa lancée.
- Parce qu'on est fermé, il est 11h55... Il va falloir revenir plus tard.
Intérieurement, il est presque soulagé. Mais c'est mal. Il décide donc d'insister.
- J'ai une affaire urgente à régler... Je dois...
- Dans ce cas, vous pouvez vous rendre à l'angle de la rue au 18, dans notre annexe, là-bas...
Étonnamment aimable, l'agent public lui désigne un autre bâtiment du doigt. Un ersatz de conscience professionnelle sûrement. Il hésite une seconde à suivre l'indication donnée. Puis se ravise. D'un hochement de tête, il désigne l'intérieur du bâtiment et les personnes qui s'y trouvent.
- Et eux... C'est pas fermé ?
- "Eux" ont pris la précaution d'arriver plus tôt, monsieur. Ou sont passés par l'annexe que je vous ai indiquée.
Claquement de langue agacé. Bref regard à une montre à cadran digital, étonnamment moderne.
- Il est 11h58, l'annexe va bientôt fermer. Dépêchez-vous.
Le temps semble se figer. Le 45. le démange dans son blouson et semble appeler sa main. Mais bon, c'est risqué de dégainer ici et de passer en force.
Prudent.
Lâche ?
Patient.
Il décide de se diriger vers l'annexe administrative après un vague "au revoir". Putain ce qu'il fait froid, et putain ce qu'il tremble. La détermination née aux prémices de l'action fait place à une anxiété grandissante. Il traverse la route rapidement, hors du passage pour piétons. Une voiture le klaxonne violemment : elles passent étonnamment vite dans le coin. Il ignore le "conn***" lâché par une fenêtre ouverte, dans son dos, et trotte en direction de son objectif. Un passant ou deux lui décochent un long regard blasé. Ils doivent vraiment s'emmerder pour n'avoir aucun autre sujet d'intérêt qu'un mec qui marche vite. Une crotte de chien séchée plus tard, il parvient devant l'annexe. Une porte vitrée arborant une sobre plaquette d'informations tranche avec l'entrée haussmannienne du bâtiment. Il pousse la porte qui, soulagement, s'ouvre. Par contre, pas question de se faire péter ici : il n'y a que deux personnes. Un petit vieux occupé dans un coin à gribouiller sur un papier et une femme derrière un bureau. Ambiance feutrée. Calme. Lorsqu'il s'avance vers elle et lui parle, c'est avec une voix basse entrecoupée de halètements.
- Bonjour, on m'a dit de venir ici. J'aurais besoin de pouvoir traiter une demande au sein de vos locaux au bout de la rue, cela concerne...
Même pas besoin d'inventer un mensonge convaincant. Elle lui coupe la parole.
- Veuillez remplir ce formulaire s'il vous plait.
Il hausse les épaules et prend le papier. Cela ne devrait pas être long. grossière erreur. Au bout de cinq minutes, il se dit que le vieux à ses cotés à du commencer le sien le siècle dernier. C'est long, chiant. il faut tout écrire en majuscules et renseigner plusieurs numéros... Un peu perdu, il finit par en indiquer au hasard. Très vite, il repart, la main crispée sur le document. Le papier émet un délicieux bruit de froissement. Tout se fait ensuite comme dans un rêve. Il retraverse la route -nouveau bruit de klaxon-, fonce vers l'administration et reprend son souffle en bas des marches. Lorsqu'il gravît celles-ci, l'agent d'accueil de tout à l'heure à un sourire en voyant son formulaire. Ce con y jette à peine un œil.
- Parfait Monsieur ! Entrez.
Enfin ! Il y est. Trois files d'attente. Peu de bavardage. Pas de téléphone qui sonne. Les employés derrière les guichets traitent les demandes rapidement, les usagers ne posent pas de problème. Tout le monde veut partir d'ici au plus vite. Nouvel afflux d'adrénaline. D'un geste mécanique, il essuie la sueur accumulée sur son front et se range docilement dans une file. Et attend. Pourquoi ? Conditionnement ? Habitude ? Aucune foutue idée. Sa vessie l'élance. Il voit les toilettes un peu plus loin : peut-être pourrait-il s'y rendre, se soulager puis déballer son arme ? Ça parait être un plan viable. Pendant qu'il réfléchit, sa file avance, lui aussi. Après une seconde de remise en question, il prend la direction des toilettes, sentant les regards pesants sur lui. En rentrant dans les cabinets, sa main touche une plante en plastique qui s'effondre par terre. Confus, il s'y prend à deux fois pour la remettre debout. Les chiottes sentent le détergent - mieux vaut ça qu'autre chose. Il espère respirer et se remettre mentalement en condition ici. Pourtant il ne peut pas souffler : un toussotement indique qu'il y a quelqu'un d'autre dans l'une des cabines. "Et merde" pense t-il. La sensation d'apaisement brièvement ressentie s'estompe mais bon, au moins peut-il pisser. Physiquement, ça le soulage. Pas psychologiquement. La peur, puissante, salope inhibitrice, est toujours là. Machinalement, il se lave les mains, ce sentiment d'oppression toujours présent. Il espère que l'autre personne dans les toilettes va bientôt sortir et le laisser seul, en vain. Il connaît ce petit manège : chacun attend que l'autre se barre pour faire sa petite affaire. Aujourd'hui, il est perdant.
En revenant dans la file, il doute. Pourtant, il était déterminé à mourir encore hier. Farouchement déterminé. Il se rend juste compte qu'un millier de détails quotidiens ont érodé sa volonté, le rendant spectateur de ses déplacements. C'est en profitant de cet état second qu'il tend la main dans son blouson et touche la crosse du 45. Ses doigts se referment sur l'arme lorsqu'un beuglement éclate dans la pièce. Fébrile, il arrête son geste. Au comptoir, un homme hurle, hystérique. La réceptionniste se met hors de portée. Bien lui en prend car, l'instant d'après, un coup de poing s'écrase sur une pile de dossiers. Dans la queue, un enfant se met à pleurer au son des cris. Très rapidement, deux hommes, dont un agent de sécurité, interviennent pour calmer - maîtriser- le fauteur de trouble. Déblatérant un flot d'insultes, ses grands mouvements de bras se font tour à tour menaçants et injurieux. On lui demande plusieurs fois de sortir, à voix de plus en plus haute. Il finit par partir, non sans avoir joyeusement répandu une volée de postillons sur le carrelage. Après son départ, les gens commencent à reprendre leurs conversations : de parfaits inconnus échangent des commentaires sur la scène qui vient de se dérouler. Le soulagement, ou l'hostilité envers un tiers, crée des liens. Putain non. Pas aujourd'hui finalement...
La porte vitrée se referme derrière lui. Les nerfs à vif, mais heureux, il cavale en descendant les marches. Ce ne sera pas pour aujourd'hui. La crosse du 45., un moment rassurante, se fait maintenant oppressante. Il réfléchit à un moyen de s'en débarrasser. Tout comme la grenade. Au final, tout n'est pas terminé : il n'aura pas galéré à fermer son appartement pour la dernière fois, ni quitté son immeuble pour une ultime marche : il pourra de nouveau contempler les rues du centre-ville et sentir l'odeur délicieusement écœurante de l'huile et des beignets frits. Il pourra de nouveau entendre les klaxons de la circulation, comme celui qui retentit à l'instant lors de la traversée de la route. Ce bruit est par contre nouveau : celui de la taule contre la chair. Dans une écœurante sensation de tournis, il se sent voler dans les airs, puis retomber lourdement. Tout est noir.
16:24 - 24 avr. 2016
Mais pas question de claquer n'importe où. Faire plusieurs victimes, dans un lieu public, est indispensable. Il évite les gares ou les endroits liés aux transports : soit ils sont déjà surveillés, soit les gens se situent à l'air libre dans des espaces trop vastes pour occasionner beaucoup de pertes. Il lui faut donc choisir avec intelligence ce qui deviendra son sépulcre. Le nez dans le col de son haut, il avance sur le macadam, les yeux fixant le sol. La honte ? le remords ? La détermination ? Il ne sait pas trop. A [À] dire vrai, il a peur mais il ne veut pas l'admettre. Au moment de traverser, il évite une passante vissée sur son téléphone portable. La distraction lui fait percuter le poteau du feu piéton. Murmurant des jurons, il avance le bras gauche endolori.
L'activité se fait plus intense lorsqu'il parvient, après un bon quart d'heure, en périphérie du vieux centre ville. Les façades d'immeubles se dressent de part et d'autre de son chemin, menaçantes, dérobant les cieux à son regard. Sous les toits d'ardoise, au-dessus des larges fenêtres haussmanniennes, les lucarnes des anciennes chambres de bonnes sont autant d'yeux accusateurs. Mais qui accusent-ils ? Lui ? Ou cette foutue société ignorante ? Quelque chose d'ironique lui vient à l'esprit, de manière floue, sur la hiérarchisation des rôles et la position des logements des maîtres et des domestiques dans ces habitations du XIXème. Il ne parvient pas à mettre le doigt dessus pourtant, la fatigue... Et [la majuscule n'est pas nécessaire] l'appréhension. Tout ça lui sort vite de la tête, ses pensées étant détournées par une alléchante odeur de sucre chaud. Un vendeur de croustillons propose aux passants ses beignets encore dégoulinants d'huile brûlante. Il passe en l'ignorant.
Nouvelle épiphanie en croisant un mendiant. La vue de l'homme lui remémore le marchand et l'odeur de friture : nouveau parallèle dans son esprit. Quelque chose ne va pas. Ses dents grincent, ils lancent [il lance] des regards furibonds. Surtout qu'il approche : il le voit maintenant, un vaste bâtiment gris, austère au milieu de l'architecture plus travaillée des édifices voisins. Un drapeau flotte au-dessus de l'entrée - [tu as utilisé un trait d'union, pas un tiret, il faut un demi-cadratin ou un cadratin + espace]ou plutôt non [espace + demi-cadratin ou cadratin] - il pend mollement. Plus que vingt mètres. Son rythme cardiaque augmente. Il déglutit difficilement. Ça y est, le grand final est proche, très proche. Son cœur bat la chamade dans sa poitrine. Un instant, il a la folle idée que les battements seuls pourraient faire exploser la grenade artisanale [inutile de le répéter je pense, on le sait déjà qu'elle est artisanale] près de son thorax. Il monte des escaliers en béton vers l'entrée. A [À] hauteur de porte vitrée, il voit encore pas mal de gens à l'intérieur. C'est sans prendre garde à l'homme quelconque qui se dirige vers lui.
- [demi-cadratin ou cadratin, ce n'est pas un tiret c'est un trait d'union ^^] Bonjour [virgule] Monsieur. Vous venez pour ?
Le ton est aussi formel que sec. Rien qu'au regard de cet inconnu, il comprend qu'il n'a pas besoin de répondre : la question posée est purement rhétorique. L'autre continue sur sa lancée.
- Parce qu'on est fermé [l'accord au pluriel de « fermé » pourrait faire l'objet de quelques lignes de discussions je pense], il est 11h55... Il va falloir revenir plus tard.
Intérieurement, il est presque soulagé. Mais c'est mal. Il décide donc d'insister.
- J'ai une affaire urgente à régler... Je dois...
- Dans ce cas, vous pouvez vous rendre à l'angle de la rue au 18, dans notre annexe, là-bas...
Étonnamment aimable, l'agent public lui désigne un autre bâtiment du doigt. Un ersatz de conscience professionnelle sûrement. Il hésite une seconde à suivre l'indication donnée. Puis se ravise. D'un hochement de tête, il désigne l'intérieur du bâtiment et les personnes qui s'y trouvent.
- Et eux... C'est pas fermé ?
- "Eux" [guillemets français]ont pris la précaution d'arriver plus tôt, monsieur. Ou sont passés par l'annexe que je vous ai indiquée.
Claquement de langue agacé. Bref regard à une montre à cadran digital, étonnamment moderne.
- Il est 11h58, l'annexe va bientôt fermer. Dépêchez-vous.
Le temps semble se figer. Le 45. le démange dans son blouson et semble appeler sa main. Mais bon, c'est risqué de dégainer ici et de passer en force.
Prudent.
Lâche ?
Patient.
Il décide de se diriger vers l'annexe administrative après un vague "au revoir" [guillemets français]. Putain ce qu'il fait froid, et putain ce qu'il tremble. La détermination née aux prémices de l'action fait place à une anxiété grandissante. Il traverse la route rapidement, hors du passage pour piétons. Une voiture le klaxonne violemment : elles passent étonnamment vite dans le coin. Il ignore le "conn***" [guillemets français] [tu peux écrire « connard » tu sais?] lâché par une fenêtre ouverte, dans son dos, et trotte en direction de son objectif. Un passant ou deux lui décochent un long regard blasé. Ils doivent vraiment s'emmerder pour n'avoir aucun autre sujet d'intérêt qu'un mec qui marche vite. Une crotte de chien séchée plus tard, il parvient devant l'annexe. Une porte vitrée arborant une sobre plaquette d'informations tranche avec l'entrée haussmannienne du bâtiment. Il pousse la porte qui, soulagement, s'ouvre. Par contre, pas question de se faire péter ici : il n'y a que deux personnes. Un petit vieux occupé dans un coin à gribouiller sur un papier et une femme derrière un bureau. Ambiance feutrée. Calme. Lorsqu'il s'avance vers elle et lui parle, c'est avec une voix basse entrecoupée de halètements.
- Bonjour, on m'a dit de venir ici. J'aurais besoin de pouvoir traiter une demande au sein de vos locaux au bout de la rue, cela concerne...
Même pas besoin d'inventer un mensonge convaincant. Elle lui coupe la parole.
- Veuillez remplir ce formulaire s'il vous plait.
Il hausse les épaules et prend le papier. Cela ne devrait pas être long. grossière erreur. Au bout de cinq minutes, il se dit que le vieux à ses cotés à du [dû] commencer le sien le siècle dernier. C'est long, chiant. il faut tout écrire en majuscules et renseigner plusieurs numéros... Un peu perdu, il finit par en indiquer au hasard. Très vite, il repart, la main crispée sur le document. Le papier émet un délicieux bruit de froissement. Tout se fait ensuite comme dans un rêve. Il retraverse la route - [espace]nouveau bruit de klaxon [espace] -, fonce vers l'administration et reprend son souffle en bas des marches. Lorsqu'il gravît [gravit] celles-ci, l'agent d'accueil de tout à l'heure à [a] un sourire en voyant son formulaire. Ce con y jette à peine un œil.
- Parfait [virgule] Monsieur ! Entrez.
Enfin ! Il y est. Trois files d'attente. Peu de bavardage. Pas de téléphone qui sonne. Les employés derrière les guichets traitent les demandes rapidement, les usagers ne posent pas de problème. Tout le monde veut partir d'ici au plus vite. Nouvel afflux d'adrénaline. D'un geste mécanique, il essuie la sueur accumulée sur son front et se range docilement dans une file. Et attend. Pourquoi ? Conditionnement ? Habitude ? Aucune foutue idée. Sa vessie l'élance. Il voit les toilettes un peu plus loin : peut-être pourrait-il s'y rendre, se soulager puis déballer son arme ? Ça parait être un plan viable. Pendant qu'il réfléchit, sa file avance, lui aussi. Après une seconde de remise en question, il prend la direction des toilettes, sentant les regards pesants sur lui. En rentrant dans les cabinets, sa main touche une plante en plastique qui s'effondre par terre. Confus, il s'y prend à deux fois pour la remettre debout. Les chiottes sentent le détergent - [demi-cadratin ou cadratin] mieux vaut ça qu'autre chose. Il espère respirer et se remettre mentalement en condition ici. Pourtant il ne peut pas souffler : un toussotement indique qu'il y a quelqu'un d'autre dans l'une des cabines. "Et merde" [guillemets français] pense t-il [pense-t-il]. La sensation d'apaisement brièvement ressentie s'estompe mais bon, au moins peut-il pisser. Physiquement, ça le soulage. Pas psychologiquement. La peur, puissante, salope inhibitrice, est toujours là. Machinalement, il se lave les mains, ce sentiment d'oppression toujours présent. Il espère que l'autre personne dans les toilettes va bientôt sortir et le laisser seul, en vain. Il connaît ce petit manège : chacun attend que l'autre se barre pour faire sa petite affaire. Aujourd'hui, il est perdant.
En revenant dans la file, il doute. Pourtant, il était déterminé à mourir encore hier. Farouchement déterminé. Il se rend juste compte qu'un millier de détails quotidiens ont érodé sa volonté, le rendant spectateur de ses déplacements. C'est en profitant de cet état second qu'il tend la main dans son blouson et touche la crosse du 45. Ses doigts se referment sur l'arme lorsqu'un beuglement éclate dans la pièce. Fébrile, il arrête son geste. Au comptoir, un homme hurle, hystérique. La réceptionniste se met hors de portée. Bien lui en prend car, l'instant d'après, un coup de poing s'écrase sur une pile de dossiers. Dans la queue, un enfant se met à pleurer au son des cris. Très rapidement, deux hommes, dont un agent de sécurité, interviennent pour calmer - maîtriser [espace] - le fauteur de trouble. Déblatérant un flot d'insultes, ses grands mouvements de bras se font tour à tour menaçants et injurieux. On lui demande plusieurs fois de sortir, à voix de plus en plus haute. Il finit par partir, non sans avoir joyeusement répandu une volée de postillons sur le carrelage. Après son départ, les gens commencent à reprendre leurs conversations : de parfaits inconnus échangent des commentaires sur la scène qui vient de se dérouler. Le soulagement, ou l'hostilité envers un tiers, crée des liens. Putain non. Pas aujourd'hui finalement...
La porte vitrée se referme derrière lui. Les nerfs à vif, mais heureux, il cavale en descendant les marches. Ce ne sera pas pour aujourd'hui. La crosse du 45., un moment rassurante, se fait maintenant oppressante. Il réfléchit à un moyen de s'en débarrasser. Tout comme la grenade. Au final [incorrect, « finalement », « en définitive », « au bout du compte » http://www.academie-francaise.fr/au-final, tout n'est pas terminé : il n'aura pas galéré à fermer son appartement pour la dernière fois, ni quitté son immeuble pour une ultime marche : il pourra de nouveau contempler les rues du centre-ville et sentir l'odeur délicieusement écœurante de l'huile et des beignets frits. Il pourra de nouveau entendre les klaxons de la circulation, comme celui qui retentit à l'instant lors de la traversée de la route. Ce bruit est par contre nouveau : celui de la taule contre la chair. Dans une écœurante sensation de tournis, il se sent voler dans les airs, puis retomber lourdement. Tout est noir.
La lecture a été agréable, ton style est fluide et entraînant ; bien que s'il fallait chipoter un peu il y a trop de phrases courtes au début, et à la fin de trop longues. Si c'est avant la chute que le personnage principal stresse le plus, c'est là que la partie « phrase hachée » devrait être placée, selon moi.
En tout cas, c'est un bon one shot ; le présent et les descriptions ne m'ont pas gêné.
Merci (:
17:33 - 24 avr. 2016
quelques points que j'ai relevés :
Et le quartier est plutôt dortoir. => on comprend l'idée, mais la tournure est pas très heureuse (trop directe ?)
Au travers du tissu, il sent la crosse de son 45. lui presser les côtes => alors, oui, je sais que c'est une graphie technique (et je crois même que le point est avant le chiffre -> à vérifier), mais je trouve que ça fait très bizarre de mettre un point au milieu d'une phrase rédigée. Peut-être préférer "45 mm" ou "calibre 45".
Au moment de traverser, il évite une passante vissée sur son téléphone portable. =>"vissée à" plutôt, non ?
Murmurant des jurons, il avance le bras gauche endolori. => j'aurais mis une virgule ici : "il avance, le bras"
Ses dents grincent, ils lancent des regards furibonds.=> pourquoi ce pluriel ?
Surtout qu'il approche : il le voit maintenant, un vaste bâtiment gris, austère au milieu de l'architecture plus travaillée des édifices voisins.
=> problème de ponctuation : les deux points et les virgules ne me semblent pas cohérentes
Un drapeau flotte au-dessus de l'entrée -ou plutôt non- il pend mollement. => ce ne sont pas les bons tirets; il faut des demi-cadratins et une espace.
Son cœur bat la chamade dans sa poitrine. Un instant, il a la folle idée que les battements seuls pourraient faire exploser la grenade
=> répétition bat / battement
- Bonjour, Monsieur. Vous venez pour ?
- J'ai une affaire urgente à régler... Je dois...
- Dans ce cas, vous pouvez vous rendre à l'angle de la rue au 18, dans notre annexe, là-bas...
=> attention à l'usage des points de suspension. Il n'y a que "Je dois..." qui soit une phrase suspendue.
Claquement de langue agacé. Bref regard à une montre à cadran digital, étonnamment moderne.=> répétition
Il décide de se diriger vers l'annexe administrative après un vague "au revoir". Putain ce qu'il fait froid, et putain ce qu'il tremble.
=> plusieurs répétitions de "annexe"
Il ignore le "conn***" => vocabulaire vulgaire/parlé déjà assumé avant. Inutile de tronquer le "connard" donc
Une crotte de chien séchée plus tard, il parvient devant l'annexe.
=> pas terrible comme indication de temps. C'est une ellipse assez maladroite et un détail qui est soit superflu, soit sous-exploité
Une porte vitrée arborant une sobre plaquette d'informations tranche avec l'entrée haussmannienne*** du bâtiment. => outre la répétition de l'adjectif, je ne suis pas sûr qu'il est adapté pour décrire une entrée.
Il pousse la porte qui, soulagement, s'ouvre. => ça pourrait passer entre tirets, mais une formulation plus construite serait encore mieux "à son soulagement"
Il hausse les épaules et prend le papier. Cela ne devrait pas être long. grossière erreur. => majuscule
Au bout de cinq minutes, il se dit que le vieux à ses cotés à du commencer le sien le siècle dernier. => "a", c'est un verbe conjugué
C'est long, chiant. "i"l faut tout écrire en majuscules => majuscule et renseigner plusieurs numéros... => suspension
Un peu perdu, il finit par en indiquer au hasard. => "en indiquer un au hasard"
Il retraverse la route -nouveau bruit de klaxon-, fonce vers l'administration et reprend son souffle en bas des marches. => tirets = espaces (sauf avant la virgule)
Lorsqu'il gravît celles-ci, l'agent d'accueil de tout à l'heure à un sourire en voyant son formulaire. => verbe avoir "a"
- Parfait, Monsieur ! Entrez. => virgule avant "Monsieur"
"Et merde" pense t-il. => pense-t-il
La sensation d'apaisement brièvement ressentie s'estompe mais bon, au moins peut-il pisser. Physiquement, ça le soulage. Pas psychologiquement. La peur, puissante, salope inhibitrice, est toujours là. Machinalement, il se lave les mains, ce sentiment d'oppression toujours présent. => beaucoup trop d'adverbes dans ce passage + répétitions "toujours"
Mon sentiment sur le texte :
C'est très froid, sans doute parce que, comme tu le relèves toi-même, c'est très descriptif. Le ton factuel est juste entrecoupé de quelques interjections que se fait le personnage.
Il y a également peu de distanciation entre les sentiments mitigés et la réalité de la situation vécu par ton personnage.
Tout comme tu le précise aussi dans ta seconde remarque : il n'y a pas de légèreté, pas de réelle impression d'agacement "comique" à propos de l'expérience de difficulté face à une administration.
Le ton en devient donc morne et le texte donne une impression de détachement lugubre.
La chute du coup tombe un peu à plat à cause de ce rendu trop sobre.
"J'ai une âme solitaire"
11:45 - 27 avr. 2016
Merci à tous les deux pour vos observations et analyses. Même si c'est un one shot, je pense retravailler le récit pour tenter de gommer ses imperfections.
Mike => Tu as tout à fait raison pour les phrases longues/courtes. Je vais le prendre en compte pour de futurs écrits -voire même celui-ci.
Dvb => Les adverbes sont mes amis (ou pas) ! ^^' Je vais déjà corriger toutes ces petites tournures maladroites, ainsi que les fautes d'orthographe.
je reposte en fin de semaine. :)
20:32 - 3 mai 2016
Un one-shot sympatoche. L'idée de décrire avec précision les derniers moments d'un terroriste (ou d'un suicidaire) est bonne et pleine de potentiel. La faiblesse tangible du personnage le rend assez attachant : j'en suis même venu à l'encourager mentalement, à penser "Allez mon gars, tu peux le faire !" en espérant qu'il réussisse son coup.
L'écriture est bonne et plutôt fluide. Certes très descriptive, mais dans ce cas je pense que c'est de mise : il est plutôt logique d'avoir une sensibilité exacerbée/déformée lorsqu'on s'apprête à mourir.
La seule chose qui m'a manqué, c'est un peu plus d'explications : pourquoi veut-il commettre un acte de terrorisme ? Je pense que la fin pourrait avoir plus de punch, offrirait plus de matière à réflexion, si on connaissait ses motivations.
Aussi, j'aurais aimé savoir pourquoi un mec s'énerve soudainement dans le bâtiment administratif. Pour la même raison qu'au-dessus, ça pourrait ouvrir des parallèles intéressants avec le personnage principal, mais aussi afin d'éviter la sensation de facilité scénaristique que cela produit.
"Quand tout à coup, un figurant pique sa crise sans la moindre raison et cela change le cours de l'histoire !" ;)
En tout cas c'était sympa, j'espère lire d'autres de tes one-shots.
16:33 - 10 mai 2016
ça fait quelques temps que je veux te répondre Lepzulnag et je n'ai pas pu.
Je te remercie en premier lieu pour ta lecture et tes conseils. Je passe sur l'esclandre ayant eu lieu au sein du bâtiment administratif : tu as raison, c'est un peu soudain et je pense peut-être l'amener mieux dans le récit (notamment via un début de discussion entendue par le personnage principal lorsqu'il est dans la queue).
Concernant l'absence d'explications et de motivations, j'ai justement beaucoup hésité à en donner ou non. Finalement, j'ai fait ce second choix -discutable- afin de rendre le propos général et de ne pas m'arrêter sur un événement de l'actualité en particulier. Je souhaitais que l'on se concentre sur l'humain et non la cause/les sentiments/le dogme/les souvenirs/la vision politique qui le conduisent à cet acte. Cela peut, comme tu le dis, atténuer l'impact du récit, voire passer pour une sorte de lâcheté littéraire - pourtant, le non-exposé des motivations n'est pas là pour faire consensus ou encore par refus d'aborder une problématique sociétale ; c'est bien plus une façon de permettre au lecteur de mieux ressentir l'état de doute, d'anxiété du personnage.
19:04 - 10 mai 2016
09:32 - 22 mai 2016
Il y a une très bonne matière, j'ai passé un bon moment :)
Le style global, et le parti pris intéressant d'anonymiser complètement la situation marchent bien, le style est accessible à tout un chacun... Presque pictural.
Je ne suis pas choqué par l'aspect descriptif d'une personne prise dans ses pensées, au contraire, je le pousserai beaucoup plus loin pour donner du grain.
Il faut s'imaginer dans un de ces moments de détresse :
- Il fait presque trop beau dehors par rapport à la souffrance (ce couple qui se donne la main, ce jeune cadre qui a réussi)
- Les administrations sont déprimantes : vieux murs, sols carrelés ou lino moches, néons mal entretenus, taches cachées par des pots, odeur d'urine passée et de produits d'entretien, etc.
Je t'encourage à mettre plus d'odeurs dans tes descriptions par ailleurs, c'est un outil assez puissant sur le "renvoi au réel".
Idem, je pense que du point de vue de l'administration tu peux aller plus loin dans l'absurde et la caricature.
Et du coup, si tu augmentes l'irritation, l'angoisse, l'inhumanité de la situation, le "coup de poing sur la table" suffit presque à désamorcer.
Presque.
Parce qu'on a quand même affaire à un mec hyper décidé. C'est pas nouveau ce truc qui tourne dans sa tête, ça demande une organisation absolument délirante de réussir à obtenir une arme comme un 45.
Dans mon sentiment, pour désamorcer un individu avec un tel niveau de désespoir, il faut que quelqu'un le ré-humanise, au moins en lui adressant la parole.
Je peine sincèrement à voir comme un énième "constat de médiocrité" peut lui faire renoncer à son projet.
La fin, très bien, change rien :)