Amateurs de fantastique et de récits horrifiques, à vos plumes !
Vous pensez que vos écrits méritent de recevoir le Trophée Poe ? Seuls les aelissiens en seront juges. Les votes sanctionnant vos duels auront lieu sur ce topic.
Pour lancer un duel :
Moi, XXXX(nom du challenger)
Je défie XXXXX (nom du champion).
Le trophée Poe doit me revenir.
Je le défie d'écrire un texte sur le thème XXXX
Il aura pour contrainte : XXXX
Nos textes devront être remis à l'arbitre avant XX/XX/XXXX
S'il refuse mon défi, je deviendrai détenteur du trophée !!
Il vous suffit d'indiquer dans votre réponse à quel texte va votre préférence.
Vous pouvez bien entendu développer votre vote et l'accompagner d'un commentaire pour mettre en valeur les qualités et défauts du texte au niveau stylistique, lexique, orthographique ou en fonction de son originalité, son respect des contraintes et du thème demandés.
octobre 2014
Aillas vs Mike001
victoire de Mike001
décembre 2014
Mike001 vs Nicolas vs Bouche Dorée
victoire de Bouche Dorée
octobre 2015
Bouche Dorée vs Nicolas
victoire de Nicolas
décembre 2015
Nicolas vs Aillas vs Scarlet Hurricane
victoire d'Aillas
avril 2016
Aillas vs dvb vs U-raptor Folâtre
seconde victoire d'Aillas
17:38 - 9 déc. 2015
Aillas part à l'assaut du Supā Saiyajin des duels à mots : Nicolas. À la suite de l'ancien Maudit Compère, la tournoyante Scarlet, celle qui a réussi à reprendre une portion du territoire conquis, retente sa chance. Tous sont décidés à se battre jusqu'à la fin, pourtant, il n'y aura qu'un seul vainqueur.
Aillas remporte le trophée avec 3 voix sur 6. Il était le texte 2.
« Il ressemble à ton père. »
J'étais d'accord, mais je ne répondais pas. Mon père était mort deux semaines auparavant et je n'avais pas le cœur à mettre des mots là dessus. Elle le sentit et déposa un baiser sur ma joue.
« Tu pars demain pour récupérer ses affaires, c'est ça ? »
C'était bien ça et ça m'effrayait de me retrouver dans son ancienne maison près de Guérande, autour de tout ce qu'il avait touché, bâtit, aimé. Il était professeur, mais dès sa retraite il avait construit une maison pour s'adonner à sa grande passion, la peinture. Nous avions d'ailleurs quelques tableaux accrochés dans la maison. Je soupirais.
« Oui.
— Tout va bien se passer chéri, tu va voir. Ça te fera du bien. »
J’acquiesçais.
Ce sentiment me colla aussi le lendemain matin alors que j'allais seul dans la grande longère, un beau bâtiment qu'il avait passé beaucoup de temps à restaurer et dont il était très fier. Je partageais sa fierté, il avait réellement fait de cet endroit un lieu où bien vivre. J'entrais dans son atelier, par habitude, c'était là que j'étais certain de le voir quand je lui rendais visite et qu'il était chez lui. Sinon, il était en vadrouille en collecte de paysages. Là, il devait y être. Une grande vadrouille. Cette pensée me fit sourire tandis que j'arpentais l'atelier qui représentait pas moins de la moitié de la maison, posant mon regard tour à tour sur les tableaux accrochés aux murs ou posés à même le sol.
Mon père était assez doué dans ce qu'il faisait, je lui enviais un peu cette faculté qu'il avait. Que ce soit le bricolage, l'enseignement, ou même la peinture, il était bon. Ses peintures représentaient presque toutes des paysages du coin, à divers moments de l'année ou de la journée, sous différents angles. Il avait une série qu'il rangeait à part, celle sur les marais salants, mes préférées d'ailleurs. Je les trouvais agréables à regarder, presque intimes, j'avais l'impression d'y être. On y voyait ce que j'imaginais être un paludier dans le fond, un travail difficile, en symbiose avec la nature.
George me trouva à ce moment, il était parvenu à se rendre disponible plus tôt ce jour là et avait décidé de me rejoindre pour la fin de mâtinée. Me voyant aspiré par les tableaux, il passa ses mains dans ses poches de sa salopette en se campant sur ses jambes pour profiter lui aussi de la vue des peintures.
« Et t'as pas vu la fin de sa série des marais encore.
— Il y en a d'autres ailleurs ? Je demandais.
— Ouais, elles sont restées dans le salon. Il les a faites juste avant de rendre l'âme. Il a pas dû avoir le temps de les finir. »
J'avais envie de les voir aussi, alors nous sommes allés là où il les avait posées. Les tableaux étaient disposés partout dans les pièces de vie, en grand nombre. Mon oncle me montrait quelques particularités auxquelles je n'avais pas fait très attention ; toutes signées, les œuvres de mon père étaient aussi toutes datées. Je fronçais les sourcils en les regardant, elles traitaient toutes du même paysage, prises sous différents points de vue mais il y avait un rectangle blanc dans le fond de chacune. Ces peintures me paraissaient presque froides, il manquait quelque chose et je ne parvenais pas à définir quoi. George prépara à manger pour le repas du midi.
Cela me fit du bien de quitter la grande bâtisse de pierre. Laissant mes pensées vagabonder, je me rendais compte que les derniers tableaux de mon père m'obsédaient. Autant j'étais très amateur des collections qu'il avait produit, autant cette dernière série me laissait une sensation de manque irritant, sans même y faire attention j'y revenais sans cesse. Ce rectangle blanc, ce vide insoutenable dans le fond me perturbait. Je me passais la main sur les yeux pour en chasser la frustration et tentais de remettre de l'ordre dans ma tête. Pourquoi étais-je si bouleversé par de simples peintures ? Le dernier art de mon père avait-il un pouvoir symbolique si puissant sur moi ? Pourquoi enlever le paludier du fond des tableaux ?
J'avais demandé à George si un paludier était mort dans le coin récemment, ou si l'un d'eux avait arrêté le métier, mais il m'avait fait signe que non. Lui non plus ne comprenait pas le revirement de la collection des marais, mais il n'y attachait pas autant d'importance que moi.
Je coupais le contact, le moteur cracha encore quelques fumées avant que la voiture ne s'arrête. Inconsciemment, j'avais retrouvé le panorama de Francis. Les marais salants s'étendaient tout autour de moi. J'en reconnaissais les contours géométriques, les talus herbeux, les oiseaux et les tas de sel. Toutefois, je gardais le malaise que m'avaient donnés les ultimes œuvres de mon père, ce n'était pas cette sensation agréable et intime qui m'habitait. Je claquais la portière en sortant de la voiture, j'avais besoin de rentrer dans le paysage du tableau. Peut-être cherchais-je à comprendre mon père à travers cette visite.
Mon regard fit le tour de l'horizon, tout était à sa place comme cela avait été peint tant de fois. Il me fallu un moment avant de situer le paludier, du moins là où mon père avait l'habitude de le placer dans ses paysages avant de l'échanger contre un rectangle blanc. Mon estomac se contorsionna dans mon ventre et mon regard glissait totalement sur l'endroit. Je ne parvenais pas, malgré de gros efforts à regarder l'emplacement, mes yeux déviaient sur le côté, comme s'il n'y avait rien à voir.
Je me frottais le menton tout en commençant à mieux comprendre pourquoi mon père s'était avéré incapable de peindre le paludier comme il avait usage de le faire. Machinalement, je me dirigeais en sa direction, au mépris de mes chaussures inadaptées à l'exercice et de l'eau dans les bassins. C'était bien plus fort que moi, ce besoin irrépressible d'aller toucher ce que je ne pouvais voir. J'étais en train de perdre la boule, le soleil frappant du début de journée sûrement. Mais une fois parvenu à mon objectif, toute gêne me quitta pour laisser place à une déferlante de sérénité. Je me sentais chez moi, à ma place, c'était le même sentiment qui me prenait à la vision de l'ancienne série de Francis. C'était ça qu'il avait su me transmettre à travers ses tableaux, cet endroit.
Je pleurais en réalisant cette farce. Il ne me restait que quelques mètres à franchir pour rejoindre le fameux rectangle blanc, pour me laisser happer par lui. La vérité c'était qu'il n'y avait jamais eu de paludier, il n'y avait jamais eu que moi dans les visions de mon père. La vérité c'était que dans vingt jours mon père allait mourir. La vérité c'était que les vingt jours qui suivront, mon père peindrait des rectangles blancs à la place de l'endroit où je me dirige. Je n'avais jamais eu d'autre choix que de rejoindre ce lieu précis et y vivre à travers le regard et le pinceau de mon père dans un temps compté à rebours pour lui-même. Je n'ai aucune idée de pourquoi, ni de comment, mais est-ce réellement important désormais ?
« Père, l'avez-vous seulement su ? »
Scarlet Hurricane, troisième homme, termine deuxième avec 2 voix. Elle était le texte n°1.
Décembre, enfin ! Marc a finalement pu poser des vacances, les premières depuis plus d’un an. Epuisé, incapable de se focaliser sur quoi que ce soit, ce congé arrive comme une bénédiction. Plus besoin de descendre litre après litre de café pour réussir à se concentrer sur un brief plus chiant qu’un discours républicain au Sénat, plus besoin de passer sa vie au téléphone en essayant de joindre un plombier « parce que merde, ça fait trois semaines que ça devrait être réglé mais ça goutte toujours sous les toilettes, putain ». Un mois sans sa copine, Bénédicte, et ça aussi ça lui fera du bien. Depuis qu’ils vivent ensemble, plus question de sortie entre amis autour de quelques pintes. Non, maintenant, c’est « métro, boulot, dodo ». Enfin, après la cuisine, le repassage et le ménage de la buanderie. Un mois sans Jean-Hugues, le responsable commercial, qui sent le bacon rance et ce dès huit heures du matin. « Ji-hâche » comme l’appellent les camarades du bureau, avec toujours deux ou trois miettes dans sa moustache grisonnante. Marc ne sera pas mécontent de rester trente jours complets sans ressentir ses postillons sur la nuque. Un mois, enfin, sans Bébert, le bouledogue de Bénédicte, qui semble toujours prendre un malin plaisir à uriner sur le tapis quand c’est au tour de Marc d’aller le promener. Ca sent le complot à plein nez, c’est évident.
Et pour célébrer les fêtes de fin d’année en beauté, Marc a décidé de louer une maison de vacances près des marais salants de Guérande avec son meilleur copain, Loustic. Coup de chance, ils sont tous les deux nés le 17 décembre, c’était donc une occasion en or de voir arriver la trentaine ensemble, loin des galères de la capitale. Le départ est prévu pour mardi 3, et les deux hommes, inséparables depuis le collège, sont plus qu’impatients.
Mardi, le grand jour, est arrivé. Le jour J, ou « jour A » pour « aventure ». Le Citroën C4 de location est chargée des bagages de tout le monde et on peut voir cinq valises de Kronembourg sur la plage arrière. De toute évidence, ce mois de détente ne sera pas de tout repos, Marc et Loustic ont prévu de passer chaque journée entre débauche et gueule de bois. La bière dans la voiture, c’est seulement pour la première semaine. Dans la boîte à gants, une bouteille de scotch de dix ans d’âge sommeille, cachée des yeux inquisiteurs de Bénédicte et Louanne, la femme de Loustic. Marc s’installe au volant et ça y est, ils sont partis. Les tours de la Défense laissent bientôt la place aux champs où parfois apparaissent quelques villes qui semblent comme hors du temps : une gare à moitié détruite, une église noire de suie, un cimetière qui ne parait pas avoir été visité depuis des lustres … Le coeur de Marc fait un léger bond dans sa poitrine, sans qu’il ne sache pourquoi. L’excitation de la nouveauté pour ce Parisien de souche jamais sorti plus loin que le 77, mêlée à un sentiment de vide pour toutes ces existences oubliées, celles qui n’entraperçoit qu’à peine au détour d’un calvaire. Il pense à ces vies, ces générations sans doute, tuées à édifier une cathédrale déjà mangée par le temps. A tous ces pauvres ouvriers qui se sont massacrés le dos dans cette usine à bois désaffectée recouverte de graffitis. Pour la première fois peut-être, Marc réalise qu’il y avait un monde avant lui, et que celui-ci restera bien après que ses cendres aient été dispersées au vent. C’est étrange de se sentir si petit.
Après deux heures de route, les deux hommes décident de faire halte sur une aire d’autoroute paumée en pleine cambrousse. La C4 garée entre deux énormes poids lourds et derrière une caravane, ils vont se poser au soleil sur la seule table de camping libre, un immonde café de machine à la main. Marc s’allume une cigarette, la première depuis que Bénédicte a emménagé. Il était passé à la cigarette électronique, mais pas cette fois. Une légère quinte de toux le prend, il avait perdu l’habitude de toute cette fumée. Le goût pomme lui manquerait presque. N’importe quoi, heureusement qu’il est parti un peu.
« C’est ça la vraie vie Loustic. Je vais te dire, là, maintenant, tout de suite, j’ai juste envie d’une bière.
— Mec, tu conduis, sois sérieux au moins jusqu’à ce qu’on arrive !
— Mais ouais, t’en fais pas. Je vais pas déconner si près du but. »
Trois heures plus tard, sous un soleil inhabituel dans le Grand Ouest, Marc et Loustic arrivent à Guérande. Après avoir tourné un peu dans tous les sens, ils arrivent à trouver la maison de vacances que leur a prêtée un collègue de Louanne pour une bouchée de pain. De plein pied et avec une mezzanine, on se croirait plus dans une villa que dans une simple habitation. Elle a en plus l’avantage d’être suffisamment éloignée des voisins les plus proches pour que les deux hommes puissent boire tout leur saoul sans déranger qui que ce soit. Avant même d’avoir sorti les sacs, ils s’installent sous la véranda avec la première bière de la journée. Tant mieux en même temps, ils sont partis tôt après tout, et il n’est que midi.
Les vacances s’annoncent bien.
Mardi 17 décembre, sept heures du matin. Marc titube dans les marais salants à la recherche de la mer. Elle semblait si proche il y a quelques heures quand il avait décidé d’aller voir le soleil se lever sur la côte. On n’a pas trente ans tous les jours après tout. Mais qu’appelle-t-on la « côte » après une demi bouteille de scotch ? Les grands jours d’école de commerce sont déjà loin, et il se rapproche d’un talus pour vomir. Ce n’est presque plus que de la bile à ce moment là, plus grand chose à recracher. Depuis combien de temps avance-t-il ainsi, sans repère ? Qu’importe, la nuit, ou plutôt la mâtinée est belle, et les mouettes ont déjà commencé à chanter. Il retrouvera son chemin, comme toujours. Et perdu dans la tourbe, que pourrait-il lui arriver ?
L’odeur du sel assaille ses narines et lui donne soif. Une lumière rouge attire ses yeux et il s’engage sur le chemin marécageux qui y mène, sans savoir ce qu’il y trouvera. Mais c’est un repère, un phare dans la tourmente de l’alcoolémie qui lui alourdit les yeux et dévie le sol sur les côtés. Il marche sans savoir pour combien de temps, et ses pas finissent par le rapprocher d’un troquet sans grande prétention, perdu au milieu de nulle part. Le néon rouge clignote, et Marc réussit à déchiffrer l’enseigne tant bien que mal : « la dernière escale ». Plutôt bateau comme nom, mais ça fera l’affaire. Il a soif, et n’a plus qu’une envie, aller s’enquiller trois litres d’eau, peut-être une dernière petite mousse pour la gloire, et rentrer se coucher. Ne fait pas la fête qui veut, et il considère avoir eu sa dose. La troisième dizaine a été arrosée comme il se doit, mais ça suffit maintenant. Il entend le vent souffler violemment contre les ardoises du toit et se décide à entrer.
Il fait plutôt chaud à l’intérieur, une moiteur étouffante souvent typique de ce genre de petits PMUs. On y sent un mélange de houblon, d’urine, et d’une autre odeur familière sur laquelle Marc n’arrive pas à mettre le doigt. Malgré l’heure, l’établissement est rempli, et Marc s’assied au comptoir. La femme installée derrière frotte des verres gras avec un torchon tâché. Elle paraît la quarantaine, plutôt belle malgré tout. Ses cheveux grisonnent sur les tempes d’un gris métallique qui se mêle bien au châtain cendré du reste de sa chevelure. Dans la lumière tamisée, ses grands yeux sont presque noirs. Ses lèvres pincées ne bougent presque pas quand elle prend sa commande.
« Un verre d’eau s’il vous plait. Euh, après réflexion, mettez-moi une bouteille, genre Evian ou Badoit, ce que vous avez. »
Elle pose la bouteille sur le bar. Derrière Marc, les hommes attablés se sont tous tus, mais il est trop ivre pour s’en rendre compte. Tout le monde le regarde, cet étranger, pendant qu’il ingurgite le litre d’eau pétillante en quelques grandes gorgées. Il tousse d’avoir bu trop vite, lâche un renvoi, et redemande la même chose. Mais la chaleur et l’ambiance sombre du bistrot ont vite raison de lui, et il commence à s’assoupir. Souplement et sans un bruit, les inconnus se lèvent un a un et se dirigent vers la sortie. Un chien hurle à l’extérieur.
Marc essaie difficilement de soulever ses paupières, mais quelque chose l’en empêche. Après un effort qui lui semble surhumain, il obtient enfin gain de cause contre son corps. Ses membres sont endoloris. Le soleil ne s’est pas encore levé, les lumières sont éteintes, mais quelque chose luit en face de lui. La femme au comptoir n’est plus celle qui l’a servi : les longs cils masquent désormais deux iris dorés dans lesquels la pupille est énorme. D'interminables cheveux caressent la joue de Marc. Ils sont auburn, presque rouges. Se croyant en train de rêver, Marc esquisse un mouvement vers la sortie, mais celle-ci a disparu. La femme anonyme sort une lame de rasoir et se caresse la joue avec l’objet, lascive. La lame reflète la lumière ambiante sans que Marc ne réussisse à en trouver la source. Sa bouche carmin s’étend en un sourire trop grand pour son visage, qui dévoile des dents jaunes, gâtées. Elle lui susurre quelque chose à l’oreille mais Marc est trop effrayé pour déchiffrer quoi que ce soit. Des ombres dansent autour de lui et se réverbèrent dans le rasoir qui maintenant lui pique le bras. Le sang coule, noir et épais.
Marc veut fuir, mais son corps ne répond plus. Terrifié, il tente un cri qui se noie dans sa gorge. Ses vêtements sont en lambeaux, sans qu’il sache pourquoi. Son front saigne, il a dû se cogner l’arcade.
Dans la pénombre, enfin, il sombre.
Marc sent quelque chose couler le long de sa joue, et ça le réveille. Il lui faut quelques secondes pour émerger de sa torpeur. Le soleil tape fort malgré la date avancée dans l’année. Il est dehors, allongé quelque part dans les marais. Au loin, il voit la maison de vacances. Il passe lentement son index contre sa joue, appréhendant ce qu’il va y trouver. Mais la substance est blanche, tiède et crémeuse. Une fiente de mouette, probablement.
Ce n’était qu’un rêve, une stupide fantaisie d’ivrogne. Il rit tout seul de sa bêtise et commence à se lever. Il a la bouche sèche et un goût désagréable sur la langue. Le goût du sang. Il marche vers la maison, lentement, s’accrochant ici et là à de petits buissons pour appuyer son pas malhabile. Loustic le voit arriver de loin et sort l’accueillir.
« Mec, t’étais où ? J’étais mort de trouille, il est presque midi !
— Haha tu me croiras jamais si je te le dis mec, c’est du n’importe … »
Marc ne finit pas sa phrase, son ami est devenu blanc.
« Qu’est-ce qu’il t’arrive, on dirait que tu as vu un mort !
— Tu t’es vu ? Qu’est-ce qui s’est passé cette nuit ? »
Marc ne comprend pas. Il entre dans la maison et se regarde dans le miroir en pied de l’entrée. Ses vêtements sont déchirés, mais plus une trace des coupures sur son front. Sur son avant bras, en revanche, comme gravé dans les chairs, il peut lire « σύντομα ». La blessure a cicatrisé et semble vieille de plusieurs mois. Marc pâlit.
« Mec, fais tes bagages, prends ta voiture, on y va. »
Nicolas, précédent tenant du titre, finit dernier avec une voix.
Le destin est un monstre mécanique qui fonctionne à l’ironie. En 1868, sur les conseils de son ami et mécène Jules de Poher, le pionnier de l’aviation Jean-Marie Le Bris décida de s’élancer avec son second prototype de planeur, l’Albatros, depuis les collines de la baie de Douarnenez plutôt que depuis celles de Saint-Armel, certes moins hautes mais sur lesquelles soufflait selon lui un vent idéal. S’il avait pu en survoler pendant quelques secondes les marais salants, il aurait été en mesure d’avertir le monde du spectacle terrifiant qui se serait offert à ses yeux. En prolongement des vasières, les sillons de cobier traçaient sur le sol à une échelle démesurée des formes impies, silhouettes pélasgiques d’horrifiques chimères et runes aux contours chaotiques de civilisations primitives. Les hommes qui vivaient dans les cabanes près des adernes vouaient des cultes interdits à une monstruosité tapie sous la surface de l’eau. Par ruse et par méchanceté, ils attiraient dans leurs marais des plaisanciers qui finissaient mystérieusement happés par le sable, serviles offrandes d’êtres pervertis par la folie. Et c’est le sort que, ce matin de juillet 1889, on comptait réserver à Emmet Amstrade, un jeune entrepreneur venu à Vannes depuis le Pays de Galle pour affaires.
Emmet suivait de près monsieur Moraud qui marchait d’un pas rapide sur une coursive entre deux fares. « Cet ami dont je vous parlais, Dorian Grimlock, a été consulté à plusieurs reprises lors de la mécanisation des salières de la baie de San Francisco. Il a aujourd’hui le savoir-faire et les capitaux nécessaires à l’installation d’un système de régulation du niveau des vasières. Si vous vous montriez intéressé par nos prototypes... » Moraud freina sa course et gratifia son interlocuteur d’un clin d’œil à la signification ésotérique. « Je ne suis pas sûr que ça plairait aux gens d’ici. Ils n’entendent ni ne s’intéressent à vos machines. Regardez-les. » Trois paludiers s’activaient avec une énergie prodigieuse à alimenter leurs œillets en eau et à collecter la fleur de sel. Leur peau était à la fois cuivrée et terne, comme un métal oxydé par cet air lourd et piquant. « Vous voyez ? Ils n’ont pas besoin d’un autre moteur que le soleil... » Emmet voulut objecter mais son guide avait repris sa course en direction d’une cahute qui servait probablement à ranger le matériel de récolte.
La porte était grande ouverte mais il ne semblait y avoir personne à l’intérieur du magasin. Emmet maudit l’indocilité légendaire des Français en terme d’affaires et s’assit près de grands sacs remplis à ras bord de sel. Il suait à grosse gouttes dans sa redingote. Machinalement, il humecta son doigt et porta quelques cristaux à sa bouche. Il arrive que par un entremêlement des sens, on puisse reconnaître un goût sans jamais en avoir fait l’expérience, juste par souvenir d’une odeur. Ça n’était pas du sel. Emmet cracha, répugné : il s’agissait de farine d’os. Il se releva pour quitter au plus vite cet endroit sinistre, mais la silhouette des trois paludiers lui barrait le passage. Ils le fixaient à travers leurs minuscules yeux gris couverts par des arcades proéminentes. Deux d’entre eux tenaient des pieux de bois dans leurs mains décharnées et leurs intentions semblaient absolument inhospitalières.
Le premier frappa avec lourdeur la table derrière Emmet. Une deuxième esquive lui permit de se prémunir du coup d’un autre assaillant et de se retrouver temporairement en confrontation directe avec celui qui était désarmé. Une lutte s’engagea mais le jeune homme put s’écarter assez vite de son adversaire pour éviter une nouvelle estocade. Son expérience de la boxe anglaise lui permet de décrocher un uppercut décisif au thorax qui étala au sol le plus petit des brigands. Les hommes à la peau rouille éructèrent comme des bêtes sauvages et se jetèrent sur lui de front. Un pieu s’enfonça douloureusement juste au-dessus de son genou. Emmet cria de douleur et entraîna dans sa chute un des paludiers. Ses poings martelèrent les tempes du sbire jusqu’à ce que se fasse entendre un sinistre craquement. Le dernier opposant encore debout avait ramassé un pied de la table effondrée et tentait maladroitement de l’écraser sur le crâne du Gallois. Sous l’effet conjoint de la douleur et de la colère, Emmet s’empara de la chemise de l’homme et entreprit de le soulever hors de terre avant de l’envoyer valdinguer à l’autre bout de la remise. Il atterrit derrière un établis de menuisier, dans une position grotesque où son corps formait un angle droit avec sa tête, la nuque sans nul doute brisée.
Emmet reprit son souffle et déchira sa redingote afin de panser la plaie de laquelle son sang s’échappait en abondance. Il ne savait pas s’il était nécessaire d’appliquer un garrot ni même quelle était la procédure à suivre si c’était le cas. La tête lui tournait douloureusement. Le sol vrombissait sous lui, d’abord comme une vague sensation puis de plus en plus comme une force tangible et implacable. Il se releva péniblement après s’être équipé d’un des pieux comme béquille quand une secousse le fit à nouveau chuter. C’est avec une indicible horreur qu’il regarda la farine d’os contenue dans les sacs de toile prendre vie, s’agglomérer en monticules serrés qui devenaient progressivement ici une main là une mandibule. Péniblement, avec une indicible lenteur, un cadavre poussiéreux extirpa la moitié de son squelette grisâtre hors d’un des sacs.
Emmet claudiqua hors de la remise. Intoxiqué par la panique, il n’aperçut pas le renfoncement d’un talus et s’étala de tout son long dans une aderne. Son cœur s’affolait et il apercevait le monde comme au travers d’une vitre brûlée. En réalité, c’était tout ce qui l’entourait qui était plongé dans l’ombre. Quelque chose obstruait le chemin des rayons du soleil. Un cri inhumain et surpuissant résonna, comme si une colonie d’éléphants avaient trompeté à l’unisson. Ses cheveux voltigeaient au-dessus de son crâne, poussés par le souffle brûlant de la masse menaçante qui se tenait entre lui et le ciel. Emmet tourna la tête. Le plus atroce des cauchemars n’était rien en comparaison de la frayeur fondamentale qu’inspirait cette titanesque forme pandémoniale. À la vue de cet avatar de l’Horreur, sa raison éclata en mille morceaux de cristal et ses yeux se mirent à fondre.
12:56 - 2 juin 2016
dvb défie Aillas pour lui arracher le trophée qu'il garde pourtant bien serré contre son cœur, quand un U-raptor Folâtre se jette dans la mêlée...
Le texte 2, écrit par Aillas, est choisi par 7 voix sur 12. Il conserve donc son trophée !
Le texte 1, écrit par dvb, reçoit 3 voix sur 12. Le gobelin ne réussit pas à empocher le trophée qu'il visait
« Vous m'avez appelée tous les deux, mais lequel de vous, dois-je servir ? »
Le texte 3, avec 2 voix sur 12, place le 3ème homme, U-raptor Folâtre, en 3ème position